Une paire de faux saints

club des cinq

Le secret du puits comme des Cinq vous sera enfin dévoilé ..

Mes recherches sur les saints en tout genre m’ont permis d’en découvrir de faux dont je parlais déjà ici et. Pour dévoiler les deux saints dont je vais vous parler aujourd’hui, il m’ a fallu de la patience, puisqu’il s’agit là non plus de communes mais de simples lieux-dits. Après avoir découvert le nom actuel, il faut remonter vers le passé, soulever une à une les couches successives sous lesquelles est caché ce saint et l’on comprend alors que nous avons aujourd’hui un faux saint, un  saint sans auréole.

Sempronius est un nom d’homme d’origine latine attesté en langue romane, c’est-à-dire la langue issue du latin parlée après le Vè siècle. Un  certain Sempronius a acquis un domaine sur le territoire de la commune nommée Pouzolles dans l’Hérault. Complété par le suffixe possessif -anum, son nom a servi à nommer son domaine Sampriniano  dans le testament du vicomte de Narbonne en 966, aussi écrit Sampruniano en 969. En 1178,une bulle du pape Alexandre III en faveur de l’église de Béziers parle de l’ ecclesiam de Camprinnano. Mal compris par la suite, mais désignant une possession des évêques de Béziers puis, depuis 1152,  des chanoines de Cassan, ce nom a subi l’attraction de l’occitan sant, « saint » et est devenu  Saint Preignan, encore présent aujourd’hui dans le nom d’un domaine viticole.

À ses débuts, un hameau d’Yèvres en Eure-et-Loir, ne comptait que très peu de maisons. Cinq exactement, pas une de plus: c’est ce que nous indique son premier nom  Quinque Casae en 1050. L’évolution phonétique normale, avec notamment le chuintement du -c- initial a fait évoluer ce nom en Sainchaises en 1523. Une tentative de retour au nom initial eut lieu en 1591 : on trouve alors écrit  Cinq Chèzes dans quelques documents. Chèze, aussi écrit chèse, était  le nom  en langue d’oïl de la maison que l’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux toponymes. Mais rien n’y fit: l’attraction du mot « saint » fut la plus forte et l’on appelle aujourd’hui ce lieu-dit Saint Chaise.

Pouzolles (Hérault): écrit de Pozolas en 1088, du latin puteus,« puits » et suffixe féminin pluriel -eolas, « petits puits ». L’évolution du -t- de puteus en -z- de pozolas est habituelle : que l’on pense à «puiser» ou au  au «puisatier» par exemple. Pouzolles est un Puteaux du Midi.

Yèvres (Eure-et-Loir) : la rivière Ozanne qui arrose la ville a dû dans un lointain passé s’appeler avara, hydronyme celtique bien connu. De là son nom est passé à la ville qui s’est appelée Evora en 1192. Ozanne est lui aussi issu d’un hydronyme celtique osa, attesté par ailleurs.

Toujours plus de saints !

le saintPour terminer le tour des saints commencé ici et continué , sans oublier ces quelques faux saints,  je déclinerai aujourd’hui les toponymes qui ont gardé la sainteté mais ont perdu le nom du saint.

Ce sont des lieux qui  pour la plupart ont recueilli des reliques de saint (véritables ou non, nul ne le sait plus vraiment …) dans le but d’attirer le chaland pèlerin. Finalement le seul fait d’exposer de prétendues reliques a suffi à la notoriété de la chapelle: peu importait alors de savoir à qui appartenaient ces reliques et le nom du saint a disparu …

Huit communes portent le nom de Sains sans le -t- final sur le modèle de Sains en Ille-et-Vilaine, que l’on trouve pourtant écrit sous la forme de Sanctis au XIè siècle.

Ce sont: Sains-en-Amiénois (Somme), Sains-lès-Fressin, Sains-en-Gohelle et Sains-les-Marquion (Pas de Calais), Sains-du-Nord (Nord), Sains-Morainvilliers (Oise) et Sains-Richaumont (Aisne).

Une seule a conservé le –t final: il s’agit de Saints en Seine et Marne.

Enfin, une n’a pas voulu mégoter et après s’être appelée Omnes Sancti en 1337, est devenue Toussaint ( Seine-Maritime), le -s final ayant été supprimé comme au nom de la fête.

Je rappelle ici que la ville de Saintes, en Charente Maritime, doit son nom au peuple gaulois occupant alors  la Saintonge, les Santones. Strabon, au Ier siècle ap.J.-C. écrivait Santonôn Mediolanion ( on aurait donc  pu avoir un Meillan ou, mieux, un Milan-en-Saintonge …) qui a donné  Sanctone au Xè siècle et Xainctes au XIè.

Quant à Sains-lès-Hautecloque (Pas-de- Calais), noté Senonis en 1079, du nom d’homme gaulois Sennon, il a vu son nom déformé par attraction du nom de Sains-lès-Fressin toute proche.

