Les voies de communication – Deuxième partie

Après avoir parcouru la voie, je me lance aujourd’hui sur les chemins.

« Chemin » viendrait du gaulois cammano de même sens et d’origine peu claire, passé en bas-latin sous la forme caminus et de là dans les langues latines, d’où le cami(n) occitan et catalan. Certains linguistes le rattachent au radical plutôt extensif cam pour espace rural, qui aurait aussi donné champ ; d’autres préfèrent y voir un cam, camen au sens de « pas, marche, aller » qu’ils rattachent à l’indo-européen *gwa, d’où viennent to go et to come anglais.

Comme dans la première partie de ce sujet, je n’étudierai que les noms de lieux habités, sauf quelques exceptions remarquables.

Chemin

Ce mot a fourni d’assez nombreux toponymes en Le Chemin, Cheminas, Cheminade, Cheminon, Cheminot et des centaines de Chemin Vert, Chemin Creux, Chemin Perdu, Grand ou Petit Chemin, etc. qui sont fort banals tandis que je ne compte qu’un Maine Chemin, à Lignières-Sommeville (Char.)

chemin creux

Mais « chemin », quand il désigne un lieu-dit ou un groupe de parcelles, peut devenir intéressant quand il reçoit toutes sortes d’attributs, en partie liés à son usage. Des exemples ?

À Saudoy (Marne), on trouve un Chemin des Lorrains, un Chemin des Champenois et un Chemin des Ânes.

Les métiers sont bien sûr représentés avec un Chemin des Potiers (Taingy, Yonne ; Boutigny-Prouais, E.-et-L. ; Prévilliers, Oise), des Meuniers (Jouarre, S.-et-M.), des Poissonniers (Landrethun, P.-de-C.), des Foins (Queudes, Marne), etc. ainsi que des Chemin des Larrons (Canly, Oise ; Poncey-sur-l’Ignon, C.-d’Or), des Voleurs (Naintré, Vienne ; Oriolles, Char.) et des Prêtres (Noyon, Oise ; Sablonceaux, Ch.-M.) et bien d’autres. On trouve aussi des lieux nommés selon l’usage qui en était fait : le Chemin des Foins à Queudes (Marne), le Chemin du Four à Chaux à Warnécourt (Ardennes), le Chemin des Aisances (id.), des dizaines de Chemin des Vaches ou aux Vaches, etc.

Un certain nombre de ces noms en Chemin sont associés au passage d’une ancienne voie que certains disent romaine mais qu’on peut imaginer d’abord gauloise. On a ainsi le Chemin des Romains à Châtenet et Maisonnay (D.-Sèvres), à Distroff (Mos.), à Marseillan (Hér.) etc. Sur le Grand Chemin est un lieu-dit à Humbauville (Marne) situé sur la Voie Romaine. Le chemin de Compostelle a lui aussi laissé sa trace dans le nom de quelques hameaux comme Le Chemin à Anthien (Nièvre) pour ne donner qu’un seul exemple.

Et non, je n’oublie pas ce chemin-là :

La variante « cheminée » a pu désigner un  chemin ancien, généralement gallo-romain. Ainsi, les  Trois Cheminées, à la Grande Verrière (S.-et-L.), ne sont pas celles d’une usine mais un carrefour sur la voie qui menait d’Autun à Bibracte. On compte une centaine de lieux-dits formés sur ce Cheminée(s) avec différents adjectif comme « grande, longue, trois, quatre, etc. » qu’il est inutile de tous citer ici. On n’oubliera pas à ce propos de jeter un coup d’œil au paragraphe consacré aux faux-amis.

Et les communes ? me demanderez-vous. Eh bien, elles ne sont pas très nombreuses à tirer leur nom d’un chemin. On connait Chemin (Jura), qui résulte de la fusion en 1826 de Beauchemin et Chemin, Cheminas (Ardèche), Cheminot (Mos) sur la voie romaine de Marseille à Cologne  et Chemin-d’Aisey (C.-d’Or). Avec « chemin » en déterminant, on trouve Saint-Pierre-du-Chemin (Vendée) où se croisaient, dit-on à la mairie, deux voies romaines alors que le nom du Moyen Âge était au singulier dans Sanctus-Petrus-de-Camino et Dompierre-du-Chemin (I.-et-V.), sur la voie romaine d’Avranches à Angers.

Camin

Cami ou Camin (mais si, voyons ! l’occitan camin, j’en ai parlé plus haut !) est tout aussi représenté en pays de langue d’oc, avec ses variantes caminel (diminutif),  caminas (augmentatif souvent dépréciatif) et caminada. On trouve ainsi un Cami Debat à Orignac (H.-Pyr.), un Cami Grand à Crespin (Av.), un Camin Grand à Lantosque (A.-Mar.), un Caminel à Fajoles, Luzech et Bellort-du-Quercy (Lot), un Caminas à Lamasquère et Vacquiers (H.-G.), un Camy encore à Luzech (Lot), une Caminade encore à Bellort-du-Quercy (Lot), et bien d’autres. On trouve à Biarritz (Landes) le château de Camiade (avec chute du n intervocalique propre au gascon) et le chemin de l’église apparait dans Camin Glizié à Pissos (Landes).

camin

Faux-amis

Il convient toutefois de se méfier avec les noms de Caminade, Chaminade ou Cheminade qui peuvent représenter l’occitan caminada, « presbytère ». Le latin classique caminus, « four, foyer », d’où vient l’occitan camin, « fourneau », a eu un dérivé caminata en bas latin dans l’expression camera caminata, « chambre chauffée »,  puis caminata a fini par désigner l’instrument de chauffage, le poêle ou la cheminée. Sachant que, dans les temps anciens, seuls les châteaux et les presbytères offraient une chambre à cheminée au maître des lieux (et peut-être aussi des cellules monacales), le mot caminada a fini par désigner la chambre du curé puis le presbytère.

De la même façon, il est possible que certains des noms Cheminée(s) désignent non pas des chemins mais des cheminées d’habitation, d’ateliers, forges ou usines. C’est très certainement le cas pour la Cheminée Ronde à Bray-en-Val et Férolles (Loiret) et les Cheminées Rondes à Saint-Martin-d’Abbat, Mézières-en-Gâtinais et Bouzy-la-Forêt (Loiret), pour la Rue des Cheminées à Taisnières-en-Thiérache (Nord) et pour la Maison des Trois Cheminées à Tilly-sur-Seulles (Calv.).

 

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Les Gaulois avaient un autre mot pour le chemin ou la route : il s’agit de mantalon, d’un indo-européen *men, « marcher », qui n’est, à ma connaissance, pas passé en français (sauf comme couleur dans une chanson d’Eddy Mitchell). Il fera l’objet du prochain billet.

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La devinette

Il vous faudra trouver le nom composé d’une commune de France métropolitaine lié au gaulois cammano et à un type de végétation.

■ Aucun monument historique remarquable ni aucune « personnalité liée à la commune » ne sont cités par wikipedia  … qui oublie le fils de la nourrice d’un roi de France (et non de sa maitresse comme il est écrit sur le site de la mairie : ils sont nés la même année !) dont il fut panetier et qui racheta la seigneurie.

■ une photo, pour le sens du toponyme :

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■ Ah ! Au fait, ne cherchez pas dans la liste wiki des églises dédiées à ce saint : celle de la commune que vous cherchez n’y figure pas !

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