Près de Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), dans la commune de Martiel, se trouve une abbaye cistercienne dont l’histoire est aussi celle de son nom.
À l’origine, au début du XIIè siècle, l’abbé Roger de l’abbaye de Dalon, en Limousin, demande à douze de ses religieux de fonder une nouvelle abbaye en un lieu désert.
Ces derniers arrivent le 21 mars 1123 au puech d’Elbes, à l’est duquel s’étendait une grande forêt infestée de brigands qui y multipliaient les atrocités et qu’on avait appelée Loc Diable (locus diaboli) – à moins que l’attribution du nom de diable ait été faite au lac situé près de l’actuelle abbaye (lacus diaboli). Un immense dolmen et un alignement de pierres levées, vestiges de cultes pré-chrétiens, accentuaient, dans l’esprit chrétien de l’époque, la croyance en un lieu diabolique. C’est là que les moines, pour conjurer la peur de tous, plantèrent une croix, précisément sur le dolmen, selon une pratique alors répandue de sanctification de lieux de culte pré-chrétien.
Le chef des douze moines, Guillaume, demanda alors à l’évêque Adhémar III de Rodez la permission de fonder une abbaye, ce qui lui fut accordé. Les Cisterciens y mirent tant d’ardeur qu’en dix ans à peine, assèchement des marais du voisinage, défrichements et construction de l’abbaye furent achevés.
En 1144, l’évêque Adhémar vint en visite à l’abbaye et lui donna le nom de Loc-Dieu, Locus Dei par opposition à Locus diaboli, pour montrer combien la foi chrétienne avait eu raison de la terreur (et des mécréants, par conséquent).
Propre aux fondations religieuses, particulièrement du XIIè siècle, on retrouve cette locution toponymique sous forme francisée avec Le Lieu-Dieu à Boulazac (Dord.), Lieudieu, une commune de l’Isère (Locus Dei au XIIè siècle) et, dans le domaine d’oïl, avec l’abbaye de Lieu-Dieu au sud-ouest de Beauchamps (Somme). Dans le même ordre idée, on connaît Lieusaint en Seine-et-Marne (locus sanctus au Xè siècle qui ferait référence aux rites gaulois qui se célébraient là mais qui pourrait aussi être un ancien sanctuaire ou cimetière).
La forme occitane lóc, « lieu », se rencontre encore avec Bouloc (bon lóc, « bon lieu » ) dans l’Aveyron à Salles-Curan, ancien siège d’une commanderie templière, Bouloc (H.-G.), Villeneuve-lès-Bouloc (id.) et Bouloc-en-Quercy (T.-et-G.). On trouve également Bonloc (P.-A.), une autre ancienne commanderie.
Mention particulière pour Jû-Belloc (Gers) dont le premier est le nom d’un ancien village dont l’étymologie fait débat : pour Dauzat&Rostaing (DENLF*) il s’agit du gascon jus, « inférieur, en aval », sens attesté dans le Dictionnaire de Godefroy et dans le Trésor du Félibrige et qu’on trouve par exemple dans les noms de trois lieux-dits Lajus en Pyrénées-Atlantiques, désignant une maison , « celle d’en bas » ; pour E. Nègre (TGF*), il s’agit du gascon jû, « joug, contrepoids d’une cloche, pour désigner la légère hauteur du village ». Chacun se fera son opinion
Mais c’est surtout avec bèl, « beau », que l’on trouve des noms composés comme ceux des communes de Belloc (Ariège) et Bellocq (P.-A., site d’un ancien monastère, Pulcher Locus en 1286) ainsi que de près de deux-cents lieux-dits.
Sous une forme francisée, on trouve le nom de Beaulieu, une abbaye au nord-ouest de Verfeil (H.-G.) ainsi que de nombreuses localités dans divers départements (Alpes-Maritimes, Ardèche, Ardennes, Calvados, Cantal, Charente, Corrèze, Deux-Sèvres, Gard, Hérault, Haute-Loire, Indre, Indre-et-Loire, Loiret, Maine-et-Loire, Mayenne, Nièvre, Orne, Oise, Puy-de-Dôme, Vendée, ouf !), sans oublier Neuville-lez-Beaulieu (Ardennes), Annesse-et-Beaulieu (Dord., Anessa en 1076, du gaulois ana, « marais » et diminutif itia), Ferrière-sur-Beaulieu (I.-et-L.) et Rejet-de-Beaulieu (Nord, « rejet » désignant un terrain vague, une terre non cultivée, une décharge publique) ainsi qu’une multitude de lieux-dits.
Vaut le détour, croyez-moi !
A contrario, on a nommé Triste-Loc un lieu-dit de Latrape (H.-G.) et Tristeloc un autre à Montesquieu-Volvestre (id.).
Enfin, citons Grand-Lieu, nom de trois lieux-dits dans la Loire-Atlantique, le Loiret et les Deux-Sèvres et Saint-Aignan-Grandlieu (L.-A.) ainsi que Groslieu à Alainville (Yv). Et terminons avec Mandelieu-la-Napoule (A.-M.), attesté Mandans locus vers 990, peut-être du latin mandantum, « confié, remis, livré » et locum (TGF*) ou du celtique manda, « hauteur, limite » (DENLF*).
*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.
Devinette
Il vous faudra trouver une localité de France métropolitaine dont le nom est lié au mot du jour, accompagné d’un adjectif qualificatif. Une légende locale raconte que ce nom rappelle celui d’un moine malade qui, à son retour de Rome, fonda là un monastère dédié au saint qui l’aurait guéri et dont il avait rapporté des reliques.
Le nom du chef-lieu du canton où se trouve cette localité, un terme générique pour désigner un groupement d’habitations, garde dans son déterminant la trace de son seigneur du Moyen Âge.
La région porte un nom dérivé de celui des Gaulois qui l’occupaient. Le nom de ces derniers a donné lieu à plusieurs interprétations : il serait lié à leur arme de prédilection, à un arbre ou encore aux hauteurs sur ou devant lesquelles ils se trouvaient.
■ Un premier indice :
■ Un deuxième indice en chanson :
Réponse attendue chez leveto@sfr.fr
Bonjour m Leveto
Voici la liste que je vous propose :
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d’abord , toutes mes excuses pour le lac sophron qui n’existe pas !
j’ai ressorti mon livre LA REGION DE SOPRON
il s’agit de SopRon ( ancienne ville de SCARBANTIA)
massif de sopron , ville ( odenburg ) le lac est celui de NEUSIEDL
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09 CAYCHAX
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58 CHIDDES
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38 ORNACIEUX
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38 CHOZEAU ( comme chozal ? Casa)
chaise ( casa ) du seigneur de chozeau:
case du seigneur de la case ?
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91 marcoussis
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74 montagne d’HIRMENTAZ
73 forêt de CORSUET ( aix)
cruet— suel / solium ?
Sur un site , Cret = mauvais , petit ???
solium = montagne terminée par un plateau ??
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84 Vaison-la-romaine
colline de PUYMIN
1) podium MINUS
OU
2) podium MINERVAE ?
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38 à chirens , forêt de BAVONNE
sur un site , des toponymes de chirens , je lis
BA + VONNE
celte ba = côteau ?
ET VONNE = rivière, fontaine ?
J’aurai plutôt vu une découpe : BAV + ONNE ?
–45 à Amilly rivière la GALISONNE ( entre l’Ouanne et le Loing )
68 REININGUE je lis sur ouiki :
1) » lieu de la source » gaulois RINO / REINO = source ????
2 ) médiéval RAINO ou RAGINO -INGEN ; nom d’homme germanique
( ragino, déjà vu pour d’autres toponymes)
merci , bonne semaine. merci encore
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►lecteur
■ 09 CAYCHAX
Il s’agit sans doute d’un ancien *Cassiacum, du nom d’homme latin Cassius et suffixe acum. À rapprocher de Caixon (H.-P .) formé avec le suffixe onem , et de Caysac (Lot) et Cayzac (H.-G.).
E. Nègre parle d’un pluriel occitan [lès kaishats ] qui serait attesté sur place au sens de « le taillis ». Je n’ai rien trouvé de ce genre dans les dicos à ma disposition.
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■ 58 CHIDDES
Chides au XIVè siècle, d’étymologie obscure pour D&R tandis que Nègre passe son tour. Alors, vous pensez, moi …
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■ 38 ORNACIEUX
Probablement du nom de personne latin Ornatius ( de ornatus , « paré, orné, distingué ») et suffixe acum
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■ 38 CHOZEAU ( comme chozal ? Casa)
chaise ( casa ) du seigneur de chozeau:
case du seigneur de la case ?
Chasaux au XIIIè siècle et Chosaz au XIVè siècle.
Issus du latin casalis , « relatif à la ferme », l’ancien occitan casal/chasal comme l’ancien français chesal , ont eu des sens divers et variés au cours des siècles. J’en parlais déjà dans ce billet
où l’iséroise Chozeau est citée (juste après la carte postale).
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■ 91 marcoussis
Marcocias vers 1100 puis Marchoucies vers 1179. Semble être issu du nom commun marcocia, marcouceia , attesté dans plusieurs documents médiévaux. Il s’agit d’un droit de pâture précoce, « depuis la mi-mars jusqu’au 1er mai », comme le précise un document daté de 1205. Cependant, une mention in Marcocinctum , de 845, fait difficulté (pour M. Mulon dans NLIF mais pas pour D&R dans DENLF) – mais il ne s’agit peut-être pas de Marcoussis ou bien il est possible que le nom ait changé entre le IXè et le XIIè siècle.
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■ 74 montagne d’HIRMENTAZ
Le village était anciennement Hermente, Hérémentaz, Irminte , du vieux français herm, erm , « terrain inculte ou en friche, qui était moins imposable qu´un champ cultivé », issu du latin eremus, grec erêmos, « désert, inhabité ».
■ 73 forêt de CORSUET ( aix)
cruet— suel / solium ?
Sur un site , Cret = mauvais , petit ???
solium = montagne terminée par un plateau ??
Le nom est attesté Culsuel en 1304, Crusuel en 1688, Cursoit en 1716 et enfin Grusuelle au XIXèsiècle. Il s’agit d’une montagne dominant le lac du Bourget.
Ce nom est composé des mots du patois savoisien cruè, cruet , « petit, chétif, mauvais », et suel, du latin solium, « montagne se terminant par un plateau » ( A. Gros, Dictionnaire étymologique des noms de lieux de la Savoie , éd. Bellay 1935)
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■ 84 Vaison-la-romaine
colline de PUYMIN
1) podium MINUS
OU
2) podium MINERVAE ?
Le débat n’est pas encore tranché, même si une majorité semble se faire autour du podium Minervae . En l’absence de forme suffisamment ancienne pour se faire une opinion, je me garderai bien de trancher.
On peut toutefois remarquer que le nom de la déesse apparaît dans celui de Minerve (Hér.) et de Ménerbes (Vauc.), mais sans apocope.
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■ 38 à chirens , forêt de BAVONNE
sur un site , des toponymes de chirens , je lis
BA + VONNE
celte ba = côteau ?
ET VONNE = rivière, fontaine ?
J’aurai plutôt vu une découpe : BAV + ONNE ?
Plutôt d’accord avec vous. Aucun des dictionnaires de gaulois dont je dispose ne donne ba pour « coteau » ni vonne pour cours d’eau.
J’aurais, comme vous, décomposé ce nom, toujours du gaulois, en bawa , « boue, fange », et suffixe hydronymique onno, « cours d’eau ».
■ –45 à Amilly rivière la GALISONNE ( entre l’Ouanne et le Loing )
Sans doute du gaulois gali , « bouillonner », et onno, « cours d’eau » (X. Delamarre). Le premier élément gali a pu signifier aussi « belette » ou encore « forte, brave », mais ces sens semblent moins convenir pour une rivière.
■ 68 REININGUE je lis sur ouiki :
1) » lieu de la source » gaulois RINO / REINO = source ????
2 ) médiéval RAINO ou RAGINO -INGEN ; nom d’homme germanique
( ragino, déjà vu pour d’autres toponymes)
Attesté Reiningen en 837 : c’est bien l’hypothèse du nom d’homme germanique avec suffixe ingenqu’il faut choisir : Raino (D&R) ou Ragino (E. Nègre), les deux sont également valables, impossible de trancher.
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