De quelques autres armes suisses

J’en termine aujourd’hui avec mon petit tour chez les Helvètes commencé naguère.

Quand on s’appelle Montmollin (canton de Neuchâtel), on n’hésite pas une seconde pour dessiner ses armes : un mont et un moulin, et l’affaire est dans le sac (de farine).

Montmollin

Seulement, voilà: la forme la plus ancienne  connue du nom date de 1347, Mommolens , suivie en 1351 de Mommollain. Il s’agit d’un anthroponyme Mummolenus employé absolument comme nom de lieu, dans le sens de « ( domaine de) Mummolenus ». Vite incompris, ce nom s’est transformé dès 1360 en Montmollim puis en Montmolin.

Un exemple contraire où le blason reflète très exactement l’étymologie peu évidente du toponyme est celui de Premier ( canton de Vaud) :

190px-Premier-coat_of_arms.svg

Il s’agit bien d’un prunier, ce qui correspond  au nom du lieu qui était Prumyer ( attesté en 1403, 1405 et 1497) et Prumier (1498). Ces noms sont dérivés du bas latin *pruma « prune » et suffixe collectif -aria : il s’agit d’un endroit où poussent les prunes. Le -m– en lieu et place du -n- s’explique par l’origine grecque du mot sous la forme initiale proumnon. En langues saxonnes, le pr– évoluera en pl– mais le -m- sera conservé pour donner plum ( et le plum-pudding).  Mais dès 1404  on trouve aussi  écrit Premier : c‘est en effet toujours mieux d’être le premier que de compter pour des prunes!

J’ai bien vu que les articles Wikipedia français et allemands parlent d’une mention Premyer en 1316 , mais ils  sont les seuls et surtout ne citent aucune source ( et ça , c’est peut-être wikipédien, mais ce n’est pas wiki très bien) ! Dans les autres langues, on parle bien de Prumyer en 1403 et le site suisse de référence fait de même.

Pour en rester dans les arbres suisses, on peut mentionner la ville de Pomy ( toujours dans le canton de Vaud) qui s’est dotée en 1918 d’armes parlantes respectant, elles aussi, l’étymologie de son nom: d’argent au pommier de sinople, mouvant d’un mont à trois coupeaux du même  et fruité de six pièces de gueules

190px-Pomy-coat_of_arms.svg

Les six fruits du pommier représentent les six anciennes familles bourgeoises de la commune dont les premières mentions du nom , Cono de Pomiers (1184), apud Pomiers (1220), Pomiers (1235) sont l’équivalent franco-provençal du français «pommier»  employé dans un sens collectif de pommeraie. Le nom Pomy date de 1763.

Pour terminer, j’aimerais vous parler de deux communes Treytorrens ( Vaud) et Troistorrents ( Valais) qui, en dépit de leur ressemblance n’ont pas la même origine et dont les armes parlantes ne reflètent pas vraiment l’étymologie.

Treytorrens arbore dans ses armoiries trois poissons superposés:

Treytorr

Les anciennes formes du toponyme sont  Troterens (1194), Troiterains (1217), Troutereins (1251), Tretorens (1380), Treitorens (1668). Il s’agit d’un nom issu de l’anthroponyme burgonde Þrautahar, donnant Trudhari, accompagné du suffixe -ingos. Mal compris, le nom a subi l’attraction en même temps de « trois » et de « truite ».

Les armoiries de Troistorrents adoptées définitivement ( bon, c’est ce qu’ils disent …) après plusieurs variantes en 1940 nous montrent, elles ,… trois torrents, en même temps qu’elles nous racontent une histoire:

D’azur à trois sapins de sinople fûtés au naturel, plantés sur trois monts du même entre lesquels coulent deux ruisseaux en pal d’argent se jetant dans un troisième de fasce du même, le mont du milieu chargé d’une femme assise, vêtue de gueules et tenant sur ses genoux son enfant habillé d’argent et semant des grains d’or.

troistorrents

La femme et l’enfant évoqueraient la légende de l’invasion avortée des Sarrasins aveuglés par la cendre jetée par les femmes et les enfants. Des Sarrasins, ici ? Oui, bien sûr: établis sur la côte méditerranéenne, ils rayonnaient dans les Alpes et au-delà : je l’ai évoqué ici.  Les armoiries originales, gravées sur un pilier de pont en 1742, ne montrent pourtant qu’un seul sapin, deux ponts et pas de personnages.

