Coleus, i

En villégiature dans le Tarn-et-Garonne, un ami, qui connaît mon intérêt pour la toponymie, m’a fait part du fou rire qui égaya sa voiturée lorsqu’un panneau leur indiqua la Grande Couille, commune de Lavit (attention !, au féminin : Lavit). « D’où vient ce nom ? », me demanda-t-il.

Mon premier réflexe fut de lui faire relire mon article de fin d’année concernant la Couillade des Bourriques, dans lequel j’expliquais que Couillade est «  la francisation de l’occitan colhada, dérivé de col, lui-même issu du latin collum, « passage dans la montagne ». Ma réponse le laissa perplexe car, me fit-il judicieusement remarquer, l’endroit n’a rien d’un col de montagne :

Grande Couille

Alors ? Eh bien, me voilà parti à l’exploration des Couilles, Couillades et autres toponymes du même acabit (non, le t ne se prononce pas).

Première constatation : il y a beaucoup plus de formes de Couilles (si je puis dire) que ce à quoi je m’attendais.

La forme la plus représentée est sans doute cette Couillade. Elle est suivie par Couillard, et ses dérivés Couillarde, Couillarderie, Couillardière, etc. Viennent ensuite des Couille, Couillet, Couillère etc. et quelques autres variantes anecdotiques – dont des faux amis.

Comme on le verra, l’étymologie selon le latin vulgaire *colea , féminin du latin classique coleus, « testicule », si elle semble évidente pour certains de ces toponymes, n’est pas la seule possible : les paronymes sont nombreux d’où la difficulté parfois d’émettre une certitude sur le sens du toponyme.

Couillade

Je me contente de redonner ici l’étymologie de ces Couillades : « il s’agit de la francisation de l’occitan colhada, dérivé de col, lui-même issu du latin collum, « passage dans la montagne ». Le suffixe occitan –ada (du collectif latin –etum/-eta) sert ici à désigner les deux versants du col ».

Seize exemples, tous accompagnés d’un déterminant (cf. l’article déjà cité), apparaissent exclusivement en Ariège, Aude et Pyrénées-Orientales

Couillard

Il s’agit d’un nom de famille issu d’un sobriquet qui signifie littéralement « qui a de gros testicules », donnant crûment une idée des penchants sexuels de l’individu. Rappelons qu’un « couillard » était le nom donné dans nos campagnes à l’âne non châtré. Cependant, d’autres sens peuvent être associés à cette épithète, cf. notre actuel « couillon » . D’autre part, les surnoms donnés aux villageois avant la généralisation des noms de familles étaient destinés à différencier ceux qui portaient le même nom, en général chrétien ; ces surnoms n’étaient le plus souvent ni cruels ni injurieux mais étaient considérés comme « normaux » à l’époque et même parfois tendres : qui ne se souvient de ce « grand couillon » de Marius, comme l’appelait César dans la trilogie de Pagnol ?

On rencontre des toponymes du type Couillard ou Le(s) Couillards répartis sur tout le territoire et même une Couillarde à Cézan (Gers). Le Couillard à Terves (D.-Sèv.) était déjà attesté Le Moulin de Couillard en 1365 (le meunier ne faisait pas que dormir, donc). Notons une Grande et une Petite Couillarde à Lajoux (Ain), L’Ouche Couillard à Mignerette (Loiret, avec ouche, « parcelle cultivée proche de la maison, potager », du gaulois olca, « labour ») et un irrésistible Mont Couillard à la Veuve (Marne).

Les dérivés en –erie ou ière, indiquant la propriété d’un certain Couillard se retrouvent dans la Manche et l’Orne, comme pour la Couillarderie à Pirou (Manche) ou la Couillardière à Rânes (Orne). Nul doute que les Couillardais à Missilliac (L.-Atl.) aient le même sens.

Enfin, l’étymologie du nom du lieu-dit Couillarsut (parfois orthographié Couillarçut) à Arette (P.-A.) est obscure. N’ayant pas réussi à en percer le secret, j’ai renoncé à en faire la devinette du jour.

Couille

Gardant le meilleur pour la fin – et donc la réponse à mon ami (vous vous souvenez ?) – je m’attaque enfin aux Couille (si je puis dire).

Ce toponyme n’apparaît tel quel qu’à de très rares exemplaires (mais plus d’une paire, quand même) : Couille à Montsaunès (H.-G.), la Couille à Mascaras et à Goulz (Gers), la Grande Couille à Sabonnères (H.-G.) et à Lavit (T.-et-G.) et la Noire Couille à Oisy (Nord).

Si j’en reviens à ma Grande Couille (si je puis dire) de Lavit, je constate que le nom était déjà mentionné ainsi sur la carte de Cassini, avec sa pendante (si je puis dire) Petite Couille, aujourd’hui disparue (ce qui faisait une belle paire) ainsi qu’un Couillet Haut :

LAVIT

(carte de Cassini -Feuillet 37 – Montauban -1777)

Ce diminutif Couillet se retrouve à une quinzaine d’exemplaires, dont six dans les Landes avec un redondant Petit Couillet à Lagrange. On trouve un féminin Couillette à Mauvaisin-de-Sainte-Croix (Ariège), un Bosquet Couillette à Sains-en-Amiénois (Somme) et plusieurs Couilline comme à Villandraut (Gir.)

