P-I-E

Interpellé par un commentaire de Siganus Sutor sur le billet  précédent — comment prouver qu’un mot est pré-indo-européen ?— je me suis senti obligé de répondre, tant pis pour le billet en cours d’écriture qui patientera bien une semaine de plus. Il s’agissait de faire une synthèse de tout ce que l’on sait sur ce  sujet aujourd’hui ( je cite mes sources en fin d’article). Accrochez-vous! C’est un peu long mais j’ai tout fait pour rendre la chose la plus lisible possible. C’est mon côté vulgarisateur, « passeur de science* ».

celtique-264x300      Quand les Celtes, venus de l’est, ont envahi la Gaule à partir du Xè siècle avant J.-C., ils ont soumis ou chassé les occupants précédents. On commence à peine aujourd’hui à avoir une idée de qui étaient ces derniers, j’y reviendrai.

Les Celtes ou Gaulois parlaient une langue indo-européenne. Ce groupe linguistique est ainsi nommé car il inclut des langues parlées des rives de l’Indus  jusqu’à l’Europe occidentale. C’est là que l’on range le grec, le latin, les langues germaniques et slaves,  le sanscrit, d’autres langues aryennes, etc.

Indo-Europeennes-300x206

La parenté entre ces langues anciennes et modernes a été si soigneusement étudiée depuis le XVIIIè siècle qu’on a pu dresser un véritable dictionnaire des racines indo-européennes. Il n’est pas certain que les Celtes aient été les premiers Indo-européens à envahir l’Europe occidentale. Parmi les peuples qu’ils ont soumis, certains parlaient peut-être déjà une langue indo-européenne, comme les Ligures ( selon une hypothèse qui fait quasi consensus aujourd’hui). D’où la difficulté de discerner ce qui est indo-européen ou pré-indo-européen dans les langues que certains se content de qualifier de pré-celtiques.

Mais avant les Celtes et, éventuellement, avant  les autres Indo-européens qui les ont précédés, il existait des peuples dont on ne sait presque rien sauf qu’ils parlaient une langue différente qu’on a qualifiée, faute de mieux, de pré-indo-européenne.  Tout au plus peut-on faire référence à un peuple de brachycéphales qui, venu des régions altaïques au Néolithique, s’est installé au sud de la Loire, faisant disparaître Cro-Magnon et au peuple des mégalithes qui, avant l’arrivée des Ligures, a occupé, dès la fin du Néolithique, une région allant des Pyrénées aux Alpes en passant par le Massif Central. Un autre peuple parle encore aujourd’hui une langue pré-indo-européenne, le basque, qui nous est très utile en servant de modèle. Quant à l’ibère, autre langue certifiée  pré-indo-européenne, il n’est plus parlé aujourd’hui et fait encore l’objet d’études pour en déterminer l’origine ; une certitude : l’ibère n’est pas l’ancêtre du basque comme on le supposait naguère.

Une fois le décor planté et le casting dévoilé, reste l’intrigue : comment déterminer si un nom est pré-indo-européen ou postérieur ? Pour simplifier : par élimination.

Depuis longtemps, on a constaté que de nombreux noms de cours d’eau, de montagnes ou même de localités en Europe romanisée n’avaient rien de latin ni de celtique. L’exclusion du latin — qu’on connait parfaitement et pour lequel on dispose de dictionnaires exhaustifs — est chose aisée. Mais comment s’y prend-on pour exclure le celtique que l’on connait très peu ( quelques centaines de mots avec certitude  et un chouïa de grammaire) ? Eh bien! on va voir ailleurs! Si le mot est attesté, avec le même sens ou un sens voisin, soit comme nom de lieu soit comme nom commun passé dans une langue actuelle, sur un territoire où les Celtes ne sont jamais arrivés, alors il n’est pas celtique. On cherchera par exemple dans le sud de l’Italie, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, le sud-est de l’Espagne, l’Afrique du Nord.

        a1f75-280px-montcuqMontcuq, pléonasme

Un seul exemple : Cucq ( Pas-de-Calais) ou Cuq (Charente, Gers, etc.) est un nom attribué à un lieu situé en hauteur. C’est la même racine que le lyonnais cuchon « tas, meule »  ou que le marseillais cuco « tas, monceau ». Aucun lien avec le latin  ne peut être établi. On l’a alors rapproché du celtique à cause du breton couc’h, « toit de ruche ». Sauf qu’on trouve dans les patois du sud de l’Italie et jusqu’en Sicile cucca, « tête », en Sardaigne kukkuru, « pointe, hauteur », en Corse les noms de sommets Cucco et le Monte Cucco en Calabre, toutes régions où les Celtes n’ont jamais pénétré. Il faut se rendre à l’évidence : la racine *cuc, passée dans les langues celtiques et romanes, est issue d’une langue pré-celtique.

