Rassurez-vous, il ne sera pas question ici de football, mais bien de toponymie.
Il ne vous aura pas échappé, à la lecture de mes précédents billets (ici et là), que je suis allé il y a peu dans le Gard, ce qui m’a donné l’occasion de quelques découvertes toponymiques.
Mais le nom du Gard lui-même, d’où vient-il ?
Au Vè siècle ap. J.-C., Sidoine Apollinaire donne le nom du Gard (ou plutôt du Gardon, voir ci-dessous) sous les formes Vardo et Wardo. Cette seconde forme correspond au phonétisme des envahisseurs germaniques qui ne comportait pas le v. L’attraction paronymique avec un terme de leur langue est à l’origine de cette germanisation ; ce fut le cas pour *Vardu– gaulois tombé ici dans l’attraction de Ward– germanique qui a donné « garder » (gardar en occitan). Le w germanique, imprononçable par les populations gallo-romanes, est passé par l’étape gw avant d’aboutir à g d’où la forme Gardo apparue en 914.
De ce Gardo est issu le produit Gardon qui est le nom générique de l’ensemble des treize Gardon qui se regroupent en deux Gardon (le Gardon d’Alès et le Gardon d’Anduze) joignant leurs eaux en un seul Gardon qui deviendra Gard sous la plume des géographes désireux de distinguer le fleuve de ses affluents.
Reste à savoir d’où vient le gaulois *Vardu.
Var / Ver
Sur la rive gauche de la Durance, le Verdon a gardé le v étymologique de la racine indo-européenne vara, « eau, couler », sous la forme d’une variante vera.
La forme simple var-, non dérivée en –du gaulois, est représentée par le nom du Var, attesté Varus au Ier siècle av. J.-C. puis flumen Varum au VIè siècle.
*Var– / *Ver– est une racine pré-indo-européenne qui s’attache d’abord à la désignation du rocher, d’où Vars à Guillestre (H.-A.), site de sommets rocheux et arides, ou encore La Varaille au sud-est du Muy (Var), dérivé collectif roman en –alha, chaos rocheux.
Sur un dérivé *var-ia ou *ver-ia ont été formés les noms de la crête des Veyres, près de Vars (H.-A.), de la tête de Vairon près de Pierlas (A.-M.) ou encore de la montagne de la Veyronne près de Nyons (Drôme).
Ce terme s’est appliqué également au ravin, d’où Varages (Var), attesté in monasterio Varagini en 1032, et Varage (B.-du-R.), attesté ad gorgum de Varatgiis en 1406, représentant sans doute un dérivé pré-celtique *varadia.
Cette racine a surtout produit de nombreux hydronymes avec différents suffixes :
♦ féminin –a : la Vère (T.-et-G.) affluent de l’Aveyron ; la Vervère dans le Tarn, affluent de la précédente, est un redoublement de vera ; le Vair des Vosges, affluent de la Meuse, attesté Vera au XIè siècle, est devenu tardivement masculin ;
♦ –ia : la Vaire, un torrent des Alpes-de-Haute-Provence ; la Vayre, un ruisseau de l’Aveyron, affluent du Lezert ; la Veyre du Puy-de-Dôme, affluent de l’Allier ; la Veyre du Lot, affluent du Célé ; la Veyre du Gard, affluent du Tave ;
♦ –esia : la Varèze, affluent du Rhône en Isère, qui a donné son nom à Auberives-sur-Varèze et à Clonas-sur-Varèze ; le ruisseau de Varèze à Molèdes (Cant.) ; la Voroize qui arrose Veurey-Voroize en Isère (avec une variante *vor de la même racine).
♦ –ia-one : le Veyron de la Haute-Loire, affluent du Clavas ; le Veyron de l’Ain affluent du Longevent ; le Véron de la Creuse, affluent de la Petite Creuse ; le Véron de la Haute-Vienne, affluent du Salleron ; le Véron de l’Yonne, affluent de l’Yonne ; la Véronne de l’Ardèche, affluent du Payre ; la Véronne de la Drôme, affluent de la Tessonne ; la Véronne de l’Eure, affluent de la Risle ;
♦ –enna : la Vérenne ou Varenne dans l’Aveyron ; la Varenne affluent de la Mayenne en Mayenne ; la Varenne, affluent de l’Arques en Seine-Maritime ; cf. plus bas pour les toponymes semblables.
♦ –d et d-one : le Verdon et les Gardon vus plus haut ; la Gardonnette, affluent de l’Homol dans le Gard ; le Gardon de l’Aveyron, affluent du Gifou ; le Gardon en Ardèche, affluent de l’Ibie ; le Gardon de l’Ain, affluent de l’Ain ; la Gardonne du Lot-et-Garonne, affluent du Cluzellou ; la Gardonnette en Dordogne, affluent de la Dordogne.
