La voie des femmes

Mis au défi par TRS sur un billet précédent, me voici parti à la recherche des femmes dont la mémoire a été conservée dans des noms de rues ( on parle d’un « odonyme », du grec ὁδὸς , « route », et ὃνομα,  « nom », ce dernier ayant évolué, via le bas latin, en « onyme », mais restant intact dans « onomatopée », mot formé à partir de son génitif ὀνόματος ).

Je me suis principalement basé pour ce travail sur le Dictionnaire des noms de rue de Bernard Stéphane, éd. Mengès, 5è édition, 2000. Il contient plus de 5000 noms et concerne principalement Paris mais nul doute que, depuis près de vingt ans, d’autres sont apparus ; ce billet constitue néanmoins une première approche riche de quelques découvertes. Toutes ces rues sont parisiennes sauf indication contraire.

Je n’ai pas voulu surcharger de liens mon billet, me contentant souvent de biographies succinctes voire lapidaires et faisant confiance à votre talent de wikipédistes si la curiosité vous y incite. Les paragraphes sont classés sans ordre particulier mais, dans chacun d’entre eux, les noms sont classés par ordre alphabétique tels qu’ils apparaissent sur les plaques de rue.

■ les méconnues

Lors de la parcellisation de leurs terres et donc de l’ouverture de voies les desservant, certains propriétaires ont quelques fois baptisé celles-ci du prénom de leur épouse ou de leur fille. C’est ainsi qu’on trouve honorées :

Adrienne, Adrienne Simon, Alice ( épouse Pelletier ), Amalia ( fille de M. Ravel ), Amélie ( fille de M. Pihan de Laforêt ), Angélique Compoint, Antoinette, Berthe, Blanche, Capesse ( à Draguignan —du nom de la veuve de Jean Richard, dit « Gap » du nom de sa ville natale, qui tenait là en 1489 un moulinqui sera dit de la Gapesse puis de la Capesse ) Élisabeth, Élisa Borey, Émélie ( épouse Lambert ), Gabrielle, Georgina, Hélène ( épouse Forissier ), Laurence Savart, Léontine, Louisa, Marie-Anne Colombier, Marie Benoist, Marie-et-Louise, Marie Hermant, Marie-Rose, Pauly (Mme Pauly, épouse Vieillard ) et Virginie. La rue des Deux Sœurs honore les sœurs Deveau pas autrement connues que pour avoir possédé des terrains riverains en 1815.

■ les féministes

Elles sont, allez savoir pourquoi, fort peu nombreuses à avoir été honorées en tant que telles.

Berthie Albrecht ( 1893-1943, née Berthe Wild, fondatrice en 1933 de la revue féministe Le problème sexuel et résistante incarcérée et morte à la prison de Fresnes ), Eugénie Cotton ( 1881-1967, scientifique élève de Marie Curie, compagnon de route du Parti Communiste, elle fonda l’Union des Femmes françaises en 1944 et devint présidente de la Fédération démocratique internationale des femmes à sa création en 1945 ), Maria Deraismes ( 1828-1894, femme de lettres française, elle se battit vigoureusement contre les idées peu féministes de Barbey d’Aurevilly, Dumas fils et Sardou. En 1882, elle créa une loge maçonnique pour femmes et présida la Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits), Suzanne Lenglen ( cf.plus bas le paragraphe consacré à la sportive ).

■ les personnages historiques

Anne de Beaujeu ( 1460-1522, fille de Louis XI, régente de Charles VIII de 1483 à 1491), Christine ( Christine de France, 1606-1663, fille de Henri IV, duchesse de Savoie ), Clotilde ( 475 -545, sainte Clotilde, reine des Francs, épouse de Clovis ), Jeanne d’Arc ( 1412-1431, pucelle ), Jeanne Hachette ( 1454-?, libraire, de son vrai nom Jeanne Laisné, eut la témérité de résister à Charles le Téméraire-mais-moins-qu’elle), Lamballe ( 1749-1792, Louise de Savoie-Carignan, épouse du prince de Lamballe, amie de Marie-Antoinette, mourut sous la torture à la prison de la Force ), Madame ( Marie-Joséphine Louise de Savoie, épouse de Monsieur le frère cadet de Louis XVI ), Mademoiselle ( fille du duc de Berry, qui posa la première pierre de l’église Saint-Jean Baptiste de Grenelle toute proche de sa rue en 1827), Marbeuf ( marquise qui acheta en 1777 une propriété sur les Champs-Élysées qui devint la célèbre « Folie Marbeuf » ; aucune des deux ne survécut à la Révolution ), Marguerite de Navarre ( 1492-1549, sœur de François Ier, mère de Jeanne d’Albret, et donc grand-mère d’Henri IV ), Marie Stuart ( 1542-1587, reine d’Écosse et reine de France pendant un an par son mariage avec François II ; mère du futur roi d’Angleterre Jacques VI), Montespan (1641-1707, Françoise Athénaïs de Rochechouart, marquise de Montespan, maîtresse de Louis XIV ), Princesse ( Catherine Marie de Lorraine, 1552-1596, sœur du duc De Guise, était duchesse de Montpensier et princesse des Dombes ; elle combattit Henri III avec la Ligue ), Reine ( c’est Marie de Médicis qui fit aménager le cours La Reine en 1616 ), Reine Astrid ( 1905-1935, princesse suédoise épouse du futur roi des Belges Léopold II, morte dans un accident de voiture en Suisse mais pas dans un tunnel ), Thérèse ( 1638-1683, fille de Philippe IV d’Espagne et d’Élisabeth de France, elle dut épouser son cousin germain Louis XIV en 1659), Victoria ( 1819-1901, reine d’Angleterre en 1837 et impératrice des Indes en 1876).

■ les femmes de lettres

Anna de Noailles ( Anna-Élisabeth Brancovan, comtesse de Noailles, 1876-1933, poétesse et romancière ), Christine ( la rue parisienne perpétue la mémoire de Christine de Pisan, 1364-1430, réputée pour être la première femme de lettres française ), Clémence Royer ( 1830-1902, philosophe et femme de science, traductrice de l’Origine des espèces de Darwin ), Colette ( 1873-1954, de son vrai nom Sidonie Gabrielle, romancière ; elle écrivit : « L’amour, ce n’est pas un sentiment honorable »), Comtesse de Ségur ( 1799-1874, fille du comte Rospotchine, autrice de « nigauderies » à l’usage de ses petits-enfants ; elle écrivit : « Un âne à deux pieds peut devenir général et rester âne »), Desbordes-Valmore ( 1785-1859, prénommée Marcelline, poétesse et célèbre élégiaque ), George Sand ( 1804-1876, de son vrai nom Aurore Dupin, baronne Dudevant, romancière ; elle écrivit : « Avez-vous remarqué comme on est bête, quand on est beaucoup ? » ), Juliette Lamber ( 1836-1936, romancière, tenait salon républicain à Paris, fondatrice de la Nouvelle Revue en 1877 qui militait pour l’alliance franco-russe ), Laure Surville ( 1800-1871, autrice entre autres d’une biographie de son frère Honoré de Balzac ), Louise Labé ( 1526-1566, poétesse surnommée la Belle Cordière après son mariage avec Ennemond Perrin, un riche cordier de Lyon ), Louise Weiss ( 1898-1983, écrivain, journaliste et femme politique française), Marguerite Yourcenar ( 1903-1987, de son vrai nom Crayencour, première femme à entrer à l’Académie française en 1980 ; elle écrivit : « La philosophie épicurienne, ce lit étroit mais propre » ), Marietta Martin ( 1902-1944, poétesse morte en déportation ), Palatine ( 1652-1722, Charlotte Élisabeth de Bavière, fille d’un électeur palatin du Rhin, d’où son surnom de princesse Palatine ; mariée à Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, elle laissa une Correspondance qui donne sur le règne de Louis XIV des détails qu’on ne trouve nulle part ailleurs ), Pernette du Guillet ( 1520-1545, savante et poétesse ), Séverine ( 1855-1910, de son vrai nom Caroline Rémy, épouse Guebhard ; élève puis collaboratrice de Jules Vallès ; directrice du Cri du Peuple militant pour la solidarité sociale ), Sévigné ( 1626-1696 , de son vrai nom Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné ; elle entretint une correspondance de plus de vingt-cinq ans avec sa fille, Mme de Grignan, connue sous le nom de Lettres de Mme de Sévigné), Simone Weil (1909-1943, philosophe et écrivain ), Staël ( 1766-1817, Anne Louise Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de Staël ; femme de lettres et aussi politique — par son soutien à Marie-Antoinette puis son opposition à Napoléon Ier ).

