Continuant mon exploration des bourbiers, tourbières et autres terres marécageuses commencée ici et poursuivie là et encore là, je m’intéresse aujourd’hui à deux autres appellations des dépressions mouillées et généralement fermées, la fagne et la fange, toutes deux issues de la même racine *fani.
Malgré son allure pagnolesque, *fani est un mot de la langue gotique qui désignait la boue, le bourbier, à l’origine du vieux francique *fanja, de même sens, lui-même à l’origine du wallon fanie, fagne, « terrain marécageux ».De ce même gotique *fani, provient, avec un autre suffixe, le germanique *fanga qui a donné l’occitan fanga et notre fange, de sens voisin.
Pour des raisons qui ne sont pas clairement identifiées, la fagne a donné majoritairement des toponymes dans la partie nord de l’Hexagone tandis que la fange semble avoir été plus prolifique dans la partie sud.
La fagne
En toponymie, « fagne » a pris localement la forme Faigne ou Faing, la Faigne, la Feigne, Fagnon, etc. au risque d’une confusion avec les dérivés de fagus, « hêtre », et de finnis, « limite, frontière ».
La Fagne est le nom parfois donné à l’angle sud-est du département du Nord, autour d’Anor et Trélon, en raison de ses nombreuses tourbières, et deux villages s’y nomment Wallers-en-Fagne ( Wallers : du nom d’homme germanique Wallo et germanique lar, « clairière ») et Moustier-en-Fagne ( Moustier : de monasterium, « monastère »).
Les noms de Fains-Véel ( Meuse, Fannis au début du Xè s. puis Fangia en 965 — Véel : du gaulois vidu, « bois » et suffixe -ellum) et Fagnon ( Ardennes, Fanium en 1066 ) sont bien issus de l’oïl fagne, le premier au pluriel, le second suffixé au diminutif. La forme occitane *fagnan , attestée en vieux gascon fanha, est à l’origine du nom de Villefagnan ( Char., Villa Fagna en 855).
Les micro-toponymes sont bien plus nombreux comme, en se limitant pour l’exemple au seul département des Vosges, La Feigne ( à Saint-Maurice, de l’oïl fagne/feigne ), Le Faing ( à Sainte-Marguerite, Fein en 1326, variante masculine ), le Gazon du Faing (à comprendre comme le « chaume de la tourbière », au Valtin, ), le Faing du Bois ( à Grandvilliers ), le Faing du Sapin ( à Beaumesnil ), Faing la Biche et Faing Creusson ( au Tholy ). Ce même mot a pu désigner des hauteurs voire des versants comme, toujours dans les Vosges, le Rondfaing, le Faing Berret et les Faings Cantois ( à Cornimont). Sous la forme feigne, et toujours dans le même département, on peut signaler la Basse des Feignes ( à La Bresse ), les Feignes de Noir Rupt ( à Gérardmer) , les Quatre Feignes ( à Xonrupt-Longemer ), le col des Feignes sous Vologne ( qui était la réponse à la devinette posée par TRS dans ce commentaire ) et bien d’autres encore.
Je n’ai trouvé qu’un seul cours d’eau nommé la Fagne, un simple ruisseau à Grandville ( Ardennes ) et un autre nommé le Feigne, affluent de la Moselle à Argancy (Mos.). En revanche les noms en Faing sont plus nombreux : la Goutte de Pourri Faing ( à Cornimont, Vosges ), le Long Faing ( à Écromagny, H.-Saône ), le ruisseau des Grands Faings ( à Thiaville-sur-Meurthe, M.-et-M.) et la source de Faing Geimar ( à Frémifontaine, Vosges ).
La fange
Le germanique *fanga a donné en occitan fanc, fanga, fanja, désignant là aussi des terrains saturés d’eau, bourbeux, boueux.
Sous la forme simple, Le Fanc apparait ainsi dans quelques micro-toponymes à Axat et à Chalvignac ( Cant.), à Cambon-et-Salvergues ( Hér.), à Tanus ( Tarn ), à Mouret (Av.), etc. Mais c’est sous des formes suffixées qu’on en trouve le plus d’exemples :
- avec le suffixe péjoratif –às : Fangas à Frayssinhes (Lot ), à Savenès, Labarthe et à Valeilles (T.-et-G.), à Bagnols-sur-Cèze ( Gard), etc. et aussi Fangeas à Lamastre et à Accons ( Ardèche), à Pléaux ( Cant.), à l.a Piarre et au Pelvoux ( H.-A.), à Montjoyer ( Drôme), etc. Comme déterminant, fanjas apparait dans le nom de La Motte-Fanjas ( Mota dou Fangias en 1208, avec mota représentant la motte castrale ). Le dérivé fangassier, sobriquet devenu nom de famille désignant celui qui travaillait dans la vase des marais ou celui qui utilisait la boue pour fabriquer le pisé, a un sens toponymique dans le nom de l’étang du Fangassier en Camargue.
- avec le suffixe -et à valeur collective, on connait Le Fanget à Saint-Victor ( Ardèche ), à Moncla ( P.-A.), à Mauvilly ( C.-d’Or), etc., le col du Fanget à Auzet ( Alpes-de-H.-P.), le Suc de Fanget à Saint-Bonnet-le-Froid ( H.-Loire), etc.
Le col du Fanget sous la neige
- le dérivé -ièr/-ièra a donné la Fangière à Montaigut-le-Blanc ( P.-de-D.), le Fangier à Labatie-d’Andaure ( Ardèche ), la Fanguière à Candillargues (Hér.), etc.
- l’épithète substantivée fanjat, « couvert de boue, fangeux », est représentée par Le Fanjat à La Ferrière ( Isère) et par Le Fangeat à Coublevie, Ruy, Panossas, etc. ( Isère ), à Auvers (H.-Loire), etc.
- le suffixe –ós/osa donnant fangós, fangosa, « fangeux, fangeuse » , devenu sobriquet puis nom de famille désignant quelqu’un de crotté, malpropre ou simplement indolent, mou comme la boue, a été moins prolifique en toponymie mais se trouve néanmoins au Prat Fangoux de Saint-Chély-d’Aubrac ( Aveyron, avec prat, « prairie ») et au Pont Fanjoux de Moirans ( Isère ).
La variante gascone, avec le f- initial passé au h- a donné des toponymes comme le Hanc à la Barthe-de-Neste (H.P.), le Hangas à Gimont ( Gers ), à Rieumes ( H.-Gar.) ou encore la source des Hangasses à Loudervieille ( H.-P.).
Les hydronymes sont là aussi nombreux avec des ruisseaux de Fangas ( à Murat-sur-Vabre, Tarn ), de Fangassous ( à Villeréal, L.-et-G.), des Fangasses ( à Roquefort-des-Corbières, Aude), de ou du Fangeas ( à Freissinières, H.-A., à Barnas, Ardèche, etc.), le Fanjat ( à Percy, Isère ) et bien d’autres.
Notons les faux amis comme Fanjeaux (Aude ), Fanjau (à Largentière, Ardèche ) etc. qui sont issus d’un ancien fanum Jovis, « temple de Jupiter ».
La devinette
Je vous propose de chercher le nom d’une commune française.
Il s’agit d’un nom composé sans trait d’union dont le premier élément est un adjectif à valeur topographique et dont le second élément est issu de la racine *fani étudiée dans le billet.
Conscient d’avoir réduit l’énoncé à sa plus simple expression, je vous offre deux indices :
■ et d’un :
■ et de deux — celui-ci façon rébus — pour les environs du lieu à trouver :
Réponses attendues chez leveto@sfr.fr