Pour les curieux, voici l’explication des déterminants:

Amiénois : du nom de la capitale régionale Amiens, bien sûr. Avant de prendre le nom de la tribu gauloise des Ambiani, elle s’appelait Samarabriva, « le pont ( briva ) sur la Samara ( autre nom de la Somena, la Somme)».

Fressin: du nom de personne germanique Friesinius.

Gohelle : de Gauharia, mot bas-latin (1154)  signifiant « région couverte de taillis ».

Marquion: d’abord nom de l’affluent droit de la Sensée à Arleux (Nord), aujourd’hui nommé l’Agache, il s’agit de la forme picarde de l’oïl marchionne, « pays, région limitrophe », appliqué dans ce cas précis au ruisseau séparant deux pays avant de devenir le nom d’un village.

du Nord : Sains-du-Nord se trouve bien entendu au sud  (du département du Nord, oui, je sais).

sains du nord

Ah! Les filles de Là Haut

Morainvilliers: du nom de personne germanique Morannus et villare, « ferme, domaine rural ».

Richaumont : du nom de personne d’origine  germanique Richaud, de Ric (« puissant» ) et Wald ( « qui gouverne »).

Hautecloque : On parlait au XIè siècle d’Alta Campana, « haute cloche », sans doute en référence à un clocher plus élevé que celui des voisins.

P.S. pour les amateurs de saints : je n’en ai pas fini avec les saints — en finit-on jamais avec les saints ? — et viens d’en découvrir une paire dont je vous parle sous peu …

NB illustration issue de ce site

Les saints à la mode de Bretagne

Comme promis dans mon précédent billet où je parlais des villes françaises qui furent à l’origine vouées à un saint et qui l’ont oublié au fil du temps, je vais vous parler aujourd’hui des bretonnes dont les saints sont tombés.

Les saints bretons ont ceci de particulier que, pour la très grande majorité d’entre eux, ils ne sont pas saints, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas reconnus comme tels par l’Église. La plupart  d’entre eux n’étaient  connus que dans leur village, dans leur pays, faisant ainsi mentir le proverbe; ils ne sont devenus saints que par acclamation populaire et l’on sait que le peuple  acclame facilement: on dit que le seul cimetière de Lanrivoaré* en abriterait 7847! C’est bien en Bretagne que l’on trouve le plus de saints et, bien que ce ne soit sans doute qu’une coïncidence, le plus de pierres dressées.

Les-saints-guerisseurs

Les saints guérisseurs, dans la chapelle du Haut à Trédaniel, prés de Moncontour

La plupart de ces saints bretons sont à l’origine de toponymes, leur nom étant alors accompagnés d’un nom commun, comme lann ou loc, « sanctuaire », pleu ou plu, « église paroissiale » ou encore tré, « église succursale». Cependant, pour certains d’entre eux, leur nom seul a servi à former le nom du lieu : nulle mention de leur supposée odeur de sainteté. Comment savoir alors s’il s’agit bien d’un saint breton? Par recoupements, par comparaisons, voire par l’absurde après avoir éliminé toutes les autres hypothèses, ce qui n’est pas tâche aisée ( ceux que cela intéresse pourront lire cet article fort bien documenté).

Trois départements se partagent ces toponymes: les Côtes-d’Armor, le Finistère et le Morbihan.

  • Côtes-d’Armor:

Cavan  tient son nom de Cadfan, un saint gallois.

Louargat ( Louergat en 1160, Loeargal en 1170 puis Louargat dès1330) tient le sien du saint breton Loarcat.

  • Finistère:

Combrit, Edern et Gouézec  sont des noms de saints bretons . Il en est de même pour le nom de l’Île-Tudy, qui porte le nom du même moine que Loctudy.

Berrien  correspond au saint breton Beryan (nom attesté en 1468 et présent dans le nom d’une paroisse en Cornouailles dite terra sancte Berrione) et Guengat  au saint breton Guengado.

Cast  est le nom d’un saint irlandais.

Le saint gallois Clydwyn a donné son nom à Cleden -Cap-Sizun et à Cleden-Poher  (Cletguen en 1468) et sans doute aussi à Cleder.

Enfin, Audierne s’appelle en breton Goaien ( noté  Goezian en 1410) du nom du  saint breton Guedian.

  • Morbihan:

Guégon (Guezgon en 1283) reprend  le nom d’un  saint breton, comme Guéhenno ( Monster Guezenou en 1260, «le monastère de saint Guethenoaus ») et Gueltas ( Sanctus Gildasius en 1264 : saint Gildas).

Bieuzy ( Sanctus Bilci en 1125  puis Beuzi en 1288) correspond peut-être  au saint gaulois Bilicius ( *Bilitius)

Caudan : Cauden en 1411 sans doute une altération de l’ancien breton Cadoan

Elven : autrement écrit Elouen, doit sans doute son nom à celui du  saint irlandais Elouan ou Elwin.

