Ségolène joue les divas à Dijon

La ville de Dijon est récemment entrée dans la petite histoire du Parti Socialiste grâce à Ségolène Royal qui y a « tapé l’incruste » *.  Il semble cependant que la mayonnaise n’ait pas pris!

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Le premier nom connu de cette ville, attesté à l’époque romaine impériale, l’est sous la forme Divio ( ablatif Divione, aussi écrit Dibione). Plus tard, Grégoire de Tours écrira castrum Divionense. La transformation normale du -vi- en -j- ( comme dans servientem devenu sergent, ou Novientum devenu Nogent) a fait de Divione le Dijon que nous connaissons.

Sans certitude, mais de nombreux autres exemples abondent dans ce sens, on pense que Divio est d’origine gauloise, à cause du radical div- qui est celui du celtique diva, « divine, sacrée ». On ne sait pas ce qui conférait son caractère sacré à la ville, sans doute était-ce l’un des deux cours d’eau qui la traversent, l’Ouche et la Suzon, car on sait que les peuples de l’Antiquité rendaient un culte particulier aux cours d’eau. De nombreuses rivières de France portent ce nom. La Dives est un fleuve côtier qui se jette dans la Manche à … Dives. On connaît des Dives dans les Deux-Sèvres, l’Oise, la Sarthe, …

Metz s’est appelée Divoduri Mediomatricorum (chez Pline) : de divo, « divin, sacré» et durum « forteresse » ; Mediomatrici est le nom de la tribu gauloise installée dans la région, les Médiomatriques, qui apparaît sous une forme contractée dès 451, Mettis, à l’origine du nom actuel de Metz.

Cahors s’est appelée — chez César, Pline l’Ancien et en traduction grecque chez Strabon — Divona, en référence à la source sacrée, aujourd’hui devenue la Fontaine des Chartreux. Le nom actuel de Cahors provient de celui de la tribu gauloise qui l’occupa au IVè siècle, les Cadurci ( le –d- intervocalique disparaissant pour former Caours et le -h- ayant été rajouté récemment pour marquer l’hiatus).

Toujours chez les Celtes, mais en Écosse cette fois, Aberdeen s’est appelée, au XIIè siècle, Abberdeon (puis Aberdon et Aberden). Ce nom signifie « embouchure de la Dee ». En effet, aber signifie en brittonique « confluent bouche, embouchure » et -deon correspond à l’hydronyme Devona après la chute du -v- intervocalique. Le nom de la rivière elle-même, la Dee, remonte plutôt à la forme courte Deva ou Diva.

* « taper l’incruste » : cette expression très familière, en général plutôt réservée au langage parlé, a été reprise à plusieurs reprises dans la presse ces derniers jours.

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16 commentaires sur “Ségolène joue les divas à Dijon

  1. Au sujet de Cahors, le nom antique donne aussi celui de la province, le Quercy. Il y a ainsi beaucoup de doublets à partir d’un même radical accentué différemment et ayant suivi une évolution phonétique différente. Voici quelques exemples qui ont comme point de départ le nom de tribus gauloises : Rennes et Redon, Bourges et Berry, Vannes et Venise, Bayeux et Bessin, Lisieux et Lieuvin, Limoges* et Limousin, Rodez et Rouergue, Arras at Artois. On ne sait pas si c’est là la trace d’accents qui auraient existé chez les Gallo-Romains ou si c’est la présence du -s final issu de l’ablatif pluriel (Cadurcis = chez les Cadurces) qui aurait joué.

    * Même évolution du v dans le nom Lemovici que pour Dijon.

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  2. > Dominique : Vannes et Venise

    Dans les deux cas, le peuple fondateur s’appelait les Vénètes, certes. Mais êtes-vous sûr que ceux de Venise soient les mêmes que ceux de Vannes ???

    Pour ma part, cela fait longtemps que je cherche des informations solides sur ce point – qui ne paraît pas établi.

