Abidjan (répàladev)

podium seul  LGF est le seul à m’avoir donné la bonne réponse à ma dernière devinette. Bravo à lui tout seul, donc.

Il fallait trouver Abidjan, ville fondée en 1903, capitale de la Côte-d’Ivoire jusqu’en 1983.

abidjan cote d'ivoire

Le site originel est un promontoire lagunaire d’une trentaine de mètres de haut (Le Plateau) occupé par quelques villages indigènes. Il est issu d’un repérage et d’un choix stratégiques précis réalisés en 1897. Le premier plan de lotissement date de 1903, au moment de la fondation, et concerne cette étroite presqu’île.

On découvre dans le Grand dictionnaire encyclopédique de la Côte-d’Ivoire (Raymond Borremans, Les Nouvelles Éditions Africaines, 1987) la légende à l’origine du nom de la ville rapportée par la tradition orale du peuple Ébrié.

Quand les premiers colons français sont arrivés là, ils auraient rencontré un groupe de femmes à qui ils auraient demandé d’où elles venaient. Elles auraient alors répondu, dans leur langue : « T’chan m’bi djan », c’est-à-dire : « On vient de récolter (djan) des feuilles (m’bi) ». L’incompréhension mutuelle fit que cette locution, quelque peu corrompue d’abord en Abijean, devint le nom de l’endroit, puis celui de la ville sous la forme Abidjan.

D’autres versions de cette même légende sont rapportées sur la page wiki consacrée à la ville, mettant en scène un vieil homme. On peut rajouter celle-ci, piochée dans l’eBizguides 2019 consacré à la Côte-d’Ivoire :

topo Abidjan

L’explication retenue aujourd’hui, plus vraisemblable, mentionne un ancien village ébrié appelé A-Bidjan, du nom d’une fraction des Tchamans (« les élus », dans leur propre langue), plus connus sous le sobriquet d’Ébriés (« les guerriers méchants ») donné par leurs voisins Abourés. Là aussi, un malentendu a fait que les Français venus prospecter crurent que ABidjan était le nom de l’endroit où ils se trouvaient tandis qu’il s’agissait de l’endroit d’où venait l’homme qu’ils interrogeaient, c’est-à-dire « le pays (préfixe locatif A) des Bidjans ».

Enfin, un rapport avec les Abidjis est cité par certains toponymistes (L. Deroy et M. Mulon, Dictionnaire de noms de Lieux, Le Robert, 1992) sans plus d’explication. Y aurait-il confusion avec les Bidjans ?

NB : Je parlais de Louis-Gustave Binger, l’éponyme de Bingerville, capitale de la Côte-d’Ivoire avant Abidjan, dans ce billet et je parlais du nom de la Côte-d’Ivoire dans celui-ci, ce qui ne nous rajeunit pas.

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Les indices

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■ ces trois petites sculptures d’éléphants en ivoire, mentionnées comme un « indice pour le pays », devaient faire penser à la Côte-d’Ivoire, bien sûr — et pas à la Thaïlande !

indice a 14 02 2023 ■ cette photo d’un taxi-brousse baptisé « S’en fout la mort « , à la portière duquel les cinéphiles auront reconnu Robert Dalban, est extraite du film  Le gentleman de Cocody avec Jean Marais que j’ai ôté de la photo sinon ça aurait été trop facile !

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Cocody est un quartier bien connu d’Abidjan.

indice b 14 02 2023 ■ cette sculpture en bronze d’une femme africaine portant un fagot sur la tête devait faire penser à la légende toponymique ou, au moins, à l’Afrique. J’ai hésité à vous proposer cette photo, mais je l’ai estimée trop « parlante » :

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De quelques malentendus

Le voici, le voilà, le billet du week-end … avec un peu de retard, pour cause de week-end prolongé.

Sète 1

Mais bon, quand on se réveille face à ça …

Le billet

Il y a à peine moins d’un lustre, je commençais un billet consacré aux étymologies populaire par ces quelques lignes :

Commençons ce billet par une anecdote racontée par  Albert Dauzat dans  Les Noms de Lieux — Origine et évolution, un ouvrage publié chez Delagrave en 1926 ( dont je n’ai, hélas!,  sur mes étagères que la réédition de 1947 …).

Voici l’anecdote :

Quelques exemples rapportés par Rochas [ Rochas (A. de ) Les noms de lieux-dits de l’arrondissement de Vienne, Paris-Tours ; 1880 ]  sont tellement extravagants qu’on croirait à des galéjades si l’on n’avait pas les précisions. Un officier avait demandé à un paysan provençal : « Quel est ce col ? », « Quelle est cette ferme ? ». Le brave homme avait répondu en patois, dans le premier cas : Lou sabé pas ( «  je ne le sais pas » ) et dans le second : Es la miéu ( « c’est la mienne » ). L’enquêteur prit ces phrases pour les noms demandés et inscrivit gravement sur la carte : col Loussabépas ; ferme Eslamiéu.

D’autres malentendus du même ordre sont à l’origine de toponymes moins anecdotiques. En voici quelques exemples :

Dakar (Sénégal) :

ce nom est issu du terme wolof dakhar, qui désigne le tamarinier. On raconte plaisamment que quand les premiers navigateurs européens abordèrent près de la pointe sud de la presqu’île du Cap Vert (c’étaient sans doute des Portugais au XVè siècle), ils demandèrent à des piroguiers indigènes le nom de l’endroit, mais ceux-ci crurent qu’on leur demandait le nom des grands arbres de la côte et ils répondirent n’dakar. Les autres étymologies proposées comme le wolof deuk raw, « terre de refuge », nom qui aurait été donné par les indigènes fuyant l’oppression coloniale, sont des réfections a posteriori sans base solide.  (voir ce billet).