Mais peut-on aller plus loin? C’est-à-dire peut-on faire le tri entre ce qui est pré-celtique d’ordre indo-européen et ce qui est pré-indo-européen ? Oui, on peut le faire.

Une méthode,  « à la paresseuse », consiste à dire : ce n’est pas latin, ce n’est pas gaulois, ce n’est pas dans la liste des racines indo-européennes, donc c’est pré-indo-européen. Sauf que la liste des racines indo-européennes n’est sans doute pas exhaustive et que vous êtes peut-être sur le point d’y ajouter votre entrée. Alors ?

Alors, il reste à explorer les régions où les Indo-européens n’ont pas encore mis le pied à l’époque pré-celtique, comme le sud de la Méditerranée. Si cette racine existe là avec le même sens, bien entendu, et qu’en plus vous en trouvez l’équivalent en basque ou dans une langue  non indo-européenne du Caucase, alors vous pouvez affirmer avec certitude qu’elle est d’origine pré-indo-européenne.

Un seul exemple, celui de la racine *kar, « pierre ». On la trouve dans de très nombreux noms de montagnes, de cours d’eau et de lieux, comme  Caralp en Ariège ( qui cumule le pré-indo-européen car, « pierre », et l’indo-européen alp, « pâturage de haute montagne ») ou dans celui de la Charente (attesté Karente au VIIIè siècle). On la retrouve aussi  dans de nombreux noms communs : carroc, « rocher » en béarnais, charron, « quartier de rocher » en dauphinois  ou encore jar, «gros gravier » en vendômois. On la retrouve encore dans des parlers de l’extrême sud de la péninsule italienne  comme skarrone, « terrain pierreux » en Basilicate ou, en berbère, karin, « pierre ». Enfin, cerise sur le gâteau , « pierre »  se dit en basque harri, arri, qui remonte — les formes anciennes des toponymes en attestent — à un ancien *karri.

Nous sommes donc sûrs que la racine  *kar, « pierre » ne doit rien au latin ou au gaulois ni à une quelconque langue indo-européenne : elle est issue d’un idiome antérieur, donc pré-indo-européen,  et sera reprise par les langues des peuples qui suivront, jusqu’à rester vivante dans notre « calcul »  ( où le cal est une variante tardive de *kar ). Eh oui! Vous parlez le pré-indo-européen depuis l’école primaire sans le savoir!

Ce sont les savants italiens qui, les premiers, ont révélé l’existence de ces peuples et de cette langue pré-indo-européenne sur le pourtour méditerranéen ( ces langues furent d’ailleurs appelées « méditerranéennes » ). Même s’ils en abusaient dans leurs explications étymologiques de toponymes, nul ne conteste aujourd’hui que le pourtour de la Méditerranée occidentale ait été occupé, avant l’arrivée des Indo-européens, par des peuples dont il ne nous reste plus, de la langue, que la trace toponymique et des écrits de seconde ou tierce main.

Pour être tout à fait exhaustif, il convient de rappeler les travaux, dans les années cinquante,  de J. Hubschmid, qui font aujourd’hui encore autorité. Il a défini trois ensembles de langues pré-indo-européennes correspondant, grosso modo, à trois vagues successives de peuplement:

  • eurafricain : le plus ancien, sur le pourtour de la Méditerranée occidentale.
  • hispano-caucasique : un peu postérieur, il regroupe des langues parlées de l’Espagne jusqu’à certaines régions du Caucase et qui sont les restes de langues parentes du basque.
  • tyrrhénien : regroupe des langues apparentées à l’étrusque, importées d’Orient à une époque beaucoup plus récente.

cul-de-lampe-03

Je me suis appuyé pour écrire cette synthèse principalement sur :

Toponymie générale de la France, tome Ier , Ernest Nègre, Librairie Droz, Genève, 1990 ( dont j’avoue avoir presque recopié mot à mot certains paragraphes).

Les noms de lieux et de personnes, Christian Baylon et Paul Fabre, Nathan, 1982

Les Noms de Lieux, origine et évolution, Albert Dauzat, Delagrave, 1947

Les noms de lieux, Charles Rostaing, PUF, collection Que sais-je ?, 1945

L’origine des noms de lieux en France, Stéphane Gendron, Errance, 2008.

J’ai consulté d’autres ouvrages et même le web mais n’y ai trouvé rien de plus intéressant — sauf des travaux extrêmement pointus et des controverses stériles que je vous épargne!

Et, pour finir, puisque vous l’attendiez tous :

* Que cet emprunt soit pris pour ce qu’il est: un hommage.

20 commentaires sur “P-I-E

  1. Merci de ces explications claires. Les théories sur lesquelles s’appuient ces éminents toponymistes et linguistes soulèvent quelques questions.

    Je ne vais pas rouvrir ici le débat sur la pertinence-même de la vision généalogique des langues indo-européennes : à partir de l’hypothèse de langues imbriquées selon une filiation généalogique, les savants reconstituent forcément des racines supposées… mais cela ne démontre rien puisque c’est le serpent qui se mord la queue. Le résultat est présupposé par l’hypothèse, mais une autre aurait été possible et est envisagée : celle de contaminations linguistiques horizontales entre langues de sociétés en contact culturel étroit, s’harmonisant partiellement au fil des siècles et des emprunts mutuels.

    Je ne vais pas non plus ouvrir l’autre débat, qui lui est lié, sur la réalité historique des « invasions indo-européennes » et en particulier de « l’invasion celte ». Certains archéologues de référence (tel Jean-Pierre Demoule) remettent fortement en cause cette hypothèse, dans la mesure où l’archéologie ne la confirme en rien : selon Demoule, les vestiges archéologiques (organisation du territoire, bâtiments, sépultures) ne connaissent aucune solution de continuité entre le peuple mégalithique et les Celtes, mais uniquement une évolution progressive et continue. Cela ne laisse pas d’interroger !

    Mais, en supposant que toute la construction intellectuelle sur laquelle ces hypothèses linguistiques et historiques sont bâties soit vraie (et en écartant donc les deux problèmes que je n’ai fait qu’évoquer ici), cette intéressante synthèse suppose que « la » langue pré-indo-européenne ait été parlée sur une aire géographique considérable !

    Il est assez étonnant (et c’est une base de travail audacieuse) de supposer qu’à l’ensemble indo-européen déjà étonnamment vaste ait précédé une langue uniforme parlée sur un territoire… encore plus vaste. C’est l’hypothèse de fond, incontournable et essentielle, de votre explication : une racine est supposée pré-indo-européenne si elle semble avoir des occurrences au-delà de l’aire indo-européenne.

    Mais quel était donc cet empire pré-indo-européen ayant réussi à imposer une langue identique sur un territoire plus grand que l’Europe actuelle, avec même des ponts en Afrique du Nord ?

    J’aime

  2. Certes, Jacques C, vous soulevez des questions intéressantes

    Il ne s’agit pas d’une vision généalogique des langues pré-indo-européennes mais bien de couches successives de langues importées sur le pourtour méditerranéen, sans qu’il y ait une quelconque notion de filiation, tout au plus y-a-t-il eu des emprunts à une langue ancienne par une plus récente.

    Quand je parle d’invasion celte, je parle d’une arrivée de ces derniers — documentée par des auteurs grecs entre autres — qui s’est déroulée sur plusieurs siècles. Que l’archéologie ne connaisse « aucune solution de continuité entre le peuple mégalithique et les Celtes, mais uniquement une évolution progressive et continue » me semble conforme au comportement des Celtes qui n’étaient en rien des vandales (!) et préféraient absorber les civilisations antérieures, cf. les Ligures associés dans une civilisation celto-ligure .

