En réalité, quand les retraités disent qu’ils n’ont plus le temps de tout faire ou que les journées ne sont pas assez longues, ils mentent, aux autres bien sûr, mais aussi à eux-mêmes. La vérité est que le temps passe à la même vitesse qu’avant leur retraite, il ne va pas plus vite, mais c’est eux qui vont moins vite : ils n’ont plus les jambes de leurs vingt ans, ni la souplesse ni l’agilité. Là où ils mettaient dix minutes pour avaler le petit déjeuner, il leur en faut vingt, trois quarts d’heure pour faire les courses quand ils les expédiaient en vingt minutes, etc. Et le temps, à force de le prendre à la moindre occasion, il finit par ne plus leur en rester pour faire ce qu’ils ont à faire …
Vous aurez compris que, quand j’écris « les retraités » ou « ils », c’est de moi que je parle avant tout.
Prenez moi, justement, ce matin : rencontrant un retraité de mes amis qui sortait de la boulangerie dans laquelle je me proposais d’entrer, j’engage tout naturellement la conversation à propos de ce mistral qui s’est enfin calmé, ce qui est plutôt une bonne nouvelle, sauf que la température va remonter et cela d’autant plus qu’on n’est pas à l’abri d’un coup de sirocco, ce qui ne ferait qu’aggraver la sècheresse dont se plaignent les maraîchers et les vignerons, eux qui ont déjà commencé les vendanges pratiquement deux semaines plus tôt que d’habitude, ce qui n’est pas la moindre des conséquences du réchauffement climatique avec ces incendies qui n’en finissent pas, déjà que les pompiers sont épuisés par ces accidents sur les autoroutes avec tous ces Parisiens qui pensent qu’ils peuvent rouler vite parce qu’ils sont moins nombreux qu’avant à cause du covid (bon, ça c’est la version courte)… La conversation à peine terminée, je m’aperçus que le temps était passé dans notre dos et s’enfuyait déjà : impossible de le rattraper! Et il me restait encore tant à faire …
Et me voilà quand même enfin arrivé au moment où je dois vous proposer des indices pour résoudre mes deux dernières devinettes que seul Un Intrus a déjà résolues, tandis que TRA n’a fait que la moitié du chemin.
Pour les flemmards qui n’auraient pas suivi le lien précédent, j’en recopie les énoncés :
Je vous propose de découvrir deux autres noms de pays liés à ce couvert forestier : ■ le nom féminin du pays A est la francisation d’un nom qui signifie « lieu de bois noir » dans la langue régionale. Traditionnellement, on peut s’y habiller de pied en cap et on y chante, danse et joue la comédie en plein air. ■ le nom masculin du pays B est dérivé du nom en langue régionale d’une forêt d’un certain arbre montagnard. Les coutumes locales qui façonnaient l’autonomie et l’identité de ce pays, parmi lesquelles la transmission du patrimoine et du nom de la maison au premier né quel que soit son sexe, sont entrées en contradiction avec les velléités centralisatrices post-révolutionnaires et le code Napoléon, et ont fini par disparaitre. On y mouline et on y glisse.
Et voici les indices promis, sous forme d’œuvres littéraires classées dans l’ordre des pays à trouver :
■ pays A :
■ Pays B :
Et, comme je suis d’humeur généreuse, je rajoute ces deux images, toujours dans l’ordre Pays A puis pays B :
Avec tout ça, les réponses ne devraient pas tarder. Merci de les adresser chez leveto@sfr.fr
Les lecteurs attentifs de ce blog auront noté l’apparition fréquente du terme « pays » de sens assez large, allant de la contrée aux frontières naturelles nettes à la région étendue aux limites floues, en passant par la circonscription administrative aux frontières artificielles.
Que se cache-t-il vraiment derrière ce « pays » ?
Le pagus, pays « administratif »
À l’origine, « pays » vient du latin pagus qui désignait une contrée rurale, division gallo-romaine du territoire. Mais ces pagi romains n’ont pas été créés ex nihilo : ils correspondaient peu ou prou aux anciennes cités gauloises qui nous sont connues grâce aux mentions de Polybe (IIIè siècle), de Strabon (38 av. – 21 ap. J.-C.), de Pline l’Ancien et de Ptolémée (90 – 168 ap. J.-C.) : il s’agissait de circonscriptions territoriales correspondant à l’aire d’une « tribu » ou d’un « peuple ». C’est un territoire extrêmement complexe que découvrent les Romains en pénétrant en Gaule, un agglomérat de peuples composites où « les liens de rattachement et de vassalité restaient encore fluctuants et ne coïncidaient pas toujours avec une consanguinité originelle » 1. Certains, précurseurs, étaient là avant l’arrivée massive des autres Celtes, comme les Bituriges, qui se proclamaient « rois du monde » et réclamaient une suprématie initiale. D’autres sont arrivés en ordre dispersé, s’installant souvent temporairement dans des territoires flous avant de s’installer ailleurs, conduisant ainsi à une organisation extrêmement complexe, dont rend compte l’étymologie des noms dont ils s’affublaient : Remi, « les premiers » ; Petrocorii, « les quatre peuples » ; Voconces, « les vingt clans » ; Allobroges, « ceux d’ailleurs » ; Morini, « ceux de la mer », etc. À l’époque romaine, certains de ces peuples s’étaient déjà déplacés, comme les Sequana, « ceux de la Seine », établis en Franche-Comté. S’il y avait alors en Gaule des peuples résidus de grandes nations, il y avait aussi des groupes secondaires qui se disloquaient et se reformaient sans cesse.
Dans l’impossibilité d’y reconnaître un ordre définitivement fixé, les Romains se sont appuyés sur les tribus gauloises élémentaires, dont le territoire moyen pouvait s’étendre sur environ 1500 km² soit un cercle d’une vingtaine de kilomètres de rayon. Les Romains ont appelé pagus ce territoire, d’une racine impliquant l’idée de fixation (cf. encadré). Après la mort d’Auguste, le Sénat romain faisait état de 305 de ces peuples. Au temps de César, il y en aurait eu 300. Ces tribus étaient alors plus ou moins fédérées en groupes plus importants dont les Romains ont fait les civitas, les cités. Il y en avait alors une soixantaine dont le territoire pouvait atteindre 20 000 km² et compter un million d’habitants. Arvernes, Eduens, Pictons, Santons, Rutènes, Lemovices, Bituriges, Carnutes, Senons, et Lingons faisaient alors, à eux dix, la moitié de la Gaule.
C’est cet espace organisé ancien que l’on devine encore aujourd’hui derrière le concept de « pays ». À l’origine territoire de la tribu, petite unité que l’on peut aisément parcourir en une journée, le pagus a servi a construire les premiers diocèses chrétiens. Avec des variantes ce sont, au Moyen Âge, les terres d’un seigneur, sur lesquelles on vit, on s’y connait, on y fait ses affaires. C’est alors la plupart du temps un même paysage, correspondant à un milieu naturel plus ou moins homogène (le Boulonnais, le Pays de Bray, la Vallée d’Aspe), même si certains pays peuvent se trouver au contact de deux unités naturelles distinctes (le Médoc partagé entre les vignobles sur les rives de la Gironde et la lande sablonneuse aujourd’hui complantée de pins) ou que d’autres peuvent n’avoir de réalité qu’en fonction d’une localité entourée de plusieurs types d’espaces (l’Agenais, le Bitterois, le Bordelais). À l’époque carolingienne, le terme de pagus est remplacé par celui de comitatus, « comté ». Leur nombre est évalué à 258 sous Charlemagne puis à 214 au milieu du Xè siècle : l’ordre de grandeur reste le même. En 1789, l’administration financière comptait 453 circonscriptions de base, de dimensions certes très inégales, mais dont « l’étendue moyenne n’en retrouvait pas moins , empiriquement, une surface du même ordre de grandeur que celle des pagi de la Gaule. Ces espaces de 1200 à 2000 km², cercles de 20 à 25 km de rayon, correspondent à une unité élémentaire d’organisation qui s’est maintenue »1.
À un niveau supérieur d’organisation, on trouve, à partir du XVIè siècle, les Gouvernements, d’abord circonscriptions militaires frontalières. Leur nombre, de 8 au XVè siècle, passe à 40 (dont 7 très petites) à la veille de la Révolution. Ces Gouvernements seront étayés, à partir du XVIè siècle, par 33 Intendances, bientôt dites Généralités. Le nombre total de ces divisions militaires et administratives de niveau supérieur est proche de celui des cités gallo-romaines (une soixantaine) et leur ordre de grandeur, de 10 000 à 20 000 km², reste le même : il y a là « une remarquable constance dans la trame du découpage »1.
On souffle un peu ?
Le pays « sentimental »
De la dimension initiale du pagus, relativement réduite, correspondant à l’espace vécu, familier, celui des échanges, du commerce, des relations coutumières, ressenti de manière affective, est né le second sens de « pays ». C’est la terre à laquelle on est attaché par les sentiments, celle des ancêtres, des pères (cf. l’allemand Vaterland, l’anglais fatherland, etc.), bref, c’est la patrie. Oh! Petite patrie d’abord, au sens où les livres de géographie de la Troisième République, pétris d’Histoire, l’emploient, en essayant de faire aimer d’abord sa petite patrie pour mieux aimer la grande, la France. C’est l’époque où ceux qui partent au régiment ou ceux qui ont quitté le village pour aller travailler à la ville (les maçons de la Creuse, les bougnats d’Auvergne, les ramoneurs savoyards, etc.), rêvent du retour au pays où chacun a sa payse, comme il est dit dans un couplet de la célèbre Madelon ou comme chantait Théodore Botrel : « J’aime aussi la Paimpolaise qui m’attend en pays breton ». Le succès de la carte postale folklorique dans les années 1900 – 1914 témoigne de cet attachement au pays que l’on quitte et pour lequel on éprouve une pointe de nostalgie, ce « mal du pays » que connaissent un jour tous ceux qui ont dû partir.