■ les religieuses

Abbesses ( de l’abbaye de Montmartre fondée en 1155 ), Anglaises ( à Cambrai — des bénédictines anglaises ayant quitté l’Angleterre quand Henry VIII fonda l’église anglicane en 1539 se sont établies à Cambrai ) Bellefond ( 1658 – 1717, Marie Gigault de Bellefond, abbesse de Montmartre), Dames ( de l’abbaye de Montmartre, on n’en sort pas! ), Capucines ( de l’ordre franciscain fondé en 1528 ), Chassaines ( à Nîmes- les « chassaines » étaient les pensionnaires de l’orphelinat fondé par le chanoine Antoine Chassaing ), Filles du Calvaire ( ancien couvent situé rue de Turenne ; l’ordre fut créé par le Père Joseph, éminence grise de Richelieu, en 1617 ), Feuillantines ( religieuses originaires de l’abbaye des Feuillants à Toulouse ), Filles Saint-Thomas ( couvent de sœurs dominicaines créé en 1640), Haudriettes ( religieuses de l’ordre de l’Assomption-de-Notre-Dame fondé en 1306 par Étienne Haudry —preuve que Clo-clo, Jupé et Balladur n’ont rien inventé ), Jussienne ( du nom déformé de sainte Marie l’Égyptienne devenue Gibecienne puis Jussienne à laquelle une chapelle était vouée et qui fut détruite en 1792 ), Louise de Marillac ( 1591 – 1660, sainte Louise de Marillac, collaboratrice de saint Vincent de Paul, fonda avec lui la congrégation des Filles de la Charité ), Miredames ( à Castres — du nom corrompu du couvent des « Mineures Dames »), Nonnains d’Hyères ( du nom des jeunes nonnes, plaisamment appelées nonnains, de la succursale du couvent de l’abbaye d’Yerres fondée en 1182), Réparatrices ( à Pau — religieuses du couvent des Dames Réparatrices ), Sœur Catherine-Marie ( petite sœur des pauvres de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, née Renée Lechartier, décédée en 1971), Sœur Rosalie ( 1785 – 1856, née Jeanne Marie Rendu, religieuse de Saint-Vincent-de-Paul ), Trois Maries ( à Orléans — trois statuettes de la Vierge Marie, Marie-Madeleine et Marie-Salomé ornaient une niche dans cette rue ), Ursulines ( de l’ancien couvent créé en 1627 et démoli à la Révolution).

■ les femmes « de mauvaise vie »

Chantelouve ( à Valence — la « louve » en question est celle qui essayait d’attirer les passants dans un des lupanars de la rue ), Demoiselles ( à Toulouse — ces demoiselles étaient plus que légères et offraient leurs charmes aux ouvriers venus creuser le canal du Midi vers 1670), Panier-Fleuri ( à Tours —ancienne rue de la Pisserie au Moyen Âge où des « femmes folieuses et deshonestes se habandonnaient à fere péché de leur corps et à pratiquer paillardises et putaceries » ; au XVIIIè siècle, une maison portait un panier fleuri comme enseigne ), Pélican ( déformation de « Poil au Con » ; la rue abritait des étuves et bordels ), Petit-Musc ( déformation de « pute-y-muse », du verbe muser, « flâner, musarder »), Repenties ( à Valence — il y avait là un hôpital-prison où on enfermait les filles de mauvaise vie jusqu’à ce qu’on les juge « repenties »).

■ les philanthropes

Brignole (1822-1888, Mme de Brignole-Sale, épouse du financier italien Galliera ; son fils ayant décidé de ne pas hériter de la fortune paternelle, elle finança l’orphelinat Saint-Philippe, une maison de retraite pour religieux à Meudon, un hôpital à Clamart, des maisons dites « ouvrières », un musée parisien qui porte son nom marital, deux hôpitaux à Gènes, etc.), Élisa Lemonnier (1805-1865, née Élisa Grimail, a fondé des écoles professionnelles pour jeunes filles ), Eugénie Legrand ( 1898-1933, infirmière à l’hôpital Tenon qui mourut victime du devoir), Florence Blumenthal ( 1873-1930, Américaine philanthrope, elle créa des Bourses pour les jeunes artistes ), Furtado-Heine (1821-1896, prénommée Charlotte, fille et femme de banquier, elle créa une fondation, une crèche et une école pour jeunes aveugles et contribua à la création de l’Institut Pasteur ), Galliera ( cf. en tête du paragraphe Mme Brignole ), Jeanne Jugan ( 1792-1870, fondatrice en 1839 de la congrégation des Petites sœurs des pauvres ), Marie de Miribel ( 1872-1959, fondatrice de l’œuvre de la Croix-Saint-Simon ).

■ les résistantes

Contre l’occupation allemande et d’autres.

Bertie Albrecht ( 1893-1943, née Berthe Wild, fondatrice en 1933 de la revue féministe Le problème sexuel et résistante morte à la prison de Fresnes ), Dames ( à Marseille — ces dames-là eurent une conduite héroïque au cours du siège de Marseille en 1524 par le connétable de Bourbon ), Dulcie September (1936-1988, militante anti-apartheid, membre de l’African National Congress, assassinée à Paris), Eugénie Éboué ( 1889-1972, née Eugénie Tell à Cayenne en Guyane, épouse de Félix Éboué, s’engagea dans les Forces Françaises Libres féminines, puis eut une carrière politique en Guadeloupe ), Hélène Jakubowicz ( 1925-1942, membre des Jeunesses communistes ; elle mourut en déportation à Auschwitz ), Juliette Dodu ( 1850-1909. Née à Saint-Denis de la Réunion ; receveuse du télégraphe de Pithiviers en 1870, elle cacha ses appareils à l’arrivée des Prussiens et s’en servit pour espionner leurs communications qu’elle transmettait au général Aurelle de Palatines. Dénoncée, elle fut condamnée à mort par les Allemands mais fut graciée par l’empereur Frédéric-Charles ), Marie-Madeleine Fourcade ( 1909-1989, seule femme à avoir dirigé un réseau de résistants durant la Seconde Guerre mondiale ), Nicole de Hauteclocque ( 1913-1993, abondamment décorée pour ses actions clandestines durant la Seconde Guerre mondiale, elle fut conseillère municipale de Paris pendant quarante-deux ans dans le groupe gaulliste et fut la première femme présidente du conseil municipal de Paris), Victor et Hélène Basch ( Victor Guillaume Basch, 1863-1944, président de la Ligue des droits de l’Homme, fut abattu en même temps que sa femme le 10 janvier 1944 à Crépieux-la-Pape dans la banlieue lyonnaise par deux miliciens qui furent exécutés à la Libération ),Yvon et Claire Morandat ( Yvon Morandat, 1913-1972, rejoignit le général de Gaulle dès le début et eut une grande activité dans la Résistance et la Libération de Paris, secondé par sa femme, décédée en 1985), Yvonne Le Tac ( 1882-1957, elle participa activement à un réseau de résistance en Bretagne, aidée de son mari et de ses deux fils, repérant les principales positions allemandes de la côte, accueillant des parachutistes anglais ou canadiens etc. Arrêtée en 1942, elle fut emmenée à la Santé, où elle garda le silence. Elle fut alors envoyée en 1943 à Ravensbruck puis à Auschwitz-Birkenau. Libérée par les Russes en janvier 1945, elle fut emmenée dans un wagon à bestiaux à Odessa d’où un bateau anglais la ramena enfin à Marseille ).

