De la terre ( première partie )

Il sera question dans ce billet de la terre, dans le sens de « sol considéré dans sa nature, son aspect, sa consistance ».

En toponymie, le latin terra s’associe le plus souvent à un adjectif :

  • Bonneterre ( à Saint-Laurent-d’Olt, Aveyron, Bonnaterra en 1341 ) ;
  • Aubeterre ( Aube, Alba Terra en 1177 ), Obterre ( Indre, Alba Terra en 1204 ) et Opterre à Chalo-Saint-Mars (Essonne), à Jeu-les-Bois (Indre ) et à Saint-Sauveur ( Vienne ), qui sont des « terres blanches » comme Terraube ( Gers, Tairauba en 1182 ) ;
  • Noirterre à Bressuire ( Deux-Sèvres, Nigra Terra en 1225 ), Terrenoire à Saint-Étienne, Loire, Terra Nigra en 1255 ), Noireterre à Issy-l’Évêque ( Saône-et-Loire) qui sont des « terres noires » auxquelles on peut sans doute rattacher Noirlieu ( Marne, Niger Locus en 1140 ) ;
  • Solterre ( Loiret, Sora Terra en 1162 ) est un nom composé avec l’adjectif saure, « jaune brun, fauve », qualifiant l’argile qui constitue l’essentiel du sol de la commune.
Où on notera le pluriel fautif à Solterres …

La composition du sol entre elle aussi en compte :

  • les terres blanches ou argilo-calcaires, par conséquent de couleur blanchâtre, sont dites aubuis dans le Val de Loire, d’après le gaulois *albuca, d’où les micro-toponymes du type Les Aubuis ( le passage de la terminaison –uca à –uis se fait sur le modèle du latin noces à tu nuis, cf. le nom d’Ablis à la fin du billet précédent ) , L’Aubus, L’Aubeu et des variantes comme Les Obus (à Doudeauville, S.-Mar.) et même Les Hauts Bœufs ( à Saint-Aubin-Épinay, id.) ;
  • l’argile ( latin argilla ) est à l’origine de nombreux toponymes ( sous la forme particulière « ardille » dans l’Ouest et le Centre ) : Ardilleux (Deux-Sèvres, Arzilocus en 990 ), Ardillières ( Ch.-Mar., de Argilleriis en 1157 ), Arzillières-Neuville ( Marne, Arzeliers en 1136 ), Argillières ( H.-Saône, Argillières en 1292 ), Argeliers ( Aude, de Argeleriis en 1154 ), Argelliers ( Hér., de Argillariis en 1154 ), Argelès-sur-Mer ( P.-O., Argilers en 1298). Les micro-toponymes sont aussi très nombreux : Les Ardilles et Les Ardillaux ( Charente, Indre ), L’Ardiller et Les Ardillers ( Sarthe ), Les Ardillats ( Cher ), L’Ardillère ( Indre-et-Loire ), Les Ardillières à Chaumont-sur-Tharonne ( L.-et-C, Ardelerias en 1236 ), L’Argillière à Marcoing (Nord, Argilariis en 1139 ), Arzeliers à Laragne-Montéglin ( Hautes-Alpes, Arzillers en 1140 ) et d’autres ;
  • la marne sous la forme de l’ancien français marle ( du gaulois margila lui-même de marga ) est à l’origine de Marle ( Aisne, Marna en 1112 ), Marles-en-Brie ( S.-et-M., Malles vers 1185 puis Marla vers 1200 ), Marles-sur-Canche (P.-de-C., Marla en 1078 ) et Marles-les-Mines ( P.-de-C.) ainsi que d’Aumale ( S.-Mar. ) qui était Albamerula en 1086 puis Albamarla à la fin du XIè siècle, soit « marne blanche » et non pas « merle blanc » ! Marlhes ( Loire ), noté Marliis et Marlhas en 1080, semble du même type. Les carrières où on extrayait la marne pour amender les sols ou pour la poterie étaient appelées des marlières d’où le nom de La Marlière à Janvilliers ( Marne ) et d’autres micro-toponymes du même type. L’oïl « marne » a directement donné son nom à La Marne (L.-Atl., de Marnis en 1062 ). Il convient ici de se méfier des faux-amis issus du gaulois matrona, « déesse mère », appliqué le plus souvent à la source d’une rivière, comme Marnes ( D.-Sèvres), Marnes-la-Coquette (H.-de-Seine) ou encore Marnaz ( H.-Sav.) ;
  • l’occitan bolbena, « terre argilo-sablonneuse » ( qui serait d’origine gauloise ) est à l’origine de Laboulbène ( Tarn, Bolbena en 1328 ) et de Le Boulvé ( Lot, Bolvena au XIVè siècle qui s’est masculinisé *bolve(n) par recul de l’accent ) ainsi que de micro-toponymes comme la Boubée à Castelnau-d’Auzan ( Gers ) ou Boulbonne à Belpech ( Aude ).
  • sur un mot gaulois assez proche ont été formés les bournais ou bornais, sols argileux lessivés de couleur grise assez claire, à l’origine de micro-toponymes dans l’Ouest, le Centre et le Sud-Ouest comme les Bournais en Touraine à Chambourg-sur-Indre, à Civray-de-touraine, à Reignac-sur-Indre, à Persac, tous dans la Vienne, ou en Anjou à Vaudelnier et Coutures en Maine-et-Loire, ainsi que des Grandes et Petites Bournaches à Exoudun( D.-Sèvres).

Il existe d’autres toponymes en rapport avec la composition du sol ( glaise, limon … et autres noms dialectaux ) qui feront l’objet d’un prochain billet.

La première me semblant relativement facile, je vous propose deux devinettes :

1 – un des toponymes cités dans le billet, adapté dans une autre langue, a été le premier nom donné à une région devenue État sous un autre nom mais est encore aujourd’hui celui d’une ville dans ce même État. Quel est ce nom ?

Dommage ! Le tatouage qui aurait pu servir d’indice n’est pas disponible sur la toile.

2 – Un village français porte un nom composé d’un mot du parler local désignant un sol calcaire gris bleuâtre associé à un mot relatif à la topographie. Quel est-il ?

Un indice :

Afin d’éviter toute polémique future, je me hâte de préciser qu’une autre étymologie a été antérieurement proposée pour ce toponyme sur la base d’un nom d’homme gaulois nulle part ailleurs attesté, d’où la distance prise aujourd’hui avec cette hypothèse.