Après les avoir vus se noyer, allons les voir se baigner !
Les toponymes en rapport avec le bain (latin balneum) sont bien trop nombreux pour être passés en revue – qu’on pense seulement à toutes ces villes qui ont cru bon d’ajouter les-Bains à leur nom – d’autant plus qu’un aperçu en a été donné dans ce billet.
Il ne sera donc question ici que de toponymes mentionnant qui ou quoi prend un bain, comme on a vu dans le précédent billet qui se noyait.
Curieusement, le mot le moins utilisé dans ces conditions est « bain » que l’on ne trouve que pour le Bain de l’Ours, un alpage à Bozel (Sav.), le Bain des Corbeaux à Gommergnies (Nord), le Bain des Dames à Coucy-le-Château (Aisne), un ancien corps de ferme sur les bords de l’Ailette et le Bain des Pères à Rupt-sur-Saône (H.-Saône), auxquels on peut rajouter des noms moins officiels comme les nombreuses plages appelées Bains des Dames (à Marseille, Cognac, Châteauneuf-sur-Charente etc.) qui rappellent pour la plupart des lieux de baignade spécialement aménagés pour garder les dames à l’abri des regards.
On trouve bien entendu un plus grand nombre de toponymes formés avec le verbe « baigner » mettant le plus souvent en scène un animal. En voici une liste, certes non exhaustive, mais donnant quelques exemples parmi les plus fréquents :
- Baigne-Jau : un étang à Mézières-en-Brenne (Indre) avec le dialectal jau, « coq » (cf. Baigne-Jean un peu plus loin) ;
- Baigne-Chien : un lieu dit à Prahecq (D.-Sèv. ), une Fosse du Baigne-Chien à Neuvy-le-Roi (I.-et-L.), un lieu-dit Les Baigne-Chiens à Neuil (I.-et-L.), un Puits de Baignechien à Vaux (Vienne) ;
- Baigne-Truie : un lieu-dit à Saint-Laurs (D.-Sèv., déjà Baigne Truye en 1547) et un ruisseau de la Fontaine de Baignetruie à Breuil-Barret (Vendée) ;
- Baigne Bœuf : une fontaine et un ruisseau de Baigne-Bœuf à Argy (Indre), le Baignebœuf, un lac et affluent du Salleron à Latus (Vienne) et un étang de Baignebœufs à Marsat-la-Courrière (Creuse, déjà ce nom en 1657) ;
- Baigne-Grole : un lieu-dit à Anglade (Gir.), avec grole de l’occitan graulo, « corneille » (eh non ! Ce n’est pas un bain de pied chaussé ! ) ;
- Baigne-Chat : un ruisseau à Vouzailles (Vienne) ;
- Baigneloup : un lieu-dit à Tremblay-le-Vicomte (E.-et-L.) et une vallée de Baigneloup à Danmarie (E.-et-L.) ;
- Baignerenard : un ruisseau et un lieu-dit à Marches (Drôme) attesté Comba de Bani Regnart (1418).
Les animaux ne sont bien entendu pas les seuls à se baigner. On trouve ainsi un ruisseau et un étang Baigne-Jean à Mézières-en-Brenne (Indre, anciennement étang de Milleret, mais qui pourrait être, par corruption, le même que l’étang de Baigne-Jau vu plus haut – mes sources sont contradictoires, me voilà fort marri) et un quartier Baigne-Pieds à Avignon (Vauc., là ça va, je connais). Mais ce qui se trempe le plus souvent est quand même le cul, avec un lieu-dit Baigne-Cul à Tremblay-en-France (Indre) et à Saint-Julien-de-Concelles (L.-Atl.), un pont de Baigne-Cul à Jallais (M.-et-L.), un ruisseau de Baigne-Cul à Vaux-les-Prés (Doubs) et un ruisseau de Cul-Baigné à Saint-Gildas-des-Bois (L.-Atl.). On aura noté au passage que c’est dans le grand nord, c’est-à-dire au nord de l’Ardèche, qu’on aime se mouiller le derrière – si je prends l’Ardèche comme repère, c’est parce que sa source, à Astet, se situe un poil (si j’ose dire) au sud de Chaudes-Aigues (Cantal) où on trouve un lieu-dit Trempe-Cul (mais, dans des eaux chaudes, qui s’en priverait ? ). Et puisque nous en sommes à « tremper », notons que, hormis des Trempe ou des Trempettes sans mystère, peu de toponymes en sont dérivés sauf un ruisseau de Trempelou où on a vu le loup à Fraissinet-de-Lozère (Loz., ben oui) et une Font de Trempe-Soupes à Saint-Auban-d’Oze (H.-Alpes) pour laquelle je m’interroge : s’agissait-il de ramollir sa tranche de pain (étymologie de soupe) en la mouillant, d’y avoir des relations homosexuelles (mais ce sens argotique me semble peu probable ici) ou, plus vraisemblablement, d’y être trempé comme une soupe ?
