Des Maures et des Sarrasins en France

Les Arabes ont envahi la péninsule ibérique en 711. Profitant de l’effondrement de l’empire wisigoth, ils envahissent alors la Septimanie (Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault et Gard), pour en faire une province dirigée par un wali et dont la capitale était Narbonne. Peu de temps après, le royaume des Francs, gouverné depuis peu par les Carolingiens, réagit et la progression des Arabes est arrêtée, on le sait — on nous l’a assez répété ! —, en 732 par Charles Martel à Poitiers. Pépin le Bref, le fils de ce dernier, reprend Narbonne en 752 et son petit-fils Charlemagne fit la conquête de la Catalogne en 801. Cependant, jusqu’au début du XIè siècle, les Arabes conduiront encore des raids par terre ou par mer en Languedoc comme en Provence. Leur présence sédentaire se maintiendra d’ailleurs pendant près d’un siècle en Provence, dans le massif des Maures, jusqu’en 972. Certaines troupes, dont quelques unes venant de l’Italie voisine, faisaient preuve d’étonnants talents de coureurs de montagnes et purent ainsi écumer durablement les Alpes occidentales.

Cette courte présence des Arabes ne laissera que très peu de traces archéologiques et toponymiques. Ces dernières peuvent se ranger en trois groupes : les noms ethniques — Maures ou Sarrasins — donnés par les indigènes (Gallo-romains ou Francs) et les noms proprement arabes qui sont extrêmement rares comme on le verra.

  Les Maures

Tout d’abord, il convient de mettre fin à la légende qui voudrait que le nom du massif des Maures, en Provence entre Hyères et Fréjus, provienne du nom des Maures. Dès le Xè siècle, Luitprand, évêque de Crémone, parle de montem maurum, « la montagne sombre », pour décrire cette succession de masses sombres naguère couvertes de pins et de châtaigniers. La présence des Sarrasins dans ce massif dès le IXè siècle a sans aucun doute contribué à renforcer cette étymologie populaire. D’autres toponymes rappellent ce sens de «sombre, noir », comme Roquemaure (Gard), Montmaur (Hautes-Alpes, Aude) ou encore Montmort (Marne, mons Maurus en 1042).

Il convient de rappeler ensuite que des Maures s’étaient établis en France bien avant l’invasion arabe : en effet, on sait que l’empire romain récompensait ses meilleurs légionnaires en leur donnant des colonies en territoire conquis. Quelques uns de ces légionnaires étaient des Maures, des Mauritani habitant le Maroc, et l’on retrouve leur nom dans des appellations comme Mortagne-au-Perche (comitis Mauritaniae en 1086), Mortagne-du-Nord, Mortagne-sur-Gironde, Mortagne-sur-Sèvre ou encore Mortain dans la Manche. Maurs ( Cantal, Sanctus Petrus Mauricis donnant ad Mauros en 941) est un ancien poste romain occupé par des mercenaires maures.

Enfin, de ce nom «maurus » sont issus des noms d’hommes latins (Maurus, Maurinus, Mauritius, etc.) ou germaniques (Maurus, Moro, etc.) à l’origine de nombreux toponymes.

Pour terminer, retenons que la Tête de Maure, emblème de la Corse, qui apparaît pour la première fois en 1281 sur un sceau de Pierre III le Grand, a été importée sur l’île par les rois d’Aragon.  La présence de cette Tête de Maure sur un drapeau corse n’est toutefois pas attestée avant 1736 lorsque le baron Théodore de Neuhoff (un aventurier allemand qui se vantait de titres aussi prestigieux qu’indus), parti à la conquête de la Corse, la fit incorporer dans son écu. Sa présence ne dura pas plus de six mois sur l’île mais sa popularité immense dans toute l’Europe suffit à faire connaître cette Tête de Maure et c’est pourquoi Pascal Paoli, en 1760, changea l’étendard habituel des insurgés qui portait la figure de la Vierge Marie pour un étendard portant la Tête de Maure.

