Blasons parlants – épisode pilote

Faisant suite à mes  précédents billets qui concernaient les étymologies populaires, j’entame aujourd’hui une nouvelle catégorie qui concerne les blasons parlants. De quoi s’agit-il ? De blasons dont les dessins rappellent le nom de famille ( un écureuil pour

180px-Blason_famille_Fouquet.svgFouquet : un « foucquet » est en effet, en gallo, un écureuil ; un jusqu-ou ne montera-t-il pasfaucon sur un mont  pour les De Montfaucon, etc). Nombreuses sont les villes qui ont utilisé cette façon de faire pour illustrer leurs armoiries et qui se sont appuyées pour cela sur des étymologies plus ou moins exactes, voire fantaisistes, des jeux de mots ou des calembours comme nous allons le voir.

Les exemples sont très nombreux : je me suis promené un peu au hasard, notant les exemples découverts au fil de lectures et de recherches sur d’autres sujets, et je vous livrerai  le résultat dans un certain désordre. Afin de ne pas surcharger le texte, l’étymologie exacte des toponymes notés en gras est reportée en note de bas de page.

Besançon qui dans l’Antiquité s’appelait Vesontio a vu son nom évoluer, au IVè siècle, en Besontio. On explique ce passage du V au B par une hésitation articulatoire  entre ces  consonnes dont il y a d’autres exemples (et qui est  encore existante en castillan par exemple). Le nom de Besantio, puis de Besançon, s’est finalement imposé sans doute par  attraction paronymique avec le nom de Byzantium et  d’un jeu de mots qui faisait de Besontio la « ville des besants », pièces de monnaie en or byzantines dont le succès fut tel au XIIIè qu’on disait « valoir son besant d’or », expression devenue aujourd’hui « valoir son pesant d’or». Il convient de se souvenir que Besançon s’était considérablement enrichie grâce à la quatrième croisade et au pillage de Constantinople en 1204. Dans le butin des Bisontins se trouvait notamment le saint suaire qui y fut longtemps conservé avant d’être transmis  à Turin. Cette richesse a valu aux Bisontins d’être surnommés, dans des textes latins médiévaux, les Crisopolitanus, ce qui suppose une * Crisopolis, « ville de l’or ». Toujours est-il qu’on  a fini par dire Bisentio pour la ville et Bisontii pour les habitants. Ce dernier mot a frappé les esprits au Moyen-Âge par sa ressemblance avec bison, nom ( attesté chez Pline) que les latins donnaient au bœuf sauvage. Il n’en fallait pas plus pour que cet animal figurât dans les armoiries de la ville.  Rectificatif de dernière minute :c’est du moins ce que j’ai trouvé dans plusieurs des ouvrages que j’ai consultés (Dauzat-Rostaing, Deroy-Mulon, É. Vial, etc.), mais au moment de chercher une illustration, je m’aperçois qu’il n’est nulle part question sur la toile d’un tel blason, sauf pour l’équipe locale de football américain qui s’appelle les Bisons de Besançon … Je suis pris d’un doute et vais devoir poursuivre mes recherches…à moins qu’un Bisontin ne vienne à ma rescousse. Réponse du 12 février: le bison est bien présent mais sur des pièces de monnaie et des médailles, semble-t-il déjà du temps des Gaulois!

ussel 2Le nom d’Ussel en Corrèze a été interprété comme une déformation de l’ancien français huis scel, porte fermée. C’est de là que viennent les armoiries de la ville qui représentent une « porte d’or clouée et ferrée de sable accompagnée de trois étoiles en champ d’azur». ( En héraldique, si l’or est jaune et l’azur bleu, le sable est noir ; c’est comme ça, je n’y peux rien; mais là je suis sûr de la réalité du blason!)

Besançon: Vesentionem ( Ier s. av. J.-C., César) , Visontione (IVè s chez Ausone) et Besantionem (IVè s. chez Ammien Marcellin). Du pré-indo-européen ves-, « montagne » ( cf. Vesoul, Vésuve, Mont Viso ) et suffixe pré-celtique -unt latinisé en -untionem, selon A.Dauzat;  soit du gaulois visu « digne, apte » et suffixe gaulois -ontione, selon E. Nègre.

Ussel :Usselum en 1315, Ucel en 1398. Du gaulois uxello, «élevé»

16 commentaires sur “Blasons parlants – épisode pilote

  1. Pour contribuer, au fil et au hasard des lectures, aux belles histoires cachées derrière les armes parlantes :

    1675. Le Roi veut l’anoblir. Honneur, sans doute, mais aussi péril : que va dire la meute aristocrate jusque-là si soigneusement apaisée et soudain défiée au coeur de son pré carré ? Le Nôtre se sort du piège à sa manière habituelle, en restant lui-même. Des armoiries pour moi, Sire ? « Alors, trois limaçons couronnés d’une feuille de chou. Et comment pourrais-je oublier ma bêche ? N’est-ce pas à elle que je dois la bonté dont Votre Majesté m’honore ? » Versailles s’esclaffe et s’émeut. Qui pourrait en vouloir à cette crème d’homme ? Le Nôtre est noble, sans avoir fâché ni renié personne. « De sable à un chevron d’or accompagné de trois limaçons d’argent, les deux du chef adossés et celui de la pointe couronné. »

    in « Portrait d’un homme heureux » d’Erik Orsenna, sur la vie de Le Nôtre, jardinier de Louis XIV.

