Après le poivre et le sel, que diriez-vous d’un petit tour parmi les autres condiments ? Je m’en tiendrai aux principaux d’entre eux que l’on trouve en France métropolitaine, laissant de côté ceux que nous importons de nos DOM-TOM et de l’étranger ( que nous verrons peut-être dans un autre billet).
■ la moutarde :
son nom latin sinapis, qui a donné notre sénevé, est à l’origine de celui de Sennevières ( I.-et-L., Seneparia au Vè siècle ), de Sennevoy-le-Bas et S.-le-Haut ( Yonne) et de quelques micro-toponymes comme les Sénevés ( à Saint-Illiers-le-Bois, Yv.), Séneval ( à Mouzon, Ardennes), Sénevière ( à Noyers-Bocage, Calv.), etc. et, avec redoublement du -n-, à de nombreux Sennevières. En revanche, Senneville-sur-Fécamp (Seine-Mar. ) et les quelques lieux-dits homonymes, constituent des faux amis puisqu’ils sont issus, comme Sainneville ( Seine-Mar) et Saigneville (Somme ) de l’ancien français Saisne, « Saxon ». Dans le Lot, Cénevières, représente bien, lui, un champ de moutarde, de l’ancien provençal senebe et suffixe -ièra.

Les noms de lieux-dits en Moutarde(s) sont difficiles à interpréter. Plutôt que de la plante elle-même, ces noms pourraient correspondre à des lieux de préparation de moût de vin avec lequel on broyait les grains de sénevé pour en faire la moutarde. Ce sens est évident pour la Moutarderie ( Merschers-sur-Gironde, Ch.-Mar.) ou pour la Corvée Moutarde (à Ville-en-Vernois, M.-et-M.) ou encore pour les quelques Moutardière répartis sur tout le territoire. C’est par allusion au moût de vin que le dérivé mostardièr a désigné l’ivrogne et que Mostardier est le sobriquet collectif des habitants de Saint-Martin et de Roquefort, dans l’Aude.
Comme le saunier marchand de sel et le pébrier marchand de poivre, la moutarde avait son sénebier ou sénevier, à l’origine de patronymes et, par conséquent de toponymes comme le Mas Sénébier ( Saintes-Maries-de-la-Mer, B.-du-R.).
Enfin, j’ai commis naguère une devinette dont la réponse Les Hurlus nous faisait découvrir le nom champenois de la moutarde blanche.
■ le fenouil :
cette plante aromatique a été, à l’égal d’autres plantes de la garrigue ( thym, romarin, lavande, sarriette) l’objet d’extraction d’essence. Elle entrait dans la composition des « épices de cuisine » pour accommoder le porc ( avec romarin, sarriette, sauge et cannelle) mais aussi dans celle des « épices de chambre » sous forme de dragées et de bonbons. On trouve les communes de Fenouillet ( H.-Gar. et P.-O. ), Fenouillet-du-Razès ( Aude ), ainsi que Saint-Paul-de-Fenouillet et Saint-Martin-de-Fenouillet (P.-O.) où « fenouillet » est issu du latin fenuculum accompagné du suffixe collectif -etum. Un peu plus caché, le même composé a donné son nom à Fauillet (L.-et-G.) tandis qu’avec le suffixe -arium a été formé le nom de Le Fenouiller ( Vendée). Le pluriel de l’ancien occitan fenolh a donné son nom à Fenols (Tarn). Les micro-toponymes du type la Fénolière ( à Ménil, May.), Fenouillère(s), Fenouillède(s), el Fenollar ( à Calce, P.-O.), etc. sont très nombreux et répartis sur l’ensemble du territoire.

