Mis en appétit par un billet du blog Langue sauce piquante intitulé délices de la Bérézina, je me suis mis à la recherche d’autres noms de batailles passés dans le langage courant comme noms communs, verbes ou adjectifs ou comme expression. Je précise que je me suis volontairement limité aux batailles connues par le lieu où elles se sont déroulées et que j’ai éliminé les noms d’armes ( comme la baïonnette de Bayonne ou le biscaïen de Biscaye ). Plusieurs batailles ont ainsi retenu mon attention :
Antiquité
- cheval de Troie : cette expression désigne un logiciel informatique dont l’apparence légitime lui permet de faire entrer dans l’ordinateur visé des parasites malveillants. La référence au cheval de bois qui permit aux guerriers grecs de pénétrer dans Troie assiégée est limpide. On fait généralement dériver le nom de Troie, en ancien grec Troia ou Tröia, puis en latin Trōia, de l’étrusque Truìa. Un vase étrusque de Tragliatella, daté du VIIè siècle av. J.-C., est décoré d’un dessin d’un labyrinthe, dont on connait l’équivalent en Crète, accompagné de deux cavaliers qui indiquent qu’il s’agit là du jeu rituel appelé ailleurs, en latin, lusus Troiae. Le glossaire d’Hésychios d’Alexandrie nous apprend que trōa signifie « fil, cordon » et cela fait penser au Labyrinthe crétois et au fil d’Ariane. Il apparait donc que troia ressortit probablement à la mythologie et n’a sans doute jamais été un toponyme. Pour être complet, remarquons que l’autre nom de Troie, Ilion ( en grec Ilios et Ilion ) est rattachable à la racine *wel -, représentée par les verbes eileō et illō signifiant « tourner, tournoyer, virevolter, tortiller » : est-ce un autre nom du Labyrinthe ?
- Marathon : on connait la légende du messager grec Phidippidès, qui aurait parcouru la distance de Marathon à Athènes pour annoncer la victoire contre les Perses en 490 av. J.-C. Le nom de la ville est passé à celui d’une épreuve sportive de course à pied et à une compétition de danse rendue célèbre par le film On achève bien les chevaux. Une acception plus moderne fait d’un marathon une suite de négociations plus ou moins longues et laborieuses entre représentants politiques, syndicaux … Le toponyme est un collectif en -ōn dérivé de marathon ou marathos, « fenouil » : c’est l’endroit aux fenouils.
- Fourches Caudines : la bataille des fourches Caudines eut lieu dans un défilé proche d’une ville nommée Caudium et l’expression « passer sous les fourches Caudines » en est issue — avec une certaine méconnaissance de ce qu’étaient véritablement ces fourches-là. J’écrivais déjà, en 2009 :
Le terme de « fourches » est la traduction du latin furculae employé par Tite-Live et Florus.
Ce mot latin furcula désignait un passage resserré entre deux montagnes. C’est un toponyme bien connu qui a donné son nom à La Forclaz, col des Alpes valaisannes, à quelques Forclaz en Suisse romande, à Forcola dans le Tessin et Fuorcla dans les Grisons.
Il semble que le latin furcula ait été emprunté au samnite (osque). C’est parce qu’on l’a rapproché abusivement du latin furca, « fourche », dont on l’a cru le diminutif, et parce que Valère Maxime et Lucain ont, eux, écrit Furcae Caudinae, que la confusion s’est faite, et que le « défilé » est devenu « fourche ».
Je confirme donc : la légion romaine s’est engagée dans les fourches caudines, y a été piégée par ses futurs vainqueurs et a dû passer sous le joug samnite.Pour mémoire, et pour ceux que cela intéresse:
Caudium, aujourd’hui « Ponteligno di Montesarchio, province Avellino, region Campania », est un nom sans doute issu du latin cudo, cudere, « couper », lui-même issu de la racine indo-européenne kau, au sens d’« entaille dans le bois ou la roche ». Le défilé était suffisamment remarquable pour avoir donné son nom à la ville.
Pour la majuscule à Caudines ou son absence, voyez ce que j’écrivais naguère à ce propos.
Guerres napoléoniennes
- Marengo : le nom de cette bataille ( 14juin 1800 ) est utilisé, en apposition, pour définir un mets qu’on a fait revenir dans l’huile avec de l’ail, des tomates, des champignons et du vin blanc. Cette recette aurait été improvisée par Dunan, le cuisinier de Napoléon. Manquant de beurre pour le rôtir dégoulinant de gras comme l’aimait l’Empereur, il utilisa de l’huile et saupoudra le tout d’ail : le poulet marengo était né. Le toponyme, attesté sous la forme Marenco depuis le XIIè siècle, est issu de Marinca qu’on trouve au Xè siècle. Il s’agissait alors d’une étape importante sur une route romaine, la Via Marenca, la « voie de la mer » qui reliait Calliano ( près d’un pont sur le Pô ) à la mer Méditerranée. Le suffixe -(i)ncus est caractéristique du latin de Ligurie.

