Après avoir vu les voies (du latin via) puis les chemins (du gaulois cammano) et enfin le mantalon gaulois, je m’intéresse aujourd’hui aux routes consolidées. L’emploi des chars sur un terrain meuble, creusant ornières et fondrières, a conduit à revêtir les routes principales. On les a dites pierrées, pavées, munies, voire « ferrées » par image. Les chaussées et les estrées, deux termes qui auront un plus grand succès, seront vues dans un prochain billet.
Munies
La voie Domtienne (via Domitia, première route construite par les Romains en Gaule dès 118 av. J.-C. sous le proconsul Cneus Domitius Ahenobarbus) a été appelée camino Moneto en 1183, puis Caminum de Moneta en 1235. Le nom latin (via) munita, « voie munie (de pavés) », servait à distinguer cette voie des sentiers ruraux. Mais il évoluera jusqu’à devenir en 1820 lou Cami dé la Monéda, le Chemin de la Monnaie, sous l’influence de l’occitan moneda, « monnaie ». On trouve encore aujourd’hui un lieu-dit La Monnaie à Aigues-Vives (Gard) et un Chemin de la Monnaie à Castelnau-le-Lez (Hér.) et à Vergèze (Gard).
En Savoie, à l’ouest du lac du Bourget, se trouve un Mont-du-Chat dont une pointe est connue sous le nom de Dent-du-Chat (1390m). La montagne était appelée Mont Muni, mons qui vocatur Munitus, au Xè siècle ; on parlera ensuite de l’ecclesia sancti Germani supra monten Muni avant 1030 puis d’ ad radicem montis Muniti dans la première moitié du XIè siècle. On reconnait dans ces noms une (via) munita ou un (iter) munitum, une voie qui avait été pavée et exigé des ouvrages d’art particuliers : c’est le cas de la voie romaine qui reliait Chambéry à Aoste en passant par le col du Chat (690m). Le qualificatif munitus, qui qualifiait d’abord le passage, a fini par désigner la montagne elle-même. Et le Chat, me demanderez vous ? Eh bien, il apparait dès 1209 quand on lit a supercilio montis Catti usque Rodanum, puis Mons Catti en 1232, ultra montem Felis en 1263, à nouveau ultra montem Cati en 1307 et enfin usque ad montem du Chat en 1497. On apprend en lisant les chroniqueurs du Moyen Âge que le col était infesté par la présence d’un énorme chat velu qui faisait de nombreuses victimes parmi les voyageurs et qui fut tué par le roi Arthur qui se rendait en Italie (cf. le Chapalu). Il semble plus raisonnable de penser que l’appellation Mont du Chat soit due à un nom de personne, les noms Catus ou Cattus étant bien attestés. Mais il y a, non loin de cette montagne, un hameau appelé Chevelu, anciennement Chavelu (à Saint-Jean-de-Chevelu, de Cappiluto en 1125), du nom de Bernard de Chevelu. Le nom Chavelu de ce village n’aurait-il pas pu inspirer la légende du « chat velu » terrorisant le pays ?
En l’absence de formes plus anciennes, une remotivation du gaulois calmis donnant, dans le massif alpin, entre autres dérivés, des noms comme cha, châ ou chaz, « pâturage en montagne, au-dessus de la limite des forêts, sommet engazonné, souvent d´accès difficile et de végétation maigre », ne peut être ni assurée ni exclue.
Attention aux faux amis ! Beaucoup plus nombreux sont les toponymes en Monnaie et ses dérivés comme Monède qui doivent leur nom à des terres de bon rapport (en monnaie) ou à des terres où ont été trouvées des pièces de monnaie. Le nom d’homme latin Modinnus, accompagné du suffixe –acum, a laissé son nom à Monnaie (I.-et-L.) et à Monnai (Orne). On trouve à Saint-Gervais (Vendée) un lieu dit La Munie dont le nom n’apparait qu’au début du XXè siècle et pour lequel un rapport avec une « voie munie » est plus qu’incertain.
Pavées
On trouve des toponymes Pavé, Pierré, Perré, etc. le plus souvent associés à des voies empierrées. Il est impossible de tous les citer ici, sauf quelques cas particuliers.
C’est ainsi qu’on trouve le Chemin Pavé à Poitiers (Vienne), l’Ouest du Pavé à Gœuzlin (Nord), effectivement à l’ouest d’une ancienne chaussée, le Pavé du Roy à Bourron-Marlotte (S.-et-M.) sur la grande route de Fontainebleau à Nemours, etc. Pavé vient de l’indo-européen peu, donnant le latin pavire, « battre, frapper (comme pour la terre battue).
Dérivés du latin petra, « pierre » : on trouve par exemple un Chemin Paré à Coulommes (S.-et-M.), au Perreux-sur-Marne (Val-de-M.) et à Perray-en-Yvelines (Yv.). Comme le montrent ces deux derniers noms de communes, tous les noms approchant ne sont pas dus à des rues empierrées : on peut penser à des mégalithes, des pierres, des terrains pierreux, etc. ou à des noms d’hommes Petrus ou Pierre. Pfetterhouse (H.-Rhin) fut à l’origine Petrosa (731), située sur une voie empierrée, puis la finale –osa a subi l’attraction du germanique hûs, « maison ». La même étymologie selon petrosa se retrouve peut être pour Pérouse (T-de-B. et H.-S.). En occitan, des noms formés sur le radical pèira avec le suffixe collectif –at, comme Le Peyrat (Ardèche) et de nombreux hameaux du même nom, peuvent avoir aussi le simple sens de lieu rocailleux, mais d’autres sens spécialisés sont connus notamment pour le féminin pèirada qui a désigné le chemin empierré ou même, comme le signale Mistral, la cour de ferme dallée de pierre, d’où les très nombreux lieux-dits la Peyrade. Ce nom de peyrade a été notamment donné à la bande de terre empierrée longeant une rivière, un étang, un bord de mer, traversant un marais, et servant de chemin ou de route. C’est ce sens qui est représenté par La Peyrade de Frontignan (Hér.), du nom du château de La Peyrade (connu au XVIIè siècle) et par Lapeyrade à Losse (Landes) dans un environnement de marrais.