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Sarrasins – gravure de l’ouvrage de Breydenbach ( 1486 )

Les Sarrasins

Ce nom de Sarrasins est apparu tardivement (attesté pour la première fois en 1100) à la suite du latin médiéval Saraceni désignant les musulmans d’Afrique du Nord. Les toponymes employant ce nom sont donc des appellations postérieures à la présence des Arabes sur le territoire français.

Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne) est en fait un ancien Castrum Cerrucium (IXè siècle) qui doit son nom à un homme latin Cerrucius, nom tombé par la suite (Castrum Saracenum en 961) dans l’attraction du nom des Sarrasins (comme sans doute celui de  Castel-Sarrazin dans les Landes). On trouve d’ailleurs de nombreux édifices attribués aux Sarrasins (la tour Mauresque de Narbonne, le château Sarrazy de Brassac dans le Tarn, etc) alors que la plupart du temps il s’agissait de constructions destinées à se défendre contre eux ou même de constructions antérieures (comme les remparts romains de Toulouse faussement attribués aux Sarrasins, l’oppidum de Lagaste, etc).

Mise à jour le 05 mars 2024

L’étymologie de Castelsarrasin (T.-et-G.) donnée par Dauzat & Rostaing (DENLF*) et reprise par E. Nègre (TGF*), qui s’appuyaient sur l’attestation de 847 d’un castrum quod Cerrucium vocatur pour expliquer le nom de Castelsarrasin par celui d’un homme latin Cerrucius, nom tombé par la suite (Castrum Saracenum en 961) dans l’attraction du nom des Sarrasins, est aujourd’hui controversée. Selon P.-H. Billy (DNLF*), l’identification du castrum Cerrucium avec Castelsarrasin est erronée.

La ville est en effet attestée seulement au XIIè siècle, en 1137 Castelli Sarraceni puis Castro Sarraceno en 1156. Le latin castellum (qui apparaît dans le nom de 1137), diminutif de castrum (employé en 1156), a désigné, durant le haut Moyen Âge, toute fortification érigée dans un but militaire ou de protection (d’une abbaye, d’une ville …) puis, dès l’an mil, une ville fortifiée. Ici, il s’agit d’un château seigneurial établi par les comtes de Toulouse et dont le nom serait lié à un personnage, Ramondus Sarracenus. Lié à la famille comtale par sa femme, ce dernier aurait été chargé de mettre en place, outre les sauvetés (fondations urbaines autour de l’asile d’une église) de Montech en 1134 et de Montauban en1144, le castelnau (fondation urbaine autour du château) qui a pris son nom. La forme occitane Castel Sarrazi apparaît en 1162 tandis que la forme française actuelle semble n’apparaître qu’au milieu du XVIIIè siècle et ne figure dans les nomenclatures officielles qu’en 1818.

*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.

Les toponymes d’origine arabe

Restés à peine une quarantaine d’années en Septimanie, les Arabes sont demeurés , on l’a vu, plus longtemps sur la côte de  Provence, résidant par exemple près d’un siècle à La Garde-Freinet et ses environs.

Une bande sarrasine venue d’Espagne vers 890 avait fait de la Garde-Freinet ( du latin Fraxinetum, «bois de frêne») une capitale, lui donnant le nom de Jabal al-Qilal, «montagne des jarres» (ils y avaient trouvé les restes d’une industrie gallo-romaine), nom qui n’est pas resté. C’est de là que furent menées des razzias dans toute la Provence, l’Embrunais et le Grésivaudan. À l’occasion, ils rançonnaient les voyageurs ou les pélerins jusqu’au Grand-Saint-Bernard, allant jusqu’à Saint-Gall en Suisse, en Dauphiné ou en Piémont.

À cette époque, Gien, aujourd’hui sur une presqu’île, était une île. Les Arabes, pour signaler le détroit qui la séparait du continent, avaient installé un phare sur celui-ci, à un endroit qui forme aujourd’hui le quartier Almanarre d’Hyères. Il s’agit là d’un ancien nom arabe Al manar, « le phare».

