Des moulins ( quatrième partie)

Comme je le disais dans mon précédent billet, mes recherches m’ont permis de découvrir des toponymes en relation avec les moulins peu discernables au premier abord.

Tel est le cas par exemple de Laharie dans les Landes. Vous avez exactement trois minutes et dix secondes, le temps de regarder cette vidéo ( qui n’a rien à voir avec notre sujet, ce n’est que pour le plaisir nostalgique), pour trouver sans tricher le rapport avec le moulin.

Alors ? Rien ? Je vous avais pourtant mis sur une piste en vous disant que ce lieu-dit se trouvait dans les Landes (commune d’Onesse). En gascon, le -f- latin a évolué en -h- aspiré, comme en ancien castillan, suivant sans doute en cela le basque qui ne prononce ni le f ni le v ( f>h, b ou p, v>b ou w) . Je vous en avais déjà parlé à propos du fort du Ha bordelais, mais il faut tout vous répéter ! Donc, Laharie trouve son origine dans castrum de Farina (1242). En gascon, «farine» se dit  harie. Il y avait en effet  à cet endroit-là un ensemble de moulins producteurs de farine.

Deuxième nom : La Chaussée ( commune de Nantouillet, Seine-et-Marne). Bon, me direz-vous, nous savons ce qu’est une chaussée, c’est une route. Oui, … mais non : dans ce cas, la chaussée a un lien très particulier avec un moulin, et pas celui de la route pour y accéder. Aucun lien avec des moines, non plus. Il s’agit en fait  là d’un des premiers sens du mot « chaussée » : « levée de terre pour retenir l’eau d’une rivière ou d’un étang et pouvant servir de chemin de passage », qui a eu en langue d’oïl une spécialisation pour désigner un barrage sur un cours d’eau pour alimenter un moulin. C’est ainsi qu’on nommait en 1261 cet endroit  duo molendina de Calceia. Les deux moulins ont depuis été détruits, mais le nom est resté.

Autre nom: Riscle (Gers).  Qu’ès aco ? Eh bien!,voilà un mot hyper-spécialisé! En gascon, et plus précisément en dialecte du Gers, un riscle désigne une « caisse de meule à farine ». Les deux meules, la tournante et la dormante, étaient entourées d’un coffre en bois octogonal, une archure, qui servait à recueillir la farine expulsée par la force centrifuge. La commune, située au confluent de l’Adour et de l’Arrioutor, abritait de nombreux moulins ainsi qu’une halle aux grains. Riscle désignait-il — la partie pour le tout — un moulin ou bien une fabrique de riscles ? Je ne sais.

Enfin, je rajouterai ici les noms de Bief (Doubs), B.-des-Maisons, B.-du-Fourg et Biefmorin ( Jura) qui doivent leur nom  au bief, canal qui conduit l’eau d’une rivière à une roue hydraulique. Bief est issu du gaulois bedu.

28 commentaires sur “Des moulins ( quatrième partie)

  1. >leveto bonsoir
    sujet passionnant, merci.
    un bief a grande importance, appelé aussi bisse en Suisse, il est canal d’irrigation, de détournement de conduite de l’eau pour une utilisation spécifique, dont le moulin.
    Histoire du droit de l’eau…cf le blog du moulin de la mousquere

    « La présomption de propriété admise au profit du propriétaire du moulin sur le canal d’amenée de ce moulin est détruite par la constatation que ce canal a été creusé, non pour le service exclusif de ce moulin, mais dans l’intérêt commun de plusieurs établissements et des propriétaires riverains ».
    Un bief est aussi la partie large d’un canyon quand les parois s’élargissent. On sort alors des ressauts constitués de blocs appelés chaos, cette appellation porte bien son nom, et cela fait comme de petites piscines, glacées.