■ les tragédiennes, actrices et chanteuses

Adrienne Lecouvreur ( 1692-1730, joua Corneille, Racine et Voltaire ), Béatrix Dussane ( 1888-1969, elle fut la Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou), Julia Bartet ( 1854-1941, de son vrai nom Julia Regnault ), Dalida ( 1933-1987, de son vrai nom Iolanda Gigliotti, chanteuse de variété), Édith Piaf ( 1915-1963, de son vrai nom Giovanna Gassion, connue comme la môme Piaf ), La Champmeslé (1842-1698, de son vrai nom Marie Desmare, maîtresse de Racine dont elle créa Bérénice, Iphigénie et Phèdre. ), Maria Callas (1923-1977, de son vrai nom Maria Kaloghreopoulos, cantatrice ), Marie Laurent ( 1826-1904, de son vrai nom Marie Alliouze-Luguet ), Rachel ( 1820-1858, de son vrai nom Élisa Félix, dite Mlle Rachel ), Réjane (1856-1920, de son vrai nom Gabrielle-Charlotte Réju ), Sarah-Bernhardt ( 1844-1923, de son vrai nom Henriette-Marie-Sarah Bernhardt ).

■ les artistes

Bigot ( 1786-1820, née Marie Kiéné, épouse Bigot, pianiste appréciée de Haydn et Beethoven ), Camille Claudel (1864-1943, sculptrice, élève, collaboratrice et amie d’Auguste Rodin), Dury-Vasselon ( 1860-1924, prénommée Hortense, peintre ), Ginette Neveu ( 1919-1949, violoniste, mourut dans le même accident d’avion que Marcel Cerdan ), Lily Laskine ( 1893-1988, harpiste ), Marguerite Long ( 1874-1966, pianiste ), Rosa Bonheur ( 1822-1899, peintre), Suzanne Valadon (1865-1938, de son vrai nom Marie Clémentine, peintre, mère de Maurice Utrillo ), Vigée-Lebrun ( 1755-1842, née Marie Anne Élisabeth Vigée, épouse Lebrun, portraitiste, entre autres, de Marie-Antoinette).

■ les muses et les épouses

Clotilde de Vaux ( 1815-1846, grande inspiratrice d’Auguste Comte qu’elle orienta vers un positivisme religieux ), Dames des Roches ( à Poitiers — Madeleine Neveu et sa fille Catherine, dites « dames de Roches » tenaient là un salon littéraire au XVIè siècle ), Pernelle ( Mme Pernelle, femme de Nicolas Flamel, morte en 1397 en laissant à son mari une fortune qui accrédita les propos de ceux qui affirmaient qu’il avait découvert la pierre philosophale ), Récamier ( 1777-1849, Jeanne Françoise Julie Adélaïde Récamier, née Bernard, tint salon à l’hôtel Necker, s’opposa avec Mme de Staël à Napoléon, et se lia à Chateaubriand qu’elle suivit dans la mort un an après lui).

■ les scientifiques :

Jacques et Thérèse Tréfouel ( Jacques, 1897-1977, et Thérèse, 1892-1978, moins connus que les Curie, étaient tous deux chimistes et bactériologistes à l’Institut Pasteur ), Marie Curie (1864-1934, née Marie Sklodowska à Varsovie, épouse de Pierre Curie, avec lequel elle découvrit le radium ; elle reçut deux prix Nobel en 1903 et 1911), Nicole Chouraqui ( 1938-1987, économiste et analyste financier, députée européenne, conseillère de Paris et de la région Île-de-France ), Sophie Germain ( 1776-1831, mathématicienne, elle écrivit des Mémoires sur les vibrations de lames élastiques ).

■ les aviatrices

Trois aviatrices sont célébrées à Paris, autant que des féministes — mais l’un n’empêche pas l’autre. On notera sur la foi de cette liste que deux aviatrices sur trois se prénomment Maryse.

Hélène Boucher (1908-1934, elle détint sept records mondiaux différents et mourut lors d’un vol d’entraînement ), Maryse Bastié (1898-1952, elle détint dix records du monde de distance ou de durée ), Maryse Hilsz ( 1903-1946, effectua des raids à très longue distance et fut détentrice de records d’altitude).

■ la sportive

Il n’y en a qu’une ! n’en déduisez pas pour autant que toutes les sportives se prénomment Suzanne.

Suzanne Lenglen (1899-1938, tenniswoman championne du monde de 1919 à 1923, puis en 1925 et 1926 ; féministe, elle osa, suprême audace à l’époque, montrer ses bras et même ses cuisses, se promener nue dans les vestiaires et recevoir des journalistes en prenant son bain !).

■ les inclassables

Bonnes Femmes ( à La Rochelle ; du nom d’une enseigne d’auberge représentant trois femmes sans tête, donc … bonnes puisque privées de tête et donc de parole ! ), Dragonne ( à Valence — Anne dite « Quatre-Sous » s’est engagée comme dragon dans les armées de la Révolution et ne fut démasquée que des années plus tard ), Fileuses de Soie ( à Salon-de-Provence — elles travaillaient à la filature fondée en 1748 par le sieur Séas ), Fillettes ( on dit que la rue était empruntée par de charmantes créatures qui venaient s’y ébattre mais il se pourrait que le nom vienne du fait que, sous Louis XI, on rassemblait là des prisonniers entravés de lourdes chaînes appelées « fillettes » ), Lingères ( des lingères se retrouvaient là avant ou après leur labeur ), Mandoune ( à Montauban — du nom féminisé de la femme d’un meunier nommé Mandou ), Reine de Hongrie ( Julie Bécheur, porteuse d’une pétition à Marie-Antoine, fut flattée quand cette dernière lui fit part de sa ressemblance avec la reine Marie-Thérèse de Hongrie ; elle rapporta ses propos à son entourage et fut dès lors surnommée la reine de Hongrie et qu’on baptisa de ce nom le passage où elle habitait. Las! poussant trop loin la ressemblance, elle afficha de fortes convictions royalistes et … fut décapitée), Trois Sœurs ( en souvenir de trois sœurs qui tenaient là un lavoir au XVIIIè siècle ).

J’espère ne pas avoir été trop long ni vous avoir lassé … Quoi qu’il en soit, sachez que je serai là pour vous ! … sur l’air du générique de Friends, bien sûr, dont la compositrice Allee Willis vient de décéder à l’âge de 72 ans. À quand sa rue ?

Penny Lane et Desire Street ( les répauxdev)

Les devinettes de TRS ont été résolues par la plupart de mes lecteurs. Comme déjà signalé en ouverture des indices du mercredi , Jacques C. fut le plus prompt à dégainer pour la seconde, suivi par Un Intrus et les autres. Je note que T.R.Aule continue à écrire des commentaires ellespéens très allusifs …

Il fallait trouver :

Penny Lane

  • Étape 1 :

James Penny ( mort en 1799) était un capitaine négrier prospère de Liverpool qui défendit l’anti-abolitionnisme au Parlement britannique.