Non loin de là, le célèbre village de Ramatuelle porte un nom  dans lequel certains ont vu l’arabe  Ramatu’lla, signifiant « Miséricorde de Dieu, Grâce de Dieu ». Une autre hypothèse fait dériver ce nom de celui des Camatullici, une tribu celto-ligure qui aurait été chassée des environs de Toulon par les Romains et serait venue s’établir dans l’arrière-pays, sans que l’on explique bien le passage du C- initial  au -R . Il existe encore à Ramatuelle une ancienne porte, dite Porte sarrasine. On peut relever que Rahmatoullah est aussi à l’origine d’un prénom féminin, signifiant « miséricorde de Dieu », porté par exemple par notre actuelle ( article écrit en janvier 2010!) secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports Ramatoulaye Yade.

Qu’ils soient venus des côtes de Provence ou d’Italie, on sait que les Arabes ont fait des incursions dans les Alpes où ils n’ont laissé que très peu de traces. Dans les Hautes-Alpes, et particulièrement dans le Dévoluy, des gouffres creusés par les eaux souterraines depuis des temps immémoriaux (le plus célèbre, Rama-Aiguilles, au quatrième rang mondial, descend à 980 mètres sous terre) portent le nom de Chouroums (écrit aussi chourums ou chouruns), un nom d’origine sarrasine.

Un petit torrent que traverse la route nationale qui conduit à Nyons, dans la Drôme, au-dessus du moulin de Vinsobres, a gardé le nom de la Moïe, et ce mot d’origine arabe (Miya, les eaux) est un témoin de l’invasion sarrasine.

Ce sont les seules traces arabes établies avec certitude à ce jour dans la toponymie de notre pays. Mais les recherches continuent.

171 commentaires sur “Des Maures et des Sarrasins en France

  1. @ Leveto (27 avril à 20h04)

    Je note que vous vous montrâtes dubitatif* quant à une possible interprétation du toponyme SARRABOSC en liaison avec des métèques venus d’horizons exotiques. Moi aussi, qui n’ai d’ailleurs aucune ambition en cette affaire : il existe suffisamment (sur le marché) de toponymistes nantis de certitudes, d’un flair rompu aux difficultés posées par le moindre cold case et qui tous ont un avis pertinent (et le meilleur) sur la question.

    Bref, la toponymie me semble être cette science généreuse où tous les «possibles» bénéficient du droit d’asile… et c’est bien là ce qui fait son humanité, son charme et sa fantaisie.
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    Ni une ni deux, après avoir lu vos réticences, j’ai appelé ma vieille camarade Josette B. (75 ans, tous vécus à proximité de la Durance ou du Buëch).
    Après un passé de tenancière de bistrot, elle vit maintenant tantôt à Ribiers (05) tantôt au Thor, un quartier de Sisteron (04).
    Voici ce que l’on s‘est dit:

    Moi : – Dis-moi, ma petite Josette, que penses-tu de Sarrabosc ?… tu sais bien, cet endroit tout au bord de la Durance ? et a-t-il quelque chose en lui qui évoquerait de près ou de loin une crête de montagne ?
    Elle : – Tu te fous de moi ou quoi ? Tu sais parfaitement que Sarrabosc est tout au bord de la Durance… mettons à 200 ou 300 mètres. Mon grand-père y avait fait bâtir une villa autrefois
    Moi : – Et une affaire de « bosquets cernés », ça te cause ?
    Elle : – Faudrait être violemment couillon pour vouloir enfermer un bouquet d’arbres avec du barbelé ou du concertina…. – On est capable de faire ça chez toi ?…
    Moi : – Ma foi non, sauf peut-être un caractériel avancé ou un toponymiste égaré.