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  2. Peut-être est-ce le cas à la Martinique aussi, mais à Maurice le mot “moulin” (idem en créole) sert avant tout à parler d’une sucrerie. Je ne sache cependant pas que cette appellation ait fait quelque petit que ce soit dans le royaume de la toponymie. (Sauf, éventuellement, pour ce qui est du Moulin Cassé — le nom donné à une grosse baraque, aujourd’hui galerie d’art, qui est ancienne usine située près de Péreybère.)

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  3. leveto me pardonnera si ses moulins m’ont fait penser à un fil que l’on appelle « le mouliné » mais pourquoi ?
    et un péché ne venant jamais seul, j’ai aussi pensé aux arts ménagers et à Moulinex qui en était devenu l’icone ou presque …

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  4. ►Siganus : en effet, le pilier des premières sucreries aux Antilles était le moulin grâce auquel on écrasait les cannes. L’énergie motrice était le plus souvent animale ( des bœufs ou des mulets) plus qu’éolienne et qu’hydraulique. Ces moulins à traction animale, importés par les Hollandais vers 1640, avaient l’avantage de pouvoir être implantés partout. Marie-Galante était surnommée « l’île aux cent moulins». Il n’en reste aujourd’hui que quelques ruines et quelques uns rénovés ( je pense à la distillerie Belle-Vue ou à l’Habitation Murat). Il faudrait que je me penche un peu plus sur la question, mais je n’ai pas le souvenir de toponymes liés à ces moulins aux Antilles.
    ►Iado: Le Robert donne entre autres pour mouliner : « (1667). Techn. Tordre et filer mécaniquement la soie grège au moyen d’un moulin garni de fuseaux ou de bobines.»

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  5. Comme curiosité, chez nous les moulins dont l’énergie motrice est animale sont appelés « de sangre » (de sang), très parlant.

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  6. sur les moulins dans l’histoire du papier : des dates et des lieux :http://www.lepapier.fr/histoire.htm
    En 751, la bataille de Samarcande se traduit par la défaite des Chinois, qui révèlent aux vainqueurs arabes les secrets de la fabrication du papier. L’invention se répand ainsi jusqu’en Andalousie. C’est près de Cordoue, puis Séville, qu’apparaissent les premiers moulins à papier en Europe.

    1250
    Vers 1250 sont installés à leur tour les premiers moulins italiens à Fabriano.

    XIIIe
    Au 13ème siècle apparaissent en France les premiers documents d’archives écrits sur papier, tels que les « Minutes de Notaire marseillais » (1248) ou le « Registre des Enquêteurs d’Alphonse de Poitiers » (1243), mais c’est au 14ème siècle que sont construits les premiers moulins à papier français : à Troyes (1348) et Essones (1354)

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  7. >Zerbinette
    Bon exemple votre vidéo de la transmission entre la lanterne et le rouet (chez nous « catalina », par la roue de sainte Catherine d’Alexandrie).

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  8. Mais le destin veille sournoisement sur le sang des Coste. cf. wiki à propos du moulin de Pologne.

    Infos pour vous leveto, eh, bonjour, transmises par un bon pote à moué :

    Coste a un lien avec la pente, plutôt raide : c’est celui (celle) qui habite sur le versant d’une colline, sur le talus d’un plateau, et même son rebord : sous condition que ceux qui le nomment (les habitants du village, les gens fréquentant le marché) soient sis plus bas. Ces pentes et ces talus, tous dans l’aire occitane, sont spécialement ceux de l’est et du sud du massif central – Ardèche (XYL était né à La Villedieu – où Barrico a situé son roman Soie), Gard (Cévennes), pentes et plateaux de l’Hérault, de la Lozère, de l’Aveyron surtout… Avec comme villes d’émigration Lyon, Valence, Avignon, Nîmes (70 Coste dans les pages blanches), Montpellier (79), Toulouse (66), Marseille (133) et Paris bien sûr (219).

    Là sans doute j’extrapole, tu peux me le dire mais alors j’entends le coteau aussi dans Coste ;[…]

    Oui, tout à fait.

