Joyeuse noue !

En cette période de fête païenne (on fêtait alors le solstice d’hiver), récupérée par le christianisme (on commémore la naissance d’un hiver bimillénaire), amusons-nous un petit peu.

Aucune commune française ne porte le nom de Noël, mais, en cherchant bien, on peut trouver un nombre respectable de lieux-dits, hameaux, écarts et autres micro-toponymes le portant ou portant un nom approchant.

Je passe sur les Chez Noël, Ferme Noël, Bois Noël, etc. qui ne se rapportent qu’à un personnage nommé Noël – comme d’autres s’appellent Pascal ou même Fêtnat.

Mais que dire des nombreux La Noël, Le Noël, Le Petit ou La Grande Noël et des féminins La Noëlle ? Eh bien ! on peut en dire qu’ils sont d’origine celtique — et païenne, donc ! Ils sont en effet issus du gaulois nauda, désignant un lieu humide (un fossé, une cuvette, la queue d’un étang, une rigole d’écoulement, un point humide dans un champ, etc.) et qui a fourni des toponymes un peu partout en France . Ce gaulois nauda, par la perte habituelle du –d– intervocalique, a donné la « noue », que l’on retrouve tel quel dans de nombreux toponymes en Bretagne, Normandie et Centre de la France comme Belle Noue (à Saint-Mathurin-sur Loire, M.-et-L., Bella Noa en 1330) ou Malnoue (à Saint-Hilaire-de-Gondilly, Cher, Mala Noa en 1203) ou avec des diminutifs (Nouotte, Nouette, …) ou encore sous des formes remotivées comme La Noë et – sonnez haut-bois, résonnez musette ! – La Noël ! Comme à Noël-Saint-Martin à Villeneuve-sur-Verberie dans l’Oise notée Nauta en 913.

Particulièrement productif, nauda a aussi donné : no (Bretagne), (Vendômois, Bas Maine), noe (Normandie), noë ( Bretagne, I.-et-V., L.-A., Morb.), noju (Vosges), nouaio (Gascogne), nouo (Gers) et j’en oublie sans doute.

Et voilà comment Noël est redevenu païen, humide, boueux, bref, plus terrestre que céleste.

Quant à ceux qui voudraient se réfugier dans la crèche, qu’ils sachent que la seule commune française qui porte ce nom, Crèches-sur-Saône, ne doit rien non plus au petit Jésus. Le site officiel de la commune indique que la ville était appelée Cropium dans des chartes du Xè siècle et donne comme étymologie (on lit d’ailleurs sur le site officiel  « éthymologie » : comment le prendre au sérieux ? ) un certain Cropus, propriétaire d’une villa. Or Cropus n’est pas répertorié dans les noms gaulois, gallo-romains ou romains. Il s’agit donc plus probablement d’un dérivé du nom de personne germanique Kroppo qui a donné son nom à Cropus en Seine-Maritime. Le passage de Crop– à Crèch- s’explique par l’adoucissement de la phonétique (comme le chuintement du –c– en –ch-) qui s’est produit dès le Moyen Âge central et qui a fait par exemple de Crispius-acum un Crechiacus au XIIIè siècle et un Créchy aujourd’hui.

Les autres Crèches — micro-toponymes — sont, eux, dérivés du sens premier de ce mot, « mangeoire pour les bestiaux ». Ce qui m’amène à rappeler que, selon la légende et l’étymologie, le divinanfan  aurait été placé dans une mangeoire :

mangeoire-300x199

il faudrait peut-être reconsidérer les représentations de la crèche. Toute l’imagerie chrétienne, des Rois mages s’agenouillant devant le petit Jésus de Marie jusqu’aux Trois hommes et un couffin est à revoir.

Publicité

30 commentaires sur “Joyeuse noue !

  1. Ce gaulois nauda, par la perte habituelle du -d- intervocalique, a donné la «noue»

    “Noue” aussi appelée “grain-d’orge” sous d’autres cieux, ou sous d’autres toitures, pour une raison encore restée mystérieuse.
    http://mauricianismes.wordpress.com/2010/02/11/empailleurs-11/

    S’il n’existe pas de commune française portant le nom de “Noël” dites-vous, il doit bien exister une île quelque part qui, à l’instar de Rapa Nui, a été baptisée du nom de “Nativité” ou quelque chose de ce genre, non ? Et je suis sûr que les États-Unis doivent compter au moins un Bethléem ou deux.

    Joyeuse noue à vous aussi, Leveto, et puisse-t-elle rester bien étanche pendant l’année qui vient.

    J’aime

  2. Je ne remettrai pas une couche de paille sur la crèche et le petit Jésus… mais je vous souhaite à tous de passer de très bonnes fêtes pendant que je fais la noue-noue.

