La terre a déjà fait l’objet de deux billets à consulter et
Je vais vous parler aujourd’hui de boue, la damnée de la terre.
Dans sa définition la plus large, la boue est un mélange d’eau et de terre, une terre détrempée, mais je m’en tiendrai dans ce billet aux toponymes ayant trait à la boue elle-même et non aux marécages, marais, tourbières et autres lieux boueux qui mériteraient chacun un billet spécifique. Je resterai au niveau des noms de communes et de cours d’eau, ne voulant pas surcharger cet article avec la multitude de micro-toponymes en rapport avec la boue — et tant pis pour la « gadoue » qui est à l’origine d’une trentaine de ceux-là et du nom du ruisseau des Gadouilles ( à Sainte-Colombe, I.-et-L.) mais pas d’un seul nom de commune.
Étymologiquement, « boue » vient du gaulois *bawa ( comme la gallois baw, « saleté ») qui a été très peu productif en matière de toponymes mais que l’on peut reconnaître dans La Bouille (S.-M ), Le Bouillon ( Orne ) et dans le ru de Bouillon, affluent gauche de l’Ancœur à Grandpuits (S.-et-M.), tous à rapprocher des mots de langue d’oïl bouaille, « boue », et bouillon, « bourbier ». La proximité avec des radicaux comme buxus, « buis », ayant donné Bouesse (Indre ) ou Bouisse ( Aude), comme bovaria, « élevage de bœufs », ayant donné Bouer ( Sarthe ) ou Bouère ( May.), etc. ainsi qu’avec de nombreux anthroponymes gaulois, latins ou germains, rend les distinctions parfois difficiles à faire.
Les Gaulois avaient un autre mot pour désigner la boue : il s’agit de *lut, avec ses variantes *lot et *lod, à rapprocher du vieil irlandais et du gaélique loth, « boue, marais ». On retrouve cette racine dans l’ancien nom bien connu Lutèce de l’île de la Cité parisienne ( la Lutetia de César ) mais aussi dans celui, toujours actuel, de Ludesse ( P.-de-D.), dans celui de Lutz (E.-et-L.) et dans celui de Lodève ( Loteva au IIè s, Hér. ). La Luyne, affluent gauche de l’Arc en amont des Milles ( B.-du-R.), cours d’eau réputé boueux, passe à Luynes ( B.-du-R. et dont le nom a été transféré à l’identique en I.-et-L.) auquel il a donné son nom Lodena en 1025. Le même radical se retrouve dans le nom d’Eleu-dit-Leauwette (P.-de-C.) où Leauwette, noté Lowaige en 1187, est sans doute à comprendre comme issu du gaulois lut-evo, « bourbier » accompagné tardivement du diminutif –ette — tandis qu’Eleu est un dérivé d’« alleu », domaine héréditaire conservé en toute propriété, libre et franc de toute redevance. Dans le domaine occitan, les noms de Loudes ( Lode en 1383, H.-Loire), Lodes (H.-Gar.) et Loze ( T.-et-G. ) sont à rapprocher de loudo, « vase, bourbier », donnant louso en gascon.
Le latin a repris ce gaulois *lut pour en faire lŭtum et l’adjectif correspondant lŭtōsus, « boueux », que l’on retrouve au féminin lŭtōsa ( villa ) dans les noms de Leuze (Aisne ), Louze ( Lutosa en 854, H.-Marne), Louzes (Sarthe ), Loueuse ( Ludosiae en 1163, Oise ) et de Luze (H.-Saône) ainsi qu’au masculin dans celui de Lezoux ( P.-de-D.). La Douze, affluent droit de la Midouze à Mont-de-Marsan ( Landes ) était nommée Lodosa à la fin du XIè s., du latin lutosa ( aqua ), « (eau ) boueuse ». Du même lŭtum est issu l’adjectif lŭtĕus, « boueux », qui peut être confondu avec lūtĕus, « jaune », issu de lūtum, nom d’une plante tinctoriale jaune : les deux ont pu se mélanger, ce qui rend difficiles à interpréter des noms comme ceux de la Loëze et la Grande Loëze, deux affluents gauches de la la Saône en amont de Saint-Laurent-sur-Saône, notés Loasi en 1023, du latin lutea (aqua ), ou encore celui de la Loise, affluent droit de la Loire à Feurs ( Loire ) noté Loisi en 1348, et bien d’autres.
Le latin līmus, « limon, boue », a fourni l’adjectif līmōsus, « boueux », à l’origine des noms de Limeux ( Limou en 1100, Somme ), Limons (P.de-D. ), Limoux ( Limosus en 844, Aude ) et Limousin ( diminutif du précédent, toujours dans l’Aude). Le nom de la Limagne, plaine alluviale de l’Allier en Puy-de-Dôme et Allier, notée Pagum Lemaniam au Vè s. par Sidoine Apollinaire puis Limannia au Xè s., est issu de cette même racine par l’occitan limanha. La paronymie avec le nom gaulois limo de l’orme est à l’origine de nombreux faux-amis comme Limeux (Lemausus en 697, Cher ), Limours-en-Hurepoix ( Ess.) et d’autres vus dans le billet consacré à l’orme.
Le radical probablement prélatin lamma ou lauma, « boue », a donné laume ou lam en Bourgogne désignant une terre lourde, boueuse, comme à Vénarey-les-Laumes ( C.-d’Or ) et de nombreux micro-toponymes du même type.
Le germanique fani, « fange, boue », se retrouve à Fains ( Meuse, Fannis au Xè s. et Fangia en 965 ) à ne pas confondre avec Fains ( Eure, Feins au XIIIè s.), Fains-la-Folie (E.-et-L.), Feins (I.-et-V.) etc. qui relèvent du latin finis, « limite », appliqué à des localités situées à la limite de deux cités gauloises. Le même germanique fani a donné l’occitan fanc, fanga, fanja bien représenté en micro-toponymie ( Le Fanc, Fangas, étang du Fangassier, etc. ) et à La Motte-Fangeas ( Mota dou Fangias en 1208, Drôme).
L’occitan connait aussi bardo, « boue », que l’on retrouve à La Barde (Ch.-M.) et à Labarde (Gir.), à rapprocher du gascon bard qui a donné son nom à Bardos ( P.-A.).
Comme je l’ai précisé dans l’introduction, d’autres noms au sens proche de « bourbier, terrain boueux, marécage, etc. » ont été utilisés en toponymie. Un autre billet leur sera ( peut être …) consacré.
Le nom de la boue dans une langue régionale, accompagné d’un suffixe locatif dans cette même langue, est à l’origine du nom trisyllabique d’une ancienne petite commune réunie depuis plus d’un siècle avec sa voisine dans une commune qui porte désormais leurs deux noms joints par un trait d’union.
Le nom de cet ancien village, fortement contracté, sert, au moins depuis le XIIè siècle, de déterminant au nom d’une ville touristique bien connue. La contraction de ce déterminant l’a réduit à une seule syllabe qui a un sens tout à fait différent dans une autre langue parlée non loin de là, sens qui est à l’origine d’une étymologie populaire plus valorisante que la boue étymologique.
Quels sont les noms du village et de la ville ?
Un indice :
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