Des moulins (cinquième partie)

Qu’il me soit permis de rajouter un chapitre à ma quête des moulins après les  premiers qu’on pourra relire ici, , et encore .

moulin argenteuil

Le Moulin d’Argenteuil – Georges Michel (1763-1843)

Aujourd’hui je m’attacherai aux moulins parisiens. Ils furent, comme partout ailleurs, très nombreux  et, du Moyen-Âge au milieu du XIXè siècle, on vit tourner leurs ailes des hauteurs qui dominent le nord de la capitale aux plaines qui la bordent au sud. Ils disparurent petit à petit autour de 1850.

Rappelons pour commencer que seuls deux moulins subsistent dans les limites de la capitale: celui de Montmartre mondialement connu sous le nom de moulin de la Galette sur lequel je ne reviendrai pas et le moulin de la Charité, sans doute moins connu.

Ce dernier, enclos depuis 1824 dans le cimetière Montparnasse, était propriété des Frères de Saint-Jean de Dieu établis à Paris sous Henri IV. On l’appela aussi «moulin moliniste», en référence aux réunions qu’y tenaient les adeptes de la doctrine jésuite de Molina, tandis que leurs adversaires jansénistes se réunissaient au moulin des Trois Cornets de Vanves. Des réunions dans des moulins ? Eh bien, oui : le meunier y servait des galettes (tiens, tiens …) accompagnées d’un petit vin qui contribuait sans doute à la haute tenue de ces débats théologiques.

Seul survivant de Montmartre, le moulin Radet, aujourd’hui moulin de la Galette, avait encore autour de lui, vers 1814, le moulin Rollin, le Blute-fin, le Moulin-Neuf et le Moulin-Vieux. L’histoire de ce moulin et de ses propriétaires étant contée par ailleurs, je ne m’y attarderai pas.

Le-Moulin-de-Blute-Fin

Le Blute-Fin par Vincent Van Gogh

De nombreux autres moulins s’éparpillaient encore au XVIIIè siècle notamment sur  les territoires de Montrouge et de Vaugirard. Impossible de les citer tous : nommons seulement ceux de Sans-Souci, de Fort-Vestu ( c’est-à-dire garni, vêtu, de fortifications), de Moque-souris, de la Marjolaine, de la Croix-de-Gord et enfin le moulin d’Amour, situé alors clos des Perruchot ( correspondant au début de l’avenue du Général-Leclerc) qui fut habité par Jean Fréron, le fameux adversaire de Voltaire.

Pour finir, si les moulins ont fini par déserter la capitale, leur souvenir demeure parfois dans les noms de quelques rues :

rue du Moulin Vert, à Montparnasse, où s’était ouvert un cabaret vers 1730 dont la réclame était sans équivoque

Accourrez au Moulin Vert

Gais enfants de la folie

Pour vous, pour femme jolie,

On met toujours un couvert

rue du Moulin-de-Beurre et  rue du Moulin-de-la-Vierge, à Vaugirard , moulins qui tournaient auparavant sur  la butte des Trois-Moulins, voisine de la Porte Saint Martin d’où ils avaient été transférés ici en 1672, lors de l’arasement de cette butte.

— à Gentilly, et sa Butte-aux-Cailles, se trouvaient quelques moulins comme en témoignent encore aujourd’hui la rue du Moulin-des-Prés, la rue du Moulin-de-la-Pointe et la rue du Moulinet.

— citons encore la rue des Moulins, non loin du Palais-Royal,  ainsi nommée car elle donnait accès à une hauteur où se dressaient quelques moulins ( cette rue fut vouée à Saint-Roch et s’appela rue des Moulins-Saint-Roch avant que cette vocation ne disparut; Jeanne d’Arc s’y était établie en 1429; les moulins en disparurent dès 1668 mais le nom est resté ); la rue du Moulin Joly ( XIè) où un certain Joli avait ouvert un cabaret près d’un moulin; la rue des Grands Moulins (XIIIè) est récente et fait référence à une ancienne minoterie créée lors de la première guerre mondiale et aujourd’hui transformée en Université.

Notons pour terminer que la rue du Fer-à-Moulin, non loin de la Porte Saint-Marcel, ne doit rien aux moulins. Ouverte dès le XIIè siècle parallèlement au cours de la Bièvre, elle abrita la résidence d’un sieur Permoulin – dont on ne sait rien – dont le nom, en passant par Père Moulin, a été transformé au fil du temps.

Des moulins ( quatrième partie)

Comme je le disais dans mon précédent billet, mes recherches m’ont permis de découvrir des toponymes en relation avec les moulins peu discernables au premier abord.

Tel est le cas par exemple de Laharie dans les Landes. Vous avez exactement trois minutes et dix secondes, le temps de regarder cette vidéo ( qui n’a rien à voir avec notre sujet, ce n’est que pour le plaisir nostalgique), pour trouver sans tricher le rapport avec le moulin.

Alors ? Rien ? Je vous avais pourtant mis sur une piste en vous disant que ce lieu-dit se trouvait dans les Landes (commune d’Onesse). En gascon, le -f- latin a évolué en -h- aspiré, comme en ancien castillan, suivant sans doute en cela le basque qui ne prononce ni le f ni le v ( f>h, b ou p, v>b ou w) . Je vous en avais déjà parlé à propos du fort du Ha bordelais, mais il faut tout vous répéter ! Donc, Laharie trouve son origine dans castrum de Farina (1242). En gascon, «farine» se dit  harie. Il y avait en effet  à cet endroit-là un ensemble de moulins producteurs de farine.

Deuxième nom : La Chaussée ( commune de Nantouillet, Seine-et-Marne). Bon, me direz-vous, nous savons ce qu’est une chaussée, c’est une route. Oui, … mais non : dans ce cas, la chaussée a un lien très particulier avec un moulin, et pas celui de la route pour y accéder. Aucun lien avec des moines, non plus. Il s’agit en fait  là d’un des premiers sens du mot « chaussée » : « levée de terre pour retenir l’eau d’une rivière ou d’un étang et pouvant servir de chemin de passage », qui a eu en langue d’oïl une spécialisation pour désigner un barrage sur un cours d’eau pour alimenter un moulin. C’est ainsi qu’on nommait en 1261 cet endroit  duo molendina de Calceia. Les deux moulins ont depuis été détruits, mais le nom est resté.

Autre nom: Riscle (Gers).  Qu’ès aco ? Eh bien!,voilà un mot hyper-spécialisé! En gascon, et plus précisément en dialecte du Gers, un riscle désigne une « caisse de meule à farine ». Les deux meules, la tournante et la dormante, étaient entourées d’un coffre en bois octogonal, une archure, qui servait à recueillir la farine expulsée par la force centrifuge. La commune, située au confluent de l’Adour et de l’Arrioutor, abritait de nombreux moulins ainsi qu’une halle aux grains. Riscle désignait-il — la partie pour le tout — un moulin ou bien une fabrique de riscles ? Je ne sais.

Enfin, je rajouterai ici les noms de Bief (Doubs), B.-des-Maisons, B.-du-Fourg et Biefmorin ( Jura) qui doivent leur nom  au bief, canal qui conduit l’eau d’une rivière à une roue hydraulique. Bief est issu du gaulois bedu.

Des moulins ( troisième partie).

J’ai consacré naguère deux billets aux moulins, que l’on pourra relire ici et.

le-moulin-ribet-saint

Le moulin Ribet, à Fontvieille, d’où Alphnose Daudet n’a écrit aucune lettre.

Depuis, mes diverses lectures et recherches m’ont permis de trouver quelques autres appellations, certaines plaisantes, que je vous livre ici, en précisant qu’il s’agit le plus souvent de micro-toponymes ( noms de hameaux, écarts, quartiers, etc.):

Le tic-tac rapide du moulin a pu faire penser aux kot-kot rapides du coq qui appelle ses poules. En langue d’oïl, le jeune coq était le cocherel, kokerel, coquereau. D’où les noms de Cocherel (Eure-et-L., Essonne, Seine-et-M.) ou Coquerel ( (Somme, Pas-de-C., Manche) donnés à des moulins.

On connaît les Quincampoix *, mais moins  leurs variantes. Quincangrousse (Deux-Sèvres), vient de l’oïl qui qu’en grocie, « qui que ce soit qui en murmure », avec nasalisation de la première syllabe sous l’influence de la deuxième, qui qu’en devenant quinquan. Quiquengrogne ( Deux-Sèvres ) et Quinquangrogne (Vosges) se comprennent aisément.

La mauvaise réputation des meuniers leur a fait donner des surnoms injurieux. C’est ainsi qu’on trouve dans l’Oise un Taussac (Cormeilles-en-Parisis), noté Tolsac en 1183, de l’oïl tol sac, « vole sac ». On trouve aussi les formes Taussacq (Somme), Tolsac (Eure-et-L., Oise) et Toussac ( Vienne). On en trouve deux variantes dans l’Aude sous la forme Arrapesac (occitan arrapa sacs, « saisis les sacs ») et dans le Gers à Panassac du gascon pane!, « dérobe!».

Mais tous les moulins n’apportaient pas la richesse à leur propriétaire et certains, manquant de grain à moudre, en étaient réduits à écraser des poux, comme à Macépédouil (Pyr.-Atl., du gascon massa, « assomme, écrase » et pédoulh, « le pou »), à Matapouil (Ariège, de mato, « tue» et poulh, « pou » ) ou encore Matopesouls (quartier des Juifs à Narbonne, Aude où l’on ne sait pas bien si le nom concernait l’ancien moulin ou les Juifs).

Le moulin lui-même a pu être accompagné de qualificatifs, comme neuf, vieux, bon, etc. Mais il est plus difficile de voir que derrière le Contremoulins (Seine-Mar.) se cachent les « moulins du comte » ( Contemolins en 1050) ou que Séez Moulins (Eure) dissimule  un  pauvre « moulin sans eau »( Sicca Molindina en 1299). Les Moulineux (Essonne) sont neufs ( nouveaux) tandis que Moulineaux (Seine-Mar) est un petit moulin (de l’oïl molinel), comme Meunet (Indre), Molinet (Allier), Molinot( Côte-d’Or), etc. Une variante, toujours en langue d’oïl, molin et suffixe diminutif -ion, a donné molinion, « petit moulin », nom qui, au fil du temps, a été mal compris , subissant l’attraction de mont et oignon pour devenir les Montlognon (Oise), Montlignon (Val-d’Oise) ou Moulignon (Seine-et-M.). Le Moulin Mage( Tarn) pouvait, lui, s’enorgueillir d’être le plus grand.

J’ai aussi trouvé deux autres appellations inclassables: Virollet (Charente-Mar.) tire son nom de l’oïl virolet, « tourniquet, petit moulin à vent (jouets) », probablement pour désigner un vrai moulin à vent minuscule.Tarabel (H.-Garonne) doit son nom à l’occitan tarabèl, « claquet de moulin ».

[Vue_prise_à_Montmartre_Un_[...]_btv1b7740285gEnfin, je ne serais pas complet sans parler de la mort des moulins qui, comme toute chose, ont une fin. Ils peuvent avoir brûlé comme Le Moulin Ars (Seine-et-M.) de l’oïl ars «brûlé» mais ils peuvent avoir été brisés ou simplement être en ruines comme à Frettemeule (Seine-Mar.) ou Frettemolle (Somme) de l’oïl fraite, «brisée » ou encore, au masculin, Fraitmoulin ( Somme).

* Pour ceux qui auraient eu la flemme de suivre les liens, j’en rappelle le sens: cui qu’en poix, « à qui qu’il en pèse, à qui que ce soit que cela déplaise », formule de défi d’un meunier adressé à la concurrence.