    Les pentes (raides), talus et rebords de plateau de l’Aveyron ou de l’Ardèche sont évidemment étroitement associés à des substrats rocheux.
    C’est un anthroponyme par lequel les gens d’en-bas désignent des gens d’en haut, du haut de la côte, du plateau, et de territoires ruraux. Ces gens d’en haut, souvent des paysans, descendent pour rejoindre leurs lieux de sociabilité – village, marché, collège, services administratifs…
    Je ne m’y connais que très peu en anthroponymie, mais ceux liés à la pente, au haut et au bas sont certainement nombreux. Je pense à Dupuis qui, dans l’aire occitane, évoque « du podium », c’est-à-dire de la colline en forme de socle.

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  9. Qq remarques, leveto, sur ce qui est dit concernant le moulin de Pologne :
    le chœur, dans la tragédie grecque joue un rôle primordial : il représente l’avis du peuple, la voix de la conscience, le porte-parole raisonnable. Le chef du chœur se nomme le Coryphée.

    La fatum, d’où vient le mot fatalité, est essentiel dans la tragédie grecque ; c’est le destin avec une impossibilité d’y échapper comme si notre sort et notre devenir étaient inscrits à l’aube de notre naissance ; or, le fatum, c’est ce à quoi Œdipe cherche à échapper, tuer son père et coucher avec sa mère, mais qui le rattrape de multiples manières.

    Et il garde le soutien de la petite Antigone, noiraude, et têtue comme une bique des collines.

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  10. LE CHŒUR

    Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre, rien, un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d’honneur un beau matin, au réveil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop que l’on se pose un soir… C’est tout. Après, on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C’est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences : le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l’un en face de l’autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur -et on dirait un film dont le son s’est enrayé, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n’est qu’une image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence…

    C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr… Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d’espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie, on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents, en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, – pas à gémir, non, pas à se plaindre, – à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble, c’est utilitaire. Là, c’est gratuit. C’est pour les rois. Et il n’y a plus rien à tenter, enfin !

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  11. Voilà, ben j’ai pas pu résister : d’abord je l’ai cherché puis je l’ai trouvé, inimaginable… ! Puis je me suis dit un ‘ti extrait, mais cui-ci est mon préféré, donc je n’ai pas mégoté. Ric et rac. Un peu long, pardon leveto, mais trop beau, d’Anouilh, Antigone, le chœur scande ce refrain qui accepte le fatum de par son inéluctabilité. Vous avez là l’entière beauté du chœur antique, les longues toges blanches, les personna, masques blancs du théâtre antique, et re-voilà.
    Je vous fais grâce des pierres, quoique précédemment, elles aient dévalé des coteaux pour se retrouver dans les rivières, les fleuves, la mer, l’océan, sur l’île de Pâques où des zoulous les ont couchées à terre, excédés de tant d’arrogance.