- Trafalgar : cette bataille navale ( 21 octobre 1805 ) qui vit l’amiral Nelson défaire la flotte franco-espagnole a donné l’expression « un coup de Trafalgar », que la plupart des dictionnaires donnent pour « accident désastreux » ou « événement aux conséquences désastreuses ». Par analogie avec le coup de Jarnac, certains, dont moi, voient plutôt dans le « coup de Trafalgar » une manœuvre audacieuse et inattendue ( celle de Nelson transperçant le centre de la flotte ennemie ) provoquant la défaite des favoris. Trafalgar vient de l’arabe Taraf al-Gharb : « pointe ( taraf ) de l’ouest ( gharb ) ». Ce nom fut donné à cet endroit par les Maures quand ils débarquèrent en Andalousie en 711. Comme pour le Maghreb, el-Maghreb ou al-Maghrib en arabe, désignant « le couchant, l’occident, l’ouest », ou encore pour la province portugaise de l’Algarve, Al-Gharb en arabe, située à l’ouest de la péninsule ibérique, le Taraf al-Gharb procède de la racine verbale arabe gharb-, « s’en aller » ( cf. akkadien erēb, l’hébreu erev‘, etc.) : c’est l’endroit par où le soleil s’en va.
- Bérézina : le passage de cette rivière par la Grande Armée, du 26 au 29 novembre 1812, durant la retraite de Russie, reste dans les mémoires comme une déroute catastrophique, alors qu’elle était l’épilogue de la bataille de Borissov , dont Napoléon sortit militairement vainqueur. « Bérézina » est passé dans le langage familier pour désigner une déroute, un échec total, un désastre. Le nom de la rivière est un dérivé collectif en -ina du russe bereza, « bouleau » ; il signifie « boulaie, bois de bouleaux ». La même racine se retrouve dans d’autres langues indo-européennes, particulièrement germaniques : allemand Birke, anglais birch, néerlandais berk, danois birk, suédois björk, etc.
- Waterloo : la défaite de Waterloo du 18 juin 1815 n’ayant pas laissé de bons souvenirs en France, le mot a pris, avec minuscule, en français argotique, les sens de « désastre » ou « malchance persistante ». Le toponyme est un ancien composé néerlandais. Le second élément –loo signifiait, en vieux néerlandais, « terre déboisée, champ, pâture ». Il correspond linguistiquement au vieux haut allemand lōh ( comme pour Holeloh ), au vieux norrois –ló ( pour Oslo ), au vieil anglais lēah puis –leigh et -ley ( pour Raleigh et Bentley). Il se rapproche d’une racine indo-européenne présente dans le sanscrit lokas, « terre habitée, monde », le lituanien laūkas, « champ, campagne » et le latin lūcus, « bois sacré » mais qui a d’abord désigné la clairière, comme l’attestent les verbes collūcāre, interlūcāre, sublūcāre, « éclaircir un bois ». On remonte ainsi à un indo-européen *loukos et à la primitive nécessité de déboiser un espace de terre pour en faire un champ cultivable, une pâture ou une demeure. Il était alors important de choisir, pour ce faire, un endroit pourvu d’eau. Ainsi en a-t-il été à Waterloo, avec le néerlandais water, « eau ». À noter que la réforme de l’orthographe néerlandaise, qui a fait changer les noms de Tongerloo, Venloo et Beverloo en Tongerlo, Venlo et Beverlo, ne s’est pas appliquée à Waterloo, situé dans le Brabant francophone.
Guerre de 70
- Gravelotte : la bataille qui opposa du 16 au 18 août 1870, non loin de Gravelotte, les Français commandés par Bazaine aux Prussiens de von Moltke fut particulièrement meurtrière et s’accompagna de tirs de balles et d’obus en telle quantité qu’on eût dit qu’il pleuvait de l’acier, de là l’expression « ça tombe comme à Gravelotte ! » pour signifier concrètement une pluie battante ou, au sens figuré, une succession ininterrompue d’évènements fâcheux. Gravelotte, qui s’est d’abord appelée Graveium, « gros sable », en 1137 s’est vue dotée d’un diminutif pour devenir Gravilette au XVè siècle et a fini par devenir notre Gravelotte, c’est-à-dire gravelle, « gravier », et suffixe diminutif – otte. On a donc le choix entre « gros sable » et « petit gravier ». Mais je me doute bien que ceux qui y sont tombés se fichaient bien de cette nuance-là. ( source ).
Guerre de 14
- Ypérite : le tristement célèbre « gaz moutarde » fut employé pour la première fois en septembre 1917 à Ypres, d’où son autre nom d’ypérite. Ypres, en flamand Ieper, était mentionnée sous les formes Iprensis en 1066, Ipera en 1070 – 1093, Ipram (accusatif) en 1085 et enfin Ipre dès le XIIè siècle. Il s’agit du transfert du nom d’une petite rivière alors appelée Iepere, un nom formé sur le flamand iep, « orme, ormeau », accompagné de l’hydronyme –er, variante du bien connu -ar : c’était donc « la rivière des ormes ». Après détournement de son tracé au XIè siècle pour la faire se jeter dans l’Yser plutôt que directement dans la mer, cette rivière est devenue aujourd’hui un canal baptisé Yperlée. ( source )
Et, puisque tout doit finir en chanson :
Peut être aurez-vous trouvé ce billet un peu long, mais ce n’est pas ma faute si l’Humanité se plait à batailler … et d’ailleurs, voici la devinette :
Le nom d’une ville dévastée par une opération militaire est à l’origine d’un verbe signifiant « détruire totalement » et du mot correspondant, aujourd’hui considérés comme vieillis par les dictionnaires qui les mentionnent.
De quelle ville s’agit-il ?
■ un tableau comme premier indice :
■ une sculpture comme second :
Les réponses sont attendues chez leveto@sfr.fr