    Quant à votre dernière remarque sur « cet empire pré-indo-européen ayant réussi à imposer une langue identique sur un territoire plus grand que l’Europe actuelle, avec même des ponts en Afrique du Nord ? », elle implique qu’il y ait eu une continuité dans l’espace et dans le temps entre les locuteurs d’une supposée unique langue pré-indo-européenne. Ce n’est bien sûr pas le cas : il y a eu plusieurs langues pré-indo-européennes ( nous ne saurons probablement jamais combien) selon l’endroit et le temps : les hommes se parlaient avant l’arrivée des Indo-européens ! Et chaque peuple devait avoir sa propre langue, peut-être étaient-elles liées entre elles, peut-être pas, nous n’en savons rien.

    Dans ces différentes langues ou plutôt dans ce qu’il nous en reste en toponymie et dans les langues « fossiles » comme le basque, nous trouvons certaines racines communes comme ce *kar, toujours associé à la pierre.
    Ce *kar ne doit rien à un « empire » p-i-e . Les hypothèses sur son apparition dans plusieurs zones géographiques distinctes n’en sont qu’au stade … des hypothèses ( une langue ancestrale commune, une coïncidence, un emprunt de l’une à l’autre, … ?).
    Seule certitude : on appelait la pierre *kar, sur le pourtour méditerranéen, bien avant que les Indo-européeens n’y arrivent ( et nous avons eu droit à saint Pierre plutôt qu’à saint Car).

    J’aime

  3. Bonjour Monsieur Leveto !
    Passionnant cet article.
    À propos de pierre, le « carroc » béarnais vient de me faire penser tout naturellement au « karreg » breton (pluriel « kerreg ») qui signifie rocher, que l’on retrouve dans pas mal de toponymes (ex : Karreg an tan, la Roche du feu) mais aussi dans le langage très courant, en doublon de « roc’h » (pluriels : roc’hoù, reier). Vlà t-y pas que le pourtour méditerranéen s’étale dangereusement ?

    J’aime

  4. @ leveto :

    Mais cela indique tout-de-même que la méthode utilisée possède de grandes limites. En effet, vous dites vous-même qu’il existait probablement des langues pré-indo-européennes distinctes… ce qui signifie que la plupart des termes pré-indo-européens ne se retrouvent PAS dans d’autres régions.

    Si la seule méthode disponible consiste à se baser sur des occurrences dans d’autres régions, cela implique de passer à côté de la plupart des termes pré-indo-européens, à savoir tous ceux qui n’ont pas été, pour une raison mystérieuse, partagées dans toutes les langues pré-indo-européennes. Vous reconnaissez que la présence de certains termes dans des langues sans doute distinctes et très éloignées géographiquement est inexplicable ; il est donc logique que la plupart des termes pré-indo-européens ne relevaient pas de ce « miracle » et… ne sont donc pas identifiables avec la méthode retenue.

    Je comprends bien que nous en sommes réduits à faire du mieux avec ce que nous avons :-). Mais je voulais noter que cette seule méthode disponible connaît de grandes limites (et n’identifie en fait que des termes étrangement « universels » dans des peuples pré-indo-européens pourtant a-priori pas unifiés : ce sont donc des cas très particuliers, voire anormaux).

    J’aime

  5. Jacques C, je suis bien d’accord pour dire qu’il ne s’agit que d’hypothèses et que nous ne pourrons sans doute pas aller au-delà.
    Je ne vous suivrai pourtant pas quand vous qualifiez de « très particuliers, voire anormaux » ces termes « universels ». Nous sommes là dans des temps préhistoriques dont, par définition, nous ne connaissons aucun écrit. Qui nous dit que ce que nous découvrons aujourd’hui est une singularité?
    Contrairement à vous, je suis absolument épaté de voir que, dix millénaires plus tard, nous arrivions à identifier un mot que nous devons à nos très lointains ancêtres. Tout le monde est fier de pouvoir dire que notre calcul est un descendant du petit calculus latin, la petite pierre de la table à calculer. Mais on reste en général bouche bée quand j’explique que ce « calcul » ne doit rien aux Romains …
    J’ai pris cette racine *kar comme exemple parce qu’elle a été étudiée sous tous ses angles et classée avec certitude dans le p-i-e. Mais *cuc, assurément pré-celtique est sans doute lui aussi p-i-e.
    D’autres racines — dans des noms de montagnes ou de cours d’eau — pourraient être p-i-e. La liste des postulants est assez longue ( si vous insistez …).
    Voilà que tout à coup notre *kar n’est plus tout seul … Doit-on y voir une piste vers une langue ancestrale commune ? Alors, là …

    J’aime

  6. plumequivole

    votre commentaire n’est pas passé inaperçu!