    La carte IGN 3339 OT, celle qui ne me quitte jamais, confirme évidemment la proximité immédiate qu’entretiennent la Durance et Sarrabosc. Les courbes de niveau n’invitent pas davantage à imaginer la moindre altitude parée d’une crête.
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    Re-bref, le seul souci que j’ai avec les Sarrazins de PACA est lié à la Pierre Impie, ce machin tellurique et plutôt orobalèze qui se manifeste dans mon paysage de résident secondaire assujetti aux taxes locales.
    Cette ‘Pierre Impie’, outre son nom adorable, rappelle au populo local jusqu’à quel haut degré de civilisation se situaient la morale et les pratiques sentimentales de ces touristes de passage :

    Les Barbares jetaient du haut du Rocher de Pierre Impie les femmes infidèles

    Ce qui est d’ailleurs très beau à imaginer dans un tel contexte paysager :

    http://edelweiss05.over-blog.com/article-pierre-impie-et-plante-des-dieux-de-l-olympe-50368018.html

    Mais voyez-vous, Leveto, le plus fun de l’affaire (en ce qui me concerne), c’est bien saint Bobo, cette sorte de rival de Charles Martel.
    Avec une égale admiration portée à ces deux grands personnages et un souci de la vérité historique, il est permis de dire que si l’un a su, à Poitiers, dire stop aux basanés sans papiers, l’autre les a défaits en toute civilité à la Pierre Impie, cette excroissance géologique qui, depuis, conserve le souvenir de ce moment sanitaire.

    De mauvaises langues vous diront peut-être que les Sarrazins furent contraints pour de vrai à Tourtour.
    Des toponymistes distingués vous diront aussi que (possiblement) saint Beuvon est le père putatif d’au moins un toponyme local :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Beuvon_de_Voghera

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    * « montre + hâte + du bite hâtif « : – N’allez surtout pas imaginer que je pensais à ça:

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  2. >Leveto,

    Votre ‘administration douanière’ me signifie ceci:

    1 mai 2019 à 14 02 15 05155
    Votre commentaire est en attente de modération. Ceci est un aperçu, votre commentaire sera visible après validation.

    C’est proprement scandaleux… Je paie des impôts locaux en PACA, moi, et au final on me traite comme ça !

    Mais ça ne s’arrêtera pas là, croyez-moi !

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  3. @ Bernard Chapelet

    Maintenant que vos préoccupations de retraité retranché à Lus-la-Croix-Haute me sont connues, je vais vous faire une confidence assortie d’une promesse.

    Retraité moi-même depuis 2004, je me retrouve écartelé entre mon patelin de l’Oise et une maison de village que je possède depuis 1998, du côté de Sisteron.

    Ceci fait que depuis plus d’une vingtaine années (et sans doute à près de cent reprises) je passe du côté de chez vous. Et quasiment chaque fois, je m’arrête à l’Auberge du Jocou.
    Lors de cette pause, que ce soit dans le sens du retour ou celui de l’aller, je pense à Lalley*… à Giono et à son Roi :

    https://lewebpedagogique.com/hberkane2/2017/06/12/les-lieux-reels-et-imaginaires-dans-un-roi-sans-divertissement/

    La prochaine fois, et ce sera vraisemblablement vers la fin juin, je penserai peut-être à vous.
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    * Lalley et les alleus/aleux ? Qu’en pense Leveto ?… Il n’en parla pas dans son billet du 17 novembre 2013.

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  4. TRS

    A / à propos de Sarrabosc.
    Mes souvenirs de Sisteron datent d’il y a déjà quelques temps, aussi ai-je pris soin de vérifier.
    Si je regarde bien la photo satellite</b de Sisteron, je distingue le chemin de Sarrabosc qui grimpe jusqu'à finir en cul-de-sac, après quelques virages serrés, au sommet d'une hauteur, plus ou moins boisée.
    Que le chemin de Sarrabosc démarre de la route de la Motte-du-Caire, non loin des rives de la Durance, signifie simplement selon moi qu'il part de là pour grimper jusqu'à un sommet isolé, « anciennement »* nommé Sarrabosc.
    Les courbes de nivaux me montrent un dénivelé d'au moins 60 m entre le bas et le haut du chemin. Et 60 m aux bords d'une rivière, ce n'est pas rien !

    *J'ai mis « anciennement » entre guillemets car ce nom n'apparait pas sur la carte de Cassini ( feuillet 125 – « Embrun » – où l'on trouve pourtant Les Mondrons tout proches ) mais, à son emplacement, apparait une hauteur un peu en longueur et non habitée. ( essayez ce lien ). [ recherchez Sisteron, puis déplacez-vous vers la droite de la carte et ensuite vers le haut pour voir Les Mondrons et la hauteur où pourrait se trouver Sarrabosc ]

    B/ à propos de Lalley

    plutôt que l’étymologie donnée par wiki ( « dérive du latin Allodio , mot signifiant « fonds libre et exempt de toute servitude » » ) qui n’explique pas la finale en -ey quand on s’attendrait à une finale nord occitane en -o comme à Allos ( Alpes-de-Haute-Provence )
    Je préfère y voir, avec Dauzat&Rostaing, un Lallius -acum ( nom d’homme Lallius + suffixe possessif -acum) comme à Laillé ( I.-et-V.) et Lailly (Loiret).
    C’est aussi l’avis de Jean-Claude Bouvier ( Noms de lieux du Dauphiné, Bonneton, 2002).

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  5. Vous connaissez probablement le site http://www.geoculture.org/videos/histoire/medievalpes-021-les-sarrazins-des-alpes-1-2.html . La thèse est identique à la votre. Il dit que le terme de maure est d’une époque plus récente que celle en question. Il y a aussi un autre Montmaur au pied du pic de Bure.

    J’ai recherché les chourums sur la carte IGN. Ils sont tous localisés sur le versant est du Grand Ferrand sur les communes du Devoluy évoquées précédemment. Il y a aussi une baume des forcenés au nom évocateur.

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  6. Bernard Chapelet

    La plupart des chourums se trouvent effectivement à Agnières-en-Dévoluy*, à Saint-Disdier ou à Saint-Étienne-en-Dévoluy.

    Mais juste pour vous faire mentir, je vous signale un chourum dit « de la Pointe », sur la commune de Pellafol**, de l’autre côté de l’Obiou, en Isère, donc. Si vous avez le temps et si vous aimez ça, je vous conseille une petite rando au départ de Pellafol vers la résurgence de la Haute Gillarde : rien de difficile, c’est même une bonne promenade à faire avec des ( petits-)enfants !.

    * On y élève principalement des brebis et des agneaux maintenant, mais le nom d’Agnières se rapporte aux ânes ( asinaria) qu’on y élevait comme bêtes de somme.
    ** pelafòl pourrait être une variante de l’occitan pèlòfi , « pauvre hère, loqueteux, homme maigre, homme de néant » ( selon E.Nègre citant le Trésor du Félibrige de F.Mistral ).

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  7. J’irai voir Pellafol. Je poursuis mes affabulations concernant les chourums. Il y a, à quelques centaines de mètres de distance, en plus de la baume des forcenés, le chourum des flibustiers et aussi le chourum de la rama. Les flibustiers évoquent plutôt les pirates de caraïbes et apparaît en français au XVIIième si j’en crois le Robert dictionnaire historique de la langue française. Mais s’il s’agit d’une dénomination tardive du lieu, on peut imaginer une confusion entre pirates de la Méditerranée et des mers plus lointaines. La baume des forcenés évoque la résistance de réfugiés dans ces recoins perdus. De l’autre côté de la montagne au dessus de Tréminis en Trièves, c’est là que s’était installé un des premiers maquis en 1943. Enfin le chourum de la rama emprunte possiblement son nom à l’arabe rama qui sauf erreur signifie miséricorde (Ramatuelle). La grotte de la miséricorde évoque à la fois la protection divine et l’appel à la pitié des hommes. On peut penser à la grotte de la Sainte-Baume et à celle de Lourdes. Flibustiers, forcenés, miséricorde, l’association des trois raconte une histoire. Peut-être une fable pour enfants à raconter alors qu’on monte vers la résurgence de la Haute Gillarde ?

