Le boeuf, le chat et le ruisseau

Nos ancêtres faisaient parfois preuve d’imagination quand il s’agissait de nommer les rivières…

bramabiau

À Saint-Sauveur-des-Pourcils, dans le Gard, coule le ruisseau du Bonheur dont une partie du cours, dans la roche calcaire, est souterraine. À sa résurgence, il prend le nom de Bramabiau, de l’occitan brama biòu, « meugle, bœuf! », à cause du bruit quelquefois assourdissant que font ses eaux jaillissantes.

On retrouve ce même nom dans l’Ain, à Bellegarde: Bramaboeuf ou Bramabu ( bu est le franco-provençal pour « bœuf ») est le nom d’une grotte d’où sort une rivière souterraine avec un bruit rappelant le meuglement du bœuf.

Le verbe bramer a été aussi utilisé seul par exemple à Darnac, dans la Haute-Vienne, où un affluent de la Gartempe s’appelle La Brame et une de ses cascades particulièrement bruyante le Saut de la Brame qui a fini par donner son nom à toute la rivière. Citons encore un Bramans et un Bramant en Savoie, un Bramont dans le Lot et un Bramerit en Charente-Maritime ( avec l’oïl ri, « ruisseau »).

À Saint-Léomer, dans la Vienne,  un affluent du Salleron porte le nom de Baignebœuf , nom que l’on retrouve en deux mots pour le ruisseau de Baigne-Bœuf à Argy dans l’Indre. Il s’agit là de ruisseaux suffisamment larges et profonds pour qu’un bœuf s’y baigne.

À l’inverse, le cours supérieur de la Palu, à Saint-Cyr ( Vienne) est si maigrelet que, par temps caniculaire, il a tout juste assez d’eau pour qu’un chat s’y baigne : c’est le Baignechat.

Un marécage au Nord de Toulouse —aujourd’hui asséché — était de si petite dimension qu’on disait qu’un chat l’aurait asséché en le lapant. Au Moyen-Âge, les moines de Saint-Cernin l’avaient appelé Nausam de Catlepa de l’occitan nausam, marécage » suivi de cat et de l’impératif  lepa : « chat, lèche !». Ce nom se retrouve à Liaussou ( Hérault ) où une source intermittente s’appelle Callépe, tout comme à Lombers (Tarn).

Quelquefois les histoires d’eau  finissent mal … Ce fut sans doute le cas, à l’Ouest de Mèze où un ruisseau qui se jette dans l’étang de Thau a dû connaître avant le XIIè siècle une crue si importante qu’elle emporta tout un troupeau de vaches. C’est en tout cas ce que laisse entendre son nom Nèguevaques, écrit Negavacas en 1152 de l’impératif occitan nega, « noie » et vacas, « vaches ». On voit quelquefois aujourd’hui ce nom écrit en deux mots : Nègue-Vagues; à ne pas confondre avec l’Aygues Vagues .

Les Héraultais sont gens chatouilleux — mais dotés d’un solide sens de l’humour et d’auto-dérision — et ceux de Pérols, ne voulant pas être en reste, ont baptisé un des ruisseaux qui se perd dans leur étang du nom de Nègagats, écrit Neguacatos en 1166 et Negacatz en 1272, de l’occitan nega, « noie » et cats, gats « chats »: c’est le ruisseau tout juste bon à noyer les chats…

L’hypothèse d’une crue générale des cours d’eau de la région, à une date indéterminée avant 1152, qui aurait noyé ici des vaches et là des chats  n’est pas exclue.

 Supplément

Le ruisseau du Bonheur doit son nom à un prieuré bâti près de sa source. monasterium de Boni-Hominis, en 1145, puis ecclésia de Bonaheur en 1150 : des Hommes Bons au Bonheur, il n’y avait qu’un pas… Bonheur a été retranscrit sous diverses formes : Bonahur, Bonahuc, Bonaur…

La Gartempe : Vuartimpe en 825 devenu Guartimpa en 886 a subi la même évolution phonétique que le Vardo ( Vè. s.) devenu le Gard. Il s’agit du radical var-, issu de l’indo-européen  uer-, «rivière, couler », accompagné du suffixe celtique -ampa.

Le Salleron : nom sans doute formé sur le celtique salera, lui-même issu de l’indo-européen salo, « ondoyant », accompagné du gaulois -ona, « eau »

La Palu : de l’oïl palu, « marais ».

L’étang de Thau : mentionné comme Taurus palus au IVè s. ce nom serait issu d’une racine pré-indo-européenne taur, à valeur hydronymique ( ce serait alors le nom de l’étang) ou oronymique ( ce serait l’ancien nom du mont Saint-Clair). Les Sétois disent l’estan de Taur.