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  12. ►Michèle : merci de vos contributions qui nous amènent à cent lieues de nos petits tracas. Antigone, Anouilh, voilà bien des années que je ne les avais côtoyés! Ceci dit, la tragédie antique, le coryphée et les choreutes … je n’en fais pas mon pain quotidien! Me revient aussi en mémoire la Maudite Aphrodite de Woody Allen qui y use ( et abuse ?) du chœur antique.
    Il me revient aussi en mémoire un bambin de dix ans, vêtu d’un drap de lit tenu à l’épaule par une pince à linge déguisée en fibule et coiffé d’une couronne de lierre déguisé en laurier, déclamant, la main sur le cœur et les yeux noyés de larmes, avec deux autres camarades de classe ( et de galère), quelques vers péniblement appris tout au long de l’année. C’était la représentation théâtrale de fin d’année d’une école française au Brésil dans les années soixante. Votre serviteur — oui, c’est bien sûr de moi qu’il s’agit — y jouait un des protagonistes mais aussi, faute de « comédiens », participait au chœur des vierges et jouait un des légionnaires romains chargés de conduire l’héroïne au cachot. Mais, nom de Jupiter!, j’étais amoureux de Chantal, qui jouait ladite héroïne! Comment l’amener au cachot sans pleurer? Et comment ne pas se sentir humilié, déguisé en vierge antique, un linge sur le dos et des herbes dans le cheveu, devant la fille à laquelle on n’osait même pas déclarer sa flamme ? Hein? Je vous le demande.
    Et les adultes de béer et de s’ébaudir, et vas-y que je m’exclame, et vas-y que je m’extasie, et le vôtre est si mignon, mais le vôtre l’est encore plus, ma chère. Ils ne voyaient que la prouesse mnésique de leur progéniture quand il eût fallu applaudir son abnégation. Mais les adultes ne comprennent rien qui ont tout oublié de l’enfance.(Et je pense au poète qui célébrait le vert paradis des amours enfantines … sans doute n’a-t-il jamais aimé enfant.)
    Mais nous voilà bien loin de nos moulins …

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  13. >leveto, mon moulin *
    * http://www.techtravel.ch/upload/images/124-themill.jpg
    et note à benêt : Don Quichotte est heureux et Sancho Pança lui est incroyablement fidèle, je vous le dis pour que vous le sachiez ; c’est pour cela que certains individus, de la ville, coupés de leurs racines, sont obsédés par ce couple-là d’aventuriers de la lune. On ne comprend pas ce qu’on n’a pas le cœur ouvert de comprendre, laissons-les à leurs gaz d’échappement.

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  14. >leveto bonsoir

    le tout, Antigone, Anouilh, le chœur antique le Coryphée et les Coste m’a été soufflé par votre livre e Giono le moulin de Pologne que je n’ai pas encore lu.

    P.S le correcteur orthographique me souffle andouille agenouillé anoure et fenouil pour Anouilh ! Succulent non ?

    Sinon, je vous ai vu, petit, timide, et volontaire avec votre drap de lit lourd et blanc pour qu’il fasse bien les plis droits de la toge, et votre cœur de dix ans palpitant pour Chantal qui tenait le rôle titre et qui n’a pas dû vous porter le moindre regard car elle n’en pinçait que pour le metteur en scène, non ? Ah ouaip vous m’avez z’émue et j’aime ça. Et la pince à linge qui risquait de glisser ce qui augmentait mille fois votre confusion. Bon, j’extrapole, mais rien de méchant envers vous, hein ?

    P.S : sur ce nom Coste vous ne m’avez rien dit ?
    C’est pas comme d’autres qui n’émeuvent jamais personne : même pas une larme j’aurais versé. Pas encore de chaussettes, donc, non même pas du jus de chaussettes.

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  15. Pour une anthologie des « petites phrases » sur les moulins , à l’heure de l’anniversaire lacanien »
    lu sans l’obs :
    « Cela dit, comme vous allez le voir, ses réponses furent brèves : la présidente du Poitou-Charentes n’a pas perdu son temps à faire tourner les moulins à vent.
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/190297;qu-est-ce-qu-un-geek-segolene-royal-n-en-sait-rien-c-est-grave.html
    Première question de Jean-Philippe Herbien : Qu’est-ce qu’un geek ? Selon vous, le président de la République doit-il être un peu, beaucoup ou très geek ?

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  16. « lu sans l’obs » pour un anniv. lacanien c’est top
    ségolène comme d’hab. est en avance sur les modes de son temps
    et l’orthographe elle <b< maîtrise grave
    un geek ça sert à rien

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  17. Bonsoir, Iado!
    Merci de votre lecture attentive ( j’ai au moins un lecteur régulier, ouais!)
    Et surtout merci de m’avoir fait connaître ce peintre, Meindert Hobbema, qui , paysagiste hollandais, a peint de nombreux … moulins.

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