La Vis (Hérault)
La racine ver– est également présente dans le nom de la Vis, affluent de l’Hérault, à la limite du département du Gard. Le cours souterrain des cours d’eau près de leur source a donné lieu au composé Vissec, d’où le nom du village de Vissec (Gard) appelé Virs vers 1060, puis Viro sicco in valle que vocant Vienca en 1084, « Vir sec dans la vallée qu’on appelle Virenque ». La rivière, qui ne devient abondante qu’en aval de la source de Lafoux (c’est-à-dire la fos, ancien occitan « fontaine ») a été qualifiée de « sèche » dans son cours supérieur.
Le nom de la vallée est un dérivé en –enca du nom du cours supérieur de la Vis. Le e inaccentué d’un *Verenca originel est passé à i pour aboutir à Virenque (oui, à l’insu de son plein gré).
Le même processus a produit le composé Vissec avec sèc. Le produit Vis est issu d’une assimilation du r au s dans le composé Vir-sec donnant Virsec puis Vissec.
Cet hydronyme est à distinguer de ceux qu’Ernet Nègre donne comme issus d’une racine pré-celtique *vis comme la Vézère, affluent de la Dordogne, la Vézone de Périgueux (Dord.) et d’autres.
Varenne
Cette même racine prélatine *var, qui a semble-t-il d’abord désigné le rocher, ensuite le ravin, et enfin l’eau, est présente sous la forme *varenna, on l’a vu, dans le nom de cours d’eau du type Varenne.
Varenna, qui a le sens de « plaine » en Auvergne et de « terrain léger » en Forez, semble être issu de cette même racine *var, avec ici le sens particulier de terre abandonnée par les eaux, de sols alluviaux légers, d’où, dans le Puy-de-Dôme, les noms de Varennes (à Chanonat), de Varennes-sur-Usson ( de Varennis en 1089, au locatif ablatif pluriel en –is) et de Varennes-sur-Morge ( de Varennis en 1233). Varennes-Sain-Honorat (H.-Loire) et Varennes à Fournels et à Juliange (Loz.), sont sans doute formés sur le même modèle.
Littré donne pour varenne le sens de « délaissé de rivière ». En effet, beaucoup de ces varennes sont proches de cours d’eau et nombre d’entre elles sont devenues noms de communes : Varennes-les-Nancy et Varennes-Vauzelle (Nièvre), Varenne-l’Arconce, Varenne-le-Grand , Varenne-sur-Doubs, etc. (S.-et-L.) ou encore Varennes (Yonne) … Véronnes (C.-d’Or) est une variante phonétique.
En ce qui concerne les toponymes, il peut y avoir confusion avec les dérivés du francique *wardon, « garder, surveiller » – parfois croisé avec le gaulois varros, « poteau » – du type Varenne(s) ou Garenne(s). Cf. ce billet. Même si, bien souvent, les deux termes coexistent dans une même région et se relaient comme des synonymes, la distinction est difficile. Garenne désigne le plus souvent une terre réservée, gardée, comme une réserve de chasse, mais ne désigne pas particulièrement la qualité du sol. Varenne, on l’a vu, désigne, particulièrement dans tout le bassin de la Loire, un terrain alluvial apprécié pour la culture des légumes et, jadis, du chanvre (un varennier y était l’équivalent du maraîcher). S’agit-il alors de la divergence d’un étymon commun (*var, resté pur dans un cas et contaminé par le francique dans l’autre) ou au contraire de la convergence de deux étymons bien distincts à l’origine (l’eau ou la garde) mais dont la paronymie a fini par se faire rejoindre les sens ? Le débat n’est pas tranché.
La devinette
Il vous faudra trouver le nom d’un cours d’eau de France métropolitaine dérivé de la racine *var.
Les différents ruisseaux qui en forment le cours supérieur portent des noms différents sans lien avec cette racine. Le nom à trouver est celui du cours inférieur jusqu’à son embouchure avec un sous-affluent d’un fleuve.
Cette rivière prend sa source sur le territoire d’une commune vallonnée, comme l’indique son nom, dans une région où on cultivait du seigle, si on en croit son nom.
Elle court sur deux départements et traverse trois communes.
Selon wikipedia, la troisième commune, celle de l’embouchure, devrait son nom à un hypothétique nom d’homme latin. Il existe d’autres hypothèses, notamment celle d’un cognomen féminin.
La commune centrale porte le nom d’un saint complété par celui de la troisième commune.
Au IXè siècle, la mère d’un duc fonda dans cette troisième commune une abbaye pour femmes dont l’abbesse était seigneur de la ville avant qu’elle ne soit contrainte de la partager avec des barons, deux siècles plus tard.
Un seul indice :
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