  • Étape 2 :

Penny Lane est une rue de Liverpool, une ville anglaise de 491 500 habitants en 2017.

penny-lane-l18-2340-p

  • Étape 3 :

Penny Lane est le titre d’une célébrissime chanson des Beatles parue en 1967 dont on attribue la paternité à Paul McCartney.

  • Étape 4 :

Il a neigé sur Yesterday est une chanson chantée par Marie Laforêt en 1977 et « écrite par Michel Jourdan (…) qui évoque la séparation des Beatles et fait référence à nombre de leurs titres ».  Nous apprenons au  deuxième couplet  que

Penny Lane aujourd’hui a deux enfants

et, au troisième, que

Penny Lane, c’est déjà loin maintenant
Mais jamais elle n’aura de cheveux blancs.

ce qui fait beaucoup d’inepties pour une rue — sauf à considérer une métaphore poétique où les deux enfants de la rue seraient Paul McCartney et John Lennon qui, grâce à leur chanson, l’auraient rendue immortelle.

Mais que cela ne nous empêche pas d’écouter Marie Laforêt ( ces yeux! Mais, ces yeux !)

  • les indices de TRS :

Muddy Waters était là pour son nom, pas pour ses chansons ! Muddy waters signifie « eaux boueuses » et liver pool peut se traduire par « bassin brun roux, couleur de foie » en référence à ses  eaux limoneuses.

La charade : penny ( le centième d’une livre anglaise ) + laine ( bas de ) …

  • les indices du mercredi 26/09/18 :

Il fallait reconnaître Miss Moneypenny, la secrétaire du patron de James Bond et John McLane, le héros de la pentalogie Die Hard.

Par aphérèse: Moneypenny et Mclane soit « pennylane » . Ce n’était pas trop difficile.

  • enfin, et en vrac :

Ce site en dit beaucoup sur le ( méta ) toponyme Penny Lane, mais il parle d’un John Penny en s’appuyant sur des textes anglais qui citent bien, eux, James Penny. Dommage.

Penny Lane n’est pas devenue le nom d’une femme que dans la chanson de Marie Laforêt : c’est aussi le nom du personnage joué par Jane Birkin dans Wonderwall un film de 1968 dont la B.O. est signée … George Harrison.

Et, bien sûr :

Desire street

Desire street est une rue de New Orleans ou, si vous préférez, la rue Désirée était une rue de La Nouvelle-Orléans.

Elle a été rendue célèbre par le film d’Elia Kazan Un tramway nommé Désir dont l’héroïne, Blanche Dubois, s’installe chez sa sœur, qui habite un immeuble appelé Champs Élysées, auquel elle se rend en empruntant un tramway nommé Désir puis un tramway appelé Cimetière. Cf. les premières minutes du film :

https://www.dailymotion.com/video/x4opjme

Lors du lotissement de sa plantation, la rue a été nommée par Robert Gautier de Montreuil en hommage à sa troisième  fille Désirée, comme il avait déjà nommé Elmire une première rue en hommage à sa deuxième fille ( l’aînée, Estelle, est morte à dix-huit ans ). [ source en anglais ].

Toutefois, sous l’influence de la pièce de Tennessee Williams et, plus tard du film d’Elia Kazan, la rue fut rebaptisée Desire street — faisant tomber dans l’oubli Désirée Gautier de Montreuil… [ source ] — alors que l’auteur de la pièce ne pensait sans doute qu’à un jeu de mots faisant passer son héroïne du désir au cimetière pour finir aux champs Élysées.

Le site anglais wiki, citant le livre Desire street : A True Story of Death and Deliverance in New Orleans (Farrar Straus & Giroux, 2005) de Jed Horne, suggère que la rue aurait pu être nommée en hommage à Désirée Clary, la première fiancée de Napoléon. Comme on l’a vu, la présence d’une Elmire street suffit à faire s’effondrer cette hypothèse : les rues portent les noms des deux filles de Robert Gautier de Montreuil.

  • les indices de TRS :

Gilber Bécaud a chanté Désirée et Desire est un album de Bob Dylan. Sur une suggestion de Jacques C. j’ajoute volontiers U2 :

Quand TRS ajoute  « Juste un aveu : l’actrice qui tient le rôle de Blanche(…) », je pense qu’il donne quasiment la solution.

Feedle dee dee de Lionnel Hamton pour rappeler la réplique ( tra la la lère )  de  Scarlett O’Hara ( Vivian Leigh ) à sa nounou dans Autant en emporte le vent.

  • l’indice du mercredi :

la chanson Quelque chose de Tennessee pour Tennesse Williams, l’auteur de la pièce A Streetcar Named Desire, d’où est tiré le film.

Et, bien sûr :

avec en prime la version originale de Steeve Goodman  et celle de Johnny Cash … Faites votre choix !

P.S. je sais que la chanson ne parle pas de la Nouvelle-Orléans mais du train qui la relie à Chicago et qui porte son nom, mais elle est si belle !

Ah! Paris!

SAMSUNG DIGITAL CAMERA

Armoiries de Paris – Pont de Bir-Hakeim

Pour le cas où vous ne l’auriez pas vu passer, je vous donne ce lien vers une carte de Paris où chaque avenue, boulevard, rue, square, place, etc. est nommé et surtout cliquable pour en découvrir l’étymologie et l’histoire.

Une pure merveille!Le rêve de tout toponymiste !

Mais, nous prévient-on :

Attention, sa consultation peut avoir des effets négatifs pour la productivité au bureau !

Demoiselles et mignottes en bonbonnière

Comme promis, je vous emmène faire le trottoir… J’avais écrit naguère un billet élégamment titré Racolage à propos de certaines rues parisiennes qui portent un nom rappelant  la prostitution. J’en ai depuis découvert d’autres qui méritent le détour.

1-courtisanes-196x300Me suivrez-vous sur ces nouveaux trottoirs pour y retrouver les noms qu’on donnait alors aux prostituées ?

C’est à Valence ( Drôme) que la rue Chantelouve nous apprend un de ces noms. Les louves qui chantaient là tentaient en fait d’attirer le chaland dans un des lupanars de la ville. On sait en effet, depuis les Romains et la légende de Romulus et Rémus, que lupa, «la louve », est un nom qui désignait la prostituée.

Les Toulousains étaient moins poètes qui avaient baptisé, dans un des faubourgs de leur ville,  le « pont de las Putes », « le pont des Commères » ou encore  le « chemin des Maquerelles ». Attirées par le grand nombre d’ouvriers venus creuser le canal du Midi vers 1670, de nombreuses demoiselles de petite vertu s’étaient établies là, dans ce qui devint le  quartier des Demoiselles.

Dans la plupart des villes du Moyen-Âge, la rue des Étuves était la rue du lupanar.  C’est en effet sous prétexte de bains chauds que les filles de joie y exerçaient leur métier. On en trouve encore la trace  à Montpellier, Aix-en-Provence, Bordeaux … La plupart du temps, les archives gardent la trace de ces activités, sinon de la prostitution au moins des étuves. Rien de tout cela pourtant à Montreuil : ni étuve ni lupanar dans la rue des Étuves. Alors, quoi ? On raconte que c’est par vengeance que la rue fut nommée ainsi. Des soupirants éconduits par des filles trop sages, dépités par de trop nombreux refus successifs, se seraient vengés  en qualifiant, par antinomie, de petite la vertu  de ces jeunes filles. Les marins n’avaient rien fait d’autre à propos des filles de Camaret.