Papeete (Tahiti, Polynésie Française) :

lors de la découverte de Tahiti en 1767, sa plus grosse agglomération indigène n’était qu’un petit village côtier qu’il fallut bien nommer. Lorsque les découvreurs demandèrent son nom en pointant leur doigt dans sa direction, les indigènes crurent qu’ils montraient des femmes qui venaient du ruisseau voisin chargées d’eau douce dans des récipients en tressage serré. Ils répondirent en tahitien pape ete :« c’est de l’eau ( pape ) dans des corbeilles (ete )» ou « ce sont des corbeilles d’eau » (ce qui nous permet incidemment de savoir que la corvée d’eau était réservée aux femmes …). Papeete était née, et plus personne ne sait aujourd’hui le nom que ses habitants donnaient  à leur village. (voir ce billet)

Alabama (États-Unis d’Amérique) :

Alabama aurait d’abord été le nom d’une localité indienne fortifiée découverte par l’explorateur espagnol Hernando de Soto en 1540. La forme actuelle serait une hispanisation d’Alibamo (ou Alibamon chez les anciens colons français) qui signifierait en langage indigène (choctaw) « Ici nous habitons ». C’est du moins l’explication officielle adoptée en 1868, le sceau de l’État portant l’inscription « Here we rest ». Mais une autre hypothèse plus vraisemblable traduit alabama comme issu de alba (herbes) amo (couper) : défrichement ou cueillette. (voir ce billet).

Après ce rappel de toponymes déjà vus, en voici quelques autres inédits sur ce blog :

Texas (États-Unis d’Amérique) :

ce plus grand des États-Unis d’Amérique après l’Alaska fut progressivement colonisé par les Espagnols aux XVIè et XVIIè siècles. Il fut d’abord une province de la Nouvelle-Espagne, puis du Mexique. C’est à cette époque que remonte le nom que les Espagnols écrivaient Texas ou Tejas, avec x et j notant une même fricative (cf. Mexico et Méjico). La prononciation avec x valant ks s’est imposée ultérieurement et s’est naturellement maintenue quand le Texas est devenu un état de l’Union en 1845. L’origine du nom Texas n’est pas connue avec certitude mais il semble que les Espagnols ( on raconte qu’il s’agit du frère franciscain Damian en 1690) aient pris pour un nom de pays le mot par lesquels les Indiens se présentaient et qui signifiait simplement « amis ». La quasi homophonie entre l’indien tejas et l’espagnol terras est sans doute pour beaucoup dans cette confusion.

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Pérou (espagnol Perú) :

ce pays d’Amérique du Sud recouvre une partie de l’ancien royaume des Incas, mais celui-ci ne s’appelait pas ainsi en quechua. L’origine exacte du nom du Pérou n’est pas connue avec certitude, malgré de nombreuses hypothèses. C’est le navigateur et explorateur espagnol Vasco Nuñez de Balboa qui, ayant franchi en 1513 l’isthme de Panama, entendit le premier parler du riche royaume des Incas, mais on ne sait en quels termes. Dès 1515 les Espagnols organisèrent des expéditions vers le sud, cherchant à rencontrer et à remonter des vallées à partir de la côte du Pacifique. C’est ans doute lors d’une de ces explorations que les conquistadors, s’informant auprès des indigènes, entendirent le mot piru ou peru, « fleuve, rivière », qu’ils prirent pour le nom du pays qu’ils cherchaient. Cette explication est confirmée par le témoignage de Garsilasco de la Vega, fils d’un capitaine espagnol et d’une princesse inca, qui écrit en 1609 (Comentarios reales de los Incas) que son pays a été appelé d’un nom quechua pelu signifiant « rivière ». Le guarani actuel dit piru ou biru pour « eau, rivière ». Quoi qu’il en soit, les Espagnols continuèrent à employer ce nom comme celui du pays. Ce fut tout à fait officiel quand fut créée, en 1543, la vice-royauté du Pérou, qui d’abord s’étendit à presque toute l’Amérique du Sud avant d’être amputée et réduite au Pérou actuel. L’étymologie du nom du Pérou donnée par wikipedia, qui fait appel au nom d’un cacique local, n’est pas documentée.

Gran Chaco (région d’Amérique du Sud) :

cette région d’Amérique du Sud s’étend en partie sur les territoires de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil et du Paraguay, entre les rivières Paraguay et Paraná à l’est, et l’Altiplano andin à l’ouest. Son nom est emprunté au quechua chacu qui désigne une manière de chasser pratiquée anciennement par les indigènes et qui consistait à encercler le gibier pour le forcer. Quand les conquérants espagnols du XVIè siècle entendirent ce mot, ils crurent qu’il signifiait « domaine de chasse » et l’appliquèrent à la région — comme si on avait appelé Vénerie les forêts soloniotes. Contrairement à ce que dit wikipedia, chaco ne veut pas dire « territoire de chasse ». Le nom de la région est précédé de l’adjectif espagnol gran, « grand », permettant ainsi de la distinguer de la province argentine du Chaco qui n’en est qu’une partie.

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Yucatán (presqu’île et État du Mexique) :

On sait que cette région fut découverte en 1517 par le conquistador Hernandez de Cordoba, mais on ne sait pas avec certitude d’où fut tiré son nom espagnol Yucatán. À défaut d’une étymologie contrôlable, on retient souvent une explication anecdotique. Un indigène à qui les Espagnols demandaient le nom du pays aurait répondu dans sa langue quelque chose signifiant « je ne comprends pas » que les Espagnols auraient noté Yucatán. C’est ce qu’écrit en 1541 le franciscain Toribio de Benavente dans son Histoire des indiens de la Nouvelle Espagne. Il est permis de douter de cette étymologie. Une autre explication voit dans ce nom un composé de deux mots locaux yuka, « tuer », et yetá, « beaucoup », rappelant l’extermination du peuple maya par les maladies et les conquistadors. Une troisième explication fait appel au yucca  dont les Mayas consommaient les fruits ou bien au yuca, nom tupi-guarani du manioc que les Mayas avaient peut-être adopté. D’autres explications ont été données, mais moins crédibles.

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La devinette

Il vous faudra trouver une localité non française.

