J’ai étudié dans un précédent billet les villes françaises qui doivent leur nom à un empereur romain. Le même phénomène s’est bien sûr produit dans tout l’ Empire romain et nombreuses sont les villes étrangères baptisées en l’honneur d’un empereur romain.
Auguste
Comme sur notre territoire, des villes étrangères portant généralement le nom du peuple dont elles étaient le chef-lieu furent qualifiées d’Augusta. La plupart n’ont conservé que le nom du peuple mais certaines ont conservé, certes modifié au cours du temps, le nom d’Auguste.
Parmi les premières, on peut citer Augusta Treverorum, devenue Trèves, Augusta Taurinorum, devenue Turin, ou encore Augusta Trinosantum, aujourd’hui Londres. En Espagne, Merida ( Estrémadure ) est une ancienne Augusta Emerita. Ce nom se comprend naturellement en sous-entendant Colonia : il s’agissait d’une colonie fondée par Auguste et destinée à accueillir l‘ éméritus, « l’émérite », c’est-à-dire le soldat ayant achevé son temps de service. Le souci de concision fit qu’on ne parla plus que d’Emerita puis, sans doute sous l’influence de la prononciation des Maures, de Mérida.
Parmi les secondes :
- Aoste, ville du Nord de l’Italie. Ancienne colonie fondée en 25 av. J.-C. par l’empereur Auguste pour stabiliser 3000 vétérans de sa cohorte prétorienne. Le nom complet de la colonie était Augusta praetoria Salassorum, les Salasses étant les autochtones vaincus par les Romains. Par simplification, on parlait d’Augusta, puis d’Agusta , réduit à Aosta en italien, d’où vient le français Aoste.
- Augusta, dans la province de Syracuse en Sicile, fut fondée par Auguste au Ier siècle av. J.-C. sur les ruines de la colonie hellénique de Megara Hyblaia.
- Augst ( Suisse) est une ancienne colonie fondée en 44 av. J.-C. par Lucius Munatius Plancus, alors gouverneur de la Gaule chevelue, et nommée Augusta Raurica du nom des Rauraques, le peuple local.
- Augsbourg ( Allemagne, Bavière) : colonie romaine établie par Auguste en 15 av. J.-C. et nommée Augusta Vindelicorum, du nom des Vendéliques , le peuple celte de la région. Le nom s’est réduit à Augusta puis à August dans l’usage germanique. À l’époque franque, au VIIIè siècle, on trouve Augustburc, avec burc — puis burg — « ville », qui donnera la forme actuelle dès le XVè siècle.
César
Comme Auguste, César était un nom générique donné aux empereurs romains et plusieurs villes de l’Empire furent baptisées Caesaera en latin ou Kaisareia en grec, en l’honneur de l’empereur alors régnant, nom traduit par Césarée en français.
Certaines n’ont pas conservé ce nom, comme:
- Banias ( Syrie, aux sources du Jourdain) où le tétrarque Philippe, fils d’Hérode le Grand, construisit en 3 av. J.-C. une ville qu’il baptisa Kaisereia en l’honneur de l’empereur Tibère. C’est la ville que les historiens appellent Césarée de Philippe. La ville a repris son premier nom, attesté Panias chez Flavius Josèphe, qui aurait désigné un sanctuaire du dieu Pan.
- Cherchell ( Algérie) : passée sous le joug numide après la chute de Carthage elle devint la capitale du roi Bocchus, contemporain de César. En 25 av. J.-C. , l’empereur Auguste installa sur le trône Juba II qui, en reconnaissance, appela sa ville Caesarea, Césarée, qui deviendra la capitale de la Maurétanie Césarienne avant de devenir le chef-lieu d’une province byzantine. Cherchell pourrait être une corruption du nom latin, aucune des étymologies arabes proposées ne faisant l’unanimité.
D’autres ont conservé le nom de César dans leur nom actuel :
- Kaisariyé (Israël) : construite entre 12 et 9 av. J.-C. par Hérode le Grand, elle fut appelée Caesarea en l’honneur d’Auguste. Elle fut dite Césarée de Palestine pour la distinguer des autres.
- Kayseri ( Turquie) : capitale en 301 av. J.-C. du royaume indépendant de Cappadoce à l’époque alexandrine, elle fut conquise en 20 av. J.-C. par l’empereur romain Auguste. Son dernier roi, Archélaos, fut maintenu sur son trône et, par gratitude, il renomma sa capitale Caesarea. Lorsque la Cappadoce devint province romaine, sous Tibère, ce nom fut conservé et on parla officiellement de Caesaria Cappadociae, la Césarée de Cappadoce. Détruite par les Sassanides et rebâtie au VIè siècle par Justinien, la ville resta Kaisareia en grec byzantin. Prise par les Arabes, son nom devint Kaisariyeh. Incorporée à l’empire musulman au XVè siècle, elle garda son nom, mais adapté à la prononciation turque : Kayseri.
