La deuxième marche du podium

On a vu dans mon précédent billet que les toponymes formés sur podium — colline au sommet plutôt arrondi voire plat  — sont fort nombreux en France, ce qui a conduit à les augmenter d’un déterminant pour les différencier les uns des autres.

France-Chateau_de_Puilaurens

Le château de Puilaurens dans l’Aude  

Comme nous sommes en France, pays de terroir et de propriété foncière, la première façon de marquer la particularité d’un puy fut d’en signaler le propriétaire ou, du moins, l’exploitant. Nous avons ainsi des Puilaurens (Aude), Puimichel ( Alpes-de-Haute-Provence), Puy-Guillaume (P.-de-D.) et bien d’autres dont il est aisé de retrouver le nom du propriétaire. Pour d’autres, la chose est moins facile. Il faut connaître les noms propres germaniques Abbo pour comprendre Péchabou (H.-Gar.), Ottelin pour Piolenc ( Poiodolen en 998, Vaucluse), Salicho pour Puissalicon ( Hérault), etc. Il faut connaître l’ancien provençal bonil, « honnête, bonasse » pour comprendre Pechbonnieu (H.-Gar.) ou le drac, « dragon » utilisé comme sobriquet, pour Pouydraguin (Gers). Le domaine pouvait même  être royal, comme à Puyréaux (Char.). La liste est fort longue, chacun — en tout cas dans la moitié sud de notre pays — pourra trouver des exemples près de chez lui.

Une autre façon d’individualiser ces puys fut de les accompagner d’une épithète descriptive . On a ainsi un Piégros-la-Clastre (Drôme), un Puygros (Savoie) mais un Puymoyen (Char.) ; un Puivert (Aude) et un Puyvert (Vaucl.), un Peynier ( Puio Nigro, « noir », B.-du-R.) et un Puybrun (Lot) ; un Puyhardy (D.-Sèvres), un Puygaillard (T.-et-G.) et un Piégut ( acuto, « aigu », A.-de-Hte-P.). Là aussi la liste est longue.

peipin

Peipin ( Alpes-de-Haute-Provence )

On a fait aussi appel à la particularité de la végétation : Peipin (A.-de-Hte-P.), Peypin (B.-du-R.) et Peypin-d’Aigues (Vaucl) représentent, on l’aura deviné,  des pinèdes. À Pouydesseaux ( Landes) poussaient des saules, tandis qu’à Puy-Sanières (Podium sagnerarium en 1297, H.-Alpes) poussaient des typhas (des quenouilles), en occitan sagno. Et c’est le gascon busque, « menu bois, brindille » qui a donné son nom à Pechbusque (H.-Gar.).

Les animaux ont été mis à contribution à Pouyloubrin (« loup », Gers), Puechoursi ( « ours », Tarn ) et à Puyloubier ( « loup », B.-du-R)

Certaines particularités topographiques ont permis de nommer quelques puys. Ainsi une pointe rocheuse en forme de corne a servi pour Puycornet (T.-et-G.), une colline allongée en dents de scie pour Puy-de-Serre ( en Vendée), un lac à Puy-du-Lac (Char.-Mar.) ou encore un ruisseau, en gascon arriéu, à Puydarrieux (H.-Pyr.).

Il fut un temps où la France n’était pas laïque et nos toponymes en gardent bien sûr la trace comme à Puy-l’Évêque (Lot) où à d ‘autres puys voués à un saint :P.-St-André, P.-St- Pierre, P.-St-Vincent, P.-St-Eusèbe (H.-Alpes), P.-St-Martin (Drôme) et quelques autres. Signalons aussi  Le Puy-Notre-Dame (M.-et-L.).

Enfin, le dernier moyen utilisé pour singulariser ces puys fut de leur accoler le nom du puimoisonvillage qu’ils surplombaient et ce nom a fini par l’emporter comme à Péguilhan ( près d’un Aculanium, du nom d’homme latin Aculius, H.-Gar.), à Puimisson ( le village Mincione, du nom d’homme latin Minthius, a été absorbé) ou encore à Puimoisson ( Muxone, du nom d’homme latin Muccius).

Je me répète: je n’ai pas cité tous les toponymes issus du podium latin, de peur de lasser mon lecteur. Sans compter que si on descend d’un cran dans la nomenclature, c’est-à-dire vers les micro-toponymes, les noms de hameaux, de lieux-dits ou de simples corps de ferme, on ne pourrait en venir à bout!

Néanmoins, sur la dernière marche, nous verrons quelques autres podia dignes d’intérêt par leur nom et par les anecdotes qui y sont rattachées…*

* Ça c’est du teasing! C’est juste pour montrer à Walt Disney que moi aussi je sais faire saliver sur d’éventuels épisodes à venir, et que s’ils veulent m’acheter, il n’y aura pas de discussion: leur prix sera le mien.

La première marche du podium

1200px-P1090451_Paris_V_arenes_de_Lutèce_rwk

Creusées dans le sol, les arènes étaient entourées d’un mur de pierre épais qui permettait d’offrir des sièges au spectateur, le podium.

