L’aulne ( première partie )

Arbre tutélaire des Gaulois, au même titre que le chêne, l’aulne a fourni un très grand nombre de toponymes. Pourquoi cette abondance ? Sans doute parce que nos ancêtres cherchaient, dans cette Gaule couverte de forêts, des sites découverts et munis de ressources en eau pour s’y installer. Or, quel est l’arbre qui pousse volontiers dans ce type d’endroits ? L’aulne, précisément.

Bouquet d'Aulnes
Charles-François DAUBIGNY (1817-1878) Le bouquet d’Aulnes, 1862

L’aulne a été nommé vernos par les Celtes avant que le latin alnus ne le supplante — du moins dans la langue française, car les toponymes gardent, eux, plus de traces du « verne » gaulois que de l’« aulne » latin.

La richesse du sujet est telle que je l’étudierai en trois parties : alnus, vernos et langues régionales. Pour la même raison, je me cantonnerai aux noms de communes et de cours d’eau, laissant de côté les micro-toponymes, sauf cas particulièrement remarquables.

aulne

Le nom de l’aulne vient du latin alnus, lui-même d’un indo-européen al- que l’on retrouve dans l’anglais alder et l’allemand Erle. C’est dans le nord de la France que les toponymes issus d’alnus sont les plus nombreux.

L’arbre isolé est présent à Laulne ( Manche ) tandis que les aulnaies sont bien plus nombreuses et leurs noms formés avec des suffixes :

■ avec le suffixe collectif latin –etum  :

  1. Aulnay ( Aube, Vienne) A.-aux-Planches, A.-l’Aître, A.-sur-Marne ( Marne ), A.-la-Rivière ( Loiret ), A.-sous-Bois ( Seine-St-D.), A.-sur-Iton ( Eure ), A.-sur-Mauldre ( Yv.) ; à ce type appartient aussi Longaulnay ( I.et-V., Longo Alneto en 1137 ), dont  la prononciation locale en gallo était Lonquaunâ, ce que confirme la mention qu’on peut lire dans le Gargantua de Rabelais qui vante les saulcisses de Lonquaulnay et le nom de Guillaume de Lonc Aunay en 1381;
  2. Aulnoy ( S.-et-M.), A.-sur-Aube ( H.-Marne ), A-lez-Valenciennes ( Nord ) ;
  3. Aulnois (  Vosges ), A.-en-Perthois ( Meuse ), A.-sous-Laon ( Aisne ), A.-sur-Seille ( Mos.) ;
  4. Aunaysous-Auneau, A.-sous-Crécy ( Eure-et-Loir ), A.-en-Bazois ( Nièvre — mais la forme ancienne de 1130 Onaco plaide plutôt pour un hydronyme gaulois), A.-les-Bois ( Orne ), A.sur-Odon ( Calv.) ainsi que Saint-Georges-d’Aunay ( Calv.) et Saint-Germain-d’Aunay ( Orne ) ;
  5. Annay (  P.-de-C., Alnai en 1198 ) ;
  6. Annois ( Aisne ) ;
  7. L’agglutination de l’article est à l’origine de Lannoy ( Nord) et L.-Cuillère ( Oise ), Launay ( Eure ), L.-Villiers (May. ), Port-Launay ( Fin ) et La Chapell-L. ( L.-Atl.) , Launois-sur-Vence ( Ardennes)  et Launoy ( Aisne) ;
  8. Le même suffixe au féminin –eta a donné Aulnoye-Aymeries ( Nord, avec Aimarus, nom du seigneur) ;
  9. le diminutif alnet-ellum a donné Auneau ( E.-et-L., aujourd’hui dans Auneau-Bleury-Saint-Symphorien) qui sert de déterminant à Aunay-sous-Auneau vu plus haut ;
  10. Notons le diminutif Aulnizeux ( aujourd’hui dans Val-des-Marais, Marne ) d’Aulnay-aux-Planches ( Marne ).