- Saragosse ( Espagne, capitale de l’Aragon). Salduba ( Pline l’Ancien), ville ibère, devint, par décision de l’empereur Auguste en 25 av. J.-C. , une colonie militaire avec le titre de Caesarea Augusta, qui fut bientôt réduit à Caesaraugusta. Ce nom fut conservé par les Maures, sous la forme Sarakusta quand ils devinrent maîtres de la ville en 713. Reconquise quatre siècles plus tard, elle garda son nom traditionnel mais adapté à l’usage espagnol sous la forme Saragoza.
Une a gardé la mémoire de Julius : La Cividade del Friuli italienne est un ancien forum Julii ( comme notre Fréjus ) qui a donné son nom au Frioul .
Constance et Constantin
- Constance ( Allemagne, Bade-Wurtenberg ) : poste militaire créé par l’empereur Constance Chlore Ier pour défendre le passage du Rhin. Constantia ( attesté au IXè s.) devient Kostenz en moyen haut allemand et la forme Constanz s’est imposée au XVè s., francisée en Constance. Elle a récemment donné son nom français au lac, où Madame promène son spleen.
- Constantine (Algérie) Ancienne ville du royaume numide, elle devient colonie romaine avant d’être détruite en 311 apr. J.-C. lors de l’intervention de Maxence contre l’usurpateur Domitius Alexander. C’est l’empereur Constantin qui la fit reconstruire et embellir, en souvenir de quoi elle prit le nom de Constantina.
Constanza (port de Roumanie sur la mer Noire) : colonie grecque de Millet fondée entre les VIIè et Vè siècles av. J.-C. elle était nommée par les auteurs grecs Tomis ou Tomeon polis sans étymologie certaine. Un rapprochement avec tomos, « morceau », est à l’origine de de la légende étymologique selon laquelle Médée y aurait découpé le corps de son frère Apsyrtos. L’historien Procope (500-565) mentionne, au début de l’époque byzantine, une ville en Scythe Mineure qu’il appelle Konstantiana, manifestement en rapport avec l’empereur Constantin. Tomis ayant été détruite par les Bulgares et une nouvelle ville s’étant développée sur ses ruines, le nom de Konstantiana lui fut étendu.
-
Richard Karlovich ZOMMER (1866-1939) Mosquée à Istanbul. Istanbul (Turquie) : colonie grecque de Mégariens établie en 667 av. J.-C. à l’endroit qui commandait le passage vers la mer Noire, son nom en grec ancien était Byzantion devenu notre Byzance, sans étymologie connue. Choisie en 330 par l’empereur Constantin Ier le Grand comme nouvelle capitale de son empire, elle fut appelée, en grec, Konstantinoupolis et, en latin, Constantinopolis à l’origine de notre Constantinople. Lorsque les Turcs au XVè siècle en firent la capitale de l’Empire ottoman, ils utilisèrent la forme Konstantaniye pour la nommer mais on trouve ensuite plus couramment la forme Istanbul qui serait une altération du nom grec, hypothèse fortifiée par la forme arabe intermédiaire Astanbulin.
Tibère
Tibériade, ville d’Israël sur la rive occidentale du lac de même nom, s’appelait en hébreu dans l’Ancien Testament Keneret ou Kinneret, d’étymologie inconnue. Dans le Nouveau Testament on trouve une appellation Genesareth, que l’on suppose araméenne. C’est Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, qui construit là, en 26 apr. J.-C., une nouvelle ville qu’il baptise Tiberias ( génitif –adis) en l’honneur de l’empereur Tibère, son protecteur et ami. Ce nom lui est resté comme en témoignent ses noms en hébreu israélien Tebarya ou Tivarya et en arabe Tabariyeh.
Si on me permet, je vais ajouter autres villes ibériques peut-être moins connues et reliées avec le billet :
* Asturica (une ville de León, la province éponyme de l’ancienne Legio VII Gemina romaine) a été rebaptisée comme Asturica Augusta par l’empereur Auguste et est aujourd’hui connue comme Astorga.
