Dans un précédent billet, j’ai donné quelques exemples de toponymes trahis par les moines copistes. Mais ils ne sont pas les seuls coupables : les notaires, les clercs, les juristes ou, tout simplement, la vox populi, ont aussi leur part de responsabilité dans les errements dont sont victimes les noms de lieux.
Je vous en propose quelques autres déjà mentionnés dans d’anciens billets :
- Corps-Nuds ( I.-et-V.) est une mauvaise compréhension de « cornu ». Cf. ce billet.
- Longjumeau ( Essonne ) est un ancien noviomago, « nouveau marché ». Cf. ce billet.
- Beauchalot (H.-Gar.) est le « val de monsieur Chalot ». Cf. ce billet.
- Cinq-Mars-La-Pile ( I.-et-L. ) doit son nom à saint Médard. Cf. ce billet.
Mais il y en a d’autres !
- Labouheyre ( Landes ) est noté Le Boere ou Laboheria en 1254. Ce dernier nom a été réinterprété la même année par un scribe se basant sur le gascon haba, « fève », en Herba Faveria. Le toponyme est en réalité un ancien *bovaria, de bos, bovis, « bœuf » et suffixe -aria, « endroit où on élevait les bœufs » ou bien un dérivé du gascon bouyère, « boue, bourbier ».
- Saint-Julien-en-Beauchêne ( H.-Alpes ) n’a rien à voir avec un bel arbre mais tout avec le bassin du Buëch, appelé Bochaine. Le Buëch passe sous un pont nommé a ponte Bucchii en 1202 et donne son nom à Trabuech, un hameau de Lus-la-Croix-Haute appelé Ultra Bodium en 1260 et Ultra Buech en 1304: on peut en conclure que Buëch est issu du gaulois bodios, « jaune », en référence à ses eaux torrentueuses et boueuses. Le suffixe roman –ana a servi à former Bochaine à partir du nom de la rivière.
- Sexcles ( Cor.) : la première mention du nom de cette commune date de 893 sous la forme de Sicca Vallis, « vallée sèche », donnée comme étymologie assurée par A. Dauzat et Ch. Rostaing ( Dictionnaire étymologique des noms de lieux de France, Larousse, 1963 ). Pourtant, il n’est qu’à se rendre sur place pour constater que Sexcles, dans une courbe de la Maronne, est incompatible avec l’idée de vallée sèche. Il convient plutôt, comme E. Nègre ( Toponymie générale de la France, vol. II, Genève, 1996 ), de se rapporter aux formes ultérieures du toponyme : Secles en 1315, Cescles en 1318, Secla et Selces en 1404, pour constater que le nom provient plus sûrement du nord-occitan segle, seggle, secgle, seigle, « seigle ». On pourrait aussi penser à sesque, sescha, « roseau », terme très présent en Limousin (R. Brunet, Trésor du terroir, CNRS, 2016). Le Sica Vallis de 893 serait alors une fausse latinisation. ( Ce paragraphe doit être considéré comme un erratum pour ce billet ).
- Port-Royal des Champs un lieu-dit de Magny-les-Hameaux (Yvelines) est à l’origine un simple porrois, « champ de poireaux », sans doute jugé peu flatteur et transformé en portus regius par les moines de l’abbaye ( l’hypothèse du celtique borroy, « broussailles », a été évoquée mais n’est pas étayée).
- Vœuil-et-Giget ( Char.) : Vœuil était noté Vadolio en 1110, des latin vadum, « gué » et gaulois ialo, « champ », tandis que l’origine de Giget, noté Angigeto en 1298, que l’on prétend celtique, n’est pas assurée ( mais qui aurait dû plutôt donner un Vœuil-en-Giget ). Les deux noms ont été retranscrits sur la carte de Cassini vers 1750 sous les formes Vœuil et Giget. Victime de la confusion courante entre le -u- et le -n-, le premier nom fut écrit Vœnil en 1793 ce qui provoqua l’apparition, dans le Bulletin des lois de 1801, d’un Giget-en-Vanille. Il fallut attendre 1850 pour voir réapparaitre le Vœuil-et-Giget originel.
Sur une idée d’un contributeur picard qui souhaite garder l’anonymat, je vous propose une devinette mais accrochez vous ! : une fois n’est pas coutume, l’énoncé sera long.
Il s’agit de trouver le nom d’une commune française qui se compose aujourd’hui de trois mots et deux traits d’union, mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, son nom latin était fort commun et accompagné d’un suffixe lui aussi latin et commun. Cette formation « nom plus diminutif », passant de treize lettres en latin à neuf lettres en français, est à l’origine du nom d’une trentaine de communes et d’au moins le double de lieux-dits, hameaux ou écarts. Pour se différencier, la majorité de ces communes ont choisi d’ajouter un déterminant à leur nom. Seules trois d’entre elles sont restées « pures » tandis qu’une quatrième a abandonné le sien au prétexte qu’étant la plus grande elle n’avait besoin de rien pour se distinguer.
À l’époque où le nom avait déjà été raccourci par la prononciation habituelle, perdant son sens initial pour la plupart des gens, et où le suffixe ne se faisait plus reconnaître comme tel, un scribe (sans doute un moine ) dut choisir un déterminant pour singulariser son village. Astucieux, il chercha dans ses grimoires le premier nom latin de ce dernier et constata que le suffixe avait disparu. « Qu’à cela ne tienne! se dit-il in petto ( car il était latiniste, vous souvenez-vous ? * ), rétablissons ce suffixe! ». Sans qu’on sache s’il s’agissait ou non d’une facétie, jouant sur les assonances, il fit de ce suffixe un déterminant où des animaux inattendus sont introduits par une préposition après le nom de la commune.
N’ayant pas d’explication raisonnable à la présence de ces animaux dans son environnement et pour justifier leur présence dans ses armoiries, la population locale y alla de ses explications plus ou moins réalistes mais sans justifications assurées.
Comment s’appelle ce village ?
*erratum : in petto, c’est de l’italien, on me l’a dit et répété! N’en tenez pas compte !
Un indice :
Les réponses sont attendues chez leveto@sfr.fr