L’ancien nom de cette localité est l’adaptation par ceux qui venaient y commercer d’une expression que les indigènes disaient dans la langue locale en signe de bienvenue.

Son nom moderne désigne, toujours dans la langue locale, le cours d’eau qui la borde.

Une base aérienne américaine avait été installée là pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a largement contribué au développement de la localité.

■ un indice :

indice a 04 02 2023

■ et un autre :

indice b 06 03 2023

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr

Manglieu (répàladev)

Une lectrice qui signe Xyla a rejoint LGF sur le podium des découvreurs de la bonne réponse à ma dernière devinette. Félicitations !

Dernière minute : à l’instant de publier, je reçois la bonne réponse de TRS ! Voilà donc le podium complété.

Il fallait trouver Manglieu, une commune du canton de Vic-le-Comte, dans le département du Puy-de-Dôme, en Auvergne.

local Manglieu-

Manglieu : Magnus locus en 818, Abbatia Magnilocensis en 846, Grantlieu au XIIIè siècle et enfin Manlieu au XVIIIè siècle. On voit sans difficulté dans ce nom l’adjectif latin magnus, « grand », suivi de locus , « lieu », désignant le plus souvent un monastère.

La légende locale qui fait d’un moine nommé Magnus le fondateur du village est racontée sur le site de la mairie et accessible en suivant ce lien.

Vic-le-Comte : simplement Vic en 1373 et Vicus en 1392, du latin vicus, « village ». la commune s’appela Vic-sur-Allier de 1792 à 1814. Le déterminant le-Comte, attribué dès 1801 et officialisé en 1814, rappelle que la commune a été capitale du comté d’Auvergne de 1213 à 1533 (wiki).

CPA vic-le-comte-

Qui se souvient encore des épiceries Le Familistère ? Et du Clacquesin, « le plus sain des apéritifs » ?

pffft ! Tout fout le camp …

Auvergne : ce pays a reçu plusieurs noms à partir du Vè siècle : Arverno regio et Arvernum chez Sidoine Apollinaire au milieu du Vè siècle, Arvernorum regione en 575-94 chez Grégoire de Tours, ex Arvernico pagum après 743. Tous ces noms sont formés sur celui de la ville capitale des Arvernes, Arverni, qui deviendra plus tard Clermont. Le Glossaire d’Endlicher (publié en 1836 par celui qui l’avait découvert, c’est un manuscrit qui remonte probablement au Vè siècle) définit le nom des Arverni, écrit Areuernus, comme ante obsta, que l’on peut traduire par « devant les obstacles ». Quand les Gaulois sont dans la plaine de la Limagne, à Gergovie ou ailleurs, ils font face aux obstacles que présente la chaîne des Puys. Ladite chaîne est alors une vaste forêt qui sépare la Limagne des Arvernes à l’Est, des plateaux vallonnés des Lémovices à l’Ouest. Le nom des Arverni repose probablement sur un composé gaulois are, « devant », ver, « sur » et suffixe no, que l’on peut alors traduire par « (ceux qui sont) devant ce qui est placé en haut». (P.-H. Billy, DNLF*).

D’autres hypothèses ont été émises concernant la signification du nom des Arvernes. On a proposé le gaulois are, « près de, devant » et verno , « aulnaie » : ce seraient alors les Gaulois de l’aulnaie (Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise : description linguistique, commentaire d’inscriptions choisies, éditions Errance, 2003).

On a également proposé de voir dans are-vernos une allusion par métonymie au bouclier en bois d’aulne qu’ils tenaient devant eux (Jacques Lacroix, Les noms d’origine gauloise : la Gaule des combats, éditions Errance, 2012).

*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.

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Les indices

 

indice 11 12 2022 ■ cette statue du chevalier d’Assas, célèbre pour le cri d’alerte « À moi, Auvergne, ce sont les ennemis ! » qu’on lui attribue à tort et qui fut poussé à la bataille de Clostercamp le 15 octobre 1760, devait orienter les recherches vers l’Auvergne (et pas vers Le Vigan ni vers Assas…).

la chanson des Choristes : une partie du film de Christophe Barratier a été tournée dans l’église de Manglieu.

indice c 13 12 2022  ■ le café à glands de chênes : le pharmacien Jean-Baptiste Bargoin (1813-1885) qui fit fortune avec le café de glands doux est né à Vic-le-Comte.

indice c 13 12 2022  ■ la papeterie de la Banque de France est installée à Vic-le-Comte.

Le mont Pipet (la répàladev)

TGF a rejoint TRA sur le podium des découvreurs de la solution à ma dernière devinette. Bravo à tous les deux !

Il fallait trouver le mont Pipet, une des collines de Vienne (Isère) qui a donné son nom au quartier, à une rue et à une traverse.

Le Dictionnaire topographique du département de l’Isère (Emmanuel Pilot de Thorey, 1921) nous donne les formes anciennes de ce nom suivantes : Pupet castellum au XIè siècle, Pupetum aux XII et XIIIè siècles et Pupeti Vienne. On y reconnait le diminutif du latin pupa vu dans le précédent billet, au sens topographique de mamelon, petite colline.

Notons l’étymologie pseudo-savante donnée par Nicolas Chorier dans Les Antiquitez de la ville de Vienne (livre V, 1659) : « il y eut depuis celuy de Pompeiacum que les Romains lui donnèrent, à cause de Pompée le Grand, qui y fit faire de nouvelles fortifications en son voyage d’Espagne contre Sertorius. Pompeiacum fut depuis corrompu en Pompet, & Pompet en Poupet, & en Pipet ». Vous me direz que de Pompée à Pipet, il y a de quoi en perdre sa connaissance, comme dirait le concierge de l’Élysée.

Si on sait depuis longtemps que le mont Pipet a accueilli un oppidum romain dès le IIIè siècle, on pense aujourd’hui que des temples s’y élevaient auparavant (cf. cet article, p. 90, § La terrasse de Pipet). Par la suite, les ducs de Bourgogne y bâtirent une forteresse, devenue château qui sera détruit sur ordre de Richelieu après les guerres de Religion. Depuis le XIXè siècle, son sommet accueille la chapelle Notre-Dame de Pipet.  (cf. wiki).

Carte PIPET Capture

Ce même nom se retrouve, dans le même département, comme complément pour Saint-Baudille-et-Pipet et comme lieu-dit Pipet à Tullins, ainsi que, dans les départements voisins, pour le Sommet du Pipet à Montclar-sur-Gervanne (Drôme) et pour le Rocher du Pipet à Goudet (H.-Loire).

Dans d’autres régions, en pays de langue d’oïl, il existe des toponymes homonymes mais dont l’étymologie est différente : il s’agit ici d’un équivalent régional du français « pipeau » (petite pipe, du latin médiéval pipa, du latin populaire *pippare), au sens de « tuyau », notamment pour aspirer les liquides comme le cidre, ou au sens de « tonneau », utilisé comme unité de mesure pour les liquides. C’est ainsi qu’on trouve le Pipet à Beaumont-Hague (Manche), le Hameau les Pipets à Sotteville (id.) et le Pipet à Sainte-Barbe-sur-Gaillon (Eure). Il est possible que certains de ces noms soient  un sobriquet appliqué à un tricheur, un trompeur (déverbal du verbe « piper »), devenu nom de famille.

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Les indices

indice c 31 10 2022 ■ comme le disait l’intitulé, cet indice concernait le « régional de l’étape » et, comme il était précisé en complément, il s’agissait d’un peuple qui s’installa dans la région. Il fallait donc penser aux Allobroges, les Gaulois qui, émigrés au IVè siècle av. J.-C., firent de Vienne leur capitale. Leur nom est formé des racines allo, « autre », et brogi, « pays », soit « ceux d’un autre pays » c’est-à-dire venus d’ailleurs.

indice d 30 10 2022 ■ ce tableau de Magritte était une allusion au Pipet de langue d’oïl qui n’est pas un Pipet de langue d’oc. [Non, je n’en suis pas fier].

Grabels (la répàladev)

TRA, suivi d’une nouvelle venue qui signe joliment Le Hibou bleu, puis de LGF, forment le trio des découvreurs de la solution de ma dernière devinette. Bravo à tous les trois!

Il fallait trouver l’héraultaise Grabels, banlieue nord de Montpellier, dont il vaut mieux consulter le site officiel que la fiche wikipedia.

grabels local

Les formes anciennes du nom,  Grabel et de Grabels en 1120, de Grabello en 1166, de Grabel en 1202, de Grabellis en 1214 semblent orienter vers l’occitan gravèl, « terrain graveleux », d’abord au singulier puis au pluriel, dérivé de l’occitan grava,« sable », lui-même d’origine gauloise. C’est l’hypothèse d’Ernest Nègre (TGF*) contestée par Frank. R. Hamelin (TH*) qui, constatant que toutes les formes anciennes ont conservé le -b- intervocalique, fait appel au pré-indo-européen *gr-ap avec suffixe diminutif –èl. Cela ne change pas grand-chose, sauf l’ancienneté du toponyme, puisque la racine *gr-ap, étudiée parmi d’autres par Alain Nouvel (Les Noms de la roche et de la montagne dans les termes occitans et les noms de lieux du sud du Massif Central, Paris, Champion,1975) est donnée pour « endroit pierreux ». Il s’agirait donc à proprement parler moins de sable que de pierre. Quoi qu’il en soit, la nature du sol, en majorité une garrigue caillouteuse, parait peu propice à la culture céréalière, ce que semblent contredire les armes de la ville, « de gueules à la gerbe d’or et au chef d’argent chargé de trois étoiles d’azur » :

GRABELS-34En réalité, il s’agit d’armes parlantes forgées sur un jeu de mots en occitan où grau bel signifie « beau grain », comme l’expliquait Anne Sauvaget en 1984

Capture d’écranGrabels

.La dernière phrase est néanmoins à prendre avec des pincettes. Si on sait que d’Hozier a créé de toutes pièces quantité de blasons (il s’agissait de remplir les caisses de l’État en prélevant une taxe sur les armoiries dont chaque individu ou communauté devait obligatoirement se munir : l’Armorail d’Hozier en compte plus de cent-vingt-mille !), on sait aussi que, Parisien de naissance (contrairement à la fausse généalogie dont il se prévalait qui le faisait descendre d’une famille noble de Salon-de-Provence), il ne parlait pas la langue d’oc (pas plus que le breton, le basque ou le flamand…) et on l’imagine mal faire un jeu de mots dans cette langue : il a dû se renseigner auprès de quelqu’un, sinon du crû, du moins de la région parlant l’occitan. Et, contrairement à ce qu’écrit Anne Sauvaget, il est tout à fait plausible que le jeu de mots ait été fait à cette occasion. La même explication est donnée dans le Dictionnaire satirique des sobriquets de l’Hérault (Claude Achard, 1982) :

Capture d’écran Grabels bis

Ceux qui auront pris la peine de lire l’extrait précédent auront vu passer les Bugadièras de Grabèls, les lavandières « qui laveront le linge de la bourgeoisie montpelliéraine pendant au moins 250 ans, faisant de leur activité la 1ère, la plus importante et la plus durable « industrie » de Grabels » (mairie, bis) :

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Les indices

■ la rivière : il s’agit de la Mosson, éponyme d’un quartier montpelliérain et de son stade de football. Ce cours d’eau était connu comme fluvius Amansionis en 1055, flumen Amancio, fonti Amantione avant 1100, flumen Amaucionis en 1187 et Lamousson en 1648. On y reconnait l’hydronyme pré-celtique *alismania ( cf. le latin alisma, « plantain d’eau ») avec suffixe roman –onem. Sensible aux épisodes météorologiques dits cévenols, ses crues peuvent être aussi soudaines que dévastatrices.

■ la photo :

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… de beaux grains.

 

 

 

 

■ la statuette :

 

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… la bugadière des santons de Provence.

 

 

 

 

 

 

*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.

