Sur le blog des correcteurs du Monde.fr, Langue sauce piquante, est paru un billet concernant un recueil de Poèmes en argot écrit par Robert Desnos, à propos d’une édition établie et commentée par Alain Chevrier, Librairie Nizet (37510 Saint-Genouph), 2010.
Ces poèmes, À la caille et Calixto, ont été « écrits sous l’Occupation, poèmes de résistance, textes hermétiques pour refuser ». On ne saurait mieux dire. Je trouve remarquable cet emploi absolu du verbe «refuser» : qu’en peu de mots bien des choses sont dites! Quelle concision ! ( non, je n’ai pas dit laconisme).
Ceux qui me connaissent, me lisant ici ou là, savent l’amour que je porte à la poésie. On parle de Desnos, et je sors … de mon terrier.
L’utilisation de l’argot ou, plus simplement d’une langue populaire, vulgaire, en poésie n’est certes pas nouvelle : que l’on pense à Villon, pour ne citer que lui.
Mais, par un de ces mécanismes mystérieux qui agite notre cerveau, en lisant ce billet j’ai aussitôt pensé à un autre poète, certes moins connu que Desnos mais qui utilisa la langue du peuple pour écrire sa poésie. Oh! non! Je ne pense pas à un Prévert qui, certes, utilisait les mots de tout le monde et était à mille lieues d’un Hérédia ou d’un Saint-John-Perse, ni à des chansonniers ou paroliers comme Aristide Bruand ou Pierre Perret, par exemple.
Je pense à Jehan-Rictus ( 1867 – 1933, de son vrai nom Gabriel Randon, photo ci-contre ) dont les poèmes écrits en langue populaire, tentative de retranscription du langage de la rue, ont quelque chose de suranné mais ont ce je-ne-sais-quoi d’authentique qui retient l’attention, en tout cas la mienne.
Son intention était de donner la parole au pauvre — qu’il fut à ses débuts — ce qu’il revendiquait : « Faire enfin dire quelque chose à quelqu’un qui serait le Pauvre, ce bon pauvre dont tout le monde parle et qui se tait toujours. Voilà ce que j’ai tenté.»
Et, tiens, puisque sur ce même blog LSP, il fut question il y a peu de l’hiver hostile, voici une strophe signée Jehan-Rictus:
Merd’ ! V’là l’Hiver et ses dur’tés,
V’là l’ moment de n’ pus s’ mettre à poil :
V’là qu’ ceuss’ qui tienn’nt la queue d’ la poêle
Dans l’ Midi vont s’ carapater !
Un de ses recueils, Les Soliloques du pauvre, est lisible en cliquant ici.
On a voulu en faire un poète anarchiste, un poète maudit … Je ne crois pas : proche des bohèmes sans aucun doute, puisque pauvre lui-même, ayant côtoyé des anars, forcément et pour la même raison, mais dès qu’il en eut l’occasion, il s’éloigna de ce milieu ( et se rapprocha même de l’Action française!). Alors, pourquoi oublié ? Eh bien, peut-être tout simplement parce qu’il n’était pas suffisamment bon poète… La concurrence était âpre à l’époque! Ses idées étaient bonnes, son intention louable, mais il n’a peut-être pas choisi le bon support. Ah! S’il avait eu un Séguéla!
Voilà, en cette après-midi pluvieuse, c’était ma contribution à l’anti CAC40.