« Pierge », de l’Artois à la Champagne, a le même sens de route empierrée, et se retrouve, au masculin, dans le nom d’une dizaine de toponymes, mais dans celui d’un seul lieu habité, Le Pierge à Felleries (Nord).
Le germanique stein, steen, « pierre », se retrouve dans le nom de Steene (Nord) que traversait la voie romaine venant de Cassel et menant à Mardyck à travers la Flandre maritime, et dans celui de Steenvorde, le « gué de pierre », plus précisément le gué de la route empierrée, sur l’ancienne voie romaine qui y traversait l’Ey Becque, affluent de l’Yser.
N’oublions pas la « jarrée » qui désigne, principalement en Sologne, une allée, une route empierrée et que l’on peut rapprocher de jard. L’étymologie de ces mots réside dans le pré-celtique gar, « caillou, pierre, rocher », lui-même issu du pré-indo-européen kʰar de même sens. On trouve quelques lieux-dits ainsi nommés en Sologne dont un La Jarrée au Châtelet ( Cher ). (autocitation).
Ferrées
Quand « ferré,-e » qualifie un chemin ou une voie présente bien avant le rail, c’est qu’il s’agissait de voies pavées ou au moins revêtues de cailloux, c’est-à-dire qu’elles étaient renforcées, comme on ferrait alors une porte, un seau ou une roue de char. Beaucoup plus rarement, ce nom signalait que des scories de fer avaient été rajoutées au revêtement.
Les toponymes du type Le Chemin Ferré existent en plusieurs dizaines d’exemplaires, comme à Pierrelaye où la route romaine qui conduisait de Paris à Rouen était mentionnée comme Chemin Ferré dans les plans paroissiaux. On trouve aussi une Route Ferrée à Arthel (Nièvre), une rue Ferrée à Landouzy-la-Cour (Aisne) et à Ingrandes-de-Touraine (I.-et-L.), etc. Signalons que quelques Voie Ferrée n’ont rien à voir avec le rail comme à Échalot (C.-d’Or).
En occitan, une des acceptions de ferral, fort productive en toponymie, est bien celle de « chemin empierré », comme Ferral à Saint-Clair (Lot) ou Le Ferral à Duras (L.-et-G.) ainsi que la variante La Farral à Cambon-et-Salvergues (Hér.). En occitan moderne, ferral a le sens de « chemin de charrette aboutissant à un champ ». La forme ferrat est à l’origine de noms comme Cami Ferrat à Millau (Av.), Prayssac (Lot), à Combes et Colombières-sur-Orb (Hér.), du Camin Ferrat de Hures-la-Parade (Loz.), du Chami Ferrat de Belvezet (Loz.) et de plus français Chemin Ferrat à La Blachère (Ardèche), à La Pègue (Drôme), etc. Souvent, camin ferrat était le nom donné à d’anciennes grandes routes médiévales. Ainsi, sur le plateau du Larzac, à La Couvertoirade, près de La Salvetat, l’ancienne voie romaine est appelée, au XVIIè siècle, chemin ferrat de la peirade (sans doute pour via petrata d’époque gallo-romaine). Le sens de chemin de charrette se retrouve aussi dans La Ferrade, un hameau de Bègles (Gir.) et de Latresne (id.).
Il convient bien sûr de se méfier des toponymes liés au minerai de fer, que ce soient des lieux d’exploitation ou des lieux de traitement, d’où les nombreux noms du type Ferrières ou le qualificatif Ferré ou Ferrée, comme à Bettancourt-la-Ferrée (H.-M.), qui rappelle le passé métallurgique de la ville.
En occitan, des noms du type Ferral sont parfois associés à des mines de fer comme à Ferrals-les-Corbières (Aude) ou Ferrals-les-Montagnes (Hér.) mais peuvent aussi signaler la présence d’une de ces forges dites « catalanes », où depuis le Moyen Âge le minerai de fer, mélangé à du charbon de bois, était traité dans un creuset, l’air qui activait la fonte étant puisé par une tuyère située à sa partie supérieure. Certaines de ces forges catalanes fonctionnèrent jusqu’au XXè siècle.
La devinette
Il vous faudra trouver un micro-toponyme lié au thème du jour : il signifie qu’une voie y a été consolidée avec un revêtement particulier.
Il n’est présent sur Géopoprtail que trois fois, avec l’article féminin — mais la troisième d’entre elles désigne un mont et non une voie devenue nom de lieu et il n’en sera donc plus question ici.
Le nom de la première commune rappelle l’importance mythologique qu’a eu son couvert forestier. La forêt n’ occupe plus aujourd’hui qu’à peine un tiers de son territoire.
Le déterminant du nom de la seconde commune indique qu’elle a été bâtie non loin d’une chênaie. La forêt occupe encore aujourd’hui plus des trois quarts de son territoire.
Les deux communes sont distantes de 360 km par la route. La première a presque dix fois plus d’habitants que la seconde.
Le temps me manque pour trouver de beaux indices à ma façon : il vous faudra donc patienter jusqu’à mardi.
(Désolé pour l’aspect un peu bâclé de tout ça mais j’ai dû trouver une idée et faire vite …)