Le  dessin du blason est issu du site l’Armorial des villes et villages de France, avec l’aimable autorisation de leur auteur, Daniel Juric.

 

Bla, bla, blason

en retard  

 

Que fait-on quand on est pris par le temps et que rien n’est prêt pour le dimanche soir ? Eh bien, oui !, on ressort des blasons parlants du fond du tiroir…

Désolé pour ceux que cela défrise, mais c’était ça ou rien.

 

Croissy-sur-Seine

Cette ville des Yvelines est blasonnée d’« azur à l’écusson d’argent chargé d’un croissant du champ, accompagné de trois losanges d’or ».

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Les trois losanges ont été empruntés aux armoiries de Jean Chanorier, agronome, qui fut le dernier seigneur et le premier maire de Croissy. Le croissant qui évoque et joue le rôle d’arme parlante par rapport au nom de la ville est aussi une allusion à la situation de celle-ci dans un méandre de la Seine.

La forme ancienne Crociaco (XIIIè siècle) renvoie à un nom formé avec le suffixe gaulois –aco devenu le gallo-roman –acum. On sait qu’il accompagne le plus souvent un nom d’homme, ici le gaulois Crossus ou le latin Crocius ; mais il a pu aussi accompagner un appellatif qui pourrait être ici le roman crucia, « croix » (du latin crux, crucis) : ce serait l’« emplacement d’une croix », sans doute érigée par les premiers Chrétiens. Cette dernière hypothèse serait fort plaisante qui ferait figurer un croissant au lieu d’une croix.

Cabasse

Le blason de cette commune varoise est « de sinople, à une calebasse d’or ».

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C’est donc un à-peu-près entre Cabasse et calebasse qui fait parler ces armes.

Le nom, Cabacia en 1025, est formé sur le nom d’homme latin Capax suffixé -ia.

Challans

Les armoiries de cette commune vendéenne sont « d’azur au chaland d’or, habillé et pavillonné d’argent, voguant sur une mer ondée d’azur, surmonté d’une étoile à dextre et d’une tour à senestre, le tout d’or ».

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On comprend sans difficulté que c’est l’homophonie entre le nom de la commune et le bateau à fond plat appelé « chaland » qui rend ces armes parlantes.

Selon Dauzat & Rostaing (DENLF*), il faut voir dans le nom de Challans une formation avec le pré-indo-européen *kal, « pierre, rocher », et le suffixe pré-celtique –anc, soit la même qui a fourni le nom des bien connues calanques méditerranéennes, mais la topographie des lieux rend cette hypothèse peu crédible. E. Nègre (TGF*), suivi par J.-L. Le Quellec (Dictionnaire des noms de lieux de la Vendée, Geste Éditions, 1995), se basant sur la forme Chalant du XIIè siècle, préfère y voir l’oïl chalant, « brûlant », mais sans nous expliquer le pourquoi d’un tel nom.

On notera avec amusement que c’est à Challans, ville du chaland, donc, qu’est née Jacqueline Auriol, aviatrice.

 

Rethel

« De gueules à trois râteaux démanchés d’or » : c’est ainsi que sont décrites les armes de cette sous-préfecture des Ardennes.

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Au Moyen Âge, le râteau était dit rastel (attesté en 1180, du latin rastellum, diminutif de rastrum) avant d’évoluer en rasteau (1483) puis en râteau (1606). C’est bien la quasi homophonie entre ce rastel et le nom de la ville qui incitera le comte de Rethel (anciennement de Retel) à se munir de ces armes parlantes, ce qui n’a pas empêché certains historiens d’ y voir une allusion à la fertilité du terroir.

La ville est attestée in villa Reiteste nomine au Xè siècle. On peut penser à un composé du haut Moyen Âge, de deux éléments : le premier se reconnait sans trop de difficultés dans cette première attestation Reiteste et sous forme latinisée ayant subi l’attraction paronymique du latin regis, « roi », dans Registeto castello attestée en 1097 ; c’est le résultat roman du gaulois ritu-, « gué », premier nom, antique, du village bâti sur la rive droite de l’Aisne. Au cours du Moyen Âge, un appellatif a été ajouté au nom de lieu : c’est l’ancien haut allemand stat, « lieu, endroit », reconnaissable dans les variantes du second élément toponymique, –stet (Registete castrum vers 1120), devenu –test par métathèse (Retest vers 1172) puis –stest (Restest en 1218). Le groupe consonantique –st n’étant plus prononcé, a été remplacé par une novelle consonne d’appui, -l, pour donner Retel puis Rethel. Au moment où la formation s’est faite, elle signifiait le « lieu de Rei », Rei étant le nom de lieu originel, « le gué ».

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La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’une commune de France métropolitaine aux armes parlantes.

L’étymologie de son nom indique que le sol de cette commune est inapte à la culture céréalière. Cela n’a pas empêché ses anciens habitants (ou le créateur du blason ?) de forger une étymologie fantaisiste qui découpait ce toponyme en deux mots monosyllabiques décrivant de manière flatteuse un produit agricole inexistant dans la langue régionale. Cette interprétation flatteuse se retrouve représentée d’une certaine façon dans les armes de la ville.

Ce sont les femmes, en vendant leurs services aux bourgeois de la grande ville voisine, qui ont permis à cette commune de se relever des guerres de Religions. Leur activité est même devenue la principale source de revenus de la commune pendant plus de deux siècles, devant la culture de la vigne.

Je n’ai pas la moindre idée d’un indice quelconque à vous fournir et j’ai la flemme de chercher … Je vais y réfléchir bien fort et sans doute me viendra-t-il une ou deux idées d’ici mardi.

 

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr

Le quiz – deuxième épisode : les réponses.

Comme je l’ai dit dans mon précédent billet, TRS et Un Intrus ont trouvé les quatre bonnes réponses à mon petit quiz de la semaine dernière. Qu’ils en soient de nouveau félicités!

Et c’est parti !