L’étymologie la plus probable pour ces toponymes est celle du latin collis, « colline, coteau » ou, comme pour les Couillades dérivées de collum, il pourrait s’agir d’un petit passage entre deux collines. Une autre hypothèse, pour les Couillet du Sud-Ouest, fait état d’un dérivé colh, attesté en Armagnac, du gascon conh, « coin ».

Mais, notamment pour les Couillet du Midi, il peut s’agir là aussi d’un nom de famille issu de l’occitan couiet, coulhet, coulheto que F. Mistral (Trésor du Félibrige) définit comme « familier : bonhomme, sot, sotte », ajoutant les variantes euphémiques couièti, couiòti, couiòssi. Cf. là aussi ce que j’écrivais à propos de Couillard comme surnom.

La première hypothèse semble confirmée par des toponymes du type Couillère à Affléville (M.-et-M.), le Bois des Couillères à Lacour-d’Arcenay (C.-d’Or), les Couillères à Champier (Is.) qui sont issus du roman couliera, « ensemble de collines » – auxquels on peut sans doute ajouter Couilleuse à Saint-laurent-Nouan (L.-et-C.), avec un autre suffixe collectif.

Cependant, pour certains d’entre eux en Île-de-France, je trouve le sens de « spongieux» pour le Pré Couillet (au pluriel Prés Couillets à Clos Fontaine, S.-et-M.) dans la Toponymie en Seine-et-Marne de Paul Bailly (1989) qui pourrait s’appliquer à des Couillé (à Vaiges, May., etc) – mais sans que ce sens ne soit nulle part ailleurs signalé.

Enfin, l’hypothèse d’un anthroponyme n’est pas exclue pour certaines variantes comme pour Couillerie à Vazerac (T.-et-G.), Couilleron à Mauléon-d’Armagnac (Gers), Couillery à Coulonges-sur-Sarthe (Orne), et est certaine pour Chez Couillebeau à Moulidars (Char., mes compliments à Madame), Chez Couillandeau à Moutiers (Ch.-Mar.) et Chez Couillaud à Chatain (Vienne). A. Dauzat donne pour certains de ces anthroponymes une étymologie selon le latin culeum, « petit sac de cuir », pour désigner un fabricant ou un marchand de tels sacs.

Question sobriquet, on trouve le Roc du Couillon au Bugue (Dord.), le Couillonné à Passais (Orne), les Couillons de Tomé à Perros-Guirrec (C.-d’A.) et un Rayon Marc Couillon à Sorel (Somme). Chacun de ces toponymes mériterait une étude particulière pour en découvrir le sens exact.

Et que dire du Cascouillet à Boulogne-sur-Gesse (H.-G.), qui aurait pu faire l’objet d’une devinette si j’avais eu une certitude sur son étymologie ? Un composé d’une racine *kas, variante de * kar, « pierre » et couillet, « petite colline » ou plus simplement un sobriquet pour un personnage particulièrement ennuyeux ?

CPA Lavit

Les autres

Issu de la racine oronymique pré-indo-européenne *kuk, prolongée par le diminutif ulus, l’occitan a une forme coyol qui apparaît dans le Puech Couyoul à Montpeyrox (Hér.), dans le Roc Couillou à Fraissinet-de-Lozère (Loz.) et dans le Montcoyoul de Montredon-Labessonnié (Tarn, Montecucullo en 1358) rebaptisé en Mont-Roc pour cause d’interprétation péjorative donnée à coyoul. Cependant, il a pu y avoir télescopage avec le nom occitan du coucou, issu du latin cucullus, qui est appelé cogol, cocut ou encore coyol. C’est ce qui explique des noms comme Cante Couyoul  à Albefeuille la Garde (T.-et-G.), Combret (Av.), Grazac (Tarn), Quintillan (Aude), Ventenac (Ariège), Cante-Couyou à La Canourgue (Loz.), Cantecouyou aux Salces (Loz., attesté Cantacogul en 1246), Chantecouyou à Anglards-de-Saint-Flour (Cant.) et quelques autres comme le Pescoujoul à Cézens (Cant.) qui était Peuch-Couyoul en 1649, avec peuch dérivé de podium.

Le nom d’homme latin Colius est à l’origine de celui de Coueilles (H.-G., Colia villa), de Couilly-Pont-aux-Dames (S.-et-M., Coliacum en 853) et de quelques micro-toponymes similaires.

Il reste d’autres noms assez semblables, avec des suffixes variés qui n’apportent rien de plus et qu’il est inutile de tous citer ici.

Conclusion

S’agissant de « couilles », on ne pouvait s’attendre qu’à un sujet suffisamment complexe, mystérieux et sensible pour qu’on ne sache pas trop par quel bout les prendre.

Si je puis dire.

index

La devinette

Il vous faudra trouver un micro-toponyme de France métropolitaine lié au mot du jour et désignant une hauteur toute relative comparée à ses voisines. Ce nom, qui peut être précédé d’un article, est composé de trois mots, d’une préposition et d’un trait d’union.

La commune où il est situé porte un nom, en un seul mot, incluant celui de son seigneur au XIIè siècle. Le nom de ce dernier est composé d’une racine germanique de sens obscur suivie d’un terme lui aussi germanique signifiant « puissant ».

Le chef-lieu du canton où se situe cette commune a fait l’objet d’une devinette il n’y a pas si longtemps, tandis que le nom du pays a été expliqué, avec celui de ses voisins, dans un billet il y a encore moins longtemps. D’où la difficulté à vous en dire plus à leur sujet sans trop vous faciliter le travail.

Allez !, un indice pour vous rapprocher de la solution :

indice a 19 09 2022

 

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr