Plutôt terne

Un terne, en topographie, désigne une hauteur naturelle, un tertre, et, plus précisément, un coteau qui fait barrière. Le dictionnaire de l’ancien français de Godefroy donne « tertre, colline » pour terne, tierne.

L’étymologie n’en est pas assurée. Pour X. Delamarre (Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, 2001), ce mot viendrait directement du gaulois turno, « hauteur ». A.J. Greimas (Dictionnaire de l’ancien français, Larousse, 3è éd. 1999) et J. Astor (DNLFM*) en font quant à eux une variante de terme, « borne, limite » : le latin term(i)ne serait passé à *termne puis à terne, « coteau, talus, hauteur » marquant une limite.

Ce mot a donné son nom à une commune du Cantal, Les Ternes (Terni en 1492, Las Ternos en 1618), et au quartier parisien des Ternes (attesté granchiam de Ternis en 1236, « la grange des Ternes » ; les mentions aux siècles suivants d’une villa externa, sur lesquelles s’appuient certains auteurs pour imaginer un quartier *Estern puis Les Ternes, semblent être des réinterprétations).

CPA Les Ternes

Le nom de Tours-sur-Meymont (P.-de-D.), attesté Turnis en 1340, et celui de Tournes (Ardennes), attesté Tournes dès 1158, sont eux aussi issus du gaulois turno, le premier ayant été refait ultérieurement en tour. À ceux-là viennent s’ajouter Le Tourne (Gir.), Tournes à Riom-ès-Montagne (Cantal) et le Puig del Tourn au sud-ouest de Banyuls (P.-O.).

De nombreux lieux-dits portent un nom du même type, au singulier Le Terne (nombreuses occurrences dans les Ardennes, par exemple, avec une variante Tarne) ou au pluriel Les Ternes (nombreuses occurrences dans la Creuse, la Haute-Loire etc.). Le nom est souvent accompagné par des adjectifs comme Grand, Gros, etc ou par des locutions comme pour Dessous le Terne (à Chooz, Ardennes), la Côte du Gros Terne (à Lépron-les-Vallées, id.), le Terne aux Framboises (à Vireux-Molhain, id.), le Pied du Terne (à Rocquigny, Aisne) et bien d’autres.

Le même gaulois turno a pu être suffixé pour donner différents toponymes qu’il est toutefois malaisé de distinguer de ceux qui sont formés sur le nom d’homme gaulois ou gallo-romain Turnus (mais on peut s’interroger sur une éventuelle trop grande fréquence accordée à cet anthroponyme) :

■ avec le suffixe –acum : les noms de Ternay (L.-et-C, Tornacensim villam au VIè siècle), Tornac (Gard, Tornagus en 814), Tonnoy (M.-et-M., Tornai en 1172), Tournai-sur-Dive (Orne,Tornacum au XIIè siècle), Tournay-sur-Odon (Calv.) et d’autres noms du même type laissent la place au doute ;

■ avec le suffixe –iacum : les noms de Tourniac (Cantal, Turniacus au XIIè siècle), Tourny (Eure, Tornacum en 1287) et Turny (Yonne, Turniacum en 1150) posent le même problème.

■ avec le suffixe anum : Tournan (Gers, Tornanum au IXè siècle).

■ avec le suffixe -onem : Tournon-Sur-Rhône (Ardèche, castro Turnone en 814 ; la situation du château sur un piton rocheux et les vestiges archéologiques gaulois sont favorables à une origine du nom selon turno, « hauteur ») et Tournon (Savoie).

CPA-tournon-sur-rhone

■ d’autres noms comme Tournon-d’Agenais (L.-et-G.), Tournon-Saint-Martin (Indre), Tournon-Saint-Pierre (I.-et-L., Tornomagensis vicus au Vè siècle) voire Tournan-en-Brie (S.-et-M, Turnomio en 1088.) peuvent représenter un composé avec le gaulois magos, « marché », précédé soit du gaulois turno soit d’un nom de personne.

■ avec le suffixe –osum : Tournous-Darré et Tournous-Devant (H.-Pyr.).