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  8. Une amie historienne m’a adressé le lien suivant : https://www.persee.fr/doc/linly_1160-641x_1886_num_5_1_16264 La colonisation arabe en France – Bertholon. On y trouve de multiples toponymes supposés dériver de l’arabe ou du berbère de l’époque. J’ai par curiosité recherché, dans la partie est du Dévoluy où se trouve concentré nombre de chourums, des toponymes soit cités par Bertholon soit dont la consonance me semble voisine. Je soumets ces noms à votre critique : la tête de la cavale (Kaf aly : la roche élevée) ; la montagne d’Aurouze (Al Rous : le sommet) ; Chamousset (El Djamous : le bœuf sauvage) ; Tête du Rif de Lauze et Tête du Rif de l’Are (Rif : « En Afrique on désigne ainsi dans les montagnes les portions de terrain cultivables par rapport aux parties stériles ») ; Font Bidouine (Badawi : habitant du désert) ; Cabane de la Rama, grotte de la Rama (Rahma : miséricorde), aussi Ramasset ; Lèche (El Houech : la ferme) ; Les Mourres et le Pra des Mourres. Je me suis interrogé sans raison sans doute sur Parza dans chourum de la parza. De même sur Bachas et Bachassons. Sur ce dernier, le Robert cite le provencal « auge » et d’autres font référence à l’alimentation en eau des moulins.

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  9. Bernard Chapelet

    Cette manie de vouloir trouver de l’arabe partout ! En saucissonnant les mots, on leur fait dire ce qu’on veut ! L’auteur de ce texte ( je n’ai pas tout lu ) fait fi des formes anciennes connues ( bon, à son époque, c’est un peu compréhensible) et de la phonétique élémentaire ( Aurouse n’a pas grand chose à voir avec Al Rous ), oublie les comparaisons avec des toponymes similaires et, surtout, oublie la langue locale et l’histoire ( les oro- et hydronymes étaient déjà nommés bien avant l’arrivée des Sarrasins dans les Alpes !)

    Certitude à 99.99% :

    La montagne d’Aurouse ( H.-A. entre la Cluse et Montmaur ) est notée Aurosa en 1222, soit de l’adjectif féminin occitan aurosa , « venteuse, exposée au vent ».

    Chamousset ( H.-A., St-Julien-en-Beauchaine ): montanea de Chamosset en 1166 et pratum Chamos en 1175, de l’occitan chamous , « chamois » et suffixe collectif -et . Cf; Chamoissière dans le Pelvoux, Chamosseran dans les bauges ou les Plates des chamois à Tignes.

    Rif de Lauze et Rif de l’Are : Rif est issu du latin rivus , « ruisseau ». Cf Riffroid ( Drôme ) ou Rif-Cros, affluent de la Gyronde ( H.-A.) ( Lauze = pierre, même racine que pour lapis ou la « lave » et Are = hydronyme pré-celtique)

    Mourres et Pra des Mourres : « mourre » désigne des pointes rocheuses. Du provençal morre , « pointe rocheuse », du latin murex + attraction de morre , « museau, groin », du bas latin murrus . ( Pra : « pré », du latin pratum )

    À vérifier ( mais fiabilité 90%) :

    Tête de la Cavale : plutôt une racine pré-celtique ( ligure ? )*cab- , « hauteur » comme pour Cavaillon et Chalon-sur-Saône.

    Font Bidouine ou plutôt Bédouine : peut-être à rapprocher des gaulois bedum , « canal, fossé » ou betu, « bouleau » ou bien à ranger, comme E. Nègre, dans les noms pré-celtiques d’origine inconnue avec Bédouès (Lozère ) , Bédouer ( Lot) et bien d’autres. La racine bed / bet a été très productive Autre possibilité : corruption avec diminutif d’ abeurador , « abreuvoir » comme La Bédouère ( I.-et-L).