 Guidel: Guidul au XIIè siècle du nom du saint breton Vitalo

* Lanrivoaré: du breton lann, «sanctuaire» et du nom de saint Riware.

( et je ne résiste pas au plaisir de vous dire que c’est dans ce pays qu’on fait mentir la chanson: le chapeau à Riware est carré.)

P.S. Les courageux qui veulent faire plus ample connaissance avec les saints bretons peuvent se lancer dans la lecture de Joseph Loth disponible en ligne, tout en sachant que, depuis 1910, les recherches ont été affinées et que certains des saints donnés pour tels par J.Loth n’en sont pas!

Cachez ce saint

On sait l’importance qu’a eue la religion sur la toponymie. De nombreux villages ont été créés autour d’une chapelle ou d’une église et le nom de celles-ci est devenu le nom de ceux-là, qui se mettaient ainsi sous la supposée protection du saint patron ( et sous la botte du clergé, mais c’est une autre histoire). On ne compte plus les noms de lieux commençant par Saint et ses variantes dialectales, par Dom et ses variantes ou par d’autres déclinaisons de la sainteté.

Il se trouve cependant quelques noms de lieux qui se réfèrent à des saints — comme l’attestent les textes anciens — mais qui ont perdu leur qualificatif. Ne demeure alors que le nom propre sans référence à la religion. La chute des saints s’est produite le plus souvent vers le  XIVè siècle et rarement avant ( Maxent dès le Xè siècle) sans que l’on ne sache précisément quelle en fut la raison. Permettez-moi de vous faire découvrir ces saints sans auréole, ces tartuffes de la toponymie:

Laurentius, martyr au IIIè siècle, à l’origine de nombreux Saint-Laurent, a laissé son nom à Laurent ( commune de Mirabeau, Vaucluse, Sanctii Laurentii au XVIè siècle) et à Lorentzen ( Bas-Rhin, S. Laurentio en 1361).

Margarita, martyre à Antioche au IIIè siècle, est devenue Margerie-Hancourt ( Marne, Sancta Margareta en 1119, puis simplement  Mergerie en 1222 mais de nouveau Sainte Mergerie en 1327).

Le nom de Marcellinus, pape et martyr sous Dioclétien, donné à une chapelle aujourd’hui disparue, est resté à Marsalin ( commune de Vert-en-Drouais, Eure-et-Loir).

Martin est resté simple à Martin-Rieux (Aisne, villa de S. Marini Rivo en 1238).

Maxentius, saint obscur (  Vè – VIè s), devenu par ailleurs Saint-Maixant ou Saint-Maixent) a laissé son nom à Maxent (Ille-et-V. , basilicam Sancti Maccentii en 869).

Le nom de l’archange Michaël se retrouve seul à Michel ( sur les communes d’Aix-en-Provence, B.-du-R. et Hyères, Var).

Sainte-PetronillePétronilla,  martyre au Ier siècle, adorée à Sancta Petronilla (1280), devenue La Pesnelle (1389) puis encore Sainte Péronnelle (1419). La suppression de sainte après le XIIIè siècle a fait que le toponyme est devenu du type la (terre) de Pernelle pour aboutir aujourd’hui à La Pernelle (Manche)

Sixtus Ier ou Sixtus II, papes et martyrs, ont donné leur nom à Sixt sur Aff (Ille-et-V., aecclesia Sixti martyris en 879)

L’évolution du nom de Séez Mesnil ( commune de Nagel-Séez Mesnil dans l’Eure) est plus complexe: il s’agissait au départ de célébrer Maximinus, le compagnon des Saintes Maries premier évêque D’Aix-en-Provence ou bien l’ évêque de Trèves au IVè siècle, en nommant la paroisse  Sancti Maximini de Houcemaigne en 1261. Une évolution normale du nom a produit Saint Mesmin en 1419. Mal compris, ce dernier nom a subi dès 1421 l’influence de l’oïl mesnil pour donner le nom de Saint Mesnil. Enfin, l’attraction du nom de Sées, toute proche dans l’Orne, a fini par corrompre le nom.

Enfin, et peut-être aurais-je dû commencer par elle, la Vierge Marie qualifiée de bénie ou plutôt de benoîte en français et de benate en langue d’oïl a donné son nom à La Benâte en Charente-Maritime ).

Je n’oublie pas mes amis bretons qui, comme tout le monde, ont subi l’influence de l’Église et ont leur contingent de Saint-ceci ou Saint-cela. Ils ont aussi un grand nombre de toponymes formés du nom du saint non précédé du titre « saint » mais  d’un nom commun, comme lann ou loc, « sanctuaire », pleu ou plu, « église paroissiale » ou encore tré, « église succursale». Mais on trouve aussi  en Bretagne quelques saints isolés — j’en ai compté une vingtaine — qui feront, avec ceux des autres langues régionales  si j’en trouve, l’objet d’un prochain billet.