Qu’es acum ?

Après celui du chêne, un autre exemple de la profusion des parlers originaux qui ont contribué plus tard à la création du français est celui que nous donne l’évolution du suffixe —acum.

-Acum est la latinisation du suffixe d’appartenance celte -aco. Il ne s’est vraiment développé sur notre territoire qu’après la conquête romaine et, accompagnant le plus souvent le nom du propriétaire, servait à en désigner le domaine. Présent partout en France, sauf dans les Alpes-Maritimes, il est malgré tout  assez rare en Provence et en Languedoc, plus romanisés. S’il a pu  prendre quelquefois la forme -iacum, c’est à cause d’ une mécoupure dans un toponyme dérivé d’un gentilice en -ius.

cognac

Grand merci à ce Connius qui a fondé Cognac !

Les plus anciennes formes représentent donc un nom celtique, mais elles sont très rares. De Brennos est venu Brennacum, d’où Brenat (P.-de-D.) et de Eburos, on a tiré Eburiacum d’où Ivry (Eure) et Yvré (Sarthe).

Mais la plupart de ces toponymes sont issus de noms latins, ce qui prouve la rapidité avec laquelle les noms celtes ont disparu (faut-il y voir une part de snobisme, une volonté de plaire aux conquérants ou une preuve supplémentaire de l’hégémonie romaine?). C’est ainsi qu’avec des noms latins on trouve:

le domaine d’Ambarrius, nommé Ambarriacum qui devint Ambérieu (Ain). Antoniacum, le domaine d’Antonius, devint Antony (H.-de-S.). Conniacum, propriété de Connius, allait devenir Cognac. Partheniacum , de Parthenius, devint Parthenay. Et les exemples sont très nombreux, puisque ce suffixe est présent dans 5% des toponymes français.

Mais on aura d’ores et déjà remarqué que les terminaisons dérivées de ce suffixe peuvent être très différentes : -ac (qui semble la plus logique, l’accent tonique étant placé sur la pénultième syllabe), mais aussi -ay, –y,ieu, etc. Il y en a eu bien d’autres comme on le verra.

Un exemple remarquable parmi tant d’autres est celui de Blandius donnant Blandiacum. Ce gentilice devait être assez courant puisqu’on trouve aujourd’hui Blancey (C.-d’Or), Blandy (S.-et-M), Blangy (Calv., P.-de-C.), Blanzac (Char.), Blanzat (P.-de-D.), Blanzay(Vienne), Blanzée (Meuse), Blanzy (Aisne, Ardennes) ou Bligny (Yonne).

De la même façon Campanius + acum a fourni Campagnac (Av), Champagnat (SL), Champagné (Sart, Vn), Champagnier(Is) ou encore Champigny (Aube, Marne, etc.). Maximius a fourni Maissemy (Aisne), Marsangis (Marne), Marsangy (Y), Maymac (Av), Messemé (Vn) ou Meximieu (Ain).

Le nom Victorius dont le domaine s’appelait Victoriacum a bien sûr donné Vitrac (Cantal), mais aussi Vitré (I.-et-V.), Vitry (une douzaine) et Witry (Marne) , et encore Verrie (M.-et-L.). Rubius, avec Rubiacum, a donné Robiac (Gard), Royat (P.-de-D.) et Rouffach (Haut-Rhin). Sabiniacum, de Sabinius a donné aussi bien des Savignac que des Savigny.

carte-France-suffixe-acum

Terminaisons issues de -(i)acum

Pour faire simple:

  • dans le domaine languedocien on obtient -ac, prononcé [a] et parfois écrit comme en Auvergne -at, et quelques variantes -acq ( comme à Lacq, Pyr-Atl., du nom gaulois Lacos) ou -ach ( comme Trévillach, Pyr-Or., du nom latin Trebellius)
  • dans le Nord on trouve -ai ou -ay, et les variantes –esques (Cassius donnant ainsi Quesques, P.-de-C.) ou –ies ( souvent avec des noms germaniques comme Buni pour Beugnies, Nord)
  • dans l’Ouest on obtient principalement -é, même si -ac subsiste encore quelquefois (et qu’on ne doit pas le confondre avec un autre –ac : cela pourrait faire l’objet d’une chronique à part entière)
  • dans l’Est on trouve -ey
  • dans le Centre, le Nord-Ouest et le Nord, c’est -y
  • du Forez à la Savoie, en franco-provençal, c’est la finale -ieu qui apparaît.
  • enfin, les Corses ont gardé -aco.

Une fois la conquête romaine achevée, ce suffixe gallo-romain sera abandonné au profit du suffixe –anum, purement latin celui-là. Il persistera pourtant ponctuellement ici ou là notamment dans le Nord jusqu’aux Invasions barbares comme le prouvent des toponymes formés à partir de noms germaniques. Mais ceci est une autre histoire.

