De l’orme.

Arbre de longue vie, entre 300 et 500 ans, l’orme fut souvent, pour cette raison, planté de manière isolée dans la cour de la ferme ou le quartier de la ville ou du village. Nombreuses furent les places du Moyen Âge plantées d’un orme à l’ombre duquel se tenaient les réunions officielles ( c’était la platea ulmi qu’on retrouve dans des chartes de Provence ).

« Les assemblées générales des communautés d’habitants en France du XIIIe siècle à la Révolution »
par Henry Babeau, Paris, 1893

C’est pour cette raison que les toponymes comme les anthroponymes évoquent plus souvent l’arbre unique, au singulier, que l’ensemble boisé, l’ormaie.

Le français « orme » est une altération de l’ancien français olme, lui-même issu du latin ulmus. Monosyllabique, « orme » se prêtait à des évolutions phonétiques nombreuses comme nous allons le voir.

L’orme isolé

Avec conservation de la voyelle finale, olme a abouti à des formes du type Orme, Ome ( souvent remotivé en Homme ) et Olme ( surtout dans le sud de la France, correspondant à l’occitan olm). C’est ainsi que l’on trouve L’Hôme-Chamondot ( Orne, Ulmus en 1272), Lhomme (Sarthe, de Ulmo en 1237 ), Lomme ( Nord, id. en 1237), Hommes ( I.-et-V., I.-et-L.), Oulmes (Vendée, de Ulmis en 1225 ), Les Ulmes ( I.-et-V., M.-et-L.), Lormes (Nièvre ), Ormes ( Aube, Eure, Loiret, S.-et-L.), Les Ormes (Vienne, Yonne), Saint-Pierre-des-Ormes ( Sarthe ) et quelques autres. De la même manière, les hameaux et lieux-dits de type Orme, L’Orme, L’Homme, Lhomme, etc. sont particulièrement nombreux. Et c’est à cette liste qu’il faut rajouter les lieux-dits de l’Homme Mort qui font le plus souvent référence à un arbre mort servant de point de repère, notamment en montagne où on compte une dizaine de cols de l’Homme Mort, autant de combes ainsi que des crêtes, des pics etc.

Avec la chute du l par dissimilation , le groupe –olm– est passé à Oms ( P.-O., Ulmis en 899 ). Dans quelques cas, le contact entre le m et le s final articulé a produit l’apparition d’un p de transition pour aboutir à Omps ( à St-Mamet-la-Salvetat, Cantal ) et, avec hypercorrection savante en h initial, à Homps (Aude, Ulmos en 1026, et Gers ). Dans d’autres cas, le s final est tombé, aboutissant par exemple à Lom ( à Noaillac, Corrèze). C’est à ce type qu’il faut rattacher le plan de l’Om montpelliérain.

Enfin, avec nasalisation du m final, on obtient le produit ultime de cette évolution avec les lieux-dits en Hon ou Hons, avec le h savant, comme à L’Hon ( à Bassurels et au Fraissinet-de-Fourques en Lozère). Notons que l’anthroponyme bien connu Delon est l’aboutissement phonétiquement évolué du non moins connu Delorme.

Le gros orme, l’ ormàs occitan, apparait à L’Ourmas ( à Valmigère, Aude).

L’orme en bande

Le bois d’ormes, l’ormaie ou ormoie, est représenté par des dérivés collectifs en -et ( du latin –etum ), -ède ( du latin -eda ) ou encore -ière ( du latin area ).

C’est ainsi que l’on trouve Olmet ( P.-de-D.), Olmet-et-Villecun ( Hér.), Olmeto ( Corse-du-Sud ) et Olmeta ( deux communes en H.-Corse ), Omet ( Gir. ) et de nombreux Ormoy ( E.-et-L., H.-Saône, Cher, Ess., Oise, etc. ) ainsi que Lhoumois ( Deux-Sèvres ), Lommoye ( Yv. ), Lormaye ( E.-et-L.), Lourmais ( I.-et-V.) et Ommoy ( Orne).

L’Olmède, noté Ulmeto en 1143, est présent à St-Marcel-de-Fontfouillouse dans le Gard et L’Aumède au Bessan et au Pouget dans l’Hérault. L’Ourmado à Pradelles-en-Val (Aude ) relève de ce type.

Le dérivé en -ière est représenté dans de nombreux lieux-dits comme Olmière ( Villefranche-de-Rouergue, Aveyron ), Aumières (La Parade, Loz. ), Almières ( St-Rome-de-Dolan, Loz.), Les Aumières ( Moyrazès, Villefranche-de-Rouergue et Millau, Aveyron ) ainsi qu’avec l’article agglutiné à Laumière ( La Rouquette, Lunac, Martiel, St-Rome-de-Cernon, Aveyron ) et Laumières ( Roussenac, id.).

Olmeta-di-Capocorso ( Haute-Corse )

L’orme atypique

Il aurait été trop facile de pouvoir tout ranger dans les types précédents, aussi classerai-je ici les dérivés de ce même ulmus avec des suffixes moins communs.

Le suffixe corse –icia est à l’origine d’Olmiccia (C.-du-Sud).

Le double suffixe -ici-onem se retrouve à Ormesson ( S.-et-M ) et à Ormesson-sur-Marne ( Val-de-Marne).

Le suffixe –ellum a fourni Omméel ( Orne, Ulmiri vers 1048 puis Ommel vers 1335 ) et Lumigny-Nesle-Ormeaux ( S.-et-M.). Ces formes en omel ou oumeau sont particulièrement présentes dans le nord de la France comme Le Hommel ( à Gratot, Manche ), L’Houmeau ( Char.-Mar.) et bien d’autres.

L’orme non latin

Les Gaulois utilisaient le celtique lemo pour désigner l’orme — lemo, comme le latin ulmus, l’anglais elm ou encore l’allemand Ulme procèdent d’un étymon indo-européen commun el, au sens de brun rouge, couleur de son bois. De ce lemo sont issus les noms de Limeux ( Lemausus en 697, Limos en 1164, Cher ), Limours (Ess. ), Limoges-Fourches ( Limodium au Xè siècle, S.et-M. ) et Limoise ( Allier). La proximité de nom entre Limoges-Fourches et Limoges, capitale des Lemovices, a permis l’hypothèse d’une origine selon lemo du nom de ces derniers.

Une racine d’origine nordique, qui a donné niep en néerlandais, a donné son nom à Nieppe ( Nord ) qui s’appelle Niepkerke, l’« église de l’orme », en flamand.

La forme bretonne oulm, plus rare que le classique orme, apparait à Bolumet ( Pontivy, Morb.) qui est un ancien *Bodulmet, « buisson d’ormes », et à Le Nolmen ( à Cléguer, Morb.) pour En Olmen, « l’orme ».

Le basque emploie zunhar que l’on retrouve à Sunhar ( Pyr.-A.) et Sunharette (id. ).

Deux devinettes aujourd’hui ! ( je vous épargne le Marais de l’Orme qui a déjà fait l’objet de la sienne ).

1 – Orme a été peu utilisé en composition pour former un nom de commune. On en trouve pourtant trois exemples à peu de choses près identiques, formés du même qualificatif de taille joint à un dérivé d’ulmus sans trait d’union. Entre les deux guerres, l’un de ces trois toponymes a été choisi par son créateur comme nom d’une marque aujourd’hui mondialement célèbre. Il vous faudra trouver ces trois toponymes, en vous aidant, s’il le faut, de cet indice :

2 – Dans un pays frontalier de l’Hexagone, une petite rivière, aujourd’hui détournée de son cours initial, porte un nom où il était question d’ormes. Cette rivière a donné son nom à une ville qui eut un grand rayonnement au Moyen Âge grâce à une industrie particulière et qui fut le lieu d’âpres combats durant la Première Guerre mondiale, ville que j’appellerai Machin par commodité. De l’autre côté de la frontière, en France donc, un village porte un nom signifiant soit « petite » ou « mauvaise » Machin soit « petite » ou « médiocre » ormaie. Il vous faudra trouver ce village, en vous aidant, s’il le faut, de cet indice :

Oh! Les vaches!