La  rue des Mignottes (Paris, XIXè arr.) doit son nom au lieu-dit auquel elle menait. Jadis, « mignotte » existait en parallèle avec « mignonne », dans le sens de « caressante, enjôleuse ». Nous lisons dans le Godefroy  la définition suivante pour mignotie :  « gentillesse aimable, attrait doux, air engageant et caressant, caresses, gâteries ». Qu’en termes élégants … Ce lieu-dit devait héberger quelques « mignonnes » prodigues en caresses et gâteries.

1-Image-11-172x300Vers 1840, une certaine catégorie de demi-mondaines — celles qui se faisaient entretenir par plusieurs amants — étaient appelées les « essuyeuses de plâtre » car elles avaient choisi de s’installer dans le   nouveau quartier proche de la place Clichy et de la rue Blanche. À force de donner aux cochers et à leurs galants leur adresse « derrière l’église Notre-Dame-de-Lorette », ces dames reçurent le surnom de lorettes. L’église venait d’être achevée en 1835 et baptisée en hommage à Loreto, ville italienne de la province d’Ancône  célèbre pour son pèlerinage marial. Lorette est la francisation de l’italien Loreto, lui-même issu du latin lauretum, « bois de lauriers ».

Le passage du Puits entre la rue du Faubourg-Saint-Denis et la rue du Faubourg-Saint-Martin, toujours à Paris, abritait jadis  une maison close. Il fut rebaptisé en 1789 passage du Désir et la prostitution s’y poursuivit même après la fermeture des maisons closes.

Enfin, un petit tour à Mulhouse nous fait découvrir la rue Bonbonnière. Elle s’est appelée Frauengasse , « la ruelle des Dames », ou encore  im süßen Winkel , « dans le coin sucré » qui est un euphémisme ailleurs traduit par « le bonbon défendu ». Au n° 5 de cette rue s’élevait depuis le XIVè siècle une maison de tolérance à l’enseigne de la Bonbonnière qui fut définitivement close en 1624. Mais la mémoire (des toponymistes ) est longue.

Dans un autre registre, on peut signaler la rue des Repenties à Valence qui longeait l’hôpital de la Madeleine où l’on enfermait les filles de mauvaise vie jusqu’à ce qu’on les juge « repenties ». Alors, on les relâchait: « Soyez sage, ma fille! » « Houououou! » chantait la louve en rentrant chez elle.

De quelques vieux métiers

Mes promenades dans les rues parisiennes pour l’écriture des précédents billets m’ont fait découvrir de nombreux noms remarquables parmi lesquels j’ai trouvé des références à d’anciens métiers aujourd’hui  disparus ou ayant changé d’appellation. En voici quelques uns:

La lessive, dont l’étymologie nous rappelle qu’elle se faisait  en diluant des cendres dans l’eau, consommait beaucoup de ces cendres. Les artisans qui les fabriquaient et vendaient  s’étaient regroupés dans une rue du XXè arr. : la rue des Cendriers.

La cendre avait une autre utilisation: mélangée à de la lie de vin séchée puis calcinée elle était alors dite cendre gravelée et servait à préparer les étoffes à recevoir la teinture. Les ouvriers qui, dès le XIIIè siècle, la manipulaient étaient des graveliers. Bien que déformé, on retrouve ce nom dans celui de la rue des Gravilliers connue dès 1250 sous le nom de rue de Gravelier (IIIè arr.). D’autres explications font état d’un boucher nommé Jean Gravelier qui tenait son étal dans cette rue, mais son nom n’apparaît dans le rôle des taxes qu’en 1312.

Le vinaigre était produit par des artisans réunis dans une des corporations les plus anciennes ( ses statuts datent de 1394!) et  des plus importantes avant la Révolution. La rue des Vinaigriers dans le Xè arr. a été ainsi baptisée en 1780, après avoir été une simple ruelle de l’Héritier en 1654.

lessivePour en finir avec le linge rappelons-nous qu’il fut un temps où ceux qui faisaient la lessive étaient des buandiers travaillant dans une buanderie. S’il existe bien des rues de La Buanderie dans d’autres villes, il n’y en a pas à Paris. En revanche on trouve dans le XXè arr. une rue Le Bua. C’était le nom d’un lieu-dit où l’on faisait la buée, la lessive. La rue qui y menait a pris ce nom en 1860.

Les carrières des Buttes Chaumont alimentaient en gypse les grands fours à chaux de Belleville. Les ouvriers qui travaillaient à ces fours ont laissé leur trace dans la rue des Chaufourniers, (Paris XIXè arr.)

Dans le quartier des Halles — où les références aux métiers de l’alimentation sont nombreuses — on trouve une rue de la Cossonnerie. « Déjà construite en 1183, cette rue s’appelait alors via Cochonneria. En 1300, c’était la rue de la Coçonnerie. ». Sauval, un érudit du XVIIè siècle, nous explique:

« Anciennement, cossonniers et cossonnerie voulaient dire la même chose que poulaillers et poullaillerie, j’apprends même de quelques vieillards, qu’à certains jours de la semaine, on y tenait un marché de cochons et de volailles, et de plus ils m’ont assuré qu’étant jeunes, ils y ont vu étaler dans des paniers et sur le pavé des poulets, des chapons et tout le reste que les poulaillers d’aujourd’hui ont étalé sur le pavé et dans leurs paniers à la Vallée-de-Misère, et depuis, le long du quai des Augustins. Enfin j’ai lu dans le livre rouge neuf du procureur du roi, une ordonnance qui défend, tant aux rôtisseurs qu’aux autres marchands qui venaient étaler à la rue de la Cossonnerie, d’aller avant l’heure au devant des marchandises. »

On pourrait voir dans le Cochonneria de 1183 une référence au porc: c’est oublier que « cochon » n’a été utilisé dans le sens zoologique que nous lui connaissons aujourd’hui qu’à partir du XIIIè siècle. En revanche, le cosson ou coçon ou encore le  cocherel, tous mots issus de coq, sont attestés en ces temps-là dans le sens de volailler.

taillandierLes artisans qui fabriquaient toutes sortes d’objets propres à tailler, notamment pour les charpentiers : haches, couperets, limes, ciseaux, fers de rabots, etc.  s’étaient regroupés dans une rue du XIè arr. baptisée en 1867 rue des Taillandiers.

Les fabricants d’agrafes, nombreux au Moyen-Âge, étaient appelés attachiers et leur activité attacherie. Quelques uns d’entre étaient installés dans la rue de la Juiverie-Saint-Bon, connue dès 1261 et ainsi nommée en raison d’une synagogue. Après l’expulsion des Juifs, Philippe le Bel donna en 1307 cette rue à un de ses valets, un certain Pruvin, mais dès 1300 elle s’appelait rue de la Tacherie. On comprend que « l’attacherie » est devenue « la tacherie » par la faute d’une mécoupure.

Un autre métier aujourd’hui disparu était celui de fabricant de baleines de corset. Un baleinier avait installé son atelier dans le XIè arr. où l’impasse de La Baleine en garde le souvenir.

Dès le XIIIè siècle, les prêtres de Saint-Eustache logeaient dans une rue du Ier arr. qui menait à l’église. Jadis, on disait provoires pour désigner les prêtres. On lit ainsi dans une chronique du XIVè siècle: « li provoires chantèrent leurs litanies par la ville, et gittèrent eau bénite par les hosteux ». Ce mot, d’abord  déformé en provaires  a fini par donner son nom à la rue des Prouvaires. Cette rue, une des plus belles de Paris sous le règne de Louis XI eut l’honneur d’être choisie en 1476 par le roi pour y loger chez le richissime épicier Laurent Herbelot, Alphonse V, roi du Portugal, venu demander du secours ( et des subsides)  quand le fils du roi d’Aragon s’était emparé de la Castille. C’est aussi — j’allais dire surtout —rue des Prouvaires que Savinien-Hercule Cyrano de Bergerac est né en 1619.