J’ajoute une mention particulière pour Baigne-Cane, nom de trois lieux-dits dans les Deux-Sèvres à Prahecq, Frontenay-Rohan-Rohan et Granzay-Gript et un Baigne-Canne(s), nom d’un lieu-dit à Niort (même département). Il semble qu’il s’agisse là plutôt de canne au sens d’ajonc, roseau – mais je trouve aussi dans certains lexiques poitevin-saintongeais le sens de « canne de marche » pour cane … En l’absence de formes anciennes, hormis un Baignecannes à Saint-Florent, malheureusement non daté dans le Dictionnaire topographique des Deux-Sèvres (B. Ledain, 1902), en l’absence de formes anciennes, donc, qui permettraient éventuellement d’exclure la quenne, « cane, femelle du canard », je reste dans le brouillard.
Bien entendu, des toponymes similaires existent en pays de langue d’oc, formés sur l’occitan bagna. C’est ainsi qu’on trouve :
- Bagne-Chien : un lieu-dit à Espagnac (Corrèze) et à Auzon (H.-Loire) ;
- Bagne-Lèbre : un lieu-dit de la Bastide-des-Jourdans (Vauc.) avec l’occitan lèbro, « lièvre » ;
- Bagne Loup : un lieu dit à Brouzet-lès-Quissac (Gard) — et un lieu-dit à Fontenille-Saint-Martin d’Entraigues ( D.-Sèvres), avec bagne en poitevin-saintongeais, que je n’ai pas oublié ;
- Bagnabou : à Saint-Étienne-de-l’Olm (Gard) avec bou, « bœuf » ;
- Bagno Moutous : un lieu-dit à Alzonne (Aude), avec moutou, « mouton ».
Attention toutefois aux faux amis possibles issus de la racine oronymique pré-latine *ban qui est par exemple à l’origine de Bagnaloups à Usclas-du-Bosc (Hér.), la « hauteur du loup » (il n’y a qu’à y faire un tour pour se rendre compte qu’un loup aurait du mal à s’y baigner !) et de Bana Vieille à Sorbs (id.) où aucune personne âgée ne s’est sans doute jamais baignée mais où se trouve un dolmen peut-être à l’origine du qualificatif.
Les devinettes
Une fois de plus, je n’ai pas pu choisir entre deux devinettes possibles …
1 Il vous faudra trouver un ruisseau dans lequel on baignait des animaux pour une raison bien particulière. Son nom est formé d’un dérivé du latin balneo, –are , « baigner », accompagné de la raison pour laquelle on y plongeait des animaux.
Sur un autre site de la même commune, la légende prétend que des femmes aux pouvoirs particuliers venaient se baigner et laver leur linge les nuits de pleine lune puis le faire sécher au soleil.
Le nom de la commune où coule ce ruisseau est formé de celui d’un nouvel établissement mentionné pour la première fois au début du XIè siècle et déterminé depuis le XIVè siècle par un patronyme d’origine germanique, celui des barons du lieu dont la lignée s’éteignit au XVIIè siècle.
L’origine du nom du chef-lieu d’arrondissement est pré-latine et pré-celtique, mais son sens est peu assuré. On a pu faire le rapprochement avec une racine indo-européenne signifiant « clair, lumineux ».
Le nom du chef-lieu de canton est sans doute issu de celui, d’origine pré-celtique, de la rivière qui l’arrose – mais cela n’empêcha pas la commune de faire figurer un animal dans son blason qu’elle pensait rendre ainsi « parlant ».
2 Il vous faudra trouver un lieu-dit dont le nom évoque le bain qu’on y faisait prendre à des animaux d’élevage.
Le nom de la commune où se trouve ce lieu-dit est formé de celui, attesté au début du XIIè siècle, du domaine agricole d’un homme germanique et complété un siècle plus tard par le patronyme du nouveau propriétaire des lieux.
Le chef-lieu d’arrondissement a pris le nom des Gaulois dont il était la capitale.
L’ancienne commune qui a donné son nom, sous forme adjectivale, aux villages qui ont formé la nouvelle commune chef-lieu de canton, portait un nom signifiant « forêt ».
Je n’aurai probablement pas le temps d’écrire un billet avec les traditionnels indices du mardi. Je vous livre donc dès ce soir deux indices :
■ et d’un :
■ et de deux :
Réponses attendues chez leveto@sfr.fr