1 – Quels habitants portent un drôle de nom d’oiseau issu d’une fausse étymologie ( ou d’un jeu de mots ? ) du nom de la commune qu’ils habitent ?

Il fallait trouver les Ansériens, nom des habitants d’Oye-Plage, charmante bourgade du Pas-de-Calais qui avait fait l’objet d’un paragraphe dans un billet consacré aux blasons parlants il y a un peu plus d’un an, paragraphe que je recopie in extenso ici :

Cette ville du Pas-de-Calais était appelée Ogiam au XIè siècle, devenu Oyam ( 1121 ), Oio (1147) puis Hoia (1164). On y reconnait le germanique *awa donnant auwja, « eau, prairie humide ». Le complément –Plage a été ajouté en 1913, alors que naissait la mode des bains de mer.

Par étymologie populaire, on rapprocha le nom de la ville de celui de l’oie, d’où le blason d’azur à l’oie d’argent, becquée et membrée de sable, surmontée d’une couronnée de vicomte d’argent.

OYE_PLAGE-62

Cette étymologie fantaisiste est à l’origine du gentilé Ansérien,  formé sur le latin anser, « oie », cf. les ansériformes.  Et quand on en sait rien, on ferait mieux de se taire, oui.

L’indice associé représentait les deux oies Amélie et Amélia Jacasse du dessin animé Les Aristochats.

TRS a fait un bel effort qui m’a proposé deux autres solutions tout à fait valables qui m’avaient échappé :

■ les Oisillons et Oisillonnes, habitants d’Oisy dans le Nord. Le nom d’ Oisy vient du nom d’homme latin Otius ou Autius, avec le suffixe -acum.

■ les Loriots et Loriottes, habitants de Lor dans l’Aisne. La page wiki consacrée à la commune nous parle de Loriens ou Lorois mais le site de la mairie parle bien, lui, de Loriots et Loriottes. Le nom de Lor, noté Ortus en 1183, est issu du latin hortus, donnant l’oïl hort ou ort, « jardin », avec agglutination de l’article.

2 – Quel saint ( local et peu connu ) a vu sa rue devenir une rue dédiée à un certain primate servant à son tour d’enseigne à une maison close par Marthe Richard en 1946 ?

Il fallait trouver la rue du Singe Vert à Tours, qui avait été mentionnée dans un billet consacré à la couleur des rues il y a près de sept ans déjà. J’y écrivais qu’elle « doit son nom actuel à une confusion : elle s’appelait rue Saint-Genail, un saint très local, à moins qu’il ne s’agisse d’une déformation du nom de saint Genou vénéré dans le Berry. Toujours est-il que, une fois le nom de ce saint tombé dans l’oubli, la rue de Saint-Genail devint celle du Singe-Vert. Ce n’est que bien plus tard qu’une maison de la rue, une de celles que clora définitivement Marthe Richard en 1946, arbora  un singe vert comme enseigne.

L’indice associé montrait une boite de corned-beef ( le « singe » des Poilus ) made in Irlande ( l’île verte ). Même pas honte.

3 – Quelle rue porte aujourd’hui un nom désignant des quadrupèdes difformes par mauvaise compréhension du nom local d’origine qui désignait des … trophées de chasse ?

Il fallait trouver la rue des Chats Bossus à Lille. Cette rue a été mentionnée dans un billet consacré à quelques chats il y a plus de huit ans. J’écrivais alors : « Le nom de la rue des Chats-Bossus, à Lille, ne doit rien aux chats puisqu’il  vient de la déformation d’un mot local. Les mégissiers, pelletiers et fourreurs accrochaient des têtes d’animaux empaillées à leur devanture en guise d’enseigne, des «caboches », qu’on appelait localement cabochu. ». Une autre hypothèse fait état d’une ancienne enseigne représentant une famille de cats bochus, patois pour « chats bossus » …

L’enseigne du Chat Bossu, au numéro 2 de la rue lilloise

L’indice montrait le Chat saisissant un oiseau, un tableau de Picasso peint en 1939.

4 – Quel petit ensemble de maisons est devenu un faux hagiotoponyme désignant un lieu-dit d’un village ?

Il fallait trouver le hameau de Saint-Chaise à Yèvres, dans le Loir-et-Cher, qui apparaissait dans un billet consacré à une paire de faux saints, publié il y a huit ans. On pouvait alors y lire : « À ses débuts, un hameau d’Yèvres, en Eure-et-Loir, ne comptait que très peu de maisons. Cinq exactement, pas une de plus : c’est ce que nous indique son premier nom  Quinque Casae en 1050. L’évolution phonétique normale, avec notamment le chuintement du -c- initial a fait évoluer ce nom en Sainchaises en 1523. Une tentative de retour au nom initial eut lieu en 1591 : on trouve alors écrit  Cinq Chèzes dans quelques documents. Chèze, aussi écrit chèse, était  le nom  en langue d’oïl de la maison que l’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux toponymes. Mais rien n’y fit : l’attraction du mot « saint » fut la plus forte et l’on appelle aujourd’hui ce lieu-dit Saint Chaise. »

L’indice associé montrait un empilement de cinq chaises.

Si vous avez bien compté, vous avez remarqué que les quatre réponses avaient déjà été publiées dans quatre précédents billets et non pas seulement trois comme je l’avais annoncé par erreur lors de la rédaction du quiz.

Moralité : après dix ans de billets, soit près de cinq cents devinettes, ça devient difficile de se renouveler !

Fougères

Les fougères sont des végétaux caractéristiques des terrains vacants, friches et landes. Elles ont joué un grand rôle dans la nourriture des animaux, leur litière et comme fumure. On voyait encore, à la fin des années soixante dans les Hautes- Pyrénées, des fougères étalées autour de la maison afin de les piétiner en permanence pour en faire du fumier.

Le latin filix et son dérivé filicaria, d’où est issu « fougère » dont le premier sens est collectif, ont donné un grand nombre de toponymes sous différentes formes comme on peut le voir sur cette carte ( non exhaustive ) :

On aura remarqué que c’est dans les noms corses, Felce et Feliceto (H.-Corse ), que l’on reconnait le mieux le latin filix — même si Felzins ( Lot, avec suffixe -inum ) n’en est pas très loin.

