Seul LGF m’a donné la réponse à ma dernière devinette. Bravo à lui !
Dans un de ses commentaires, Brosseur remarquait que l’énoncé ne précisait pas si le lieu à trouver se situait ou non en France métropolitaine. Bien vu !
Il fallait trouver Gruyères, une commune du canton de Fribourg en Suisse.
Depuis le Moyen Âge, cette commune fait figurer une grue sur ses armories qui en deviennent ainsi « parlantes » : il n’est pas besoin de savoir lire, la seule vision d’une grue suffit à identifier la localité comme étant Gruyères.
Sur une pièce de monnaie de 1552
Deux hypothèses ont été proposées pour expliquer ce nom dont on connaît les formes anciennes Gruerico (1101-11200), de Grueri (1138-1139) et de Grueria (1142).
♦ Stéphane Gendron (Animaux et noms de lieux, Errance, 2010) explique, à propos des grues : « parmi les noms à valeur collective rappelant la présence temporaire de ces échassiers migrateurs, le plus fameux est Gruyères, commune de la Suisse romande (de Grueria en 1285). D’ailleurs, la grue figure depuis le Moyen Âge sur les armes de la ville. Ajoutons son homonyme ardennais Gruyères (Grueariae au XIè siècle), Gruyères à Cormoz (Ain, apud Gruerias en 1416) et le Moulin de la Gruyère, moulin à vent de Piney (Aube, moulin de la Gruière chez Cassini). ». On pourra quand même s’étonner que le fait de voir figurer une grue sur les armes de la ville soit considéré comme une preuve de l’étymologie avancée : c’est faire peu de cas des nombreuses étymologies populaires à l’origine de telles armes. Cette étymologie avait été proposée par Andres Mark Kristol (Dictionnaire toponymique des communes suisses, Payot, 2005) et reprise par Jacques E. Merceron (LaVieille Carcas de Carcassonne, le Seuil, 2006). Ce dernier parle du latin grus, « grue », suivi du suffixe aria pour désigner un « endroit fréquenté par les grues » et ajoute néanmoins : « mais comme les grues sont plutôt rares en Suisse, il faut plutôt comprendre “ endroit où l’on a vu une grue ” ou, métaphoriquement, “ ville perchée sur une hauteur ” ». Un coup d’œil sur la carte des migrations et des sites d’hivernage des grues nous confirme que la Suisse n’en fait pas partie.
S. Gendron (op. cit.), à propos de gruyer, précise quant à lui qu’« il ne doit pas être confondu avec le seigneur gruyer, celui qui bénéficie d’un droit d’usage sur les bois de ses vassaux (et son dérivé gruerie “ privilège royal ou seigneurial sur les bois ”) ». Voilà qui nous amène à l’autre hypothèse étymologique.
♦ Comme il est expliqué sur la page wikipedia consacrée au Comté de Gruyère :
Les anciens pagus gallo-romains ayant pris le nom de Gau, un des premiers officiers de cette subdivision territoriale, gouvernée par Rodolphe Ier de Bourgogne, est Turimbert, nommé comte d’Ogo ou Hochgau (traduit par : Haut-Pays, Gau étant un terme vieux francique désignant une division politico-géographique d’une nation, l’équivalent d’un district). Ogo est l’ancien nom du comté de Gruyère occupant la totalité de la haute vallée de la Sarine dont le chef-lieu est le Château-d’Œx dans le Canton de Vaud, où le comte exercera le droit de justice pour les eaux et la forêt, cet office est désigné sous le nom de Gruerie, avec le temps il deviendra le nom propre de la famille de Gruyère qui portera le titre de comte dès le IXe siècle comme le prouve la charte de fondation du prieuré de Rougemont. À cette époque il était courant qu’un grand officier, nommé « forestarii« , soit investi de cette charge pour assurer l’inspection et la conservation des forêts. Avec l’affaiblissement du pouvoir royal les Grands-Gruyers, ou comtes-forestiers, rendront leurs titres héréditaires et s’érigeront en seigneurs. »
Les lecteurs soucieux de vérifier par eux-mêmes sont invités à lire cet extrait
(Jean Joseph Hisely, Histoire du comté de Gruyère, vol. 10, page 6, 1885)
Ou encore, du même auteur, les pages 48-49 de son Introduction à l’histoire du comté de Gruyère.
Les termes grieur, gruier et gruyer sont attestés en ancien français (Dictionnaire dit de Godefroy) avec le sens de « garde-forêts », de même que gruerie, qui est la juridiction d’un gruier. Ces mots sont issus de l´ancien haut allemand gruoni, germanique *grônia, « vert ». Le même parallèle avec la couleur verte se retrouve dans le nom français du verdier, « garde-forestier et garde-chasse chargé de juger les délits qui y sont commis ». (Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs, Henri Suter).
On aura remarqué que le comté porte le nom de Gruyère au singulier tandis que le nom de la commune est muni d’un s terminal. Je n’ai pas d’explication et aucun des auteurs que j’ai lus ne s’attarde sur cette différence.
Les indices
■ le chef-lieu de canton (suisse) Fribourg porte un nom issu de l’allemand frei burg, soit « ville libre », rappelant les privilèges octroyés par son fondateur, le duc Berthold IV de Zaehringen en 1157.
■ l’héroïne Sylvie de ce roman se rend chez le garde-forestier. N’ayant pas lu ledit roman, je ne saurai pas vous dire si elle y a vu le loup.
■ la légende raconte que Gruyères fut fondée par un guerrier nommé Gruerius qui choisit la grue pour orner son blason. LGF m’a proposé à ce sujet cette lecture.(pp 92-93).
■ le Haut-Pays : cf. l’extrait de la page wiki cité plus haut.
■ l’affiche du film Alien, rappelait que H. R. Giger, le dessinateur de la créature, a fondé son propre musée à Gruyères.
■ la comptine du petit ver de terre n’était là que pour la présence d’une grue dans ses paroles (et parce que ça m’amusait).