    Les Vénètes armoricains étaient l’un des tous premiers peuples de marins, commerçants et pêcheurs au large (ils donnèrent d’ailleurs du fil à retordre à César lors de la Guerre des Gaules, et les Romains ne durent leur victoire qu’à l’arrivée d’une pétole qui avantagea leurs bateaux à rames au détriment des bateaux à voile vénètes, pourtant supérieurs par météo normale). Ils sont d’ailleurs resté très longtemps des marins de référence, concentrant l’essentiel du commerce entre la Gaule (y compris au haut moyen-âge), les îles britanniques et l’Irlande. Les Vénètes de la lagune vénitienne étaient également un peuple de marins, qui se mêlèrent aux populations plus bourgeoises fuyant les Lombards pour créer la civilisation vénitienne. Des points communs, donc.

    Mais ceux de la lagune vénitienne descendent-ils de ceux du golfe du Morbihan, dont un groupe aurait migré ?? Ont-ils des ancêtres communs comme l’affirment quelques travaux fort peu étayés (mais alors, pourquoi sont-ils tous deux devenus précisément des marins, si le groupe vient de Pologne comme il est dit par les partisans de cette théorie ? – ce serait une étrange coïncidence, pas très convaincante : les peuples de marins étaient fort rares à l’époque et la probabilité d’une telle « divergence convergente » est statistiquement capillotractée).

    Je suis preneurs de vos sources (même incertaines : étayons, donc croisons :-)…).

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  3. Non, non, ce ne sont pas les mêmes, mais figurez-vous que l’on trouvait par exemple une tribu britonnique nommée Parisii. Paris aurait pu être anglaise ! Et ce n’est pas la seule à avoir son équivalent en Celtique continentale. Le cas des Vannetais, des Vénitiens et des Wendes est un peu étrange, mais on a beaucoup de correspondance de noms de tribus gauloises à travers l’Europe. Les Boïens sont connus par exemple comme un peuple helvète, mais en fait ils résidaient à une époque plus ancienne dans ce qui sera la Bohème à laquelle ils donneront leur nom. Les Séquanes étaient d’abord aux environs de la Franche-Comté et de la Saône, ils se sont déplacés vers Paris et la Seine avant l’époque romaine. Il faut rappeler que le prétexte de la Guerre des Gaules fut la migration d’Helvètes sous une poussée germanique alors que les futurs hébergeurs (en Saintonge) étaient d’accord pour accueillir leurs faux envahisseurs, mais pas du tout les Héduens (ces traîtres conquis à l’or romain) qui devaient les laisser passer. On a une grande dispersion des tribus celtiques et il y a souvent le même équivalent dans un autre territoire. Les équivalences britonniques et continentales sont troublantes. Il y a bien eu une division linguistique entre langues en P (le gaulois) et en C (britonnique et gaélique) initial, mais à part cela, on ne sait rien et cela ne dit rien sur les personnes. C’est un peu comme si l’on considérait les Marseillais actuels comme de purs descendants de Phocée et pas de mettons Athènes ou Constantinople.

    Pour le fait que les Vénètes étaient d’excellents marins, je ne sais rien à leur sujet sinon qu’ils figurent un peu comme des cerises sur le gâteau de César (lequel avait été capturé par des pirates et en gardait un souvenir cuisant pour ses fesses lorsqu’il dut faire connaissance avec Mithridate), mais je sais que Venise a été construite par des populations qui ont fui les ravages dans les autres villes et il y avait peut-être des Vénètes sur place déjà. C’est une cité qui a été remarquable dans le domaine de la marine, mais c’est d’abord une ville d’émigrés dès l’origine ! Et peut-être y avait-il une technique de construction maritime venète plus développée que les autres, mais de là à durer plus de mille ans et à renaître brusquement.

    Si les questions gauloises ou celtiques vous passionnent, je vous recommande ce site : http://www.arbre-celtique.com/presentation/presentation.php
    Mais vous verrez que plus on apprend, moins l’on sait.