En zone picarde, le son k de filicaria se maintient pour donner Feuquières ( Oise ) et d’autres comme Fouquerolles ( Oise ). En pays gascon, le passage habituel du -f- au -h– aboutit à Le Houga (Gers ) et d’autres noms comme Heugas ( Landes).

Pour le reste, on retrouve les suffixes habituels : -(i)ères ( latin -aria ), -olles ( diminutif latin -ola ), -et ( collectif latin -etum ) ainsi que -ay ou -ets ( acum, ce qui constitue un des rares cas où ce suffixe complète un nom végétal plutôt qu’un nom d’homme).

Le breton emploie radenec pour champ de « fougère, fougeraie », à l’origine du nom de Radenac ( Morb. ), Rédené ( Fin.) et Rannée ( I.-et-V.).

Dans le Sud-Ouest, l’équivalent est touya ou tuye, souvent un mélange de fougères et d’ajoncs, que l’on retrouve communément dans des micro-toponymes des Landes et des Pyrénées-Atlantiques sous les formes ( La ) Touja, Toujas, Toujan notamment dans le Gers.

Le basque a iratze, à l’origine de micro-toponymes comme Iratzea (« fougeraie » ) et des dérivés comme Iratzeburua ( bout ), Iratzehandia ( grand ), Iratzemendi ( mont ), Irati et la forêt d’Iraty ( oui, comme le fromage ! )

… avec un Pacherenc-du-Vic-Bilh !

J’en termine avec Matafelon-Granges ( Ain). L’hypothèse de Dauzat&Rostaing ( DENLF*) qui en fait un nom féodal, « qui mate le félon », appliqué à un château fort est sujette à discussion. Ernest Nègre ( TGF* ), l’éternel contradicteur, préfère y voir, comme pour Mateflon ( à Seiches, M.-et-L.) l’oïl matefelon, mateflon, nom de la fougère ophioglosse, « langue de serpent ». Il est suivi en cela par Roger Brunet ( TDT* ). Chacun se fera son opinion. Quant à elle, la légende locale raconte l’histoire d’un certain Maté le Félon, surnom d’un sinistre sire d’Oliferne ( le pic et le château d’Oliferne existent bel et bien ), qui se serait livré impunément au rapt des femmes et des jeunes filles, dont il se débarrassait ensuite en les enfermant dans des tonneaux qu’il jetait dans l’Ain. Il fut finalement vaincu par le seigneur du lieu.

Vous attendiez une devinette …

Je dois malheureusement renoncer à celle que j’avais prévu de soumettre à votre sagacité. Après des recherches approfondies, je constate que l’étymologie du toponyme en question est si controversée ( une sorte de querelle des Anciens et des Modernes …) qu’elle n’est pas tranchée, chacun avançant des arguments plutôt convaincants. J’y reviendrai sans doute dans un prochain billet.

Mise à jour du 12/08/2019 à 10h30 : … particularité physique du terrain …

En attendant, peut-être vous amuserez-vous à chercher le nom d’une commune faisant état de la particularité physique du terrain où poussaient des fougères.

Un indice, mais il ne faudra pas venir vous plaindre ! :

*Les abréviations en majuscule renvoient à la Bibliographie.

Uriage ( répàladev)

Renouvelons pour commencer nos félicitations à TRS et Un Intrus, auxquels s’est adjoint LGF, pour leur sagacité : ils sont les seuls à être venus à bout de ma dernière devinette.

Il fallait trouver Uriage, nom d’une petite vallée iséroise où se trouve Saint-Martin-d’Uriage sur une partie du territoire duquel fut bâtie la station thermale Uriage-les-Bains.

Uriage-les-Bains

Les premières attestations écrites de ce nom sont les suivantes :

in Auriaco, territorium Auriagi, de Auriagio, de Auriatge au XIè siècle puis capella de Oriatico au XIè siècle après l’édification d’une chapelle, ecclesia Sancti Martini de Oriatico au XIIè siècle et parrochia Sancti Martini de Uriatico au XIIIè siècle. On trouve aussi Auriacum et Auriaticum au XIIè siècle, Uriaticum au XIIIè siècle, Uriacum au XIVè siècle et enfin Uriagium et Uryage au XVè

On en déduit une origine selon le latin aureus, « couleur d’or », accompagné du suffixe -aticum dont l’évolution en -age est bien attestée par ailleurs.  Cette hypothèse est celle d’Albert Dauzat et Charles  Rostaing, auteurs  du Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France ( Larousse, 1963 ). Les autres auteurs d’ouvrages dits de référence comme Ernest Nègre, Pierre-Henri Billy, Stéphane Gendron, etc.  (cf. Bibliographie ) n’abordent pas le sujet.

Quelques étymologies moins étayées, dont certaines plutôt fantaisistes, ont été proposées.

Le site en ligne consacré aux Noms de lieux de Suisse romande, Savoie et environs, prétend qu’Uriage  « serait dérivé d’un nom lusitano-ibère Viriatos avec le suffixe -aticum ». Si le suffixe -aticum et le nom lusitain  Viriate sont bien attestés, on peut émettre un doute quant à la présence d’un lusitano-ibère dans les Alpes qui y serait resté suffisamment longtemps pour y laisser une telle trace : il est en effet généralement admis que les Ibères n’ont pas progressé plus loin que le Rhône lors de leur pénétration en Gaule. D’ autre part et d’un point de vue phonétique, on peut aussi noter que dans les parlers alpins, le V initial a évolué, le plus souvent, en G, comme Vappincum a donné son nom à Gap.