P.S.: le titre de ce billet est un jeu de mots sur l’expression provençale qu’es aco? , littéralement « qu’est cela ? », c’est-à-dire en bon français : « qu’est-ce que c’est ?»

32 commentaires sur “Qu’es acum ?

  1. Je ne suis pas sûr que la latinisation ait été si générale que ça (ça dépend sans doute des endroits, bien sûr). Ainsi, en Nord-Ille-et-Vilaine/Côtes-d’Armor, les villes et villages s’achevant en -ac sont assez précisément situés… le long de la voie romaine, mais pas ailleurs. Il suffit de tracer la ligne des toponymes en -ac pour retrouver le tracé de ladite voie romaine : en dehors de cette ligne, point de latinisation.

    J’aime

  2. Oui, Jacques C, d’accord avec vous. C’est ce que sous entendait d’ailleurs ma remarque:
    « on ne doit pas le confondre avec un autre -ac : cela pourrait faire l’objet d’une chronique à part entière».

    J’aime

  3. une vraie fatigue de travail dont je me détendais a écorché-excusez m’en – le nom du prophète Isaïe : et non l’ivresse , hélas, d’un heureux souvenir, ni d’une recherche savante sur Souillac !

    J’aime

  4. une bref trip dans ma mémoire, je viens d’y arracher les noms d’Isigny et de Bobigny, trouvant pour ce dernier sur google, que
    « Bobigny tire son nom de Balbinius, nom d’un ancien général romain qui créa une villa
    dans l’ancienne forêt de Bondy  »
    Leveto saura recadrer ces noms, comme je n’ai pas pris le temps de le faire .

    J’aime

  5. Balbinius est en effet à l’origine du nom de Bobigny, mais aussi de Balbigny (Loire), Baubigny (C.-d’Or) et Beaubigny (Manche).
    Balbinius est un gentilice dérivé de Balbinus ,qui est lui-même le diminutif du cognomen assez répandu Balbus , « Le Bègue ».*
    Bondy ( Bonisiacus en 700)vient d’un nom gallo-romain *Bondius ou *Bonitius.
    Isigny (Calv) vient du nom d’homme gaulois Isina latinisé en Isinius ce qui explique la finale en -y due à Isini-acum. Le nom purement gaulois Isina est connu grâce à Isenay ( Nièvre).

    * Pour ceux que cela intéresse, je mets ici en lien un ouvrage de Jean Tristan ( daté de 1644, quand même!) sur les Empereurs romains où apparait un des premiers Balbinus à la page 475.( tapez Balbinus dans le moteur de recherche intégré et optez pour le choix 6). Je n’ai pas tout lu, mais on y trouve peut-être la trace de ce général romain qui serait à l’origine de Bobigny …

    J’aime

  6. <Bonsoir leveto
    qu'es aco serait traduisible par " qu'est ce qui se passe " ? " ouvert à qu'est ce qui te prend " ? expression assez large d'entendement.
    En latin glanum aux portes de Saint Rémy
    et en ac Monbazillac et Bergerac.

    J’aime

  7. maintenant que j’ai chassé le premier, la star ac, on peut passer aux choses sérieuses :
    Clamensac, Figeac etc.
    La métacoupure appelée couramment mécoupure signifie un mauvais découpage du mot ex : pas thibulaire, il est trop gnon, la Sim qu’a Milla. Ou par agglutination ou par glissement sémantique mais au tout début par ignorance du mot concerné, puis par invention du locuteur. Elle est à l’origine de nombreux jeux de mots.

    Je ne sais lorsque la terminaison est en scq comme dans Villeneuve d’Ascq.

    Bon dimanche, leveto.

    J’aime

  8. ►Iado : je reviens un peu tard sur votre Souillac pour y signaler une curiosité touristique qui eut en son temps un certain succès: les sources intermittentes du Bouley et du Gourg qui viennent grossir la Borrèze qui arrose la ville. Le Gourg tire son nom du latin gurges , « gouffre, gorge » tandis que le Bouley doit sans doute le sien à un thème celtique borb – désignant des sources, comme à Boulbon (B.-du-R.) ou à Bourbon-l’Archambault (S.-et-L.) plutôt qu’au gaulois betulla, « bouleau » qui a donné de nombreux Boulay, l’endroit étant bien trop humide pour y imaginer des bouleaux. La Borrèze tire son nom de celui d’une commune qu’elle traverse ( Borisa villa , du nom d’homme gaulois Borisus ayant donné Borrèze)

    ► Rose : bon dimanche à vous aussi.
    Ascq ( Nord), comme Acq (P.-de-C.), est issu du germanique ask , « frêne ». On retrouve aussi ce mot, avec bach , « ruisseau », dans le nom d’ Aschbach ( B.-Rhin).

