Luc

À l’époque romaine, le bois sacré était le lucus (ou le nemus, mais c’est une autre histoire). Le lucus était plus particulièrement un bois avec un sanctuaire à ciel ouvert voué à une divinité, historiquement antérieur aux temples bâtis dus à l’influence étrusque. Il était nefas (impie, sacrilège) d’y couper ne serait-ce qu’une branche et on était alors tenu d’offrir un sacrifice expiatoire. Il s’agissait donc d’un endroit touffus, sombre, difficile à pénétrer et qui inspirait la crainte. Ce type de bois sacré existait aussi dans la religion celtique et explique les toponymes qui le rappellent aujourd’hui.

Étymologiquement, lucus est issu de la racine indo-européenne *leuk ayant le sens d’espace dégagé au milieu du couvert, donc de clarté, de lumière, cf. le sanscrit lokah, « espace libre » et les latins lux, « lumière » et lucere, « éclairer ». Cet appellatif se rapporte bien sûr à la clairière avec un autel dédié à la divinité à laquelle le bois était consacré.

Ce lucus a une bonne représentation sur tout le territoire national. À la meilleure place figure Luc-en-Diois (Drôme) siège d’une ancienne colonie romaine, Lucus Augusti, le « bois sacré d’Auguste », au Ier siècle ap. J.-C.

Luc en Diois

Hors de toute attestation glorieuse, on peut citer de nombreuses autres communes (liste non exhaustive) :

  • nom simple : Luc (Loz., H.-Pyr.), Le Luc (Var) et Lux (C.-d’Or, H.-Gar. et S.-et-L.) ;
  • avec un déterminant : Luc-Armau (Pyr.-Atl. — Armau : Hermau au XIVè siècle, diminutif de herm, ne comptait qu’un seul feu en 1385), Luc-la-Primaube (Av. — pour la Primaube, suivre ce lien), Luc-sur-Aude (Aude), Luc-sur-Mer (Calv.), Luc-sur-Orbieu (Aude), Lucq-de-Béarn (Pyr.-Atl.) et Lugo-di-Nazza (H.-Corse) ;
  • au pluriel : Les Lucs-sur-Boulogne (Vendée) ;
  • au diminutif : Luquet (H.-Pyr.) et Le Luot (Manche) ;
  • au féminin : Laluque (Landes, de la forme féminine gasconne vieillie lugue ) ;
  • employé comme déterminant : Saint-Étienne-de-Montluc (Loire-Atl.), Campestre-et-Luc (Gard) et Cellier-du-Luc (Ardèche, qui servait de réserves de vivres aux habitants de Luc, en Lozère, tout proche) ;
  • avec un qualificatif ou un appellatif post-posé : Le Luart (Sarthe, avec le suffixe péjoratif –ard), Lucmau (Gir., le « mauvais bois »), Lubbon (Landes, « le bon bois »), Lugaut-Retjons (Landes, le « bois haut » — Retjons : du latin regiones, « limite, frontière », nom du ruisseau qui marquait sans doute autrefois une frontière), Luglon (Landes, « le bois long »), Lucarré (Pyr.-Atl., « le bois carré »), Luplanté (E.-et-L.), Lutilhous (H.-Pyr, « bois de tilleuls »), Lucelle (H.-Rhin, Luticella en 1125, avec cella, « sanctuaire, ermitage »), Lugarde (Cantal, avec le germanique warda, « garde, poste de guet »), Lucgarier (Pyr.-Atl., avec Garier nom de personne issu du gascon garié, « gardien de poules »ou « aire de perdrix »), Lucbardez-et-Bargues (Landes, avec Bardez, nom de la rivière, du gascon bard, « boue, limon » et suffixe  –ès : « (ruisseau) boueux » — Bargues : de vervagere, « pacager des moutons », sur vervex, « mouton », d’où bargus, bargarus, « parc à moutons »);

955-lucmau-hotel-dubourg

 

  • avec un qualificatif ante-posé :  Ardelu (E.-et-L., avec l’oïl ardu, « escarpé, difficile » ou « glorieux, illustre »), Grandlup-et-Fay (Aisne, avec Fay, de fagus et collectif –etum, « hêtraie »), Noirlieu (D.-Sèvres, Nerluc en 1283), Andelu (Yv., avec celtique *ande, « bifurcation ») ;
  • avec un nom d’homme ou un appellatif germanique : Banthelu (Val-d’Oise, de Bandaridus), Gandelu (Aisne, de Wadenus), Havelu (E.-et-L., de Habertus), Warlus (P.-de-C., de Warno, mais qui pourrait venir du  flamand water, « eau » comme les suivants ), Warlus (Somme, Waderlois au XIIè siècle, avec le flamand water, « eau »), Warluis (Oise, Wadre locus au VIIIè siècle, idem) et Wattreloos (Nord, Waterlooz en 1030, idem.) ;
  • mention spéciale pour Véel (Meuse, Velis en 1402), Veslud (Aisne, Veelu en 1190) et Vélu (P.-de-C., Wluth en 1111) que Dauzat & Rostaing (DENLF*) font dériver du gaulois *videllu, « petit bois » et latin lucus et qu’Éric Vial (NVV*) fait venir de vetus lucus, « vieux bois » , ce que semble confirmer la devise « Vetus lucus semper virens » (« Son vieux bois est toujours verdoyant ») de Veslud.

Les micro-toponymes formés sur ce même lucus sont tout aussi nombreux et variés. Je ne citerai que le rocher de Capluc, qui constitue l’avancée extrême au sud-ouest du causse Méjean, dont le nom signifie littéralement « en haut du bois sacré ».

rocher-capluc-01

Mais on peut se demander dans quelle mesure le bois qui recouvre le versant en étrave du causse Méjean (cf. photo ci-dessus) a été un bois sacré. Il a peut-être été tout simplement un bois, dans la mesure où de nombreux exemples montrent que le terme a été connu du Moyen Âge avec le simple sens de « bois », ce qui explique le grand nombre de toponymes qui en sont issus.

En réalité, la signification religieuse (païenne) de lucus, « bois sacré », longtemps attachée à ce mot, contribua sans doute à le faire tomber en défaveur lors de la christianisation, bien que le sens de « bois » en ait été conservé assez longtemps par endroits, comme le montrent les toponymes composés avec des noms d’hommes germaniques ou les noms, encore plus tardifs, précédés de l’article, révélant un usage au Moyen Âge purement appellatif.

*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.

point-d-interrogation-sur-le-clavier-nb10411

La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’une commune de France métropolitaine associé au mot du jour.

Ce nom, aujourd’hui écrit en un seul mot, est composé de deux éléments :

 — l’origine de l’un d’entre eux fait consensus : il est issu du latin lucus ;

— l’autre est, pour la plupart des spécialistes, issu d’un mot de la langue régionale désignant un relief, mais un adjectif latin plutôt péjoratif a aussi été proposé.

Une fois de plus, la localité est si petite qu’il n’y a quasiment rien à en dire … donc, je vous propose ces quelques indices en vrac :

■ Le chef-lieu du canton de cette commune a vu naître un professeur qui enseigna l’espagnol à deux futurs présidents de la cinquième République française et qui écrivit un manuel de grammaire régulièrement réédité pendant plus d’un demi siècle.

■ une photo pour la grande ville la plus proche :

indice a 06 06 2021

■ Mal compris au XVè siècle, le nom à trouver a été momentanément transformé en un autre, ce qui me fait penser à ça :

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr