La Voireuze (répàladev)

LGF a rejoint TRA et TRS sur le podium des découvreurs de la solution de ma dernière devinette. Bravo à tous les trois !

Il fallait trouver la Voireuze, une rivière qui prend sa source dans le massif du Cézallier, sur la commune de Leyvaux (canton de Saint-Flour, Cantal), traverse Saint-Étienne-sur-Blesle avant de se jeter dans L’Alagnon à Blesle (canton de Sainte-Florine, arrondissement de Brioude, H.-Loire), quelque part par là :

Saint-Etienne-sur-Blesle(2)

… si, si, là, autour du point rouge.

Au sud du Signal du Luguet, point culminant du massif du Cézallier, le ruisseau de Vins-Haut et le ruisseau de Bostberty se rejoignent pour former le ruisseau du Barthonnet qui court sur 6 km sur les pentes du Cézallier avant de rejoindre le ruisseau de Leyvaux et de prendre alors le nom de Voireuze.

VOIREUZE CAPT

La toponymie

Voireuze : attesté aqua de Voyresa en 1306 puis vineam de Voireza, ce nom est issu de la racine hydronymique * vor, variante de * var, accompagnée du suffixe latin –esia. C’est une forme déjà rencontrée dans le nom de la Voroize iséroise. Notons que la rivière était appelée Voirèze dans le Dictionnaire topographique du département de la Haute-Loire (Augustin Chassaing et Antoine Jacotin, 1907) et que ce nom était encore utilisé avec parfois la graphie Voyrèze jusqu’à une date récente. Notons que si la racine originelle avait été conservée, nous aurions eu le nom *Vareuse, ce qui l’aurait fait unique (vidéo). Oui, je vous l’accorde, à une lettre près, elle pourrait aussi être foireuse, ce qui n’est pas impossible quand on sait qu’un de ses affluents est le Merdan.

  • ruisseau de Vins-Haut : le nom du hameau se comprend aisément, comme celui de Vins-Bas non loin de là. Les vignes qui y étaient plantées expliquent qu’on parlait déjà au XIVè siècle des vignes de la Voirèze (vineam de Voireza).
  • ruisseau de Bostberty ou Bostberthy : nom composé de bosc et du patronyme Berty. Introduite en Gaule avec les Grandes Invasions, la racine germanique *bosk, « buisson », a remplacé le français selve et l’occitan selva pour désigner un ensemble d’arbres de plus ou moins grande dimension. Dans bost, la présence du t qui remplace un c disparu de la prononciation est purement graphique et, localement, ne se prononce pas. Berty est un patronyme d’origine germanique sur la racine behrt, « illustre, brillant », avec suffixe diminutif –in prononcé i d’où la graphie en y.
  • ruisseau du Barthonnet :  variante du patronyme Berthonnet lui aussi d’origine germanique, diminutif de Berthon, sur la racine behrt-, « illustre, brillant », et suffixe diminutif on.
  • ruisseau de Leyvaux : cf. plus bas le nom de la commune.

Alagnon : attesté Ellenio en 823 puis Alanionem en 1095, de l’hydronyme pré-celtique *al et double suffixe roman anione. L’Alagnon se jette, en aval de Jumeaux, dans l’Allier qui est lui-même un affluent de la Loire.

Leyvaux : attesté Las Vals au XIVè siècle et Lesvaulx en 1401, le nom s’explique facilement par le paysage vallonné.

Saint-Étienne-sur-Blesle : Ecclesia S. Stephani en 1185 puis Ecclesia S. Stephani prope Blasiliam au XIVè siècle. Paroisse mise sous le vocable de saint Étienne, premier chrétien à avoir subi le martyre pour le Christ, lapidé en 36 ap. J.-C.. Le déterminant précédé de la préposition sur indique que ce village est situé en amont du suivant (et non pas que Blesle est un cours d’eau).