Le mot latin podium désignait à l’origine le mur très épais formant plate-forme autour des arènes sur lequel on pouvait  installer plusieurs rangées de sièges. Par la suite ce mot a désigné toutes sortes de hauteur et s’est appliqué, en toponymie, à une colline au sommet plutôt arrondi voire plat  qui la différenciait du mons.

En Gaule, toutefois, ce mot n’a pas débordé, sauf exceptionnellement ( en Bretagne par exemple) au nord d’une ligne Nantes – Nevers – Nice.

Après la perte habituelle du -d- intervocalique ( comme Rhodanus a donné Rhône, cauda a donné queue, etc.) ce mot, devenu  quelque chose comme *po-ium, a connu des évolutions très variées selon les prononciations locales pour aboutir à des mots fort différents dont certains très éloignés du podium initial.

puycrouel_cenauvergne_pm_6_bd

Une colline au sommet plat : le Puy de Crouël ( Puy-de-Dôme )

La forme la plus répandue est sans conteste puy  ( l’accent sur le -i-  a fait disparaitre la finale -um et la transformation du -o-  en -u- a fait le reste) que l’on trouve à de très nombreux exemplaires, le plus connu étant sans doute Le Puy-en-Velay ( Haute-Loire), Le Puy dans le Doubs étant une des exceptions à ma frontière virtuelle. Le mot « puy »  a fini par être intégré au vocabulaire français comme terme de géographie, par exemple au Puy de Dôme, allant jusqu’à perdre sa majuscule pour devenir nom commun.

D’autres évolutions dialectales ont conduit à des noms aussi divers que  pech, puech, poey, pouey, pouy, etc. Et par simplification extrême on est parvenu à des formes aussi simples que pi ou .

Cette dernière forme que l’on trouve notamment en Haute-Garonne ( Péchabou, Péguilhan, etc.) s’est propagée jusqu’en Sarthe ( Notre-Dame-du-Pé) et en Bretagne où des lieux-dits portent ce nom, parfois transformé en pié voire pied.

D’autres évolutions ont conduit à des toponymes où l’on a du mal à reconnaître le podium. C’est le cas par exemple de Le Poil ( Poio en 1056, Alpes-de-Haute-Provence, qui dev(r)ait se prononcer poïl ou poïeul), de Le Pout ( Gironde) ou encore de La Pouge (Creuse).

Tous les podia n’étaient pas si hauts et certains méritaient même un diminutif:

  • avec -ittum on obtient des noms comme Puget ( Vaucluse), Puget-Théniers* (Alpes-Maritimes) ou Le Pouget (Hérault). Une particularité régionale a fait évoluer ce nom vers Poët que l’on retrouve à quatre reprises dans la Drôme ( Le Poët-Célard, Le P.-Laval, Le P.-en-Percip et Le P.-Sigillat) et une fois dans les Hautes-Alpes ( Le Poët).
  • Avec -eolum on a Poujols et Le Pujol-sur-Orb ( Hérault), Poyols (Drôme), Puyoo ( Pyrénées-Atlantiques) et d’autres exemples.

Ce mot se retrouve aussi  naturellement en Corse sous la forme Poggio, comme à Poggio-Marinaccio, P.-d’Oletta, P.-di-Venaco et quelques autres.

Nous constatons ainsi, s’il en était besoin, grâce à la toponymie qui a figé les mots à une certaine époque, que l’on ne parlait pas tout à fait la même langue selon la région où l’on habitait. Allez dire à un Haut-Alpin du Poët, à un Sarthois de Notre-Dame-du-Pé et à un Corse de Poggio-di-Venaco qu’ils partagent le même podium … nul doute que chacun voudra en occuper la plus haute marche! Comment disait-il, tonton Georges, déjà ?

Comme nous l’avons vu, les toponymes formés sur podium sont très nombreux et, comme les gens ont pris cette fâcheuse habitude de voyager, d’aller voir du pays,  il a bien fallu , pour éviter la confusion ( « Mais oui, Messire du Puy, je serai  au Puy tandis que mon bien aimé époux sera au Puy et plaise à Dieu que chacun y retrouve ses petits Puy! »),  les différencier les uns des autres. On a fait jouer ce rôle à des déterminants qui seront l’objet du prochain billet.

 * Mention spéciale à Puget-Théniers dont le nom, Pogit au XIè siècle ( de pogittum, « petit puget thenierspodium », donc) a été complété en Pogeto Tenearum en 1346. Tenearum fait référence non seulement  à la rivière Tinée mais aussi au cours moyen du Var qui portait à l’époque lui aussi ce même  nom: il y avait donc bien deux Tinées, d’où le pluriel à Tenearum et son maintien dans l’ancien  nom local lo puget de tenias  et dans son nom actuel Théniers. On remarquera au passage l’ajout d’un -h-  que je n’ai pas pu dater mais que l’on peut qualifier, au moins et pour rester aimable, de pseudo-savant.