De cette petite patrie à la grande et enfin à la Nation et à l’État, il n’y eut qu’un pas. S’il fallait un acte de naissance à cette nouvelle notion, se serait sans doute la bataille de Valmy qui a fédéré des participants issus de diverses provinces, exemple suivi plus tard par l’Allemagne et l’Italie … Aux « pays » pluriels se sont substitués à ce moment-là les Nations, au sens d’États, entités politiques homogènes plus ou moins centralisatrices ; les « pays » d’aujourd’hui, en somme.
Le nom du pays
Je ne parlerai ici que du pays au sens de territoire, contrée rurale, laissant de côté le pays au sens d’État.
Le pays directement issu du pagus gallo-romain, puis du comitatus (comté) qui l’a remplacé, porte le plus souvent le nom de sa principale cité, d’un clan ou d’une seigneurie comme le Laonnois (autour de Laon dans l’Aisne), le Couserans ( des Consorani établis autour de Saint-Lizier en Ariège, anciennement Lugdunum Consoranororum), l’Astarac (entre Gers et Hautes-Pyrénées, du nom d’homme Asterius, sans, doute celui de l’administrateur), le Bazois ( autour de Bazolles, Nièvre), etc. Plus rarement, le nom du pays fait référence à une caractéristique : le pays de Sault ( dans l’Aude, du latin saltus, « bois, forêt du domaine public » d’où « région boisée »), le Terrefort (en Aveyron, sol argileux, collant, difficile à travailler), la Gâtine tourangelle ou vendéenne ( du vieux français guast, « dévasté, ruiné », issu du latin vastus, « vide, désert, désolé » ; il s’agissait à l’origine de pays peu fertiles), la Pévèle (département du Nord, du latin pabulum, « pré, pâturage »), etc.
Plus tard, quand le sens de « pays » s’est étendu pour désigner toutes sortes de territoires partageant quelques traits communs induisant un sentiment d’appartenance, quelques uns ont trouvé leur nom dans leur localisation même comme le Sundgau (contrée du Sud en Alsace) ou l’Ostrevant (pays le plus oriental de l’évêché d’Arras). Plus nombreux sont ceux définis par une unité de paysage ou de qualité topographique et souvent, par là, un certain type d’activités notamment agricoles, comme la Beauce (du celtique belsa, « plaine dénudée »), la Limagne (du celtique limo, « vase, limon »), la Puisaye ( du latin puteus, « puits », et suffixe collectif -eta : le sol argileux aux nombreuses étendues d’eau est à l’origine de la métaphore), etc. Plus récemment, certains pays ont été nommés dans un but ouvertement touristique comme la Côte d’Azur et les autres noms similaires. D’autres sont plutôt vus comme liés à une ville, comme aire de service et d’attraction : Chinonais, Saosnois, Agenais, Bitterois, etc.
Enfin, certains « pays » au sens vague de territoire commun, celui auquel on est attaché, ont été qualifiés de « pays historiques » ou de « pays traditionnels » dont les définitions sont des plus floues. C’est ainsi que plusieurs « pays » bretons sont désignés par un sobriquet évoquant le costume local, la danse traditionnelle, voire la réputation des habitants : Pays Glazik (habit bleu), Pays Rouzik (habit rouge), Pays Bigouden (de la pointe, certains évoquant la coiffe dite bigoude), Pays Pourlet (coiffe), Pays Fisel (danse), Pays Fanche (danse), Pays Pagan (païen).
1- Xavier de Planthol et Paul Claval, Géographie historique de la France, Fayard, 1988.
De nombreux noms de pays témoignent de l’importance du couvert forestier de la France dans les anciens temps. Parmi les nombreux pays concernés, outre le Pays de Sault (Aude) déjà vu, on peut encore citer la Goële (S.-et-M., du germanique Wald, « forêt », donnant l’ancien français gault), la Limargue (Lot), la Lomagne (Gers, T.-et-G.) et le Lommois (Ardennes) tous trois issus du nom de l’orme (celtique limo pour le premier et latin ulmus pour les deux autres), le Soubestre (P.-A., une déformation de Silvestri,« sylvestre », attesté au XIIIè siècle), etc.
Je vous propose de découvrir deux autres noms de pays liés à ce couvert forestier :
■ le nom féminin du pays A est la francisation d’un nom qui signifie « lieu de bois noir » dans la langue régionale. Traditionnellement, on peut s’y habiller de pied en cap et on y chante, danse et joue la comédie en plein air.
■ le nom masculin du pays B est dérivé du nom en langue régionale d’une forêt d’un certain arbre montagnard. Les coutumes locales qui façonnaient l’autonomie et l’identité de ce pays, parmi lesquelles la transmission du patrimoine et du nom de la maison au premier né quel que soit son sexe, sont entrées en contradiction avec les velléités centralisatrices post-révolutionnaires et le code Napoléon, et ont fini par disparaitre. On y mouline et on y glisse.