* Lorsque j’étais petit nous étudions que la ville où j’habite, Badajoz, était nommée Pax Augusta mais il semble erroné. Avec ce nom les Romains avaient baptisée la ville portugaise de Beja. Curieusement le gentilé des habitants des deux villes est « pacense », tiré de « Pax » et c’est le seul vestige linguistique qui nous reste du nom.
* Une autre ville d’Estrémadure avait Augustobriga comme nom. Quelques siècles après elle a été rebaptisée comme Talavera la Vieja. Malheureusement cette ville est disparue depuis 1960 parce qu’elle est engloutie par une retenue d’eau artificielle donc le nom n’est pas seulement ce qu’on a perdu. Autre Talavera (celle-ci de la Reina, en Toledo, et plus connue) était Caesarobriga, avec le même suffixe celte. C’est clair que son nom actuel n’a rien de romain. Les deux appartenaient à la région lusitaine.
*Si bien l’étymologie du nom actuel est discutée, Cáceres, la capitale de la province éponyme de ma région était Norba Caesarina, nommée à l’honneur du proconsul Norbanus et Jules César.
* Il y a une ville en Séville appelée Constantina. Cela m’a fait penser à une présumée origine romaine. Je n’ai trouvé que Pline l’ancien l’avait citée comme Constantia Iulia mais sans pouvoir savoir la justification du nom.
Pour finir, une petite nuance : votre Saragosse a trois « s » tandis que Zaragoza a deux « z ». Sinon il semble que Sara jouit (de)…
J’aimeJ’aime
Merci pour votre contribution, Jesús . Vous aurez compris qu’il m’était impossible de citer toutes les villes qui avaient porté un nom lié à un empereur romain.
En ce qui concerne Badajoz, mes dictionnaires donnent tous comme origine Pax Augusta qui sera corrompu par les Maures en Badakhus repris en espagnol Badajoz.
Le fait qu’une autre ville, la Beja lusitanienne, ait porté d’abord le nom de Pax Iula puis celui de Pax Augusta et Colonia Pacensis n’est pas contradictoire.
On a vu dans mon précédent billet qu plusieurs villes se sont appelées Augustodunum par exemple et, dans ce billet-ci, que plusieurs autres se sont appelées Caesaera.
J’aimeJ’aime
Hier même j’avais trouvé un article (faible à mon avis) d’un archéologue « pacense » où on peut lire qu’actuellement tous les auteurs semblent être en accord avec l’idée de que le terme arabe « Batalyaws » était la transcription d’un autre préromain et pas une corruption du latin « pax augusta », explication employée par la première fois en 1490 par le célèbre Nebrija. Il semble qu’on avait mélangé la Pax Iulia avec l’Emerita Augusta. Pourtant, et c’est la raison de cet article, un petit-neveu de Saladin qui n’avait jamais visité Al-Andalus était l’auteur de l’erreur attribuée à Nebrija.
De toute façon, je vais téléphoner un ami prof et historien pour savoir à quoi s’en tenir.
J’aimeJ’aime
Badajoz : il me semble avoir vu des images avec des panneaux demandant de faire attention aux paons qui se promènent
http://rosa-caceres.blogspot.fr/2009/04/rimas-de-la-palmera-palmeras-en-una.html
Ceux-ci , par contre, regardent passer le trafic 😉
http://www.lebloged-environnementdoelan.info/article-photos-insolites-1-sculptures-vegetales-paons-a-guidel-108117981.html
J’aimeJ’aime
L’Oxford concise dictionnary of world places names( édition 2005 ) donne en effet pour Badajoz la succession de noms suivante, hélas sans les dater : Pax Augusta, Batalyaws, Bax Augos, Badaljoz, en parlant de corruption du nom par les Maures.
C’est chez Adrian Room ( Placemanes of the World, édition 2006 ) que j’ai trouvé le nom arabe Badakhus, hélas aussi sans date.
Et s’il n’y avait pas de lien direct entre Pax Augusta et Batalyaws ?, mais que ce dernier nom n’ait été que temporaire ? On passerait alors de Pax Augusta à Badakhus ou Bax Augos et Batalyaws ne serait qu’un nom temporaire dont on ne connaît pas ( encore ?) la signification …
Quoi qu’il en soit je suis impatient d’attendre la réponse de votre prof d’histoire.
J’aimeJ’aime
>Jsp
Oui, des images j’en ai posté plusieurs fois.
>Leveto
Il semble qu’il n’y avait pas de ville romaine ici. Mais j’attends aussi mon ami.
J’aimeJ’aime
►Jesús
Je vois sur la page Badajoz en espagnol que les historiens se disputent en effet sur l’existence d’une ville romaine à cet emplacement…
C’est dans le dernier paragraphe des Guerras lusitanas.