Vieze_river_near_choexS’il y a bien de l’eau à Troistorrents, il y en a en fait moins que ce que les armoiries nous montrent, même si le torrent de Fayot et la Vièze de Morginsqui se jettent, quand ils ne sont pas secs, dans la Vièze ( photo ci-contre ) pourraient faire croire le contraire.

La forme ancienne du nom, Tretorren ou Trestorrenz ( 1263) est en réalité un dérivé de trans torrentem, qui signifie « au-delà du torrent ». Le toponyme original ne fait allusion qu’au seul cours d’eau permanent qu’il fallait traverser pour parvenir au lieu-dit, la Vièze.

Mais déjà , dès 1283, la confusion était là : on trouve alors écrit Trestorrentibus comme Tribus Torrentibus.

12 commentaires sur “De quelques autres armes suisses

  1. leveto, ce n’est pas une histoire suisse mais je viens grâce à vous de me faire somptueusement avoir…. par ma mémoire aussi: j’espère que cela vous inspirera comme m’inspirèrent vos nombres car j’ai soudain pensé à »Six-Fours-les-Plages (Sièis Four de Prouvènço selon la norme mistralienne) » j’avais un nombre! et j’ai filé au blason(Blason de la ville de Six-fours-les-plages (Var) : de gueules à la coquille d’argent ombrée de sable): mais enfin .. imaginez ma surprise pour la suite : bon ce n’est que wiki , et c’est dimanche ..et même si j’ai habité le midi, vous le connaissez , vous …et bien.

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  2. @Quant on s’appelle
    là, leveto, quelle énergie, ou quel trouble quant aux noms? au commencement votre Kant est-il un cantique ?
    _________________________
    ****Merci, Iado ! c’est corrigé ! ****

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  3. leveto, sûrement vous me pardonnerez cette remarque anecdotique, liée à une fixette que connaisssent certains de vos « commensaux » (quoiqu’à la vérité, j’ignore si vous avez jamais partagé un repas avec les familiers de votre crèmerie…) :

    La Suisse présente une particularité : son goût pour la représentation de ses blasons en vitrail. Cela n’a l’air de rien, comme ça, mais c’est sans doute une des raisons pour lesquelles l’art du vitrail n’est pas mort en Suisse entre les XIIè et XIIIè siècles, comme parout ailleurs en Europe…

    Les vitraux de la Renaissance

    Au XVe siècle, un type de vitrage fait son apparition dans la Cathédrale de Berne qui amorce une tradition encore vivante à notre époque. Il s’agit d’une surface vitrée en verre incolore (généralement en culs-de-bouteille ou losangé) qui présente au centre un vitrail armorié. La tradition du vitrail de
    cabinet (ou vitrail suisse) y trouve son origine.

    (…)

    Baroque (1600 à 1750) Déclin du vitrail

    Grâce à la tradition du vitrail de cabinet (particulièrement en Suisse), certains
    peintres sur verre continuent à trouver du travail. Par désintérêt, on
    n’entretient ni ne restaure plus les vitraux existants.

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  4. oups, faute de frappe, il s’en faut de cinq siècles. Il fallait lire, bien sûr, l’art du vitrail n’est pas mort en Suisse entre les XVIIè et XVIIIè siècles

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  5. ►Aquinze:
    « j’ignore si vous avez jamais partagé un repas avec les familiers de votre crèmerie…» Mon caractère réservé — que certains n’hésitent pas à qualifier d’ursidé — fait que j’ai peu de contacts dans la vie réelle avec mes correspondants de la vie virtuelle. Néanmoins, il m’est arrivé de rencontrer deux de mes commentatrices régulières ( et même de passer un week-end avec l’une d’entre elles et nos conjoints respectifs) ainsi que par deux fois un commentateur très occasionnel de mon blog mais bien connu sur un autre blog.