    Bien sûr que *kar a été utilisé dans un domaine dépassant largement le pourtour méditerranéen puisqu’il a été adopté par les Celtes ( d’où sa présence en Bretagne) puis par les Latins ( d’où sa présence dans les langues romanes )

    J’aime

  7. Mince, comment ai-je pu oublier Dudu et sa prose ? (Il en avait à dire, par exemple, sur le “mam” de maman, mamelle & cie — un radical qui vient sûrement du fond des âges africains.)

    Leveto, qui était déjà celui qui prétendait pouvoir remonter à la langue-mère de l’humanité ? Greenberg ? Ruhlen ? En tout cas sûrement un de ceux que des amis d’ailleurs qualifieraient de “crackpot”. Mais la Bible parlant de Babel…

    Ce groupe linguistique est ainsi nommé car il inclut des langues parlées des rives de l’Indus jusqu’à l’Europe occidentale. ► N’oubliez pas l’île sur laquelle était censé habiter le démon Rawan, là où il avait emmené Sita comme captive. Elle est située loin d’Ayodhya et encore plus loin des rives de l’Indus.

    Nulle pierre, sans doute, dans le gésier de cet animal-là, mais vos calculs étymologiques m’ont fait songer à la carangue. Se pourrait-il que celles-ci, qui ont peut-être fait partie de vos patientes (sait-on jamais), aient un nom d’origine occitane ?

    J’aime

  8. Aquinze:
    je m’étais fait la même réflexion ( à propos de Dudu ) en écrivant mon dernier commentaire! J’avais déjà eu un échange avec Jacques C. à ce sujet ( les sons primitifs émis par les premiers hommes )sur LSP.

    Siganus Sutor :
    C’est Merritt Ruhlen qui est, sinon à l’origine, du moins le principal défenseur de la théorie de la langue originelle. Un crackpot ? Je n’irais pas jusque là.

    Carangue : vous n’allez pas le croire, mais ce mot — quand il désigne le poisson — n’a rien d’occitan, mais vous avez frappé à la bonne porte!
    Philibert Commerson, le zoologiste qui a donné le nom de caranx à ces poissons, a tiré ce nom de carangue par lequel les marins français, espagnols et portugais désignaient aux Antilles et aux Indes un grand poisson de ce genre. Carangue est une corruption du brésilien acarauna.

    Mes sources:
    Carangue

    Acarauna

    Merci d’avoir posé la question.

    J’aime

  9. Leveto, Ruhlen semble provoquer des réactions très vives chez les uns et les autres. Au-delà du raisonnable ? Peut-être, mais les questions de langue semblent propices aux débats brûlants. Après tout, nous parlons tous une langue et avons de ce fait une opinion sur le sujet. Ceux qui pensent connaître quelque chose sur les exo-planètes sont plus rares.

    Dans le Dictionnaire universel d’histoire naturelle, le rédacteur du milieu du XIXe siècle écrit à propos de carangue qu’ »il est probable que ce nom est [notez l’indicatif] une corruption du mot Acarauna, qui désigne génériquement, sur les côtes du Brésil, les Poissons à corps élevé. » Comme aurait dit un ami turc : “possibilité”. Mais des sources plus récentes mentionnent une possibilité africaine (?) ou boulonnaise. Annegret Bollée : “Afr. carramke, sorte de poisson” et un “boulonnais caringue, Trachurus trachurus”, précisant par ailleurs que, comme cela se produit souvent, les marins boulonnais ou normands ont donné à des espèces exotiques voisines le nom de poisson de leurs côtes d’origine.
    http://books.google.fr/books?id=VUufR_-Kf8kC&q=carangue#v=snippet&q=carangue&f=false

    En attendant, la carangue nage toujours.

    J’aime

  10. Siganus
    Belle référence que ce Dictionnaire étymologiques des créoles français de l’océan Indien *. On ne sait finalement plus à quelle étymologie se fier!, ce qui n’empêche pas, comme vous le signalez, la carangue de nager.

    * aussitôt rajouté à mon dossier « dicos » dans ma liste de « favoris ».

    J’aime

  11. Certains rêvent de l’avoir pour de vrai, ce dictionnaire-là, et ils en rêvent d’autant plus s’ils ont toujours eu un faible pour les dictionnaires, mais ça ne semble pas chose aisée que de se le procurer. Des sites de vente en ligne comme Amazon.fr ou fnac.com ne le proposent pas et c’est semble-t-il uniquement chez l’éditeur, à Hambourg, qu’il est disponible.

    Le hic, c’est que leur site est plutôt déroutant. On n’y parle pas ligure mais presque : tout est en allemand, ce qui pose d’importantes difficultés à ceux qui, à l’école, bien fait pour eux, ont été réfractaires à l’apprentissage de cette langue indo-européenne.

    J’aime

  12. Leveto, comme il est maintenant possible d’avoir accès à un certain nombre de page du FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch), on aurait tort de se priver de ce plaisir. Mais cet allemand qui peut donner tant de fil à retordre (cf ci-dessus) est encore là à jouer les trouble-fêtes. Voyez par exemple ce qui est dit à l’entrée °karinga :

    Il nous faudrait un traducteur assermenté pour décrypter tout ce germanique. Comme de surcroît Walther Von Wartburg avait la manie des abréviations, les choses finissent par devenir quasi impossibles à comprendre. Mais je pense que je m’étais trompé plus haut en pensant que “Afr.” pouvait renvoyer à l’Afrique : il est plus probable qu’il s’agissait de l’ancien français (9e – 14e siècle). On retrouve par ailleurs ce carramke dans le dictionnaire de Frédéric Godefroy, où il est dit que le nom de cette sorte de poisson est mentionné dans un manuscrit du 13e siècle.

    Carangue est aussi une des graphies ayant été utilisées pour parler des calanques ou calangues, comme on peut le voir dans le TLF :
    http://www.cnrtl.fr/definition/calangue
    Vous remarquerez là qu’il est question à ce sujet d’un préfixe pré-indo-européen *cala (‘abri de montagne’ et aussi ‘pente raide’). Un retour à la pierre ?

    J’aime

  13. Commentaire repêché, Siganus.
    Lu un peu tardivement — écriture du billet du jour oblige — je note qu’il ouvre des pistes intéressantes.
    Je ne lis pas plus que vous l’allemand — je m’en suis plaint ailleurs! — et ne peux donc approfondir de ce côté -là.
    En revanche, je m’en veux de ne pas avoir essayé le Godefroy!

    Quant à « calanque » méfiez-vous, il s’agit d’un faux ami, même si quelques (caco)graphies ont pu donner des « carangues ».

    J’aime

  14. Un faux ami par rapport au poisson, sûrement, mais quid du préfixe pré-indo-européen mentionné par le Trésor de la langue française ?

    Dans leur dictionnaire étymologique, Bloch et Wartburg parlent d’un préfixe prélatin cala, crique, cf. l’italien cala de même sens, mais aussi d’un suffixe prélatin -anca, lequel se retrouverait dans le mot avalanche, précisant par ailleurs que les parlers alpins ont le même mot au sens de « ravin, etc. »

    J’aime

  15. Calanque :

    Il s’agit bien d’une base pré-indo-européenne *cala, « abri sous roche » qui a donné le toujours vivant cala ( provençal, italien, corse) et la calanque, donc.
    Notons que le masculin calanc, plus rare, existe néanmoins en provençal au sens de pente raide ou rocher escarpé.

    Le suffixe –anca, peu courant, est quand à lui encore mystérieux

    J’aime

  16. A propos de cuc, nous avons une ressemblance avec cuius (fesses en latin) qui a donné cul en français et culminant de culmen (faîte, sommet). sonorité et sens très proches ??

    J’aime

  17. De même pour kar carrière qui est le lieu d’où l’on retire la pierre a une relation sémantique extrèmement forte avec kar, bien plus forte qu’avec l’origine généralement admise de char (carros – carus)
    Idem entre calcul et calcaire ? Je suis néophyte mais on ne peut pas ne pas se poser ces questions.

    J’aime

  18. Chris

    je ne lis que maintenant vos derniers commentaires qui posent des questions auxquelles les spécialistes en onomastique ( et, dans leur petit domaine, les toponymistes) se confrontent depuis déjà pas mal de temps.
    Je vous fais signe dès que j’en sais plus.

    J’aime

Laisser un commentaire