Le tilleul

Je poursuis aujourd’hui ma promenade dans les bois — après l’aulne, le hêtre, le chêne, le figuier et d’autres que je vous laisse chercher — avec le tilleul. Même si on peut le rencontrer en forêt, sans doute autrefois plus que maintenant, on le trouve plus souvent planté en solitaire, dans la cour de la ferme, dans le parc du château ou sur la place du village aussi bien pour son ombrage que pour les vertus médicinales de ses fleurs ou feuilles employées en infusions calmantes. On ne sera donc pas étonné de sa nombreuse présence en toponymie, raison pour laquelle je me cantonnerai aux noms de communes, laissant de côté l’innombrable cohorte des micro-toponymes.

tilleul

Le tilleul isolé

Le tilleul était désigné en latin classique par le nom féminin tilia (  d’où sont aussi issus la teille et le teillage  par exemple). Les formes tel, til de l’ancien français et telh, tilh de l’occitan, sont issues du masculin *tilius en latin populaire. C’est le diminutif *tiliolus de ce dernier mot qui a fourni le « tilleul » français et l’occitan tilhòl. Assez curieusement, ce nom a été écrit avec un th pseudo-savant d’assez bonne heure ( en 1398 pour Thil donnant They, M.-et-M.). On le trouve sous différentes formes :

  • Le Teil ( Ardèche, de l’occitan telh ) ;
  • Le Theil ( Allier, Manche, Orne ), Le T.-Bocage et Le T.-en-Auge ( Calv.), Le T.-de-Bretagne ( I.-et-V. ) et Le T.-Nolent ( Eure, avec Nolent du nom de personne germanique issu de not, « besoin, nécessité » et land, « pays ») ; Le Bosc-du-Theil  et La Haye-du-Theil, tous deux dans l’Eure, et Beautheil-Saints ( S.-et-M. ) complètent cette liste ;
  • Theil-Rabier ( Char, avec Rabier du nom de personnage germanique Ricber de  ric, « puissant », et ber, « ours » ) et T.-sur-Vanne ( Yonne ) ;
  • They-sous-Vaudemont ( M.-et-M., avec Wadonimons en 1127, du nom d’homme germanique Wado et mons, « montagne, colline » ) et T.-sous-Montfort ( Vosges ) ;
  • Thiel-sur-Acolin ( Allier ) ;
  • Thieux ( Oise, S.-et-M. ) ;
  • Thil ( Ain, Aube, H.-Gar., Marne, M.-et-M. ), T.-sur-Arroux ( S.-et-L., Arroux de l’hydronyme pré-celtique *atur ), T.-Manneville ( S.-Mar., avec le francique Mano et le latin villa : c’était le domaine de Mano ), Le T.-Riberpré ( S.-Mar., avec le patronyme Riberpré désignant le propriétaire d’un pré au bord d’une rivière ) et Le Thil ( Eure ) ; Thil entre comme déterminant  dans les noms de Aisy-sous-T. ( homme latin Acius et acum ), Marcigny-sous-T. ( Marcinius et acum ), Nan-sous-T. ( gaulois nantos, « vallée, ravin » ), Précy-sous-T. ( Priscius et acum ) et Vic-sous-T. ( latin vicus ), tous en Côte-d’Or, et de Thonne-le-T. dans la Meuse ( Thonne, nom de rivière passé au village) ;
  • Tilh ( Landes, du gascon tilh ) ;
  • Tillé ( Oise ), noté Tilleum en 1179, l’attraction du suffixe collectif -etum ou du diminutif en -et a conduit à écrire Tilliet en 1350 et Tillé en 1595.

le teil

Le bois de tilleuls

Le suffixe collectif latin  -etum est à l’origine d’un *tilietum qui a lui aussi fourni de nombreux toponymes de formes très variées :

  • Taillet ( Pyr.-O.), en catalan Tellet, est bien un « ensemble de tilleuls » ;
  • Teilhet ( Ariège, P.-de-D. ) ;
  • Teillay ( I.-et-V. ) ;
  • Teillé ( L.-Atl., Sarthe ) ;
  • Teillet (Tarn ), T.-Argenty ( Allier, Argenty du nom d’homme latin Argentius et acum ) ;
  • Theillay  ( L.-et-C.) ;
  • Thilay ( Ardennes ), Le Thilay ( Val-d’Oise ) ;
  • Thillois ( Marne ) ;
  • Tillay-le-Peneux ( E.-et-L., Tigletus Paganorum en 914, avec Peneux, de paganus, « paysan » ) ;
  • Tilloy-et-Bellay ( Marne ), T-lès-Cambrai (Nord ),  T.-les-Hermaville (P.-de-C. ), T.-lez-Marchiennes (Nord, avec Marcianis en 813, du nom d’homme latin Marcius et suffixe –ana ), T.-lès-Mofflaines ( P.-de-C.) ;
  • Tilly ( Eure ) est un exemple type de la confusion qui peut se produire pour les noms du même genre : d’abord noté Teillet en 1030, qui en fait un bois de tilleuls, le nom est modifié en Tilliacum en 1221, qui en fait le domaine de Tilius. Il en est ainsi de Tilly ( Indre, Yv. ),  T.-Capelle ( P.-de-C. ), T.-la-Campagne ( Calv. ), T.-sur-Meuse ( Meuse ) et T.-sur-Seulles ( Calv. ). Le doute est moins grand pour Tillac ( Gers ) dont le suffixe issu de –acum plaide pour « le domaine de Tilius ».
  • Teilhède ( P.-de-D. ) est l’équivalent de *tili-eta avec la forme occitane -eda. du suffixe.

Les autres suffixations

  • suffixe diminutif -ottum : Teillots ( Dord. ), Thillot ( Meuse ), Le Thillot ( Vosges ) ;
  • suffixe -olum, donnant le français « tilleul » : Le Teilleul ( Manche ), Thilleux ( H.-Marne ), Les Thilliers-en-Vexin ( Le Tilleel  en 1367, Eure ), Le Tilleul (S.-Mar.), Tilleul-Dame-Agnès (Eure ), Tilleul-Lambert ( id.), Tilleux ( Vosges ) ;
  • suffixe – olum suivi du collectif –etum : Tilloloy ( Somme) ;
  • suffixe -arium, -aria : Tellières-le-Plessis ( Orne ) ; notons une forêt de la Tillière à Saint-Julien dans les Vosges ;
  • suffixe -osa à valeur collective avec le sens de « riche en » : Thilouze ( I.-et-L. ), Tilhouse ( H.-Pyr. ).

Les langues régionales

Le breton et les langues d’oc utilisent des mots dérivés du latin tilia pour désigner le tilleul et les toponymes correspondants ont été vus dans les paragraphes précédents. Les langues germaniques, y compris le vieux norrois parlé en Normandie, utilisaient une racine lind/t pour désigner cet arbre :

Lindre-Basse et Lindre-Haute ( Moselle ) comme Lynde ( Nord ) sont vraisemblablement issus du germanique linta , allemand Linde , « tilleul », avec attraction des suffixes en -indre pour les deux premiers..
Le nom de Lindebeuf ( S.-Mar.. ), noté Lindebuet en 1172, est issu du vieux norrois lind , « tilleul » , et du vieux saxon both , « abri, maison ».
Le nom de Lintot ( S.-Mar.) est lui aussi issu de ce même norrois lind , « tilleul », accompagné cette fois du scandinave topt , « terrain à bâtir, masure ».

NB : ce paragraphe a été ajouté le 23/04/2020 après les commentaires de TRS et TRA sur le billet « Jouer au confinement et solitairement ». Merci à eux.

point-d-interrogation-sur-le-clavier-nb10411

La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’un village de France métropolitaine dont l’étymologie fait appel au *tilius latin suffixé. La préposition locative qui précédait le nom initial a été plus tard mal comprise et s’y est agglutinée. Plus tard encore, on fit précéder ce nouveau nom d’un article, provoquant une certaine redondance passant aujourd’hui inaperçue.

Des indices ?

■ Un manoir du XVè siècle, situé sur la territoire de la commune, porte un nom qui fait référence à un lieu planté d’arbres … autres que des tilleuls.

■ Aucune personnalité connue qui y serait née, morte ou simplement inhumée, ne figure au panthéon de la commune : pas facile dans ces conditions de donner des indices !

■ Il y a quand même une église dédiée à Notre-Dame …

■ Une gravure, pour le pays, tout de même :

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Réponses attendues chez leveto@sfr.fr

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4 commentaires sur “Le tilleul

  1. Bonjour Leveto,

    Je n’ai évidemment pas résolu votre devinette : une gravure me montrant un arpenteur pour signifier « une région « , ça ne m’inspire pas !
    L’indice « Notre-Dame »… non plus, tout juste un vague souvenir de Notre-Dame du Thil, ancienne commune qui m’a forcément connu durant les cinq années que j’ai passées à Beauvais.
    Ensuite, à cause de la préposition attachée, j’en suis venu à envisager Duteil (chanteur), Dutilleux (compositeur) et enfin Delteil (auteur considérable) :

    Mes aïeux vivaient entre les Pyrénées et l’Océan. A la recherche des rivières poissonneuses, des gués à rennes, des grottes à ours. Mon arrière grand-père, le magdalénien, naquit en l’an 25 000 av J.-C., du côté de la Dordogne. Il procréa sous un tilleul, d’où Delteil, du Tilleul…

    Pour coller à votre énoncé, ne manquaient qu’un suffixe et un article.
    – Pas de souci… et hop !… en un tournemain, j’obtiens LA DELTHEILLERIE, un endroit fameux situé dans l’Hérault, et autrement connu que bien des toponymes attestés qui ont figuré chez VVLT.

    Hélas, dans ces régions méridionales si mal dégrossies, on néglige trop souvent le patrimoine :

    N’empêche que cette modeste et paléolithique DELTHEILLERIE, avec son ajout d’un H, a su accéder à la « grandiosité « dans un patelin du département voisin, une dérisoire entité territoriale de moins de 30 administrés… à savoir, VILLAR-EN-VAL (11 414) :

    https://www.ladepeche.fr/article/2014/07/01/1910673-les-20-ans-de-la-grande-deltheillerie.html

    Mais en voilà assez pour aujourd’hui… et j’ai déjà suffisamment dit ici, autrefois, tout ce que Delteil et sa Jeanne m’avaient donné de satisfaction(s).

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  2. Le tilleul a donné également plusieurs patronymes : Duthil, Tilloy, Tillieux (et, sans doute, d’autres).

    Au dernier se rattachent pour moi des souvenirs d’enfance : grand lecteur de Spirou, j’attendais avec impatience les aventures de Gil Jourdan (ce n’est que plus tard que je découvris Félix et alii).

    En ce temps-là, ce journal regorgeait de talents.
    Je ne saurais dire quel créateur me plaisait le plus.
    Est-ce Morris ?
    Est-ce Peyo ?
    Est-ce Franquin ?

    Ou bien (même si nous aimions les précédents , et surtout tout ce qui tournait autour de Champignac et de son château) de façon effrénée, oublions-les) est-ce Tillieux ?

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