Des moulins (première partie)

Paysage-uvre-le-moulin-Rembrandt-van-Rijn-peinture-l-huile-toile-Art-Reproduction-de-haute-qualit.jpg_640x640La première mention écrite d’un moulin à eau en Gaule date du IVè siècle quand Ausone (poète latin de Bordeaux, 309-394) en décrit un exemplaire servant au sciage des pierres sur un affluent de la Moselle. Pendant des siècles, on les comptera sur les doigts des deux mains et ce n’est qu’à partir du Xè siècle que l’usage du moulin se répandra dans toute l’Europe quand la disparition progressive de la main d’œuvre gratuite que constituait l’esclavage imposera de trouver des substituts mécaniques. Au XIIè siècle, l’invention de l’arbre à cames provoquera le développement des moulins à vent. D’abord en bois, ceux-ci seront construits en pierre dès le siècle suivant et seront pourvus d’un toit tournant au XVè siècle.
Au Moyen-Âge, ils jouaient un rôle essentiel, contribuant largement au développement de la France rurale. Fournisseurs d’énergie à bon marché, les moulins hydrauliques en particulier étaient bien sûr employés pour la meunerie mais aussi pour les industries comme la forge, la scierie, la papeterie, la teinturerie, etc. Il ne se trouvait pas une rivière, pas un ruisseau, sans son moulin : il n’est donc pas étonnant que la toponymie en ait gardé des traces.

Le toponyme (Le) Moulin est extrêmement répandu : plus de deux mille villages, hameaux ou lieux-dits en France portent ce nom formé sur le latin molinum (ou molendinum, qui en est une mauvaise latinisation). On trouve aussi, avec des suffixes différents, des noms comme Moulins (Allier, Aisne, I & V, etc.), Molins (Aube), Moslins (Marne), Moulis (Ariège), Molines (Htes Alpes), Moulines (Calvados, Manche) ou encore Monnières (Jura, Loire-Atlantique) et Moudeyres (Haute-Loire). Existent aussi des diminutifs comme Moulineaux (Seine et Marne) ou Issy-les-Moulineaux (Hts de Seine), Moliets (Landes), Molinet (Allier). Monnet (Jura) comme Mounet-sur-Vatan et Meunet-Planches (Indre) semblent être aussi des petits moulins. Le plus souvent, afin de distinguer les uns des autres, les toponymes simples du type Le Moulin sont accompagnés d’un déterminatif :

  • Epithète : Moulin-Mage (Tarn, major : grand); Moulin-Neuf (Ariège)  accompagnent de nombreux  M.Neuf, Vieux, Blanc, Rouge, etc.
  • Nom de personne : Moulins-Engilbert (Nièvre) ;M-le-Carbonnel (Sarthe)
  • Topographique : Moulins-lès-Metz (Moselle), M-sous-Touvent (Oise, village voisin) ; M-sur-Orne, M-sur-Ouanne (Yonne), M-sur-Yèvre (Cher), etc.

La profession de meunier est également représentée soit sous la forme monier (lat. molinarius) à La Monnerie (Puy-de-Dôme), soit sous la forme molitor à Mouledous (Hautes-Pyrénées). Fargniers, dans l’Aisne, est issu du latin farinarium, farinière. Pîtres dans l’Eure, dont le nom était Pistas au VIIè siècle, est sans doute issu du latin pistor, «celui qui pile le grain».
Certains types particuliers de moulins ont pu laisser leur nom au lieu où ils étaient installés. C’est le cas du «moulin à foulon» ( moulin à eau qui faisait battre des maillets pour fouler les draps) que l’ancien provençal appelait molin molaretz et qui a donné Moularès et Moulayrès, tous deux dans le Tarn. Le Paradou (BdR, Gard) est lui aussi un ancien moulin à foulon tirant son nom de l’occitan parador, du verbe parar, «parer, appêter» mais aussi «fouler des draps». Les «moulins à choisel » (dont la roue était munie de pots ou augets) du XIIIè siècle sont à l’origine du nom de Choisel (Yvelines, Calvados, Loire-Atlantique, Meuse)  et de Choiseau (Aube, Côte-d’Or, Mayenne, etc.). Notons au passage que la confusion est aisée : Choiseul, en Haute-Marne, est un composé du nom d’homme latin Causius et du gaulois ialo, clairière, champ, comme le montre son nom de 1084 Causeolo, et est identique aux Choisey (Jura), Choisy (Haute-Savoie, Oise), etc.