Je me garderai bien de trancher.
J’aimeJ’aime
Il y a deux heures que j’ai pu parler avec l’ami prof et historien donc j’écris vite ce com.
Mon ami, Julián García Blanco , m’a confirmé que Badajoz n’a jamais été une cité romaine. On n’a trouvée ni de pierres tombales ni de pierres d’édifices publics ou de culte qui portent d’inscriptions où l’on puisse lire « Pax Augusta ». Badajoz n’a été qu’un petit hameau en ce temps-là.
Déjà en 1561 le prêtre et géographe portugais Gaspar Barreiros avait écrit à ce sujet dans sa « Chorographia » (en portugais ; excellent pour vous, Leveto) mais c’est évident que sans succès. Cette manipulation historique réfutée par Barreiros a été répandue jusqu’au s. XX. L’auteur parle de l’erreur de l’attribution de ce nom à Badajoz et assure que c’est Beja l’ancienne Pax Iulia. Le chapitre intitulé « (parte) Castella » (pas encore lu par moi) doit être la source de ce commentaire.
Selon mon ami, l’idée erronée et très répandue semble être née dans le berceau de l’Église ; comme tout le monde le sait, l’Église est experte en berceaux. Après la Reconquête, l’évêque de S. Jacques avait rivalisé avec l’évêché de Mérida, plus important en ce temps-là, et avait réussi à faire disparaitre cet évêché. En fait, l’archevêché de Mérida-Badajoz a été rétabli en 1994 par Jean Paul II. Mais, comme tout le monde le sait, il faut une cité (et une cathédrale) pour créer un évêché. Mérida était une cité depuis l’Antiquité et donc un diocèse aussi tandis que Badajoz ne l’était pas. Des rivalités territoriales et politiques ont aidé pour voler même le nom et le diocèse à Beja . Un curé et historien né en 1533 à Badajoz et fils d’un prêtre ( !), Rodrigo Dosma, semble être l’auteur de cette « mensonge ». Le diocèse avait été baptisé comme Pax Augusta donc notre gentilé n’est pas trop faux.
Il ne faut pas ajouter que Julián* reste à notre disposition pour tout renseignement. C’est mon ami, voyons !
* Pour l’anecdote, il est né à Peñalsordo (litt. Rocher du sourd), une ville très proche à Chillón (litt. Braillard) et à une ancienne cité romaine disparue « Mirobriga » qui portait le même nom que la romaine Ciudad Rodrigo.
J’aimeJ’aime
Merci pour ces éclaircissements, Jésús !
Cette histoire ne me réconcilie pas avec l’Église.
Par ailleurs je m’aperçois que la multiplication des dictionnaires ( j’en ai utilisé trois en comptant les deux que je mentionne plus haut plus le Robert des noms de lieux) ne suffit pas à découvrir la vérité quand ils racontent tous la même sornette…
Je n’ai pas encore feuilleté l’ouvrage de Gaspar Barreiros mais je garde le lien de côté et j’y reviendrai.
P.S. comme je n’utilise pas Facebook, je compte sur vous pour remercier votre ami Julián García Blanco.
J’aimeJ’aime
Vous savez le proverbe
italienuniversel : « Roma veduta, fede perduta. » Ils se sont appropriés de fêtes païennes, d’anciens temples… Une des plus belles mosquées du monde est dans l’ancienne Colonia Patricia Corduba, aujourd’hui Cordoue, consacrée après comme cathédrale mais connue toujours comme la mosquée de Cordoue. Voici une des dernières usurpations regrettables.Cet après-midi j’ai rencontré Julián et je lui ai remercié de nouveau après lui raconter la raison de ma question et lui parler de votre intéressant blog.
J’aimeJ’aime
Il existe un Camp Auguste qui n’est pas une cité et qui n’a rien d’un camp retranché romain, son nom relevant plutôt du camp sucrier, mais tant pis, je le mentionne quand même. Au bout du compte la partie la plus auguste du toponyme renvoie sans doute bien à l’empereur.
J’aimeJ’aime
Siganus, je note sur cette carte que votre Camp Auguste est le troisième sommet d’un triangle dont Verdun et Mon Désert sont les deux autres. Et j’ai beau chercher, je ne vois pas quelle conclusion en tirer.
P.S. il faut zoomer sur la carte.
J’aimeJ’aime
C’est pourtant simple : il s’agit d’une balise pour les Martiens.
Intéressant, cette carte Michelin en ligne, quand bien même elle comporte quelques erreurs.
J’aimeJ’aime