Annay ( Nièvre, Abundiacum en 748), Annay-la-Côte ( Yonne, Abundiacus en 864 ) et Annay-sur-Serein ( Yonne ) sont des faux-amis issus du nom d’homme latin Abundus et suffixe -acum. Aulnay ( Char.-Mar., dit A.-de-Saintonge, Aunedonacum au IVè siècle) est un faux-ami issu du nom d’homme gaulois Aunedos et suffixe -acum : le -l – intermédiaire est un ajout du XVIè s.( Aulnois en 1552 ) revu au siècle suivant ( Aulnay en 1650 ) par attraction des toponymes similaires, pourtant dans une région où l’aulne est appelé vergne.

aulnay le prado

■  avec le même -etum mais diminué par -ellum : Les Aulneaux ( Sarthe).

■ avec le suffixe gaulois –avum ont été formés Aunou-le-Faucon ( Orne, avec déformation du nom du seigneur Fouque ) et Aunou-sur-Orne ( Orne) et avec le suffixe gaulois ialo, « clairière, champ », a été formé Auneuil ( Oise).

■ le suffixe gallo-romain –acum est à l’origine d’Aulnat ( P.-de-D. ) et d’Aunac-sur-Charente ( Char.) et le suffixe -iacum est à l’origine d’Augnat ( P.-de-D) et d’Augnax ( Gers ). Notons qu’il s’agit là de rares cas où le suffixe –acum est appliqué à un végétal plutôt qu’à une personne.

Les hydronymes formés sur le latin alnus sont plus rares mais on peut citer l’Aunay qui coule en Eure-et-Loir, affluent en rive droite de la Voise, sous-affluent de la Seine par l’Eure, le Launet affluent de l’Estampon et sous-affluent de l’Adour dans les Landes, et l’Aulnois, rivière franco-belge qui coule dans les Ardennes, affluent du Chiers et sous-affluent de la Meuse. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’Aulne, fleuve breton qui se jette dans la rade de Brest, ne doit rien à l’arbre : noté Ampnis flumen au IXè siècle, Hamm vers 1050, Aufn en 1594, Auen en 1650 puis Aon de 1692 à aujourd’hui, il s’agit d’un dérivé du celtique *abonno, « rivière » ( cf. le gaulois *abona et le moyen breton auon, de même sens ) qui a aussi donné le nom de l’Aven, rivière du Finistère.

On a vu plus haut que le nom latin alnus procède d’une racine indo-européenne *al qui a été fort productive en noms généralement reliés à l’eau comme :

  • des hydronymes en *al : l’Allaine ( affl. droit du Doubs ), l’Alène ( affl. gauche de l’Aron, Nièvre), etc. ;
  • des hydronymes en *alis : l’Aliso ( fleuve côtier corse ), l’Alise ( affl. gauche ce la Meuse), etc. ;
  • le gréco-latin alisma, « plantain d’eau » et, par dérivation, « lieu humide » ;
  • le francique alisa , « alisier » ;
  • l’espagnol aliso, « arbre des lieux humides, aulne » ;
  • le basque altz, « aulne » ( qui est un exemple en faveur de l’origine indo-européenne du basque, thèse soutenue par ‘Eñaut Etxamendi Gueçainburu ).

On voit qu’une confusion est possible entre alnus et alis-/cours d’eau ou alis-/alisier ou aulne, notamment dans le domaine pyrénéen. Ce sera vu plus en détail dans la troisième partie consacrée aux langues régionales.

Une autre source de confusion est l’hydronyme gaulois onno qui est à l’origine par exemple des noms de l’Aunette ( sous-affluent de l’Oise) et de l’Eaunette ( affluent gauche du Doubs ).

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La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’une commune française désignant étymologiquement un lieu planté d’aulnes auquel on prête une qualité particulière.

màj : le billet étant consacré à la racine latine alnus de l’aulne, le nom de la ville à trouver est issu de cette même racine — et pas du verno gaulois !

Des indices ?

■ un tableau :

 

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■ une photo :

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