Blesle : le nom est attesté S. Petrus de Blasilla au XIè siècle. Il s’agit d’un dérivé du nom d’homme latin *Blasillus, dérivé de Blasius à rapprocher du surnom Blasio donné à un bègue. Le féminin en –a s’explique par un sous-entendu villa ou terra. C’est en tout cas l’hypothèse émise par A. Dauzat (DENLF*) et retenue par B. et J.-J. Fénié (TNO*) ainsi que par J. Astor (DNLFM*). E. Nègre (TGF*) et P.-H. Billy (DNLF*) rejettent cette hypothèse basée sur un nom non attesté et préfèrent faire appel au cognomen féminin Blaesilla, bien attesté celui-là.  La chute du s intervocalique et l’allongement du e conduit à la forme Bleele de 1321 et enfin Blesle en 1511, ainsi écrit par hypercorrection.

CPA Blesle

Le cavalier masqué de Blesle ou la naissance de la légende de Zorro

(peu de gens le savent, c’est cadeau).

Cézallier : le nom de cette région naturelle n’est pas attesté avant le XVIIIè siècle, montagne du Cézallier chez Cassini en 1769. Ses vastes étendues, aujourd’hui désertes et réservées à l’élevage d’estive, étaient au début du Moyen Âge fortement boisées, puis furent défrichées lors de la forte poussée démographique du milieu du bas Moyen Âge pour en faire de nouvelles terres cultivables. Le nom date probablement de cette époque et est formé sur l’ancien occitan seguel, « seigle » et le suffixe –ier (latin –ariu) pour désigner une terre à seigle. La graphie avec l géminé sert à marquer la palatalisation, sans doute par analogie avec le nom de la rivière Allier. Elle n’est cependant pas nécessaire et, depuis 1926, la graphie Cézalier est venue la concurrencer, mais sans grand succès.

Signal du Luguet : on reconnait dans ce nom une forme diminutive de luc, « bois », du latin lucus, à l’origine « bois sacré » ; il s’agit du nom d’un hameau situé sur son versant nord-est. Le terme « signal » est employé comme synonyme de « sommet » : le signal du Luguet est le point culminant du massif du Cézallier, à 1551 m.

Sainte-Florine : on ne sait rien d’autre de cette sainte que ce qu’en dit la légende et la trace de pas qu’elle aurait laissé à la Pezade (commune de Mazoires) après avoir franchi d’un bond les gorges de la Couze. Florina, nom latin qui veut dire « petite fleur », est un symbole de pureté et de beauté. Ne connaissant rien d’elle, on lui donna vraisemblablement ce nom après son martyre. (cf. ici).

Saint-Flour : S. Florus en 1004, du nom de Flour, premier évêque de Lodève. Selon la tradition, il quitta cette ville, guidé miraculeusement vers la haute Auvergne par une nuée le jour et une lueur la nuit. Arrivé au Mons Indiciacum, il trouva un quadrilatère dessiné sur le sol par les anges, lui indiquant l’emplacement de l’église à construire. Il se fixa en ces lieux d’où il évangélisa la haute Auvergne avant d’y mourir en 389. Son tombeau devint lieu de pèlerinages pendant plusieurs siècles et ainsi Indiciacum devint-il Saint-Flour. L’étymologie populaire fait d’Indiciacum « qui indique » (lat indicium, « révélation, signe »), pris comme une preuve des prodiges qui guidèrent le saint jusqu’au bout de son périple et de la marque laissée par les anges sur le sol. Assurément, l’étymologie populaire parait être pour beaucoup dans l’élaboration de ces miracles. En fait, Indiciacum est un nom de domaine gallo-romain formé sur le nom d’homme latin Indicius et suffixe –acum.

Brioude : attesté Brivas au Vè siècle puis Brivate au VIè siècle, du gaulois briva, « pont » et suffixe ethnique gaulois ate (« les habitants du pont »). L’actuel Brioude n’est pas sur l’Allier, c’est Vieille-Brioude, au sud-est, qui est à l’origine du toponyme.

CPAvieille-brioude_

Les indices

■ l’abbaye pour femmes : « Blesle ne prend vraiment de l’importance qu’avec la fondation d’un monastère de femmes par Ermengarde, femme du comte d’Auvergne Bernard II Plantevelue et mère du duc d’Aquitaine Guillaume le Pieux, intervenue entre 845 et 889  » explique le site de la mairie.

indice a 07 08 2022 ■ la pierre : il fallait reconnaître de l’antimoine dont l’extraction à Blesle donna un coup de fouet à l’économie locale grâce notamment à Emmanuel Chatillon qui établit une fonderie d’antimoine à Blesle en 1886.

indice a 09 08 2022  ■ le portrait : il fallait reconnaitre le duc d’Aquitaine Guillaume le Pieux dont la maman etc. (cf. plus haut).

indice b 09 08 2022 ■ l’affiche : il s’agit d’une des affiches de La Nouvelle Guerre des boutons de Christophe Barratier, dont certaines scènes ont été tournées à Blesle. (je ne mets pas de lien, parce que.)

 *Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.

Briva, le pont gaulois

Quoi de plus naturel, après le gué gaulois, que de poursuivre l’aventure en passant le pont ?

Le gaulois avait briva pour désigner le pont, un mot issu d’un indo-européen *bhréwa, désignant un madrier, une poutre servant de passerelle et qui a aussi donné le bridge anglais, le brug néerlandais et le Brück allemand.

On sait que les Gaulois étaient de fameux constructeurs de ponts en bois ; les archéologues ont même retrouvé à Cornaux-les-Sauges en Suisse un pont monumental de 90 mètres de long, du IIIè siècle av. J.-C.

3dpont gaulois 2
Incroyable ! Impossible de trouver une photo de pont en bois gaulois sur internet !

Le pont était un ouvrage suffisamment solide et pérenne pour devenir un élément essentiel d’une agglomération ou pour qu’une ville s’y fixe, ce qui explique les quelques traces que briva a laissées en toponymie, avant de laisser sa place au latin pontus, généralement en pierre.

Briva employé seul

On retrouve briva dans les noms de Brie (Aisne, Somme, attestés Briva — les autres Brie sont issus du gaulois briga, « hauteur » ), Brive-la-Gaillarde (Corr., Brivae au VIè siècle), Brives (Ch.-Mar.), Brives-Charensac (H.-Loire) et Brèves (Nièvre, vico Brivae sur une inscription romaine).

Briva a été employé avec divers suffixes :

  • le pré-celtique et celtique locatif -ate : Brioude, (H.-Loire, Brivate au VIè siècle ; le pont sur l’Allier est à Vieille-Brioude, trois kilomètres au sud-est) et Brides-les-Bains (Sav.). Saint-Nazaire est une ancienne Brivates ainsi nommée par Ptolémée au IIè siècle.

1464419364-BBrioude

  • le péjoratif latin -aster : Briastre (Nord, Briastrum en 1033), « le vilain pont ».
  • le suffixe féminin roman -ana, sous-entendu villa, « (la ferme) du pont » : Brienne (S.-et-L., Briana en 1059), Brienne-sur-Aisne (Ardennes), Brienne-la-Vieille et Brienne-le-Château (Aube — la première, Briona au VIIè siècle, avec son pont sur l’Aube sur la route de Reims à Langres, donnera son nom à la seconde au XIIè siècle après la construction d’un castellum qui devait servir de refuge aux habitants lors des incursions normandes).

Briva a aussi donné quelques noms de cours d’eau comme La Brive qui coule à Cavillargues (Gard), La Brive, affluent de l’Aveyron dans le Tarn-et-Garonne et quelques autres. Avec le double suffixe pré-celtique –ant-ione, briva a donné son nom au Briançon, affluent du Rhône près de Théziers dans le Gard, au Briançon, affluent du Tarn en Lozère, au Briançon à Quettetot dans la Manche, etc. auxquels on peut ajouter La Briance, affluent de la Vienne, Le Brian affluent de la Cesse dans l’Hérault et La Briane, affluent de l’Aveyron. Dans certains cas, on pourrait postuler le gaulois briga , « hauteur », qui est à l’origine de Briançon (H.-Alpes) mais briva a de meilleures chances d’être représenté dans les noms de cours d’eau, alors appelés « la rivière  au pont ».

Briva en composition

■ avec le nom de la rivière :

  • Briollay (M.-et-L.) sur la Sarthe,  doit son nom au Vieux-Briollay, un de ses hameaux sur le Loir noté Brioledum en 1040, avec Ledum, le Loir.
  • Chabris (Indre): sur le Cher : Briocarum vers 1055-82, avec Carus, le Cher.
  • Salbris (L.-et-C.) : Salebrivas en 885, sur la Sauldre, en gaulois Salera.
  • Escaudœuvres (Nord) : Scaldobrio en 1139, sur l’Escaut, Scaldis chez César..
  • Brissarthe (M.-et-L.) : in vico Briosartense en 835, sur la Sarthe.
  • Amiens (Somme ) était  Samarobriva chez César, avec Samara, nom prélatin de la Somme, avant de prendre au IVè siècle le nom de la peuplade gauloise (Belgique) Ambiani dont elle était la capitale.
  • Saint-Lô (Manche), sur la Vire, était la civitate Briovere en 511, avec l’ancien nom Viria de la Vire, avant de prendre le nom de son église dès le XIè siècle et de le conserver quand l’église sera vouée à la Sainte Croix au XIIIè siècle.

■ avec d’autres substantifs gaulois :

  • avec dunum, « colline » puis « forteresse », donnant bri(v)-ó-(d)unum   : Brion (Ain, S.-et-L., Vienne ) et Brion-sur-Ource (C.-d’Or), tous traversés par une rivière. Les autres Brion sont soit issus de briga, « hauteur » (Isère, Sav., P.-de-D., etc.) soit de berria, « plaine » ( Indre, D.-Sèvres, Yonne) mais toujours avec dunum.
  • avec durum, « forteresse, ville close » : Briare (Loiret, Brivodurum au IVè siècle, place forte commandant le pont sur lequel la route suivait la rive droite de la Loire d’Autun à Orléans en franchissant l’affluent La Trézée), Briarres-sur-Essonne (Loiret, place-forte surveillant le pont que franchissait la voie antique reliant Sens à Chartres), Brieulles-sur-Bar (Ardennes, Briodro à l’époque mérovingienne) et Brieulles-sur-Meuse (Meuse, Briodurum en 984) et Brionne (Eure, Brevodurum dans l’Itinéraire d’Antonin puis Brionna au XIIè siècle après changement de suffixe).

Briarres-E-001

  • avec rate, « rempart, forteresse » : Briord ( Ain, sur le Rhône, on trouve  Vicani Brioratenses sur une inscription romaine).
  • avec *banno, « corne, pic » : Bonnœuvre (L.-Atl., aujourd’hui dans la commune nouvelle de Vallons-de-l’Erdre), était noté Banouvrium (1073) puis Banovrium (1186), d’un composé banno-ó-briva, « pont en forme de corne » (?). Le premier terme du composé pourrait être plus simplement un nom d’homme gaulois Banna. Le nom Banovrium a été latinisé (joca monachorum ?) Bono Opere en 1330, d’où le Bonnœuvre actuel plutôt qu’un *Bannovre qui aurait été plus respectueux de l’étymologie.
  • avec treide, « pied » : Bléré (I.-et-L.) était connu comme Briotreide au VIè siècle, Biotreit puis Blireium au VIIè siècle et Bliriacum au XIè siècle : on reconnait le gaulois briva accompagné de treide, « pied », ce qui devait signifier « bout du pont », où il y avait peut-être un fortin. La forme du XIè siècle est une re-latinisation avec le suffixe -acum donnant la finale accentuée .

cul de lampe B

La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’une commune française métropolitaine formé du gaulois briva, « pont », associé à l’ancien nom de la rivière qui y prend sa source.

Cette commune apparaît dans trois anciens billets de ce blog :

— à propos d’un épisode guerrier légendaire qui a fourni le déterminant du nom d’une ancienne commune, aujourd’hui associée à celle qu’il faut trouver ;

— à propos de vestiges archéologiques qu’on prétend à tort liés au même épisode guerrier et qui ont donné lieu à un micro-toponyme ;

— à propos de la qualité du sol qui a donné son nom à une autre ancienne commune, aujourd’hui associée à celle qu’il faut trouver.

Un seul indice ( parce que je n’ai pas d’autre idée!) :

The draper in the sixteenth century, after an engraving of the t

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr