Des moulins (deuxième partie)

40 Le moulin est entré quelquefois dans l’Histoire comme ce fut le cas à Montmartre où les quatre fils Debray, propriétaires du Moulin-Vieux, du Moulin-Neuf et du Blute-Fin, tinrent tête aux Russes le 30 mars 1814. Ils furent massacrés tandis qu’un jeune neveu fut grièvement blessé et rendu handicapé. C’est ce dernier, devenu « le petit père Debray », féru de danse, qui créa le Moulin de la Galette. À la Chapelle-Saint-Denis, toujours à Paris, il y eut au XVè siècle un moulin appelé de la Tour qui vit se battre Jeanne d’Arc en septembre 1429. Martial d’Auvergne écrivait ainsi dans ses Chroniques de la Pucelle:

« Outre, en procédant plus avant,

Son ost tira à La Chapelle

Et de là au moulin à vent

Où y eut une escarmouche belle.»

Mulhouse — qui fut le théâtre d’une guerre civile dite la « Sechs Plappert Krieg », la Guerre des six oboles, avec comme prétexte une histoire de meunerie (le jeune meunier Herman Klee réclamait à ses employeurs mulhousiens six deniers et, devant leur refus, se rebella en entraînant une partie de la noblesse avec lui)— doit son nom au germanique mülhe, moulin, et haus, maison, comme Muhlhausen, toujours dans le Bas-Rhin, Muhlbach (avec bach, ruisseau) dans le Haut-Rhin et Muhlbach-sur-Bruche dans le Bas-Rhin. Si, comme on l’a vu, Mulhouse est la maison du moulin, on trouve dans l’Oise Mélicocq, de molinus cottus en 723, du latin molinus et du germanique kot, petite maison: c’est la petite maison du moulin.

C’est encore dans le Bas-Rhin que l’on trouve Frohmuhl, de froh, gai et mühle, moulin. Rares sont les moulins de bonne réputation comme ce dernier: ils avaient dans l’ensemble plutôt mauvaise renommée et étaient assez souvent l’objet de moqueries.

Lorsqu’un meunier décidait de s’installer, il prenait soin le plus souvent de bâtir son moulin hydraulique en amont d’une meunerie moulin_beaufortpréexistante qui devenait alors tributaire du nouvel arrivant. Malgré les reproches qu’on lui adressait, ce dernier confirmait son installation quoi qu’il en pèse à certains, le verbe peser étant alors utilisé dans sa forme intransitive signifiant peiner, attrister. « Je m’installe ici à qui qu’il en pèse » ou, en ancien français, à cui qu’en poist .
De là viennent les noms de Quincampoix ou Quinquempoix  d’une vingtaine de communes ou lieux-dits en langue d’oïl.
Un dicton du Berry  prétend que le diable s’est fait meunier après avoir constaté que c’est dans cette profession qu’on s’enrichissait le plus rapidement. Certains de ces meuniers avaient une telle mauvaise réputation (cf. les noms de famille comme Mouillefarine par exemple) que l’on regrettait amèrement de corner à leur porter. De là les noms de Malicornay (mal y cornai :«j’y ai corné pour mon malheur») dans l’Indre et, à l’impératif, de Malicorne (Allier, Sarthe et Yonne). C’est  pour cette même raison que furent baptisées Nuisement-aux-Bois et Nuisement-sur-Coole deux anciens moulins de la Marne, de l’ancien français nuisement, action de nuire.

La mauvaise renommée des meuniers fut telle qu’en 1957, écrivant la Notice historique et descriptive de sa ville, le duc de Brissac crut bon d’écrire :« Brissac vient de Brêche-Sac, qui signifie littéralement Rompt-Sac, surnom rustique tel Casse-Grain, Gaste-Blé, Brûle-Bois ou Taille-Fer. Il est piquant de penser que le nom du troisième duché de France soit le sobriquet donné sous Charlemagne à un meunier facétieux et sans doute un peu fripon qui, en rompant ses sacs, détournait, au détriment de sa clientèle, une part du grain à son profit». Le duc se trompait sans doute : Brissac (Maine-et-Loire), Bracaseacum en 1030, doit plus vraisemblablement son nom à un homme gaulois Braccatius accompagné du suffixe habituel –acum.

Les moulins étaient bruyants, on les accusait d’être bavards, d’avoir bon bec : de là les noms de Bécherel (Ille-et-Vilaine), Béchereau, Bécherelle ou Bécheret (nombreux hameaux en langue d’oïl) et aussi Bicherel (sur la commune de Tremblay-en-France, Seine-St-Denis). La forme picarde est à l’origine de Becquerel (Somme) et Becquerelle (Pas-de-Calais). Et quand le bruit était un murmure incessant, il donnait son nom au moulin comme à Mourmelon–le-Grand et M-le-Petit dans la Marne.

écoute s'il pleut

On donna parfois au moulin à eau  le nom d’ «Écoute-s’il-Pleut». Ce nom fut à une époque si répandu qu’il entra dans le langage courant  puis dans les dictionnaires. « Un écoute s’il pleut s’est dit d’un  moulin qui n’allait que par des écluses », peut-on lire ainsi dans la huitième édition (1932-35) du dictionnaire de L’Académie française. Le Grand Robert date cette locution de 1690 et indique qu’elle s’appliquait à des moulins à eau qui devaient attendre la pluie pour fonctionner. De nombreux hameaux et lieux-dits portent ce nom encore aujourd’hui dans toute la France et, par métonymie, quelques ruisseaux — quelquefois de simples canaux construits de mains d’homme — ainsi que des plans d’eau (un étang à Saint-Maur dans l’Indre, un lac près de Sarlat en Dordogne,etc.) le portent aussi. On trouve ce nom dans toutes les provinces françaises : Escota se plau en Béarn et Pyrénées, Escouto se pleou en Ardèche et Cévennes, etc. Répandu aussi en Belgique sous la forme Houte-si-Plout (et quelques dérivés), on le retrouve au Canada (une rivière du Saskatchewan). Très similaires sont les noms du moulin de Courte-Pluie (Indre), d’Escouteplouye (à St-Pierre-d’Irube, Pyrénées-Atlantiques) ou de Guette-s’il pleut (à Guîtres en Gironde). La liste est très longue…

Nous ne quitterons pas les moulins sans mentionner l’île de Ruach (de l’hébreu, « souffle, vent ») et ses habitants « qui vivent de moulins à vent », non plus que le géant Bringuenarilles, « avaleur de moulins à vent» (Rabelais, Quart Livre), précurseur de l’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha.

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33 commentaires sur “Des moulins (deuxième partie)

  1. Le Moulin de la Galette*

    Et la comtesse – doublement comblée – de vous demander si vous voyez également le topo ?…

    * qui serait la première vente de la carterie du musée d’Orsay avant « l’origine du monde »…

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  2. Pour Mulhouse (Haut-Rhin), il devait y avoir plus qu’un moulin : la ville a été fondée sur un marécage et on ne comptait pas moins de cinq cours d’eau jusqu’au XIXe s. en plus de l’Ill et de la Doller. En ce qui concerne les deux Mourmelon, le cours d’eau (un affluent de la Vesle, affluent de l’Aisne) qui traverse ces deux bourgs est tellement mince et de si faible débit qu’il n’a pas dû faire beaucoup de bruit : il s’agit sans doute d’une antiphrase, il prend d’ailleurs sa source à Mourmelon-le-Grand. Ce dernier n’existait d’ailleurs pas avant la création d’un camp militaire par Napoléon III et en fait le bourg centre était Mourmelon auparavant (pas encore le Petit) : la gare s’y situe.

    Le village de Nuisement-aux-Bois n’existe plus, son église à pans de bois comme beaucoup^d’églises du sud marnais a été démontée et reconstruite sur le territoire de Sainte-Marie-du-Lac-Nuisement lorsque le village a été noyé pour la création du lac du Der-Chantecoq dans les années soixante. Le cours d’eau n’existe plus aussi. Le moulin de Nuisement-sur-Coole se trouvait lui bien en amont de la vallée de la Coole et donc d’autres moulins (il en reste un inactif à Ecury-sur-Coole), la Coole est plus faible ensuite.