Et, comme en France tout finit en chanson et que tout ce monde de travailleurs devait bien se distraire, je finis ma balade rue des Ménétriers. Ce mot, de même origine que  ménestrel mais avec un suffixe différent, désignait des joueurs d’instruments, conteurs et chanteurs. On le retrouve dans un très vieux chant de Noël bourguignon:

J’antan po notre rue

Passai le Ménétrei ;

Acouté comme ai jue

Su los hauboi dé Noei !

No, devan le feù,

Pôle meù,

Chantons -ah jeusqu’ai méneù.

Que l’on peut traduire ainsi :

J’entends par notre rue

passer les Ménétriers;

Écoutez comme ils jouent

sur leur hautbois des noëls !

Nous, devant le feu,

Pour le mieux,

Chantons-en jusqu’à minuit.

Joyeux Noël !

La couleur des rues ( suite et fin)

Je poursuis ici une série commencée,  continuée ici  et encore ici pour en terminer avec   des rues qui doivent, elles,  leur nom coloré à une enseigne.

La rue du Chapeau-Rouge à Quimper abritait quelques chapeliers qui coiffaient les ecclésiastiques dont beaucoup rêvaient de porter un jour le chapeau rouge d’évêque ou, pour les plus ambitieux, le chapeau rouge à trente houppes de cardinal.

cfa7f-chrouge4C’est d’ailleurs parce qu’ un cardinal lui fit l’honneur de choisir son auberge pour y faire étape, que ce patron bordelais choisit comme enseigne un chapeau rouge, enseigne qui allait donner son nom au cours du Chapeau-Rouge. La ville de Béziers a, elle aussi, sa carriera del Capèl Roge.

Pour rester dans le rouge, signalons à Quimper une rue des Chaperons-Rouges, toujours en rappel d’une ancienne enseigne. Rappelons qu’un chaperon était un couvre-chef à bourrelet doté d’une queue que portaient aussi bien les hommes que les femmes du Moyen-Âge.

Le bâton de pèlerin, autrefois nommé bourdon, a servi d’enseigne

à un aubergiste orléanais, invitant les pèlerins de passage à venir s’y restaurer et s’y reposer. La rue du Bourdon-Blanc en garde le souvenir.

À Douai, la rue des Blancs -Mouchons — du nom d’une enseigne d’auberge connue dès 1500, un mouchon étant un moineau en patois local — nous donne l’occasion d’un sourire en rappelant son ancien nom, ruelle de la Planque -Amoureuse. Las! Ce nom rappelle un petit pont de bois ( planque est mis ici pour planche) permettant de franchir le fossé des anciennes fortifications. La planche était si étroite que lorsqu’on s’y croisait, on ne pouvait, dit-on, que s’y embrasser. Il s’agit  là d’une légende, car un certain Amouroux habitait la ruelle et c’est sans doute lui qui a donné son nom à la planque. Qui sait? peut-être y faisait-il même payer un péage?  Dommage, voilà une ruelle de la Planque-Amoureuse qu’aurait sans doute aimé  chanter Brassens

La rue des Pigeons-Blancs de Senlis tient son nom d’un ancien hôtel des Coulombs Blancs du XVè siècle sur la façade duquel une sculpture représentant trois pigeons blancs évoquait la vision de saint Rieul. Il avait eu la révélation de la décapitation de saint Denis, saint Rustique et saint Éleuthère  sur la butte Montmartre — le mont des martyres — par la vision de « trois coulombs blancs sur la gorge desquels perlait du sang.»

D’autres enseignes se comprennent aisément: la rue du Brun-Pain à Tourcoing du nom d’un cabaret ouvert là en 1525,  la rue de La Tête d’Or à Metz où descendaient princes et riches étrangers, de la Main d’Or  ou du Soleil d’Or à Paris ou encore de la Mule-Noire à Aix-en-Provence, qui devint noire quand un concurrent déloyal ouvrit en face un cabaret à l’enseigne de la Mule-Blanche. Les exemples de ce type sont innombrables.

La couleur verte a été utilisée dans un sens très particulier par certains aubergistes puisqu’elle signalait une maison close. La rue de la Cage-Verte à Bourges tire son nom de l’enseigne d’une de ces auberges accueillantes ouverte là en 1502. L’enseigne représentait une cage à oiseaux peinte en vert: les affranchis n’avaient pas besoin de plus d’explication pour savoir quel genre de dame oiselle froufroutait là.

La rue du Singe-Vert à Tours doit son nom actuel à une confusion: elle s’appelait rue Saint-Genail, un saint très local, à moins qu’il ne s’agisse d’une déformation du nom de saint Genou vénéré dans le Berry. Toujours est-il que, une fois le nom de ce saint tombé dans l’oubli, la rue de Saint-Genail devint celle du Singe-Vert. Ce n’est que bien plus tard qu’une maison de la rue, une de celles que clora définitivement Marthe Richard en 1946, arbora  un singe vert comme enseigne.

1332092702-Paris-152-CLBLe carrefour de la Croix-Rouge à Paris ( devenu la place Michel-Debré en 2005) devait son nom à une croix de cette couleur érigée devant son église en 1514 par l’abbé de Saint-Germain-des-Prés en lieu et place d’une statue d’Isis au culte de laquelle il entendait faire concurrence. Elle fut transportée ensuite au centre du bourg où le carrefour de la rue de Sèvres, alors connu comme carrefour de la Maladrerie en raison des cabanes bâties là pour accueillir les pauvres atteints de la lèpre, a pris le nom de Croix-Rouge et l’a gardé même après la disparition de la croix en 1651. Pour l’anecdote, rappelons que les Révolutionnaires lui avaient donné le nom de Bonnet-Rouge!

On dit que le quartier de la Croix-Rouge à Grenoble tient son nom d’une coutume qui voulait que l’on plantât une croix rouge sur les lieux où un assassinat avait été commis. Une autre explication pourrait être qu’une croix de bois avait été peinte au minium dont on pensait qu’il protégeait aussi bien le bois que le fer.

Bien d’autres villes possèdent un carrefour de la Croix-Rouge : Dourdan (Essonne), Guer (Morbihan), Blain ( Loire-Atlantique), Honfleur ( Calvados), etc. Seule une étude de l’histoire locale permettrait d’en connaître avec précision l’origine.

Le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, célèbre depuis la révolte des canuts, doit son nom à une croix dressée là au milieu du  XVè siècle. Elle était faite de calcaire de Couzon, une pierre jaune violacé, dite aujourd’hui « pierre dorée ».

La couleur des rues ( suite )

Nombre de  rues doivent la présence d’une couleur dans leur nom à leurs habitants ou à l’activité qu’ils y pratiquaient. Nous avons ainsi  vu dans le précédent billet deux rues Rouge qui peuvent être classées dans cette catégorie.

champ blé bleuets van gogh La place des Bleuets à Lille doit son nom à la couleur de l’uniforme des enfants recueillis dans l’orphelinat construit là au XVè siècle, tandis que la rue des Bleuets parisienne, ouverte en 1906, doit le sien à une ancienne cité des Bleuets ainsi baptisée en raison de l’abondance de ces centaurées bleues  dans les champs alentours.