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  4. Voilà un des aspects les plus intéressants de la toponymie : voir dans la formation et l’évolution des noms de lieux la constitution des systèmes de sociétés.
    La formation, dès le IIIè siècle, dans toute la Gaule (exceptés le Sud et le Sud-Est) de noms de lieux à partir du nom des tribus qui les habitent a suivi de très peu l’édit de Caracalla qui accordait des droits de citoyens romains à tous les habitants de l’Empire. Le paradoxe est qu’au moment où s’effaçaient administrativement les cités gauloises devant les villes romaines résurgissent ces noms de tribus gauloises.
    La disparition des noms de peuples gaulois a été précoce dans le Sud et le Sud-Est * romanisés par une colonisation ancienne, alors que dans le reste du pays les appellations des noms de villes restèrent traditionnellemnt attachées à la Gaule chevelue. C’est donc un usage spontané, plus qu’un acte officiel ou un décret romain, qui provoqua ce renouveau des noms gaulois et qui s’imposa peu à peu à l’administration romaine ( certaines villes conservèrent d’ailleurs parfois deux noms pendant de longues périodes), qui se contenta de prendre acte**.
    Cette transformation des noms de lieux au profit des noms de peuples est le signe avant-coureur d’un bouleversement social à venir: la disparition des peuples, qui étaient tout, au profit de la prééminence de la terre, à laquelle l’homme se lie de plus en plus, et qui aboutira au système féodal, avec le servage et la territorialité des coutumes remplaçant la loi générale.

    * Dans ces régions, la romanisation précoce et intense a éliminé les noms de peuples gaulois de la toponymie, sauf exceptions comme les Caturigis à Chorges, les Tricastinis à Saint-Paul-Trois-Châteaux, les Sédunis à Sion et les Reiis à Riez.
    **En latin vulgaire, le génitif s’est effacé au profit d’une construction avec de . C’est ainsi par exemple que civitas Parisiorum devint civitas de Parisiis et, par ellipse, Pariisis . Ce qui confirme que tous ces noms de lieux reposent sur d’anciens ablatifs pluriels en -is .

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  5. Il y a une autre raison à cette désignation par des noms de tribus : la forte présence de colonies germaniques dans le Nord et le Nord-Est, bien avant les grandes invasions, dès le Ier et le IIe s. Lorsque je vois des noms de villages comme Sermaize, Germaine, Germinon, Gueux, Allemanche, Allemant, Aumenancourt, Bourgogne, Vandeuil tous issus de tribus dans mon département, je sais que c’était une terre où se mélangeaient des populations diverses venues de fort loin. Les Germains étaient déjà sédentarisés en Gaule belgique (puisque j’ai la chance d’appartenir à la Belgique antique), ils cultivaient la terre ou entraient dans l’armée romaine afin de protéger les frontières et on aurait tort de les prendre pour les barbares qui ont ravagé et détruit ensuite l’empire romain, ce n’était pas les mêmes mais leurs cousins qui avaient mené une existence séparée. Mais bizarrement le -s de l’ablatif pluriel ne marche que pour les noms de tribus gauloises, presque jamais pour les tribus germaniques. Il faut croire que les Gallo-Romains ont conservé un peu plus longtemps les cas du latin classique (on a des exemples de déclinaisons reconstituées en gaulois assez similaires à celles du latin de César), tandis que les Germains se sont convertis directement au latin de leur temps où les cas comme l’ablatif avaient presque disparu. Et comme ce sont les habitants du lieu qui se nomment et qui nomment ou maintiennent le nom… Cette divergence dans la toponymie montre d’abord les strates de culture, de langue, comme des couches géologiques. Elle montre aussi que la France était déjà multiculturelle et que « nos ancêtres les Gaulois » est une ânerie destinée à préparer à la grande boucherie de 14 Il est d’ailleurs étonnant que cette stupidité ait été préparée auparavant par la construction d’un mythe national autour d’Alesia du fait d’un empereur qui parlait français avec l’accent allemand et qui commettait un nombre incalculable d’erreurs d’orthographe avant de précipiter son peuple contre les Germains forcément non Gaulois. Cela n’a vraiment aucun rapport avec l’actualité présente…