De quelques chatons ou « La mardelle, le pâtis et le molard ».

chat giacomettiComme promis, je continue mon exploration des toponymes en relation avec le chat, commencée ici et continuée là, par ceux qui font référence aux chatons.

On m’interpelle sur Courchaton (Haute-Saône) : il s’agit là d’un nom forgé sur le mot de langue d’oïl court, « ferme », accompagné du nom de personne Chaton. Ce nom patronymique est attesté de longue date : il est issu du nom de personne germanique Hatto qui  a donné aussi le nom de Chaville (Hauts-de-Seine). C’est encore lui qu’on retrouve dans le nom de Chatonrupt ( Catonis rivus en 1131, avec  rivus « ruisseau ») associé à Sommermont dans la Haute-Marne. Pour rester dans les hydronymes, on peut noter le Ru de Chaton ( Vendrest, Seine-et-Marne), le Ruisseau de Châton (Mézos, Landes), le Ruisseau du Vau Chaton (Monteaux, Loir-et-Cher) ainsi qu’un Puits Chaton ( Burie, Charente-Maritime).

Un autre nom de personne, gaulois celui-ci, Catto, a donné  son nom à  Châtonnay ( Isère, Jura) .

On trouve de très nombreux lieux-dits nommés Chaton, Chatonnier, Chatonnière ou encore Chatonnerie, tous sans doute issus du même anthroponyme sans oublier que le latin avait un adjectif catus, « avisé, habile », qui a été utilisé comme surnom (cf. Caton) et qui, devenu nom propre, a pu fournir son contingent de toponymes. Ce même adjectif latin avait au sens propre le sens d’«aigu» qui peut aussi expliquer certains de ces noms, notamment en montagne.

D’autres noms plus cocasses peuvent être relevés comme le Bois de la Chatonne (Vauban, Saône-et-Loire), le Haut de Chaton ( Sancy, Meurthe-et-Moselle, un sommet), la Mardelle Chaton ( La Chapelle sur Aveyron, Loiret, où l’on apprend qu’une mardelle est une doline aux bords argileux dans laquelle peut se former une mare), le Pâtis Chaton (Bruz, Ille-et-Vilaine, où l’on se rappelle qu’un pâtis est une friche où l’on fait paître les troupeaux) ou encore le Molard Chaton (Creys-Mépieu, Isère. Un molard est un mot régional de Savoie, Dauphiné, Lyonnais et Bresse, issu du latin mola, « meule », et suffixe –are qui désigne une colline, un relief de forme plus ou moins arrondie).

Après papa-chat, maman-chatte et leurs enfants, vous pensiez sans doute être définitivement débarrassés des félins domestiques. Que nenni! La suite au prochain numéro!

De quelques chattes

Je poursuis aujourd’hui ma tournée des toponymes qui doivent leur nom au chat en me penchant plus particulièrement sur son féminin.

J’ai déjà parlé de la difficulté qu’il y avait avec ce nom de « chatte » qui pouvait, en montagne, être une déformation du franco-provençal la chal, « pâturage haut de forme arrondie». De nombreux lieux-dits, valons ou sommets portent ce nom dans les Alpes comme la Serre la Chatte ( Saint-Firmin, Hautes-Alpes) ou dans le Massif-Central le Puy de la Chatte (Nedde, Haute-Vienne).

chatte

Une autre confusion possible est celle que l’on peut faire avec un dérivé du latin casta, « chaste » qui a été appliqué quelquefois à un couvent de femmes, comme c’est peut-être le cas à Chatte (Isère) qui s’appelait Casta au XIè siècle et Chast dès le siècle suivant, mais qui peut aussi n’être qu’une Casta (villa), du nom d’homme latin Castus.

De nombreux micro-toponymes portent ce nom isolé ou accompagné d’un autre nom comme le Pré, le Champ, le Bois, le Pont, la Fontaine, etc. de la Chatte. Plus cocasses, voici le Terrier de la Chatte à Saint-Laurent-des-Combes en Charente, les Trompes Chattes à Alligny-Cosne dans la Nièvre et un Noyé la Chatte à Flavigny- sur- Moselle ( Meurthe-et-Moselle).

On peut toutefois relever quelques noms plus mystérieux encore comme  la Chatte Pendue ( une falaise  à Minorville  en Meurthe-et-Moselle et un sommet vosgien à Plaine dans le Bas-Rhin), une Chatte Chèvre ( Outremécourt, Pas-de-Calais) et une Chatte Vache ( Charrecey, Saône-et-Loire).

Nombreuses aussi sont les Chatteries répandues dans toutes les régions et qui sont pour la plupart des noms de hameaux dont seuls les habitants se souviennent peut-être d’où vient cette appellation.

Enfin, je m’en voudrais de vous faire quitter ce panorama sans vous avoir amené à la  Source de la Chatte : vous la trouverez sur le territoire de la commune d’Hagécourt dans les Vosges.

Et, quand c’est fini, y’en a encore:

Saint-Firmin: Firminus, nom de plusieurs saints du III au VI è siècle.
Nedde: Aneta en 872, peut-être un nom de personne dérivé du nom mythique Anethus ( l’aneth, amant homosexuel de Papaver, le coquelicot) ou un nom barbare Nevita, attesté du temps de l’empereur Julien.
Aligny – Cosne: Eliniacus au Viè siècle , du nom d’homme latin Helenius et suffixe -acum. Cosne est issu du gaulois condate , « confluent » ( attesté au II è siècle chez Ptolémée) avec l’accent gaulois sur l’antepénultième contrairement par exemple aux Condé prononcés avec l’accent l’accent latin sur la pénultième.
Flavigny : du nom d’homme latin Falvinius et suffixe – acum.
Minorville: du nom de personne germanique Meginulf et villa.
Outremécourt : du nom de personne germanique Audremarus et cortem
Charrecey: du nom d’homme latin Caturicius et suffixe -acum.

De quelques chats

Cabaret_chat_noir-Musee_CarnavaletDomestiqué en Égypte vers 1580-1080 avant J.-C., le chat était rarissime en Grèce, à Rome comme en Gaule jusqu’au début du Moyen-Âge où il commença à être progressivement implanté en Europe.

Le latin cattus, « chat », accompagné du suffix –aria, a donné son nom à Gattières (Alpes-Maritimes), Chattière (Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Sarthe, Savoie) ou encore à Chatterie (Sarthe). Il s’agissait sans doute d’endroits où les chats, peut-être sauvages, étaient nombreux voire envahissants, à moins que pour les deux premiers il ne s’agisse du nom donné par dérision aux portes de la ville de petites dimensions, comme une chatière.

La commune de Chaville doit quant à elle son nom soit au surnom latin d’un homme, Cattus, soit plutôt au nom de personne germanique Hattho qui y auraient établi leur villa.

Le nom du chat apparaît aussi dans de nombreux micro-toponymes que je ne pourrai pas tous citer.

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La Pointe des Chats – Île de Groix

Le Morbihan semble particulièrement félin avec sept occurrences: Chat d’en bas et  Chat troussé à Saint-Marcel, le Chat Noir à Saint-Philibert, Le Trou du Chat à Pluvigner et Le Trou aux Chats à Le Palais, La Ville aux chats à Cruguel  et enfin la Pointe des Chats sur l’île de Groix.

Notons aussi  une Butte du Chat ( Saint-Joachim, Loire-Atlantique), un Pont des Chats (un phare dans le prolongement sud-est de l’île de Sein) et un Pré aux Chats (Rouillac, Côtes-d’Armor).

Enfin quelques noms de rues font référence au chat, reprenant alors le plus souvent une enseigne. C’est le cas de la rue des Chats Ferrés à Orléans qui rappelle l’enseigne d’une ancienne auberge montrant des chats en fer forgé, de la rue du Chat-qui-Vielle à Caen où l’enseigne d’un estaminet montrait un chat jouant de la vielle. La rue du Chat-Haret à Senlis tient son nom de l’hôtel du  Chat Héret, ainsi appelé parce que cet animal était sculpté au-dessus du portail d’entrée. Rappelons qu’un chat haret est un chat retourné à l’état sauvage. La rue du Chat-qui-Pêche à Paris , d’abord rue des Étuves puis rue du Renard, doit son nom actuel à l’enseigne d’une poissonnerie ou d’une auberge.

Le nom de la rue des Chats-Bossus, à Lille, ne doit rien aux chats puisqu’il  vient de la déformation d’un mot local. Les mégissiers, pelletiers et fourreurs accrochaient des têtes d’animaux empaillés à leur devanture en guise d’enseigne, des «caboches », qu’on appelait localement cabochu.

Méfions-nous aussi en montagne de noms comme La Chat (La Terrasse, Isère), La Chatte (Valloire, Savoie) ou le Mont Lachat en Haute-Savoie qui doivent leur nom au franco-provençal la chal « partie élevée et arrondie d’un pâturage haut».

Bien entendu, je n’oublie pas les chattes qui, bien que moins nombreuses, feront toutefois  l’objet d’un prochain article.