    J’aime

  9. leveto, vous citez Aschbach et cela m’évoque par automatisme Aschenbach, le personnage de Mort à Venise. Savez-vous assez d’allemand pour dire si ces deux noms sont semblables ? Je viens de chercher dans le dictionnaire et aschen semble être la cendre (un ruisseau de cendre serait terrible).
    Mais n’y passez pas votre dimanche…

    J’aime

  10. la question posée sur « mort à venise » me fait découvrir la commune de Meilhac (Melhac en occitan)- les habitant traduiront qu’es aco en demandant « mais y a quoi?- mais le musicien don le nom de prononce de même Henri Majak dit Henri Meilhac,
    était né à Paris .

    J’aime

  11. Souillac est un nom bien connu des Martiens, puisqu’il s’agit d’une ville du Sud célèbre pour ses falaises et son Grisgris, peut-être la plus au sud des villes desservies autrefois par le chemin de fer. (La gare subsiste encore.) Elle doit son nom au vicomte de Souillac, gouverneur des îles de France et de Bourbon au XVIIIe siècle.
    http://www.fallingrain.com/world/MP/20/Souillac.html

    J’aime

  12. popopo ( o ouvert = exclamation admirative ) : Torque et Mada !

    P.S : titre superbe Néanderthal et Sapiens ont fricoté, j’adore !
    merci iado

    J’aime

  13. comme tout le monde en a assez de cet « ac », et que nous faisons un tour des caves, je pose Vouvray, et Gevray, qui auront le goût du vrai!

    J’aime

  14. ►Siganus Sutor: j’ignorais tout de la présence du vicomte de Souillac dans l’autre hémisphère! Souillac est un des rares noms formés sur un nom purement gaulois, Sollius .
    ►Iado:
    mauvaise pioche pour Vouvray: il s’agit d’un toponyme issu du du gaulois vobero (ou vabero), « ruisseau, plus ou moins caché » d’où le sens particulier de « ravin ». Dans l’Est, ce mot a pris aussi le sens de « bois, terre humide». C’est ce mot qui a donné les nombreux Vabre, Vabres, Lavaur, etc. Avec le suffixe collectif –etum, on a les Vavray-le-Grand et V.-le-Petit de la Marne et, donc, les Vouvray (Ain, I.-et-L., Sarthe) ou encore Vovray-en-Bornes (H.-Sav.).
    Gevray ? Sans doute vouliez-vous écrire Gevrey. Il s’agit bien là d’un nom en –acum, formé sur le nom d’homme gallo-romain Gabrius (du gaulois gabros, « chèvre », sans doute un sobriquet… mais qui prend toute sa saveur quand on goûte le gevrey, un fromage de …chèvre!)
    Tayac : il s’agit là aussi d’un nom d’homme gaulois Taius

    J’aime

  15. @leveto
    Que j’étais aux prises avec ma mémoire, c’est vray, juste, exac; dans mon souvenir tous ces vins sont ex aequo , et voilà comment, je pense à Bergerac , et une cohorte de noms de vignobles!
    mais pas le temps d’explorer la toile , hélas!
    mais à bientôt de revenir lire « par (! je crois bien avoir entendu dire ça )chez vous ».
    bonne fin d’été .

    J’aime

  16. n’étant pas un pilier de troquet, n’en déplaise à l’amer, je m’arrêterai plus volontiers dans un recoin de ma mémoire , qui n’est pas très touristique*
    « Cité en 1105, dans un recueil des chartes de saint Martin de Champs sous la forme latinisée Gornaium pour « Gornacum » de *Gornako-, archétype celtique commun en -āko. Vers cette époque Guy le Rouge, seigneur de Gournay, y fonda un prieuré
    *Naturellement, elle fut largement critiquée, vilipendée et moquée à son époque, alors que son bilan est impressionnant. Il s’agit de Marie Le Jars de Gournay qui est souvent appelée la « fille d’alliance de Montaigne » car elle fut considérée par l’écrivain comme sa fille adoptive, sa fille de cœur en quelque sorte.

    J’aime

  17. ►l’amer: il me semble que ce bistrot du subjonctif avait eu naguère son quart d’heure de célébrité lors d’un reportage télévisé. C’est un plaisir de vous lire ici , surtout quand vous me complimentez! Mais vous vous faites bien rare …
    ► iado:
    la citation que vous donnez sur l’étymologie de Gournay correspond en fait à Gournay-sur-Marne écrit Gornaio en 1191 et Gornacum en 1197, du nom d’homme Cornus et suffixe celtique latinisé en – acum .
    Marie le Jars a ajouté à son nom celui de la seigneurie que son père avait achetée à Gournay-sur-Aronde (Oise) : Gornacensis terra en 1090 et Gorniacum en 1190, toujours à partir du même anthroponyme.
    On trouve aussi un Gournay-en-Bray ( Eure), un Gournay-le-Guérin ( Seine- Maritime), ainsi qu’un Gournay qui a fusionné avec Gonfreville-l’Orcher (toujours en Seine-Maritime).
    Ceci dit, merci d’avoir rappelé cette fille d’alliance de Montaigne ( qu’en termes galants ces choses là sont dites!).

    J’aime

  18. Leveto,

    « On trouve aussi un Gournay-en-Bray ( Eure), »

    _____________________

    Il me semble, pour le connaître un peu, que ce Gournay , ainsi que le Pays de Bray, se situe plutôt en Seine-Maritime que dans l’Eure…
    Les paysages de ce coin de France sont magnifiques et encore préservés…

    Je connais mieux encore Gournay-sur-Aronde : tant de bringues passées et ma 4L des années 70, celle que j’aimais tant, anéantie dans un bas-côté honni à jamais. J’y ai aussi connu à cette époque, un peu et accessoirement, ce type, Jean-Louis Brunaux, le fils du garagiste du patelin, qui depuis s’est fait un nom en découvrant un site archéologique gaulois de première importance dans son village.

    http://www.histoire.presse.fr/content/2_portraits/article?id=4573

    Et je crois que tout ce qui touche à la « gauloiserie » la plus archéologique vous contente.

    Sinon, à part Marie de Gournay et les Gaulois, signalons que le jeune Mozart est aussi passé par cette charmante localité, lors de son voyage en France.

    J’aime

  19. Vous avez raison, TRS : je me suis emmêlé les pinceaux avec tous ces Gournay !
    Gournay-en-Bray est bien dans la Seine-Maritime, tandis que Gournay-le-Guérin est dans l’Eure.
    Bray , en langue d’oïl brai est un mot d’origine gauloise, braco , au sens de « marais, terrain fangeux ». Ce mot a donné l’ancien français brai , « boue », encore vivant régionalement.
    Et merci pour ce lien vers Jean-Louis Brunaux.

    J’aime

  20. C’est vrai que nous avons dans les Pyrénées-Orientales Trevillach, Tarerach et Ria-Sirach. Cela dit, il me semble que cette termaison a plus à voir avec l’occitan qu’avec la catalan.
    Quid de la terminaison catalane?

    J’aime

  21. ►MP: en langue d’oc aco ( et sa variante acou )est une « planche de terre en terrasse, soutenue par un muret en pierres sèches.Selon la nature du terrain on peut y cultiver des céréales ou planter des oliviers.» Le sens a évolué peu à peu et aco a pris un sens plus général de « champ, domaine territorial ».
    On connaît par exemple: Aco de Caille ( Séranon 06), Aco d’Achard ( Turriers 04), Aco de Basile ( Trigance 83), et Pech d’Acou ( Vazerac 82), ou encore le Ruisseau de Pech d’Acou (Ribouisse 11). [ infos puisées dans le Vocabulaire et toponymie des pays de montagne de Robert Luft ]
    Acou ( acol, acouel ) est donné par Mistral dans son Trésor du Félibrige avec la définition suivante :« Mur de terrasse, gradin qui soutient un terrain en pente ». Il fait dériver ce mot du bas latin acoha ( sic) ou acoys ( sic).

    J’aime

  22. ►oli66:
    La très grande majorité des toponymes catalans suffixés aujourd’hui en -ac ont connu une forme en -acho ou -ach entre 1100 et 1600.
    Corbiac : Corbiach en 1549
    Franciac (Caldes de Malavella, Espagne): Franciacho en 1245
    Lansac : Alansacho en 1335
    Néfiac : Nefiacho en 1385
    Et bien d’autres.
    Tous ces noms montrent bien qu’il y a eu une évolution du latin -acum vers – acho puis finalement vers – ac . Certains d’entre eux ont malgré tout gardé cette finale en -ach

    J’aime

  23. C’est un plaisir de vous lire ici , surtout quand vous me complimentez! Mais vous vous faites bien rare ( leveto | le 21 juillet 2011 à 17:03)
    – Mon âge est sans pitié, ami leveto. Mais je repasse, chaque fois sur tous les billets que j’avais « sauté ».
    – Et autour de moi, les…choses bougent (voir les journaux) depuis que j’ai déserté mon île , maintenant occupée (honteusement) par Anne, mon arrière petit-neveu. 😥

    J’aime

Laisser un commentaire