    À propos du vitrail de cabinet, comme mes connaissances du sujet étaient minimes pour ne pas dire nulles, j’ai demandé à mon ami Google et j’ai trouvé cet article qui m’ appris à peu près tout ce que je voulais savoir ( notamment sur les culs-de-bouteille, et — Ô poésie! — sur le jour trilobé).
    Et j’y vais de ma petite polémique ( je m’excuse, je ne tweete pas … je me contente de bloguer)

    «Vitraux suisses»: petits vitraux typiques de la Suisse.
    Il s’agit souvent de vitraux de donateurs munis de leurs
    armoiries. Ils faisaient partie des fenêtres d’espaces
    publics, privés et religieux (leur appellation «vitraux de
    cabinet» est donc incorrecte
    ).

    Alors, que dites-vous de ça ?

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  6. Bon, pour l’amour de la polémique, on pourrait en effet observer que le vitrail dit « héraldique » fait son apparition à la fin du XIIIè dans les vitraux de tous les édifices religieux d’Europe, spécialement en tant qu’élément décoratif dans les bordures, et donc ni particulièrement en Suisse, ni spécifiquement dans un contexte privé.

    Toutefois, il paraît incontestable que la Suisse (i.e. les donateurs et commanditaires de vitraux) aient particulièrement apprécié ce mode de représentation, au point d’en faire le seul motif des vitraux d’édifices profanes, publics et privés, et surtout d’en continuer la demande après le XVIè, qui voit partout ailleurs le déclin, voire la disparition, de l’art du vitrail. Concrètement, c’est donc un savoir-faire qui se perpétue, alors qu’il se perd dans le reste de l’Europe, et sera donc toujours vivant lors du renouveau du vitrail au XIXè.

    Qu’on l’appelle « vitrail de cabinet » est donc peut-être incorrect stricto sensu, parce qu’il ne s’agit pas exclusivement de commandes destinées à l’ornementation d’un espace privé (au sens des « cabinets de curiosités » du XVIIIè), mais franchement, ceci me semble une polémique un peu vaine au regard de l’essentiel, à savoir que le vitrail est toujours resté vivant en Suisse grâce à la popularité du thème héraldique, un motif qui n’a jamais été vraiment central dans le reste de l’Europe et qui n’a d’ailleurs pas duré très longtemps.

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  7. Leveto, ne vous hasardez pas à polémiquailler de vitraux avec AXV, vous perdriez !
    Demandez-lui plutôt de vous réaliser votre vitrail blasonné :

    D’or à l’ours de sable, armé, lampassé et vilené de gueules
    Accompagné en chef de trois huitres d’argent
    Adestré de sept perles pourpre

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  8. Aquinze
    Je ne voulais pas polémiquer plus que ça! Ma remarque se voulait plutôt un clin d’œil: je ne connais rien ni à l’art ni à l’histoire du vitrail, sauf ce que vous en dites et ce que j’en ai lu sur le site que j’ai mis en lien. Peut-être aurais-je dû accompagner ma phrase d’un machin qui rigole…
    Zerbinette
    Votre blason me convient assez… excepté ( et c’est un grand excepté) la couleur pourpre des perles. Rendez-vous compte:
    « Ceux qui portent cette couleur dans leurs armes sont obligés de défendre et secourir les ecclésiastiques et les religieux» ( Marc de Vulson de la Colombière)
    Je veux bien tout ce que vous voudrez, mais ça!

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  9. OUPS ! en effet ! désolée leveto…… le rose n’existant pas en héraldique je pensais que le pourpre vous conviendrait bien (Symbolique : largesse, souveraineté) ! je vous propose de remplacer par des perles d’argent assorties aux huîtres, ce sera très chic même si nous ratons un symbole.

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