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  6. Oui, bien sûr, avant les Grandes Invasions, il y avait eu des pénétrations pacifiques de Goths, Francs, Bretons et surtout Germains venus travailler les champs (les campagnes se vidaient déjà au profit des villes, comme aujourd’hui).
    Et tous ces noms de Barbares sont inscrits dans notre toponymie, aussi bien ceux venus pacifiquement comme vous le faites remarquer, que les autres venus plus tard.
    On trouve donc, par exemple :
    Les Allains (à Allain, Allaines,..), les Alamans (à Allemant, Alménèches, Auménancourt,…),les Burgondes (à Bourgogne, dans la Marne), les Francs (à Francs, Frans, Francourville, …), les Goths (à Gueux, Gourville, …),les Marcomans (à Marmagne, …), les Sarmates (à Sarmases, Sermaise, …), les Saxons (à Sassogne, Sissonne, …),les Taifali (à Tiffauges en Vendée) ou les Vandales (Gandalou).
    Dans ces formations, on trouve aussi bien le nom des peuples à l’ablatif ( Gothis pour Gueux, Sarmatis pour Sermiers) ou au génitif(Francorum villa pour Francourville) que des noms suffixés par un -ia atone (Burgundia pour Bourgogne, Sarmatia pour Sermaise), par un -iac atone (Taifica pour Tiffauges), ou encore par le germanique -isc *(Alamannisca pour Alménèches).

    Pour ce qui est de l’ânerie (je vous trouve bien indulgent!) que constitue l’appellation « nos ancêtres les Gaulois « , je ne peux être que d’accord avec vous!

    * Qui a été aussi appliqué à des colonies romaines en pays burgonde ( Romanèches).

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  7. Vousvoyezletopo, vous dites «on pense que Divio est d’origine gauloise, à cause du radical div- qui est celui du celtique diva, divine, sacrée ». Ce div- est-il le même que celui que le TLFI donne comme étymologie pour divin : Empr. au lat. divinus « des dieux, de Dieu; merveilleux, excellent » ?

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  8. > Harald:
    autant que je sache, le celtique divo comme le latin divinus sont formés à partir d’une racine indo-européenne commune mais ne procèdent pas l’un de l’autre; ils ont eu une existence parallèle.
    On connaît par exemple chez les Hindous Divo Asura, le « Seigneur du Ciel » : la racine div- est commune aux langues indo-européennes et a formé des mots de sens proche dans ces différentes langues.

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  9. @ Dominique :

    Je vous confirme que les Vénètes de Vénétie étaient également des marins (aussi excellents que ceux d’Armorique ? je n’en sais rien, n’ayant aucune information qualitative à leur sujet). Et la fondation de Venise et de sa civilisation est bien la rencontre (le métissage !) entre deux populations : d’une part les Vénètes, marins, établis depuis des siècles dans la région ; d’autre part les populations continentales fuyant les Lombards. Certaines sources précisent que les populations fuyant les Lombards étaient plutôt bourgeoises et aisées – ce qui sous-entend que les Vénètes l’étaient moins. Mais cela reste flou. En tout cas, je ne pense pas que les compétences maritimes des Vénètes de Vénétie aient disparu puis réapparu brusquement. Simplement, bien que présentes en continu depuis l’époque romaine où elles sont attestées, ces compétences maritimes étaient « inexploitées » (car ces Vénètes étaient probablement peu prospères dans les siècles de transition après la chute de Rome) et elles ont soudain explosé au grand jour lorsqu’elles ont été valorisées et organisées par la richesse des populations continentales avec lesquelles les Vénètes se sont métissés.

    Mais bon, qu’un peuple littoral soit devenu marin est davantage « dans l’ordre des choses » que de voir un peuple continental venu de Pologne se couper en deux … puis ses deux branches devenir des marins comme par hasard, alors que leurs voisins ne l’étaient pas.

    Le fait que les Vénètes d’Armorique, peuple littoral, et les Vénètes de Vénétie, peuple littoral, soient tous deux devenus experts dans l’art maritime n’a rien d’invraisemblable (même si les marins restaient rares à l’époque, et qu’une coïncidence demeure entre leurs compétences peu courantes et leur nom). Une origine commune n’est pas impossible, mais dans ce cas une origine continentale me semble plus discutable…

    Bon, tant pis, à défaut d’une source complémentaire sur les doubles Vénètes, j’ai quand même récupéré une source sur les peuples celtiques. Merci donc.

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  10. L’Incruste est, en 94, le titre d’un très joli téléfilm d’Emilie Deleuze avec un personnage de père ressemblant à Gilles. Le mot était alors juste réservé aux jeunes, mais ceux-ci ont vieilli depuis et ne sont plus étudiants depuis longtemps.

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