    Lèche : de l’autre nom du carex, la laîche des lieux humides, que l’on retrouve ailleurs sous des formes comme Lesches, Léchère, Léchelle etc.

    À approfondir :

    Rama à rapprocher de la ramada , « ramée », « hutte couverte de feuillage ». Ramat, ramàs a eu le sens de « fagot. Le ram évoque le lieu boisé où l’on fait de la rama , c’est-à-dire des fagots de branchages en feuilles pour les animaux. Ramasset serait alors soit un collectif ( suffixe latin -etum ) soit un diminutif. Mais je n’oublie pas Ramatuelle et son étymologie certifiée sarrasine.

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  10. Voir de l’arabe partout n’est pas mon souci, mais je trouvais que cela faisait une histoire avec un h peut-être minuscule, je le concède.
    J’ai fait dire à l’auteur plus qu’il n’en dit (Aurouse par exemple). Dites-moi à ce sujet ce qui vous fait dire que faire la différence entre « rous » et « rouse » relève de la phonétique élémentaire. Ils sonnent quasiment pareillement à mon oreille.
    Auriez-vous une explication pour « parza » ?
    Pour Chamousset, j’avais lu dans un petit recueil sur la toponymie de Lus fait par M. Bouvier une autre proposition concernant le préfixe Cham, de mémoire plutôt liée à la notion de pâturage. Il faut que je retrouve.

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  11. Ce petit échange me rappelle un courrier de lecteur que j’ai lu jadis dans un numéro de la revue de la SEFCO (Société d’Études Folkloriques du Centre-Ouest des années 70 ou 80), où, dans le courrier des lecteurs, un intervenant suggérait que le nom du petit cours d’eau saintongeais « le Coran » remontait à l’époque où les Arabes étaient remontés jusqu’à Poitiers, au VIIème siècle.

    Il oubliait seulement que « coran » est la prononciation en dialecte saintongeais de « courant », mot qui fournit une étymologie plus simple et plus vraisemblable.

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    Quant à Aurousse, pourquoi ne pas supposer qu’il s’agisse de « aux Rous » (Rous élant le nom des Scandinaves qui ont fondé la Russie de Kiev, puis les autres), et que ce soit’un établissement fondé par des Russes médiévaux ?

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  12. Bernard Chapelet

    1— j’ai pris la peine de lire un peu plus avant le texte de M. Berthelon. Mal m’en a pris! C’est un ramassis de préjugés racistes ( le « teint bistre » et « les yeux sévères » des Sarrazins, « les seins coniques » de leurs femmes, etc. ) et d’élucubrations toponymiques ( selon lui, tous les noms pourraient venir de l’arabe : Chamousset serait El Dchamous,« le buffle, le bœuf sauvage» dont on se demande bien ce qu’il viendrait faire ici, Beaujeu « dont le nom, appliqué à un pays, ne signifie absolument rien » — il ne connaissait pas le jugum —, serait une déformation de bordj, forteresse, j’en passe et des meilleures! ). Il ya aussi des relations de supposées batailles qui me semblent n’être là que pour justifier a posteriori un toponyme ( ça me rappelle Maraussan, cf mon billet ) Je ne suis pas allé au bout de la lecture.

    2—Chamousset : le préfixe dont vous parlez est sans doute celui proposé par Dauzat-Rostaing qui remontent à un hypothétique pré-indo-européen * cal qui aurait donné le bas latin calmis, « hauteur pierreuse, dénudée » d’où La Calm ( Aveyr), Lachamp ( Loz.), Chaume ( C.-d’Or) etc. Les mêmes émettent l’hypothèse d’un radical ligure *cam-, « hauteur arrondie » comme pour Chamole ( Jura), Chamoux ( Sav.) et Chamousset (Sav). dont ils font un diminutif. Chamoux et Chamousset savoyards sont en effet au bord de l’Isère et peu propices aux chamois.