■ le thym :
on trouve moins de dix lieux-dits le Thym en pays de langue d’oïl. L’occitan, qui n’ignore pas les termes de thym ( tin, tim en Gascogne ) et de serpolet ( serpol ) a fait la part belle à farigola/frigola inconnu du latin classique en tant que nom de plante. Fericula, diminutif de fera, « bête sauvage », désignait le petit animal ; et c’est le sens de « petite herbe sauvage » que le latin populaire a introduit en Gaule, qui finit par se fixer dans la désignation du thym sous sa forme méridionale farigoule ou frigolet. On retrouve ces noms dans des toponymes comme à l’abbaye de Saint-Michel-de-Frigolet à Tarascon (B.-du-R.), la Farigoule à Lauret (Hér.), El Farigolar à Espira-de-l’Agly ( P.-O.), Farigouyé à Saumane-de-Vaucluse ( Vauc.), Férigoulet à Arles ( B.-de-R.), Frigouret à Villecroze ( Var ), Frigoulète à Cornillon ( Gard ), Frigoulas à Uzès ( Gard ) et bien d’autres.
Dans le Sud-Ouest ( Landes et Pyrénées-Atlantiques ) le thym est aussi appelé pimbou d’où le nom de Pimbo ( Landes ) et un lieu-dit Pimbo à Castelbon (P.-O.).
■ le romarin :
les micro-toponymes du type le Romarin ou les Romarins se retrouvent bien entendu surtout en pays de langue d’oc mais on peut en rencontrer jusque dans le Nord ( à Locquignol, à Morbecque ), dans l’Oise ( à Russy-Bémont, …), etc. La forme occitane romanin se retrouve par exemple au Romanin et au Petit Romanin à Xaintrailles ( L.-et-G.) ou encore à Saint-Rémy-de-Provence où sont les Château, Mas, Mas Neuf et Mazet de Romanin.

■ l’ail :
les lieux plantés d’aulx ont donné très peu de toponymes : Aillières-Beauvoir ( Sarthe, Allerias au XIIè siècle) et les micro-toponymes du même type correspondent bien au français dialectal *aillère, « ( terre ) propre à la culture de l’ail », comme quelques micro-toponymes du type Aillerie (s). Les autres noms où apparait « ail » sont pour la plupart des faux-amis issus du nom propre latin Alius ( comme pour le Cap-d’Ail des Alpes-Mar.), de la forme dialectale de l’Est pour Stéphane ( comme à Saint-Ail en M.-et-M. qui était S. Stephanus en 1544) ou d’un nom propre germanique Agilo ( comme à Ailleville, Aube).
■ l’oignon :
Le latin classique caepa, désignant l’oignon, a abouti à l’ancien français cive et à l’occitan cèba, avant que « oignon », du latin unionem, n’ait la prépondérance. On peut ranger sans hésitation dans les terroirs producteurs d’oignons Lézignan-la-Cèbe ( Hérault, Loci de lezignano Coepoe en 1497 ) et Valcebollère ( P.-O., avec le diminutif cebolla pour ciboule ). Tous les autres toponymes peuvent prêter à confusion avec des dérivés du latin cippus, « pieu » ( comme Cepet, H.-Gar.) ou « cep ( de vigne ) » ( comme Lacépède, L.-et-G.) ou même avec un anthroponyme latin Ceppius ( comme Cépie, Aude).
■ le persil :
le nom du persil se retrouve dans des lieux-dits comme Persil, le Champ Persil (Vathiménil, M.-et-M. ), Persillière (s ), Persillerie ( s ) et quelques autres.

L’équivalent languedocien juvert ( avec ses variantes jaubert, jauvert, joubert, jolvert, etc. ) a fourni de nombreux noms de lieux-dits de type Jaubert, Jaubertie ( s ), Jaubertière ( s ), Joubertière ( s ), etc. dont certains peuvent aussi faire référence à un patronyme formé du radical Gaut désignant un Goth [ Gaubert est ainsi le « Goth ( gaut ) illustre ( berht ) » ] ou bien d’un radical germanique gal impliquant l’idée de bonheur.

Mise à jour du 15/07/2019 à 18:26 ( merci TRS !)
Le nom au pluriel d’une des plantes citées dans le billet, précédé d’une préposition auquel elle est agglutinée, a fourni celui d’une commune de France métropolitaine d’un peu plus d’un millier d’habitants. Le résultat de cette composition est que le toponyme commence et finit à l’écrit par la même syllabe les mêmes deux lettres dont la prononciation locale diffère pourtant. S’il s’agissait par exemple de choux, le toponyme signifierait quelque chose comme « dans les choux ».
Cette étymologie, bien que donnée par la mairie, n’est pas à son goût : elle en préfère une autre, donnée par un érudit local, toujours en rapport avec l’agriculture mais qui n’a pas les honneurs des dictionnaires de référence * — et en cite même une troisième tout à fait fantaisiste.
Quelle est cette commune ?
( Non, pas d’indice : j’en ai déjà beaucoup dit! )
*cf.ma bibliographie.
Oui
Mais quelle motte !
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In ze Vaucluse :
La Motte-d’Aigues , La Grande-Motte et la Petite-Motte à Lamotte-du-Rhône , La Motte à Rasteau, La Motte à Flassan …
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grandes ou petites les mottes d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les mottes d’hier.


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50 com max !
Plus faut comprendre et chercher
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> TRA et l’Île de la Motte
Stool Pigeon, diligenté par mes soins, avait pour mission de me présenter la stricte liste des lieux-dits « LA MOTTE »… et pas celle de toutes les combinaisons possibles. Je déteste être encombré !
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>Leveto et Flassan (84)
Stool Pigeon me présente maintenant la fiche FLASSAN, avec ses 62 lieux-dits et sans aucun LA MOTTE.
Par contre, on y trouve un LA MOUTTE. Cette moutte n’est d’ailleurs pas unique dans le Vaucluse ; il en existe une autre à Gigondas.
Au total, 41 attestations de LA MOUTTE en France dont 15 pour la seule PACA. Joli score !
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Dieu merci, il y a WIKI pour déniaiser le retraité qui n’avait jamais entendu causer de ces « mouttes »… WIKI et ce brave Nègre :
Ces deux-là auront-ils suffi à rasséréner le pensionné ?… Hélas non ! car le voici maintenant gagné par la plus néfaste perplexitude :
1.Il avait, en toute bonne foi, évoqué le « LA MOTTE » de Rasteau (84)
2.Les Archives départementales du Vaucluse le désavouent : la motte locale et actuelle ne serait qu’une « moutte » qu’on aurait maquillée.
Extrait*:
A quels seins et à quelles mottes faut-il donc se vouer ?… et La Motte-du-Caire (04) saura-t-elle encore me plaire** ?
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* http://earchives.vaucluse.fr/archives/search?filter_field=dyndescr_cGeogname_liste-toponyme&filter_value=Moutte+%28la%29+%28Rasteau%2C+Vaucluse%2C+France%29
** Pour des raisons particulières, j’aime beaucoup La Motte-du-Caire, si proche de Sisteron.
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TDF
Moutte ( version occitane ) et Motte sont de parfaits synonymes.
Pour m’y être arrêté déjeuner, je suis sûr d’avoir vu une rue de La Motte à Rasteau.
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Les deux termes « motte » et « moutte » ne sont que deux variantes.
Le « o » évolue très facilement en « ou » : c’est ainsi qu’en dialecte saintongeais on dit « Cougnâ » pour « Cognac » et une « poume » pour une « pomme ».
Les topographes ont par ailleurs tendance à « franciser » les toponymes locaux : j’ai pu ainsi, par exemple, voir un lieu-dit « la Grand Bonne » (prononciation des gens du lieu, dont moi) devenir sur la carte IGN « la Grand Borne ».
[Sans parler de véritables erreurs : la bourgade de « Port-des-Barques », à l’embouchure de la Charente, fut rebaptisée, au moins pur un temps, « Port-des-Parques » (oeuvre d’un cartographe trop amateur de mythologie grecque ?)]
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Je me rappelle aussi que, chez moi, lorsque l’on disait qu’un agriculteur possédait une motte, il ne s’agissait pas d’une motte castrale, mais d’une terre qui possédait des caractéristiques particulières (plutôt propres à des cultures maraîchères, me semble-t-il).
Il est vraisemblable que certains micro-toponymes du type « la Motte à Untel » relèvent de ce sens-là (au moins dans ma région).
[De la même façon, une « rivière » était un terrain sis en bord de rivière (la Seudre, en l’occurrence), particulièrement fertile, où les paysans cultivaient des légumes.]
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D’ailleurs, en consultant la fiche de WP consacrée à la commune des Mathes, je trouve cette étymologie (dont j’espère qu’elle est moins fantaisiste que celle donnée pour l’île Lavrec), qui a peut-être quelque rapport avec ce que je viens d’évoquer :
« Du saintongeais motte, indiquant des terres marécageuses, et se rapportant probablement au fait que le village médiéval était bâti sur une île au milieu du vaste étang de Barbareu, asséché depuis. »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mathes#Toponymie
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►TRA
en ce qui concerne Les Mathes (Ch.-Mar.), je pense* qu’il faut plutôt aller chercher du côté du pré-celtique *matta, « buisson » qui a donné l’oïl mate et l’oc mata , « touffe, cépée,buisson, bouquet d’arbres ».
Même origine que Matha ( Ch.-Mar. ), Les Mattes ( à Claret, Hér.), Les Matelles ( Hér.) ou encore Matemale (P.-O. ) et p.-ê. Mathons ( H.-M. )
*TGF, DÉNLF
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