Ralenti ce week-end par un pont d’érable à franchir et guère aidé par un cruel manque d’inspiration me voici obligé d’écrire, très en retard, un nouveau billet sur la Corse.
Certains linguistes estiment que la langue corse actuelle a été partiellement formée bien antérieurement à la romanisation, mais sur un même fonds européen que le latin, en faisant une proche parente des premiers parlers toscans et sardes. Elle a pu être également influencée par certains parlers ibères ou ligures qui ont laissé quelques traces toponymiques. Sénèque, exilé en Corse en l’an 40, trouvait la langue corse barbare et incompréhensible.
Après le passage des Vandales puis des Ostrogoths, qui ont pu, à leur tour, laisser quelques traces en toponymie, la Toscane s’empare de la Corse en 828 qui sera alors régie par Pise et dont les noms de lieux ont pris des tournures toscanes. L’arrivée des Génois à la fin du XIIIè siècle n’a pas sensiblement changé parlers et toponymes, d’autant plus que le génois lui-même avait beaucoup emprunté au toscan, au moins dans l’écriture.
Depuis l’acquisition française en 1768, la question toponymique est double : fixer la part de la francisation et se distinguer de l’italien. Un regard sur les cartes de l’IGN montre une constante évolution : des noms en français, d’autres de forme italienne (terminaisons en o), d’autres de forme plus corse (terminaisons en u prononcé o, écriture de formes ghj prononcé dj, …). La tendance actuelle est très nettement à s’appliquer à développer la dernière (sans parler des extrémistes qui vont jusqu’à peindre en blanc les panneaux de signalisation routière écrits en français sans prendre la peine d’écrire le nom corse censé être connu des autochtones, ce qui rend la circulation sur les petites routes de l’intérieur de l’île très … ludique).
La division de la corse en deux départements, du Haut et du Sud, reprend une très ancienne opposition entre Cismonte et Pumonte, c’est-à-dire, vues de l’autorité génoise péninsulaire établie à Bastia, les parties en-deçà et au-delà des monts, dont la crête principale est orientée NO-SE. Cette distinction avait été reprise par les Conventionnels qui avaient nommé du nom de leur fleuve principal les deux départements : le Golo et le Liamone.
Vite fait, un tour de Corse par le nom de ses communautés de communes.
Comme on le voit sur cette carte, elles sont au nombre de 19 :
■ Cap Corse : à la pointe, à la tête de l’île.
■ Bastia : du nom (attesté en 1337) de Bastia, fondée en 1313 par les marins Génois, « la bâtie », désignant la première forteresse carrée, entourée d’un fossé et d’un terre-plein, édifiée par les Génois en 1380.
■ Marana-Golo : du nom du fleuve le Golo et de sa plaine d’alluvions la Marana. Charles Rostaing (ETP*) voyait dans le nom du Golo une racine pré-indo-européenne *gol à valeur hydronymique mais, cette racine étant douteuse, cette étymologie est aujourd’hui contestée par d’autres auteurs qui donnent ce nom pour non indo-européen, allant jusqu’à le rapprocher du turc göl, « fleuve », ou du mongol gol de même sens. E. Nègre (TGF*) propose quant à lui une variante masculine du corse gòla, « gorge », nulle part ailleurs attestée. La Marana dont il est question ici a été identifiée par des spécialistes comme la Colonia Mariana fondée au sud de Bastia par Caius Marius au Ier siècle av. J.-C. (cf. le site archéologique).
■ Castagniccia-Casinca : Castagniccia est la châtaigneraie. Casinca : d’une racine prélatine *kas, « hauteur », et suffixe prélatin –inc.
■ Costa-Verde : côte verte.
■ L’Oriente (cartouche verte mais en violet sur la carte ) : à l’est de l’île.
■ Fium’Orbu-Castellu (cartouche violet mais en bleu clair sur la carte) : du nom du fleuve Fium’orbu (français Fiumorbo) dérivé du latin flumen, « fleuve », et orbus, « privé de… » c’est-à-dire privé de lumière, sombre. Il passe en effet par les défilés de Strette (« étroits ») et de l’Inzecca (« entaille »). Castellu, « le château ».
■ L’Alta-Rocca : la « haute roche », pays de montagne.
■ Sud-Corse : au sud de l’île.
■ Sartenais-Valinco-Taravo : du nom de Sartène qui serait issu d’un radical prélatin évoquant des rochers en pointe, hérissés, comme pour la Sardaigne, voire la Cerdagne. Valinco, adjectif corse formé sur le latin vallis, « vallée », désignant ici la basse vallée du Taravo. Taravo : l’auteur corse Carulu Giovoni (1879-1963) a proposé une étymologie d’après le grec Tarvos, « taureau », auquel le fleuve aurait été consacré (cité dans la revue Études corses, n°13 à 20, 1957). Paul Bailly (Toponymie en Seine-et-Marne, éd. FeniXX, 1989) imaginait un indo-européen *tarr, « terre », et *ave, « rivière », pour une rivière qui transporte de la terre. Il est sans doute plus raisonnable de voir dans ce nom, avec E. Nègre (TGF*) un dérivé de la racine hydronymique pré-indo-européenne *tar (celle du Tarn) suivie du suffixe roman –avus.
■ Pieve d’Ornano : Piève est le nom ancien des circonscriptions corses. Ornano est une petite région qui doit son nom à la présence d’ornes (ou frêne à fleurs, latin Fraxinus ornus) et qui a donné le sien à la famille d’Ornano.
■ Haute Vallée de la Gravonne : Gravona, du celtique et italique grava, « gravier », et suffixe hydronymique gaulois ou roman ona.
■ Pays Ajaccien : du nom d’Ajaccio, attesté Adiacencis en 601, dans lequel on reconnait le latin tardif ad jacium signalant une jasse, lieu de repos de troupeaux et bergers.
■ Spelunca-Liamone : du nom de la commune Spelonca, « grotte, caverne ». Liamone est un fleuve dont le nom est mystérieux
■ Centre Corse : au centre de l’île.
■ Pasquale Paoli : cf. wiki
■ Calvi-Balagne : Calvi, probablement de la racine pré-indo-européenne *cal, « rocher », ou de cala « anse profonde, au sens de calanque », avec attraction du latin calvus, « chauve ». Le nom de la Balagne a donné lieu à plusieurs hypothèses. Il pourrait s’agir d’un dérivé du nom Palania donné avant sa christianisation à la commune de Corbara (« corbière »), dont le sommet principal Sant Anghjulu (saint Ange, en italien Angelo, martyr à Licata en Sicile en 1220) semble érigé comme un pieu, un pal, au-dessus de la plaine d’Aregnu-Corbara. On a aussi pensé à un dérivé du grec balanos, « gland », allusion à la forme des olives dont la région était grande productrice. Un transfert par les Phéniciens du nom de leur ville Balanea (actuelle Banias syrienne)a été aussi évoqué.
■ Île Rousse-Balagne : l’Île-Rousse doit son nom à la couleur rose du granit sur laquelle elle est bâtie et des îlots qui l’entourent.
■ Nebbiu-Conca d’Oru : Nebbiu, « brume, brouillard, nébulosité ». Conca d’Uru : conca est une conque, « dépression de forme arrondie et concave, cuvette naturelle où l’eau peut séjourner », d’où aussi « mare » ; d’oru : « d’or ».
*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.
Désolé pour les amateurs qui n’attendaient que ça, je n’ai pas de devinette à vous proposer.
Patience ! Ça devrait aller mieux ce week-end.