La rue des Blancs-Manteaux a été baptisée ainsi en 1258  lorsque Saint-Louis autorisa les religieux de l’ordre des Serviteurs  de la Vierge, établi à Marseille en 1252, à s’installer à Paris. Il s’agissait d’un ordre mendiant dont les moines qui portaient une bure blanche , symbole de la pureté de Marie, étaient dits « blancs-manteaux ». Les ordres mendiants ayant été presque tous supprimés en 1274, lors du deuxième concile de Lyon, ils furent remplacés par les guillemites de Montrouge  qui portaient, eux, un manteau noir *, mais le nom de la rue n’en a pas pour autant été modifié.

À Montpellier se trouve une rue Embouque-d’Or. Il faut remonter à 1342, quand on écrivait carriera dicta Bocados , pour comprendre d’où lui vient ce nom. Il s’agissait de celui d’une vielle famille bourgeoise, les Bocados, dont le nom a été poétiquement transformé au fil du temps.

L’histoire de la rue de la Maille d’Or à Beaugency, dans le Loiret, mérite d’être contée tant elle est exemplaire du pouvoir exorbitant du clergé au Moyen-Âge. Le chapitre d’Amiens était alors propriétaire d’une grande partie des  terres de Beaugency — si on vous demande pourquoi, répondez un truc où il est question de voies impénétrables, ça marche à tous les coups —  y imposait sa loi et … ses  impôts. Le jour de la saint Firmin, soit à l’époque le 13 janvier, les habitants qui avaient la malchance d’exploiter les terres amiénoises devaient apporter à l’église Saint-Pierre-le-Puellier d’Orléans une pièce  d’une maille en or ( dite aussi maille de Florence et valant    2 deniers et dix- sept grains trébuchants) pour payer la pension d’un escholier méritant venu de Picardie étudier à l’université d’Orléans, alors la quatrième de France..

La rue des Galands-Verts de Bourges . Rien à voir avec Henri IV mais avec les bandits de grand chemin qui, une fois leur forfait accompli et le butin en poche, se réfugiaient au plus profond des bois : ils étaient surnommés « verts galants» ou «galands verts» ou encore «galands de feuillée». En ce temps-là «galant» avait le sens de «gaillard, hardi» et la rue des Galands-Verts était un chemin menant à la forêt.

electricite2-300x225 La rue de la Houille-Blanche de Grenoble rend hommage à l’invention d’Aristide Bergès qui fut le premier en 1880 à équiper une chute d’eau d’une turbine. Il montra son invention à l’Exposition universelle de Paris en 1889, créant à cette occasion le terme de houille blanche.

La rue de la Violette à Nîmes est un exemple de pléonasme bien caché. La Violette était le nom que portait la prison royale: aucun rapport pourtant avec le violon ni même avec la fleur, mais avec la ruelle qui bordait la prison. En provençal, nous apprend Mistral dans son Trésor du Félibrige, les mots  viol, violo signifient « sentier, ruelle ». La prison de la Violette était donc la prison de la ruelle : la rue de la Violette, la rue de la ruelle, est donc bien un pléonasme!

Je m’aperçois que mon billet est déjà bien long. Ceux qui attendaient les enseignes ou les croix devront patienter jusqu’au prochain …

* Émile Littré nous raconte n’importe quoi . Alors qu’en deux clics il aurait pu avoir l’info!

De quelques minous

Vous l’attendiez tous. Le voici, le voilou : le minou.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAComme il a déjà été dit dans les commentaires du billet précédent, le Finistère, et plus particulièrement la commune de Plouzané , compte plusieurs toponymes de ce type avec le Fort du Minou dû à la volonté de Vauban de protéger le Goulet de Brest, la Pointe du Grand Minou, la Pointe du Petit Minou avec son phare et, au large, le banc du Minou. Le breton  min , faisant  minou  au pluriel, signifie « mine, minois» et a pu par la suite signifier « bouche » finissant alors par être pris par métaphore pour « embouchure ». Nous avons bien, dans le Midi, nos Bouches-du-Rhône …

Le phare du Petit Minou

Mais les Bretons n’ont pas l’exclusivité du minou. On trouve par exemple un Champ du Minou (Beauménil, Vosges) et un Clos Minou (La Petite Campagne, Calvados) ainsi qu’une rue du Minou à Miramont-Sansacq dans les Landes. À  Chamvres, dans l’Yonne, nous apprenons que la liste des noms en -ou qui font leur pluriel en -oux s’allonge, puisqu’on y trouve une rue des Minoux. Tous ces noms font sans doute référence à un personnage, propriétaire, exploitant ou simple riverain :  Minou, Minous, Le Minous, Le Minoux  sont  des noms de famille dérivés de minor  au sens de « mineur(d’âge) » qui a souvent désigné un pupille.

Je m’en voudrais de terminer cette liste sans rendre hommage aux Haut-Garonnais de Mourvilles-Hautes qui ont choisi de baptiser une de leurs rues  Garde-Minous.

Et je réservais pour la bonne bouche — si j’ose dire — la Caverne du Minou (Le Marillais, Maine-et-Loire) avant de vous faire terminer la promenade au  lieu-dit Le Trousse-Minou (Escamain, Nord), qui doit son nom, raconte-t-on, à une ancienne auberge où il ne faisait pas bon séjourner.

Après tous ces billets, vous pensiez sans doute être définitivement débarrassés des félins domestiques. Que nenni! La suite au prochain numéro!

De quelques chats

Cabaret_chat_noir-Musee_CarnavaletDomestiqué en Égypte vers 1580-1080 avant J.-C., le chat était rarissime en Grèce, à Rome comme en Gaule jusqu’au début du Moyen-Âge où il commença à être progressivement implanté en Europe.

Le latin cattus, « chat », accompagné du suffix –aria, a donné son nom à Gattières (Alpes-Maritimes), Chattière (Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Sarthe, Savoie) ou encore à Chatterie (Sarthe). Il s’agissait sans doute d’endroits où les chats, peut-être sauvages, étaient nombreux voire envahissants, à moins que pour les deux premiers il ne s’agisse du nom donné par dérision aux portes de la ville de petites dimensions, comme une chatière.

La commune de Chaville doit quant à elle son nom soit au surnom latin d’un homme, Cattus, soit plutôt au nom de personne germanique Hattho qui y auraient établi leur villa.

Le nom du chat apparaît aussi dans de nombreux micro-toponymes que je ne pourrai pas tous citer.

pt36263

La Pointe des Chats – Île de Groix

Le Morbihan semble particulièrement félin avec sept occurrences: Chat d’en bas et  Chat troussé à Saint-Marcel, le Chat Noir à Saint-Philibert, Le Trou du Chat à Pluvigner et Le Trou aux Chats à Le Palais, La Ville aux chats à Cruguel  et enfin la Pointe des Chats sur l’île de Groix.

Notons aussi  une Butte du Chat ( Saint-Joachim, Loire-Atlantique), un Pont des Chats (un phare dans le prolongement sud-est de l’île de Sein) et un Pré aux Chats (Rouillac, Côtes-d’Armor).

Enfin quelques noms de rues font référence au chat, reprenant alors le plus souvent une enseigne. C’est le cas de la rue des Chats Ferrés à Orléans qui rappelle l’enseigne d’une ancienne auberge montrant des chats en fer forgé, de la rue du Chat-qui-Vielle à Caen où l’enseigne d’un estaminet montrait un chat jouant de la vielle. La rue du Chat-Haret à Senlis tient son nom de l’hôtel du  Chat Héret, ainsi appelé parce que cet animal était sculpté au-dessus du portail d’entrée. Rappelons qu’un chat haret est un chat retourné à l’état sauvage. La rue du Chat-qui-Pêche à Paris , d’abord rue des Étuves puis rue du Renard, doit son nom actuel à l’enseigne d’une poissonnerie ou d’une auberge.