Impossible de parler de moulins sans mentionner Alphonse Daudet : celui-ci a vécu la fin de sa vie au château de Montauban, sur la commune de Fontvieille près d’Arles, et la légende raconte qu’il écrivit ses fameuses Lettres dans le moulin Saint-Pierre (devenu Moulin Ribet, du nom de son propriétaire) construit en 1814 et fermé en 1915. Je n’apprendrai rien aux tintinophiles en écrivant que le château de Moulinsart n’existe pas et qu’on dit que son nom serait le verlan de celui d’un hameau belge Sart-Moulin (sur la commune de Braine l’Alleud); on peut penser que Sart est une forme réduite de essart (il existe dans l’Aisne un village nommé Le Sart). Pour finir cette digression, signalons que c’est en 1870 que son propriétaire agrémenta d’une guinguette vite devenue célébre le Moulin de la Galette qui existait depuis 1622 sur la butte Montmartre à Paris. Quant au Moulin Rouge, c’était d’emblée un cabaret construit en 1899 par les propriétaires de l’Olympia et baptisé ainsi pour profiter du succès de son prédécesseur.

Les noms purement descriptifs ou techniques des moulins ne sont pas les seuls qui nous aient été transmis. On a en effet utilisé quelquefois des noms plus métaphoriques et souvent ironiques tant la profession de meunier était déconsidérée non seulement  par la population en général — contrainte le plus souvent de se fournir au moulin seigneurial ou qui voyait dans le meunier affranchi un escroc en puissance — mais aussi par les seigneurs — qui se heurtaient au refus catégorique des meuniers de s’acquitter d’une taxe sur le vent. Ces différentes appellations feront l’objet d’un prochain article.

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16 commentaires sur “Des moulins (première partie)

  1. rien en « miller », ni en « muller » ? et donc pas Mulhouse qui aurait été fondée sur un moulin à eau ?
    Et donc je me trompe encore évidemment ! toutes mes excuses !

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  2. Mulhouse se réfère en effet à un moulin selon la légende, mais il existe aussi le commune de Mulhausen dans le Bas-Rhin qui a conservé sa forme germanique alors que la ville a été francisée. Il y a également une ville nommée Mulhausen dans l’ex-RDA. C’est un nom fréquent que l’on peut rencontrer aussi sous la forme Mulheim (il en existe plusieurs, dans le Palatinat ou le pays de Bade). Mais notre hôte veut sans doute en parler dans un second billet. Deux mille toponymes avec
    l’idée du moulin, cela laisse un peu songeur : il y a de la matière.

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  3. autre ville de moulins nombreux dont un poète prit le nom, et qui s’honore de ceux des belles lettres comme de son histoire: Meung-sur-Loire !

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  4. C’est au cours de recherches sur l’écriture que je retrouve une pièce de l’artiste S.Hantaï qui avait son atelier à Meun , et en ajouta le nom qui faisait mot d’esprit
    (essais critiques) à l’une de ses pèces:
    http://www.christies.com/LotFinder/lot_details.aspx?pos=1&intObjectID=5282230&sid=
    SIMON HANTAI (1922-2008)
    Meun
    signé des initiales et daté ‘S.H. 68’ (en bas à droite)
    huile sur toile
    219 x 180 cm. (86¼ x 70 7/8 in.)
    Peint en 1968.

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  5. « […] et au bout du parc une grande grille de fer qui donnait sur un ruisseau qui eût porté bateau s’il n’y avait eu dessus plusieurs moulins où l’on venait moudre, pour la plus grande partie, de la farine pour la ville de Bourges; mais je remarquai que vis-à-vis du parc il y avait une demi-lieue où il n’y avait point de moulins, et que je pourrais y avoir une petite berge pour me promener. »
    Histoire de Madame de La Comtesse des Barres »

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  6. A remonter au fil des fils, pourquoi ne pas relier les moulins à la folie ?
    Comme le moulin d’Hérouval , qui fut le refuge de l’artiste Dado et de ses amis :
    http://www.dado.fr/dado-peintre-bio-1960.php.
    A-t-on parlé déjà de l’étymologie de « hérou » de « hérouval »?
    (comme j’ai suivi ce courant de pensée, je trouve un lien avec un lieu que j’ai connu dans ma jeunesse sans jamais y entendre parler du moulin voici le lien:
    http://www.lepetillon.com/livre_moulins_meuniers.html
    Plus long ici serait folie:je m’abstiens.

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  7. ►xx :
    Merci pour la référence à Dado.
    Hérouval, sans doute du nom d’homme germanique Herulf ( peut-être hari , « armée » et wulf , « loup »), comme Hérouville et Hérouvillette ( Calvados)

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  8. Ne serait-ce que parce que c’est un plaisir de relire d’anciens billets , et d’en lier quelques-uns sans autre logique que celle de l’imagination , voici un moulin tout imaginaire (ou presque)

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  9. @ leveto merci ! je ne m’explique pas pourquoi le lien n’ouvrait pas sur la page d’où j’ai servilement recopié , car votre traduction est évidemment celle qui est appelée en français .(ce qui serait intéressant c’est de trouver un site qui soit l’homologue, pour les expressions en anglais allemand, espagnol, au moins, de celui des « expressions décortiquées » pour le français et qui accueille des lecteurs et locuteurs d’autres langues.)

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