    J’aime

  3. A! Siganus, les Natividad ( villes, îles; etc.) sont nombreux et nul doute qu’il y ait leurs équivalents dans d’autres langues.

    Quant aux Bethléem et Nazareth, pas besoin de traverser l’Atlantique. Ces noms ont été transportés chez nous, le plus souvent au retour des Croisades.
    On trouve par exemple dans la Nièvre, à Saint-Vérain, un hameau nommé les Berthes qui s’appelait Bethléem en 1619. « Le nom de ce hameau lui avait été donné par les sires de Saint-Vérain qui, au retour des croisades, voulurent rappeler dans leurs domaines le souvenir des saints lieux: c’est ainsi que l’on verra plus loin les noms de Jérusalem, de Betphagé, du Jourdain portés par des un ruisseau».

    De la même façon, on trouve des Bethléem à Château-Landon (S.-et-M.), à Clamecy (Nièvre) et une vingtaine d’autres répartis sur tout le territoire français.
    Les Nazareth sont tout aussi nombreux : à Nérac ( Lot-et-G.),à Angers ( M.-et-L.) etc. et surtout à Jugeals-Nazareth (Corrèze) née de la fusion du village de Jugeals et du hameau Nazareth ainsi baptisé par le vicomte de Turenne.

    Votre « noue » vient « D’un b. lat. *nauca, forme contractée de *navica «petit bateau», dimin. du lat. navis «bateau» (nef*)  » ( TLFI ) Le passage au « grain d’orge » est, en effet, mystérieux, sauf à y voir une simple ressemblance entre la rigole à l’intersection des deux pans de la toiture et le sillon qui divise le grain d’orge en deux. Vos amis martiens, sans avoir jamais vu de grain d’orge, ont repris le mot — importé par les Français?

    J’aime

  4. Je pensais bien qu’un lecteur plus éclairé avait déjà pu faire le noter (Leveto), mais j’ose quand même re-marquer.
    Quand vous dites « Et voilà comment Noël est redevenu païen, humide, boueux, bref, plus terrestre que céleste », c’est peut-être négliger un peu vite Tlaloc, le dieu de la pluie et des couvreurs. Ces derniers ne nouant pas dans les marais…

    J’aime

  5. La photo qui illustre votre article est celle d’un râtelier (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/r%C3%A2telier) destiné a recevoir du fourrage.
    La mangeoire, placée au dessous dans les étables traditionnelles de bovins, est destinée a des aliments de petite taille : betteraves émincées, raves, fèves, etc …
    Ayant la forme d’une auge, surélevée par rapport au sol, son usage comme berceau est sans problème.
    Joyeux Noël !

    J’aime

  6. Ergotons aussi à propos de la 2e partie de cet intéressant exposé de fête:

    « il faudrait peut-être reconsidérer les représentations de la crèche. Toute l’imagerie chrétienne,(…) est à revoir. »

    Est-ce si sûr ? Que savons-nous des « mangeoires à bestiaux » en Orient -et à cette époque » ?
    Plus sérieusement, je crois bien que la représentation du Petit Jésus dans la crèche traditionnelle n’a pas complétement oublié de le placer dans un « mangeoire à bestiaux ». Même si c’est plus une « auge » qu’une « crèche » (y a-til vraiment une distinction technique entre les deux, et pas seulement d’usage ?)

    J’aime

  7. Ah, Leveto, il m’avait échappé qu’il existait deux noues, l’une signifiant “terre grasse, bras de rivière, intervalle entre deux sillons” et l’autre étant “l’angle rentrant d’un toit”. Désolé.

    J’aime

  8. A propos de la noue :

    C’est aussi un terme utilisé en urbanisme contemporain.
    Et la noue, selon qu’elle appartient au vocabulaire du couvreur ou à celui du cabinet d’études chargé de l’élaboration d’un PLU ou d’un aménagement de zone, devra montrer des dispositions parfaitement contraires :

    1. On demande à la noue de toiture une parfaite étanchéité et une pente propice à l’évacuation efficace et rapide des eaux vers les gouttières prévues.

    2. A l’inverse, la noue de l’urbaniste soucieux d’écologie pratique, devra présenter des qualités maximales de perméabilité, et toujours demeurer suffisamment enherbée afin d’être un frein à l’écoulement des eaux pluviales. Une sorte de ralentisseur naturel… une prévention d’inondation.

    J’aime

  9. On rappellera que Belém, connu pour sa fameuse tour au bord du Tage, est une déformation de Bethlehem et que bedlam (= chahut, vacarme) est dérivé de l’Hôpital (psychiatrique) royal de Bethlehem à Londres, ce qui en dit long sur la vision de la folie qu’on a pu avoir.