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  2. Je sais qu’il ne faut pas prendre Wikipédia pour parole d’évangile, mais selon ce site, le blason de Besançon est d’or à l’aigle de sable, tenant de ses serres deux colonnes de gueules brochant sur les ailes.

    Si cette formulation (avec l’aigle bicéphale des Habsbourg et les colonnes d’Hercules) a été accordée par Charles Quint, elle reprend un blason antérieur : Sainte-Wiki propose une enluminure de la fin du XVe siècle présentant déjà un blason de la ville avec ces deux éléments (aigle + deux colonnes).

    —————–

    Toujours selon Sainte-Wiki, la ville était productrice d’or dans l’antiquité gauloise (or de la rivière Doubs), ce qui lui a valu d’être nommée Chrysopolis par les Grecs. Cette explication de la forme latine ultérieure crisopolitanus me paraît plus convaincante qu’un surnom hérité des richesses récupérées après le pillage de Constantinople — mais vous saurez sans doute vérifier la réalité (ou non) de ce nom grec.

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  3. Le nom de Crisopolis a été donné à Besançon par Louis le Pieu en même temps qu’il rétablissait le droit de battre monnaie aux évêques bisontins. Ces derniers reproduisent ce nom sur leurs actes jusqu’au XVIè siècle.
    Chrysopolis avait auparavant été un surnom grec donné à Byzance.
    On peut lire le détail et la complexité de l’affaire en suivant ce lien
    Il est vrai aussi que des mines d’or étaient exploitées par les Gaulois dans la région et qu’elles avaient procuré une certaine richesse à la ville.

    Pour ce qui est du blason, je n’ai pas d’explication au fait que trois spécialistes – et parmi eux Ernest Nègre! – écrivent tous la même chose à propos du bison sur le blason de Besançon!

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  4. « Nous sommes de l’avis de nos ancêtres qui dérivent le nom de Besançon de Bison, animal sauvage qui fut pris dans le lieu où se trouve aujourd’hui la ville. (…) Aussi on trouve le Bison sur les anciennes monnaies ou médailles de la ville.»
    Biographies évangéliques, Mgr Gaume (1802-1879)
    C’est à lire en suivant ce lien

    Le bison était sur les monnaies, pas sur le blason !

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  5. rien ne vous sera épargné puisque j’ai trouvé un poème de Roubaud
    Les bisons avunculaires
    broutent de l’herbe à bisons
    puis se couchent sur l’horizon
    devant des témoins oculaires

    ce sont des grillons wyomiens
    qui transmettent pour tout le monde
    la nouvelle sur leur longueur d’onde
    mais leur travail sera pour rien

    car nous ne sommes qu’en l’an mille
    les hommes blancs n’ont pas encore
    atteint la terre américaine

    et les indiens sans transistor
    savent trouver quand c’et utile
    les bisons dans l’immense plaine.

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  6. Un peu à l’inverse on peut voir la curieuse et controversée prophétie de saint Malachie où il y a de nombreux papes dont la prophétie est reliée avec leurs armes.

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  7. Ah! Jesús! Je ne connais pas bien ce Malachie ni ses prophéties, aussi ne vous répondrai-je pas là-dessus ( laissez-moi le temps d’assouvir ma curiosité!) mais sur l’association entre « papes » et « armes » …
    « Aimez-vous les uns les autres, Allez en paix mes fils, Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, Faites l’amour pas la guerre» ( oui, je sais : la dernière n’est pas de lui, mais elle aurait pu!) et puis … les armes papales!
    Je sais : j’enfonce des portes ouvertes, le sabre et le goupillon, le rouge et le noir, etc. Mais une piqûre de rappel de temps en temps …

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  8. >Leveto
    Certes, à propos de l’amour et aussi de la guerre, vous pouvez lire ce que Malachie avait dit du pape aimant (et belliqueux) par excellence : Alexandre VI dont les armes représentaient un bœuf, comme celles de son oncle le pape Calixte III.

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  9. à propos de Calixte III et de quelques autres
    on m’a offert un livre La Dynastie Borgia, Eglise et pouvoir à la Renaissance : passionnant et accompagné de plusieurs CD de musique de l’époque jouée par l’ensemble Hespérion XX … un vrai régal !

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  10. @Jesús : Boudi ! quelle GROSSE punaise de sacristie ! Je ne vous connaissais pas ces… blasonneries ! Bientôt, vous nous parlerez, sans doute, de cette famille romaine actuelle qui compte SIX papes dans sa généalogie !!!!

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  11. sur Calixte III et quelques autres
    Dynastie Borgia, Eglise et pouvoir à la Renaissance : livre passionnant accompagné de plusieurs CD de musique de l’époque par Hespérion XXI, un vrai régal!

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  12. Bourrier de Vissec

    l’image du blason de Michel de Montfaucon est désormais cliquable et renvoie vers votre site.
    À l’époque où j’ai écrit ce billet, je ne maîtrisais pas bien tous ces outils …

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