■ avec le gaulois duro, « place forte » (cf. ce billet) : attesté Ternoderum au IVè siècle, le nom de Tonnerre (Yonne) est sans aucun doute formé sur les gaulois turno, « hauteur », et duro, « place forte » ; cette étymologie est renforcée par le nom du pays, le Tonnerois, attesté chez Grégoire de Tours en 587-90 sous la forme in Tornoderensi pago formé sur l’ancien nom de la ville *Tornoderum accompagné du suffixe d’appartenance –ense.

■ avec le gaulois nanto, « vallée » : P. Gastal (NLEF*) voit bien le gaulois turno, avec le sens particulier de « coteau qui fait barrière, qui délimite », dans le premier élément des noms de Ternant (Ch.-M., C.-d’Or, Nièvre), de Ternant-les-Eaux (P.-de-D.) et de Ternand (Rhône) tandis que Dauzat (DENLF*) et Nègre (TGF*) avouent leur hésitation.

■ avec le gaulois ialo, « clairière » puis « hameau, village » (cf. ce billet) : le nom du château de Tournoël (à Volvic, P.-de-D.), que l’on trouve écrit Tornolium est issu d’un gaulois turnoialo. Mal compris, le nom a subi l’attraction de la Noël.

*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.

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La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’un pays historique du bas Moyen Âge formé sur celui d’un château situé sur une hauteur et lié au gaulois turno.

Ce nom se retrouve en déterminant de celui d’une ancienne commune, aujourd’hui intégrée dans une commune nouvelle dans le nom de laquelle il n’apparait plus.

Les seigneurs du lieu, qui en prirent le nom, préférèrent plus tard s’établir dans un autre château de la même région jugé plus confortable. Il s’agissait d’une ancienne métairie qu’ils fortifièrent et améliorèrent au cours du temps. L’activité principale de cette métairie, l’élevage bovin, lui avait donné son nom, que le château porte toujours, bien que son activité actuelle n’ait aucun rapport — sauf à faire un méchant jeu de mots.

Pourtant réputé imprenable et ayant survécu à la guerre de Cent Ans, le premier château fut plus ou moins détruit pendant les guerres de Religion et jamais vraiment restauré, mais ses ruines sont entretenues depuis le XXè siècle et se visitent.

Deux membres de cette famille ont acquis suffisamment de notoriété pour avoir leur (petite) page sur l’encyclopédie wiki : un évêque et une femme de lettres.

■ un premier indice :

■ un deuxième indice :

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Dūrum, la citadelle gauloise

La toponymie d’origine gauloise est très riche, on l’a vu avec le gué, le pont, la colline et la hauteur fortifiée. Je m’intéresse aujourd’hui à un autre appellatif, dūrum « citadelle, place forte » — avec une pensée émue pour Louis, le soldat.

La racine indo-européenne *dwher désignant une porte, à la fois ouverture et fermeture, a donné le celte dūrum  ou duro, dont le sens originel de  « portes » s’est étendu à « marché clos, place, forum » pour finalement désigner « la ville close, la citadelle, le bourg ». La différence avec les radicaux briga et dūnum est l’absence d’indication spécifique de hauteur : c’est la notion d’enclos, de mur, qui l’a emporté.

Comme les autres radicaux vus précédemment, duro a pu être employé seul (mais avec suffixe ) ou en composition (comme premier ou second élément).

Duro employé seul

Le seul exemple de ce type est celui de Duras (L.-et-G.) qui semble être un dérivé de duro accompagné du suffixe gaulois –acium. Un transfert du nom italien Durazzo de la ville albanaise Durrës, dont le nom français Duras est tombé en désuétude, a été suggéré … L’origine selon l’anthroponyme gaulois Duratius employé seul semble peu probable dans la mesure où les noms de personne gaulois sont dans la très grande majorité des cas accompagnés d’un suffixe d’appartenance ( comme -acum ) pour former un toponyme.

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Duro comme premier élément d’un nom composé

Les exemples de ce type sont relativement rares mais on peut néanmoins relever :

  • avec le gaulois mannus, « petit cheval de trait » : Dormans (Marne, Duromanensis en 1085) ;
  • avec le gaulois mello, « colline » : Dormelles (S.-et-M.) ;
  • avec le gaulois catu, « combat » : Drucat (Somme, Durcaptum en 870, Durcart en 1143, Durecat en 1186 ) où catu, « combat » aurait subi l’attraction du latin captus, « pris » ;
  • avec le gaulois *banno, « corne, pointe » : Durban (Gers), Durban-Corbières (Aude, Durbanno en 1343), Durban-sur-Arize (Ariège, castrum de Durbanno en 1446) et Castelnau-Durban (Ariège) ainsi que Durbans (Lot, avec –s adventice) ;
  • avec peut-être le gaulois corio, « armée » : Domqueur (Somme, Durocoregum vers 365, Dulcorio en 1176, Donquerre en 1203).

Duro comme second élément d’un nom composé

En seconde position d’un nom composé, duro est le plus souvent précédé d’un -ó- de liaison accentué et a plus ou moins abouti à des terminaisons en -erre ou –eurre dans le Nord et -oire dans le Midi. C’est dans cette série que l’on trouve le plus grand nombre de toponymes :

  • avec un hydronyme pré-celtique albius : Augers-en-Brie (S.-et-M., Albioderus vicus au VIIè siècle, la rivière est l’Aubetin, fluvius Alba au VIIè siècle ) et Aujeurres (H.-Marne, la rivière est ici l’Aujon, affluent de l’Aube) ;
  • avec le gaulois isarno, « fer » : Izernore (Ain, templi gallica lingua Isarnodori au VIIIè siècle) ;
  • avec le gaulois cando, « blanc » : Candor (Oise, Candorro en 1136) et peut-être Champdeuil (S.-et-M., Chandeur en 1262, Champdur en 1372, Champdor en 1384 et Chandeuil en 1508 quand la finale a subi l’attraction des finales en -euil) ;
  • avec le gaulois magio, « grand » : Morre (Doubs, Maiodurum en 1049) ;
  • avec le gaulois bolo, « prunelle » : Bouloire (Sarthe, Bolodro au VIIè siècle : la « forteresse des prunelliers »), Bouleurs (S.-et-M, Bolorria à la fin du VIIè siècle) et Boullarre (Oise, Boularia en 1150, avec attraction du suffixe -aria) ;

Bouloire

  • avec le gaulois briva, « pont » : Briare (Loiret), Briares-sur-Essonne (Loiret), Brieulles-sur-Bar (Ardennes), Brieulles-sur-Meuse (Meuse), Brionne (Eure) et Bruère-Allichamps (Cher), déjà vus à l’article correspondant ;
  • avec le gaulois briga, « mont » : Bridoré (I.-et-L., Brioderus vicus au IIè siècle puis Brolium Doré au XIIIè siècle) : quand le premier nom, issu de briga-ó-durum devenu *Briodr-, a été mal compris, il a été modifié en « breuil doré » ou « breuil d’un certain Doré ».
  • avec le gaulois devo, « dieu» : Divodurum au Ier siècle ap. J.-C. chez Tacite était le premier nom de Metz (Mos.) ; Jouarre (S.-et-M., Jotrum au VIIè siècle, S. Mariae Joderensis en 839), Jeurre (Jura) et Jouars-Pontchartrain (Yv.) avec passage habituel  de l’initiale di- à j- comme pour diurnus donnant « jour » ;
  • avec le gaulois epomandu, « petit cheval de trait » : Mandeure (Doubs, Epomanduodurum au IVè siècle puis Mandroda à la fin du VIIè siècle). Dès l’époque gauloise mandu était une variante par aphérèse de epomandu ;
  • avec le gaulois nemeto, « sanctuaire » : Nanterre (H.-de-S., vico Nemptudoro au VIè siècle et Nannetodorum en 1163) ;
  • avec le gaulois olca, « champ fertile » : Ocquerre (S.-et-M.) ;
  • avec le gaulois tanno, « chêne » : Tannerre-en-Puisaye (Yonne, Tannadorum, 1233) ;
  • avec le gaulois *turno, « colline » : Tonnerre (Yonne, Ternoderum à l’époque romaine quand il y avait un oppidum) ;
  • avec le latin altus, « haut » : Autoire (Lot) ;
  • avec peut-être le latin plebs, « peuple », ou un dérivé de pluvia, « pluie » pour décrire un « terrain marécageux » : Pleure (Jura) et Pleurs (Marne, Plaiotrum en 1052).

Duro en composition avec un nom de personne

Comme les autres appellatifs gaulois vus précédemment, duro a été employé avec des noms de personne gaulois mais aussi latins :

  • du gaulois *Autessios, à rapprocher d’Aduetisso : Auxerre (Yonne, Autisiodurum et Autessio Duro au IVè siècle). Une autre hypothèse fait appel à un hydronyme *Autara —attesté dans l’ancien  nom Altricus du promontoire voisin Montartre — qui serait peut-être l’ancien nom du ru de Vallan ou de l’Yonne (connue comme Icauna au Vè siècle), avec changement de suffixe pour *Aut-issia . D’autres ont vu dans ce nom un composé gaulois  au (séparation, éloignement ) – tessi (chaleur, ferveur ) –duro : un « marché peu chaleureux » …
  • du gaulois Iccius ( dérivé de *spiko, « le pic, oiseau » avec amuïssement habituel du -p- initial en gaulois) : Issoire (P.-de-D., Iciodurum au VIè siècle) ;

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  • du gaulois Itius : Izeure (C.-d’Or, Iciodoro en 763), Yzeure (Allier, Isodrus en 912) et Yzeures-sur-Creuse (I.-et-L., Iciodorum) ;
  • du gaulois Magnus : Manheulles (Meuse, Mainhodoro en 973, Manhure en 1457, Mainhael en 1642 et enfin Manheulle en 1656, avec attraction tardive des finales en -eule) ;
  • du gaulois Taros ( « celui qui traverse, qui passe » ): Tarare (Rhône, Taradrum au XIè siècle) ;
  • du romain Bellus : Ballore (S.-et-L.) et Belluire (Ch.-Mar.) ;
  • du romain Buccius ( de bucco, « le bouc »): Bouchoir (Somme) ;
  • du romain Solius : Soulaire-et-Bourg (M.-et-L.) et Soulaires (E.-et-L.) ;
  • du romain Callius ( de callio, « sabot » ) : Chilleurs-aux-Bois (Loiret) ;
  • du romain Comitem : Contoire (Somme, aujourd’hui dans Trois-Rivières).

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La devinette

Il vous faudra trouver le nom d’une montagne dont le sommet, à plus de mille mètres, a été occupé de l’âge des métaux jusqu’au Moyen Âge (comme l’ont prouvé des fouilles effectuées il y a plus de cent ans et restées, hélas!, sans suite)  et notamment pendant la période gauloise et gallo-romaine, d’où son nom composé du gaulois duro et d’un nom d’homme latin.

Dans la région où elle se situe, on désigne ce type de montagne par un mot de la langue régionale rappelant sa ressemblance avec un museau. Le nom « officiel » actuel (celui des guides et des cartes IGN) est donc le « truc-museau »  de « Toponyme à trouver ». Sur la carte de Cassini et la carte d’état-major de 1866 on utilisait un dérivé du podium latin pour nommer la montagne.

Suivant les décisions prises par la Convention le 10 brumaire de l’an II (31 octobre 1793), le déterminant du nom de la localité située au pied de la montagne a été temporairement remplacé par le nom de celle-ci.

Si le nom de cette localité, sans son déterminant, rime  avec celui de la montagne, leurs étymologies n’ont rien à voir, celui de la localité ayant trait à l’hydronymie.

Cette localité fait partie d’une longue liste écrite en 1943.

La montagne n’a pas sa page wikipedia (j’ai vérifié deux fois).

■ un double indice géographique :

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■ un indice historique :

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