J’ai traité dans un précédent billet de races bovines dites des Massifs, dont certaines fournissent une viande de premier ordre. D’autres races sont spécialisées dans la production de viande; elles sont dites allaitantes car leur lait n’est pas trait mais sert à allaiter les veaux qui finiront tôt ou tard dans nos assiettes. Notons au passage la pudeur de cette appellation : les vaches qui donnent du lait sont dites laitières et celles qui donnent de la viande sont dites … allaitantes.* Le consommateur moderne est en effet un petit être sensible, un enfant qu’il convient de ne pas effaroucher : même si toutes les vaches — y compris les laitières et les chevaux de lasagne— finissent à l’abattoir, on ne parle que du lait, symbole de sein à téter, de vie et de pureté. D’autres races sont dites mixtes, parmi lesquelles certaines ont été citées dans mon précédent billet.

Il existe une bonne quinzaine de ces races allaitantes dont vous pouvez consulter la liste ici. Je m’attacherai dans ce billet aux quelques races dont le nom est issu d’un toponyme qui mérite explication ( que la Blanc bleu belge, la Blonde d’Aquitaine, la Corse, la Créole, la Gasconne**, l’INRA95, la Rouge des prés et le Taureau de Camargue me pardonnent.)

À tout seigneur tout honneur — et pour complaire à Zerbinette et Jacques C. — je commence par la

  • Limousine :

steack limousine

Faux-filet limousin servi saignant et pommes de terre grenaille

Cette race doit bien sûr son nom à celui du pays attesté in Lemovicino ( 575-594). On y reconnaît le suffixe latin toponymique  -inu ajouté au nom ancien Lemovicae de la ville de Limoges. D’abord oppidum gaulois, la ville a été déplacée au bord de la Vienne, pour en contrôler le passage, sous le règne de l’empereur Auguste, entre 27 av. J.-C. et 14 ap. J.-C. C’est pourquoi Ptolémée, au milieu du IIè siècle, l’appelle Αύγουστόριτον, traduit au siècle suivant, dans l’Itinéraire d’Antonin, par Augustoritum, soit un nom hybride formé du latin Augustus et du gaulois ritu, « gué ». Comme toute civitas de quelque importance, la ville a pris au Vè siècle le nom du peuple gaulois qui l’habitait, en l’occurrence les Lemovices. C’est sous ce nom que Sidoine Apollinaire en parle. Un changement de déclinaison vers l’accusatif pluriel Lemovicas, accentué sur l’antépénultième  fera que le -v- n’est plus prononcé dès le VIè siècle où il sera remplacé par un -d-  ( Limodecas sur des monnaies mérovingiennes) avant que la pénultième syllabe non prononcée ne disparaisse à son tour. On aboutit alors en 1126 à l’occitan Limotjas et au français Limoges en 1170.

  • Bazadaise :

Cette race doit son nom à celui de la ville Bazas (Gironde ), chef lieu de civitas sous l’Empire romain. Comme la précédente, cette ville a porté deux noms. Le premier nous est donné, là aussi, par Ptolémée sous la forme Κόσσιον, que l’on retrouvera chez Ausone au IVè siècle quand il nous parle de Cossio Vasatum. Il s’agit d’un nom propre gaulois Cossius accompagné du suffixe locatif -one. La ville a pris, comme la précédente, le nom du peuple dont elle était la capitale, en l’occurrence les Vasates. On trouve dès 333 la forme Vasatas dans l’Itinéraire du pélerin de Bordeaux et en 614 la forme à l’ablatif pluriel Vasatis d’où est issu Bazas, attesté en 1296.