    J’aime

  10. à Morave : tout à fait intéressant!
    bedlam (n.) « scene of mad confusion, » 1660s, from colloquial pronunciation of « Hospital of Saint Mary of Bethlehem » in London, founded 1247 as a priory, mentioned as a hospital 1330 and as a lunatic hospital 1402; converted to a state lunatic asylum on dissolution of the monasteries in 1547. It was spelled Bedlem in a will from 1418, and Betleem is recorded as a spelling of Bethlehem in Judea from 971.

    J’aime

  11. Des soldes* et des aphérèses attrape-couillons

    N’a-t-il pas fait fort, Chabrol** ?…

    * imminentes ?
    ** descendant de Basmaison (…) il est le dernier seigneur en titre de Tournoël.
    [ Le radical Turn ou Torn signifierait « hauteur».]

    PS l’insecte aurait sans doute dû commencer par vous présenter les siens (meilleurs vœux) !

    J’aime

  12. MiniPhasme :
    Le pré-latin turno, « hauteur, éminence » est en effet à l’origine des noms de Tournes ( Ardennes), Le Tourne (Gir.), Tournon (Ardèche), Tournans ( Doubs), etc.

    Les formes latines médiévales Tornolium, Turnollia ou Turnoialium peuvent être un diminutif ou, mieux, un composé avec le gaulois ialo « clairière, zone défrichée ».
    L’attraction de « noël » a fait le reste.

    J’aime

  13. Des soldes* …. * imminentes ?
    De qui l’insecte est-il à lasolde ? en tous cas je la lui souhaite éminente pour rester à la hauteur.
    Quant aux autre soldes, excédents ou reliquats invendus, ils sont bien imminents, bien près de l’imminence de passer du côté du féminisme.

    J’aime

  14. Si ça peut vous rassurer, l’insecte n’est à la solde d’aucun « soldat »*

    M’il est vrai que des soldes affichées ne lui font aucun effet, surtout ces temps-ci…

    * oh, punaise ! il se fait également appeler « gendarme », « suisse », « diable cherche-midi », « cordonnier » ou « masque-nègres »…

    J’aime

  15. MiniPhasme, insecte, pensez-vous que, parmi tous vos congénères impossibles et inimaginables, ceux-ci fassent aussi partie de la maréchaussée ? – https://mauricianismes.wordpress.com/autres-clins-doeil/black-bugs-blood/

    &nbsp:

    Leveto, j’ai récemment pensé à vous en relisant un livre dont le navigateur John Franklin est le personnage principal.

    « John se leva et poursuivit sa marche à travers les prairies de la noue. Le soleil descendait sur l’horizon, loin derrière lui, au-dessus de Spilsby. » (Sten Nadolny, La découverte de la lenteur, page 22.)

    « Pour l’heure, ils regardaient la laisse sur leur gauche, les prairies de la noue sur leur droite, et ils parlaient de l’avenir. La vie s’écoulait beaucoup trop rapidement. » (P. 290.)

    La traduction en français est due à Jean-Marie Argelès et je me suis demandé quel pouvait bien être le mot utilisé par l’auteur en allemand.

    John Franklin a participé à l’exploration de l’Australie en compagnie notamment de son oncle Matthew Flinders et de Trim, le chat du bord. À la page 306 Nadolny mentionne une anecdote : les explorateurs avaient prévu de donner le nom du matou à l’emplacement de la future capitale de l’État de Victoria, mais auraient « ensuite estimé que Lord Melbourne avait plus d’importance ». Avez-vous jamais entendu parler d’une chose pareille ?

    J’aime

  16. ►Siganus

    aucun des ouvrages que j’ai consultés ne mentionne cette anecdote à propos du nom de Melbourne.

    Cette ville fut édifiée à la place d’un village indigène nommé Glenelg par deux explorateurs Batman et Fawkner. Elle fut appelée successivement Batmania, Bearbrass, Bareport, Bareheep, Barehurp et Bareberp (en juin 1835) avant de prendre son nom actuel en mars 1837.

    Melbourne était le nom d’un village du Derbyshire anglais . On trouve écrit en 1086 Mileburne. C’est un composé qui signifie « cours d’eau, bief ( burne) du moulin ( mile) ».
    Au XVIIIè siècle, Melbourne devint un vicomté et son deuxième vicomte, William Lamb, lord Melbourne, devint premier ministre de la reine Victoria de 1835 à 1841.

    J’aime

  17. Encore un peu

    «
    Nos cœurs vidés en rage
    Nous font courir en fous
    Comme des souris en cage
    Qui font tourner la roue
    Je suis le feu qui luit
    Au creux de la cheminée
    L’amour est gratuit
    Mais pas ses succédanés
    »

    — Maryse Letarte, «Ô raîneau dans le Ciel

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s