    C’est Ernest Nègre qui préfère aller au plus simple en privilégiant le chamois pour le Chamousset haut-alpin suivi en cela par J.-C. Bouvier. Idem pour la Plaine de Chamousset ( plateau du Vercors à 1892 m), le pré de Chamousset à St-Julien-de-Maurienne (Sav) etc. idem peut-être pour Chamonix.

    Cela mériterait un billet à part entière!

    3 — Parza : je n’ai pas eu le temps de chercher. Peut être plus tard…

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  13. À propos d’Aurouse et de ce que j’écrivais plus haut : « la phonétique élémentaire ( Aurouse n’a pas grand chose à voir avec Al Rous».
    À trop vouloir fignoler la typo avec du graissage, je m’aperçois que je voulais écrire l’occitan Aurouso ( avec le [zo] qui se fait entendre ) vs l’arabe rous prononcé [roz].
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    Ceci dit, la colonie russe, c’est en effet dans les Alpes mais Maritimes …

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  14. « Ceci dit, la colonie russe, c’est en effet dans les Alpes mais Maritimes … »

    C’est pour cela que la région s’est appelée PACA (ce qui veut dire « au revoir » en russe familier).

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  15. « Cela mériterait un billet à part entière ! »
    Que diriez-vous de Chamrousse, des Rousses et des Grandes Rousses ?

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  16. Bernard Chapelet

    Chamrousse : on trouve écrit ad Calmen rupham au XIIIè siècle où l’on reconnait le bas-latin calmis ( du pré-celtique * calm ) qui a abouti au franco-provençal * chalm , « hauteur dénudée » et l’adjectif rousse ( cf. rupham mauvaise orthographe issue de rūfus, a, um , « roux, rougeâtre » ) évoquant la couleur de la roche.
    Néanmoins, si le calmis ne fait pas de difficulté et est admis par tous les toponymistes, il n’en est pas de même pour ce rupham . Selon Paul-Louis Rousset, ( Les Alpes et leurs noms de lieux , 1988 ) cité par J.-C. Bouvier ( Noms de lieux du Dauphiné, ed. Bonneton 2002 ), Il pourrait s’agir de la mauvaise compréhension et donc de la mauvaise transcription d’un dérivé de la base pré-celtique rocc- ( celle qui a donné roche en français, rocca, rocha en occitan, rochi en franco-provençal ), accompagnée d’un suffixe comme -ea ou -ia. La phonétique franco-provençale explique tout à fait le passage de k à s devant -ea ou -ia , et donc le passage de * rocc-ia à * rossi et sa francisation en rousse.

    Rousses

    L’épithète ros, rossa est fréquent en toponymie, évoquant le plus souvent la couleur de la roche. Cf. les nombreux Roc Roux, Roche Rousse, Puech Roux et Coste Rousse, Combe Rousse, Camproux, etc.
    L’épithète se retrouve employée isolément comme avec Rousses ( Lozère, Jura ), Les Rousses ( à Réallon, H.-A.) où ce sont les tèrras rossas qui sont évoquées. Avec le même sens de terre argileuse roussâtre, on trouve un ancien occitan rosset comme à Rousset (H.A., Rossetum en 1050) et d’autres.
    Mais, comme pour Chamrousse, on peut toutefois postuler, au moins pour les massifs rocheux comme les Grandes Rousses, une origine selon le pré-celtique * roc -ia .

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    Brosseur
    Je ne connaissais ( mal ) qu’Isabelle Boulay ey Melissa Auf der Maur, cette dernière pour son passage chez les Smashing Pumpkins…

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  17. Melissa Auf der Maur, cette dernière pour son passage chez les Smashing Pumpkins…
    et … son passage « sur les Maures » … non ?

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  18. Tous passionnant.Moi qui cherchais les causes et l’origine de notre venue en Algérie.Je me suis égaré ici ,j’en reviens un peu moins stupide……….. en trois lettres ! Merci à vous tous

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