Le nom de la rue des Chats-Bossus, à Lille, ne doit rien aux chats puisqu’il  vient de la déformation d’un mot local. Les mégissiers, pelletiers et fourreurs accrochaient des têtes d’animaux empaillés à leur devanture en guise d’enseigne, des «caboches », qu’on appelait localement cabochu.

Méfions-nous aussi en montagne de noms comme La Chat (La Terrasse, Isère), La Chatte (Valloire, Savoie) ou le Mont Lachat en Haute-Savoie qui doivent leur nom au franco-provençal la chal « partie élevée et arrondie d’un pâturage haut».

Bien entendu, je n’oublie pas les chattes qui, bien que moins nombreuses, feront toutefois  l’objet d’un prochain article.

Rue des Écouffes

m milan ventura

Lino Ventura alias M. Milan dans l’Emmerdeur:

Est-ce que j’ai une gueule de prêteur sur gages ?

Une intervention d’un lecteur attentif sur le précédent fil a excité ma curiosité. Mes recherches m’ayant donné plus de grain à moudre que prévu, je trouve pertinent d’écrire un article sur ce sujet.

Iado, le 05 août, me signalait la présence à Paris d’une rue des Écouffes, citant wikipedia: :

« Cette rue était presque entièrement bâtie en 1200. En 1233, on l’appelait de l’Écofle, au XIVe siècle de l’Escoufle, des Escoufles, au XVIe siècle, des Escoffles, et depuis, des Écouffes. On pense qu’elle doit son nom à une enseigne représentant un milan, appelé autrefois escofles (« escoufle » était le nom communément donné aux prêteurs sur gages).

J’ai d’abord consulté les dictionnaires pour constater que l’Académie comme le Littré donnent bien « sorte de milan, oiseau de proie » pour « écoufle ». Le Littré, comme le Quillet,  ajoute: « nom du cerf-volant dans certaines provinces ». Le Dictionnaire du moyen français complète en précisant qu’« escoufle » est aussi le nom d’une ancienne monnaie. Cela est confirmé, en remontant le temps, dans le Godefroy, qui écrit que « escoffle, escoufle, esclofle, escouble » est bien un oiseau de proie, sorte de milan, mais aussi une monnaie de poids de douze deniers.
L’étymologie donnée par le CNRTL, qu’il faut aller chercher à l’article « milan », est la suivante : « L’a. fr. disait escoufle (1re moitié xiie s., escufle, Psautier Cambridge, 103, 17 ds T.-L.), empr. d’une forme de b. bret. *skouvl que l’on peut restituer d’apr. le bret. mod. skoul (Bl.-W.5). »

Littré, quant à lui ,  propose pour ce mot un étymologie pour le moins tirée par les …plumes : « En allemand, Schupfer (de schupfen, jeter) a signifié un coup de dés, et est littéralement escofre, escoufre, escoufle », nom qui serait passé à l’oiseau de proie par quelque mystère.

Je concluais ce début de recherche par : «Le rapprochement entre le milan rapace et le prêteur sur gages ( voire avec le notaire) est de longue date. Gilles Li Muisis au XIVè siècle le comparaît à Sathan ! La comparaison n’était pas flatteuse et j’ai un peu de mal à admettre que la corporation ait pu choisir ce rapace pour ses enseignes …»

corneillemilan1

(Vincent) Milan dans un pré

J’ai eu le temps de chercher un peu et ma première impression a été quelque peu modifiée. La Bible que constitue le Dictionnaire administratif et historique des rues et monuments de Paris de Félix et Louis Lazare (et dont wikipedia s’est largement inspiré) précise à propos de cette rue: « Nous pensons que cette voie publique doit son nom à l’enseigne d’un Milan, qu’on appelait autrefois Escofles». Un Milan ? Mais oui, bon sang, c’est bien sûr! Milan, avec une majuscule fautive mais ô combien révélatrice, Milan, la capitale de la Lombardie, d’où venaient les prêteurs sur gages installés à Paris dès le règne de Philippe-Auguste. Leur corporation florissante a eu finalement raison en 1636 du nom de la rue de la Pourpointerie ( où la corporation des pourpointiers avait son office ) qui avait elle-même remplacé la rue de la  Buffeterie (qui abritait le buffet — le bureau — des Halles) pour en faire la rue des Lombards. Donc, un prêteur sur gage était appelé un  lombard ou un milan. L’enseigne de l’escoufle n’était donc qu’un jeu de mots, un rébus … À une époque où peu de gens savaient lire, une enseigne devait être parlante et quoi de plus parlant qu’un escoufle pour dire un milan ?À l’époque, oui, bien sûr, parce qu’aujourd’hui, si tout le monde sait ce qu’est un prêteur sur gages — un cetelem ou un cofidis — qui sait encore ce qu’est un milan? Dans l’Emmerdeur Milan est un tueur à gages, pas un prêteur.

Au cours de mes recherches, j’ai découvert que l’enseigne traditionnelle  des prêteurs sur gages consiste en trois sacs d’or, en référence à la légende de Saint-Nicolas. Pour sauver l’honneur de trois sœurs frappées par la pauvreté et que leur père, désespéré de  ne pas pouvoir pas leur donner une dot,  s’apprêtait à  livrer à la prostitution, Saint-Nicolas vint secrètement et de nuit jeter par la fenêtre trois sacs d’or dans la maison. Ces trois sacs, devenus emblème de la corporation, se virent bientôt stylisés en trois ronds pour les uns, en trois boules pour les autres et, pourquoi ne pas l’imaginer, en trois pièces de monnaie pour d’autres encore. Trois pièces de monnaie ? Et pourquoi alors pas des escoufles? Notre enseigne n’aurait alors plus rien à voir avec l’oiseau de Sathan , mais tout avec l’argent. Ah! ben,non! flûte! il s’agissait d’une monnaie d’argent des Flandres et du quatorzième siècle…Pour l’anecdote, j’ajouterai que certains prétendent que c’est à un prêteur sur gages anglais nommé William Kew que l’on devrait le jeu de billard, dès 1560. Ce prêteur, certainement un peu usurier, avait, dit-on, comme enseigne de son métier trois boules d’ivoire qui reposaient, dans la journée, sur un ustensile spécial et qu’il rentrait chaque soir. Il s’amusa un soir à jouer ( avec ses b… et sa q…, oui : trop facile!) sur son comptoir : le billard était né. Tout le monde sait pourtant que le billard doit tout au lumbago royal du onzième Capet.

Credit_Municipal_-_logo-2Enfin, je pense que je serai complet en précisant que le Monte di pietà de Pérouse, créé en 1462, avait choisi comme emblème le griffon. Cet animal mythique, doté d’un corps de lion, d’ailes et d’un bec d’aigle gardait en Scythie les mines d’or d’Apollon. Ce symbole a été repris par les Mont-de-Piété français ( avec d’ailleurs une mauvaise traduction de l’italien:  monte, « valeur, montant » et  pietà, « pitié, charité » : le « crédit de pitié » et pas ce « mont de piété» qui n’a rien à voir avec la vocation du lieu. Ah! si ma tante avait été pieuse, cela aurait sans doute été possible …) puis par le Crédit Municipal.

Voilà une rue de 130mètres qui nous aura fait voyager de Paris à Milan, en passant par Londres et  Pérouse, sans oublier le désert de Scythie. Merci du voyage, Iado!