  • Charolaise :

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Veau charolais

Cette race connue de tous doit, elle aussi, son nom à celui du pays où elle est née qui tient le sien de la ville de Charolles (Saône-et-Loire). On écrivait Kadrela vico en 924 puis Carrellae en 1098. Il faut y voir un nom formé sur le latin quadrus, « carré », accompagné du suffixe diminutif -ella.  On connaît des Carrelles  en Bourgogne qui désignent de petits champs : ce pourrait être une des origines  du nom de la ville. D’ autres hypothèses font état d’un quadrum, « carré », au sens de motte castrale  ou encore d’une possible ancienne*Quadrella ( villa), « (ferme) carrée ». L’hypothèse basée sur un dérivé de l’ancien français char , si elle est compatible avec le Carellae de 1098, l’est moins avec le Kadrela de 924.

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Le même, un peu plus tard

Quant à l’évolution phonétique du suffixe -ella en -ole, elle est habituelle en Bourgogne où le nom de la ville est prononcé tsarole, en dialecte bourguignon.

  • Mirandaise :

C’est la ville de Mirande (Gers) qui a donné son nom à cette raceMiranda, attesté en 1293, signifie en ancien occitan « tour de guet » ( cf. mirer et mirador, par exemple). Mais la ville n’a pas été baptisée ainsi pour cette raison. Il s’agit en fait d’une bastide — une ville neuve bâtie selon un plan régulier autour d’une place de marché  — fondée en 1281 par le comte Bernard IV d’Astarac et l’abbé de Berdoues . C’est le sénéchal de Toulouse Eustache de Beaumarchais, représentant le roi de France, qui la baptisa: il choisit de transférer le nom de l’espagnole Miranda de Ebro , alors célèbre pour sa foire annuelle, comme il l’avait déjà fait pour Pavie, Boulogne-sur-Gesse et Fleurance.

  • Parthenaise :

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Taureau parthenais

Vous l’aurez deviné, cette race  doit elle aussi son nom à celui de la ville, Parthenay (Deux-Sèvres). Castrum Parteniacum ( 1020) est issu du cognomen latin Parthenius accompagné du suffixe -acum, dérivé gallo-romain du possessif gaulois -aco.

  • Saosnaise :

Le nom de la race saosnaise est issu de celui d’une circonscription historique du haut Moyen Âge, le Saosnois, dont le chef-lieu est Saosnes ( Sarthe ). Le nom de cette dernière est attesté Sagono au VIIè siècle; il provient de celui de la rivière, aujourd’hui la Saosnette (dite rivière de Sonnettes en 1766). Il s’agit d’une Sagonna ( comme la Saône) munie du diminutif –etta. Sagonna est un dérivé, avec le suffixe hydronymique déifiant  -onna , du gaulois * souka , « succion ».

  • Hereford :

Cette race britannique s’est implantée en France où elle est reconnue depuis 1975. Elle doit son nom à une ville anglaise dont le nom signifie « le gué de l’armée » du vieux anglais here, « armée », et ford, « gué». Il y avait là une voie romaine qui permettait à la légion de traverser à gué la Wye River sans rompre sa formation. Le nom gallois, Henffordd, signifie « vieux ( hen ) gué ( ffordd) ».

  • Highland Cattle :

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Vache des Highland . Ça se mange.

Cette race  (Cattle signifie « bétail ») doit bien sûr son nom aux « hautes terres » écossaises, opposées non seulement par l’altitude mais aussi par une prétendue supériorité de tout ordre sur les Lowlands, les « basses terres »: un vrai Écossais doit être né dans les Highlands ou du moins descendre d’une lignée qui y a son berceau. Comme le scotch.

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* Au fait, comment devrait-on dire ? « Viandière » ? « Bouchère » ?

** La Gascogne a déjà été traitée sur ce blog à plusieurs reprises et notamment ici .