Une autre étymologie a été proposée à la fin du XIXè siècle par plusieurs auteurs dont H.-G. de Vallier dans Les Mystères d’Uriage ( Grenoble, 1861 ) qui écrivit :

uriage

Il avait été précédé en 1684 par Guy Allard (in Bibliothèque du Dauphiné, manuscrit publié par H. Gariel, Grenoble, 1864 )

uriage 2

Dès 1821, le Dictionnaire des sciences médicales  mettra pourtant en garde :

uriage 3

Dans son Album du Dauphiné paru en 1835, Victor Cassien contestera lui aussi cette étymologie d’« eau chaude » et proposera une origine celtique :

uriage 4

On se souviendra à propos de cette supposée étymologie celtique ( ur, « pâturage », et ag, « montagne » ) que, dans les Alpes, le mot qui désigne un pâturage de montagne est … *alp, un radical pré-indo-européen bien connu.

Voilà qui clôt le chapitre des étymologies pseudo-savantes. Il faut dire à la décharge de leurs auteurs que la science toponymique n’existait pas encore à leur époque et qu’ils ne connaissaient pas les formes anciennes du nom d’Uriage.

cul-de-lampe bis

Les indices :

  • le champ de courges :

Grenoble au temps des Gaulois
Grenoble au temps des Gaulois

illustrait un ancien billet consacré à D’Augustes cités, dont Grenoble, à 8km à peine de Saint-Martin-d’Uriage. J’écrivais alors : « ( Grenoble ) portait le nom de Cularo ( 43 av. J.-C. ) du gaulois culara, « courge, cucurbitacée », sans qu’on  puisse expliquer cette étymologie ( un champ de courges ?) ».

  • la francisque et la médaille de la Résistance

indice a 09 12 18indice b 09 12 18

rappelaient le passé du château d’Uriage qui servit  d’École nationale des cadres de la jeunesse du Régime de Vichy avant de passer à la Résistance.

château d'uriage

  • la pièce de monnaie

indice a 11 12 18

à l’effigie de Gratien rappelait l’étymologie du nom de Grenoble, Gratianopolis.

  • la une du premier numéro du Monde 

indice b 11 12 18

rappelait que son fondateur, Hubert Beuve-Méry, fut formateur à l’École des cadres d’Uriage avant de s’engager dans la Résistance.

  • la vignette de bédé :

indice c 11 12 18

pour Les Bains, évidemment. Les eaux thermales d’Uriage étaient connues des Romains.

Allanche ( répàladev)

Ma dernière devinette a été vite résolue par TRS puis Un Intrus. Bravo à tous les deux !

Il fallait trouver Allanche, une commune du Cantal.

Selon une légende locale, ce village au sud du massif de Cézallier, devrait son nom à un os de la hanche de saint Jean-Baptiste. Cette relique aurait été rapportée, dit-on, au XIè siècle par des pèlerins ( ou par un croisé nommé Johanès) revenant de Terre sainte et qui auraient ensuite fondé la ville. Comme elle était pieusement conservée dans l’église placée sous le vocable de ce saint, on aurait pris l’habitude de répondre  « à l’Anche ! » à la question : « où vas-tu ? », d’où le nom de la ville.

C’est ce que nous explique succinctement Geneviève Saint-Martin dans L’Auvergne des monstres, des sorciers et des Dieux ( Paris, E-dite, 2001) après Maurice Peschaud, ancien maire, dans Allanche : neuf siècles de son histoire ( éd. Gerbert, Aurillac, 1978). C’est ce dernier qui nous parle de Johanès et complète la légende en accumulant les détails.

Allanche le pont et la rivière

Mais que sait-on réellement sur la toponymie d’Allanche ?

Le plus ancien nom attesté, Alancha, date de 1332 et est à l’origine de deux interprétations  :

  • il pourrait s’agir d’un nom issu d’Alanica, féminin de l’adjectif Alanicus traité comme *Alanca ( villa) , « ( ferme ) des Alains » [ Ernest Nègre, Toponymie générale de la France, T.I, lib. Droz, 1990 ].
  • il pourrait s’agir d’une base pré-indo-européenne *al- rattachée à *kal, « pierre », accompagnée du suffixe ( ligure ? ) -inca [ Dauzat & Rostaing, Dictionnaire des noms de lieux de France, éd. Larousse, 1963 et Jacques Astor, Dictionnaire des noms de famille et noms de lieux du Midi de la France, éd. du Beffroi, 2002 ].

L’absence de noms plus anciens est à l’origine d’étymologies populaires. Certains ont inventé un ancien *Albantia ( albus, a, um – « blanc » ) qui trouverait son explication dans le manteau de neige qui recouvrait le paysage en hiver tandis que d’autres ont fait appel, on l’a vu, à un os de la hanche de Jean le Baptiste.

Afin d’y voir plus clair sur cette légende étymologique, je vous propose des extraits de deux ouvrages :

Les Tablettes historiques de l’Auvergne par Jean-Baptiste Bouillet, Clermont-Ferrand, 1843 :

allanche 1

et le Dictionnaire statistique, ou Histoire, description et statistique du département du Cantal de Jean-Baptiste de Ribier du Châtelet, Aurillac, 1852 :

allanche 2

allanche 2 bis

Les « anciens titres » ( Albantia, Alantia, Alenche ) cités dans ce dernier extrait ne sont que des supputations dont on ne trouve aucune trace .  On lit plus loin dans ce même extrait : « le nom du pèlerinage à l’Enche ( terme de la langue romane désignant l’ossement du saint ) »,  et on comprend donc qu’« enche » se prononçait sans le -h- aspiré imposé plus tard par la francisation. Il en est de même encore aujourd’hui en auvergnat où la hanche se dit ancha.  Ceci explique qu’on aurait pu dire et écrire « je vais à l’Anche », devenu Allanche

On aura noté au passage le même prénom double porté par les auteurs de ces ouvrages …

Les indices :

  • un paysage auvergnat sous la neige :

indice 11 11 18

… pour la fausse étymologie *albantia ;

  • un anchois :

indice a 13 11 18

… puisque l’anche du saxophone avait été citée dans un commentaire ;

  • des vaches de race Salers à l’estive :

indice b 13 11 18

… puisque c’est la spécialité du coin.