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  3. Il faut aussi penser que les cours d’eau (ou leurs sources) se tarissent parfois. À Villenauxe la Grande, le peu d’eau que contient la Nauxe serait bien en peine de faire tourner les nombreux moulins qui la jalonnaient.
    Cela me donne envie de m’étourdir en écoutant le cycle de « La Belle Meunière »…

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  4. Et puisque ces moulins sont sans frontière, ils accueilleront peut-être dans leur souvenir la mémoire de la meunière en si grande harmonie avec le nom de son poète que Schubert mit en musique: (cité de)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Die_sch%C3%B6ne_M%C3%BCllerin_(Schubert)
    « Composés probablement entre mai et décembre 1823, après une période de doute et de tentatives avortées (symphonies n°7 et 8), Die Schöne Müllerin reprend 20 des 25 poèmes du même titre écrits par le poète allemand Wilhelm Müller »

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  5. et voici une jolie petite carte postale de Bex, par temps de pluie : le chemin de fer passe par Bex où le grand-père de Richard Cobden y possédait un moulin :

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  6. Ah! MiniPhasme, pardonnez ce retard!
    Pour tout vous dire, la Comtesse m’a d’abord fait sécher avant que, malin, je ne m’avise que le goulot avait pu donner deux diminutifs, goulotte et, moins connu, goulettegoule au sens de «goulot»sont issus Basse-Goulaine et Haute-Goulaine en Loire-Atlantique, en rapport avec des canaux d’assèchement de marais. Au sens de «gorge, défilé», on trouve Goulles (Corrèze et Côte d’Or), Goulet (Orne) et Goulier (-et-Olbier, Arriège).

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  7. > vousvoyezletopo : Les moulins étaient bruyants, on les accusait d’être bavards, d’avoir bon bec : de là les noms de Bécherel (…), Becquerel (…).

    Donc, lorsqu’un compteur Geiger égrène son murmure indicateur de becquerels (plus il est bavard, plus vous avez de becquerels), cela est parfaitement logique d’un point de vue étymologique !

    Pourtant, je passe souvent à Bécherel, mais n’y ai jamais noté particulière profusion de bombecs…

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  8. le Moulin de Bicherel est à Saint rémy l’honoré dans les Yvelines et non pas à Tremblay-en-France, Seine-St-Denis. J’ai visité les ruines aujourd’hui

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  9. ►fonty:
    Vous avez raison. J’ai confondu Tremblay-en-France et Tremblay-sur-Mauldre (voilà ce que c’est que de prendre des notes en abréviations …!). Il semble par ailleurs que la confusion soit fréquente et ancienne entre Tremblay-sur-Mauldre et Saint-Rémy-l’Honoré pour la localisation du Moulin de Bicherel :
    Voyez ici ou encore ici

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  10. Bjr,

    il s’agit bien de Saint-Rémy l’Honoré.
    Quelques cartes postales anciennes sur le moulin de Bicherel, aujourd’hui dans un état d’abandon total. Ce moulin a été la gloire de notre village (saint-rémy l’honoré) était reconnu comme grand restaurant.

    cdlt

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  11. > Annie Bauwens
    Le texte qui illustre cet article est un poème de Guillaume Apollinaire, extrait du recueil Calligrammes . J’ignore s’il a été mis en musique.

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  12. Non, je ne crois pas qu’il ait été mis en musique, mais comme il parle de la Flandre je vous propose le « il pleut » de Brel.

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  13. ►Tiens! il semble que le lien donné par Arcadius ne fonctionne pas correctement et redirige vers la page d’accueil de Youtube…
    Peut-être en recopiant l’adresse dans la barre d’adresse:

    ou, sinon, en recherchant la vidéo directement sur Google, comme je l’ai fait.
    En tout cas, merci pour ce beau souvenir, Arcadius! Un Brel de temps en temps, ça devrait être obligatoire!
    ►xx : drôle de moulin ! D’où provient-il ?

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  14. Lucullus, voilà une découverte …comment dire ? oubliable ?
    J’ai beaucoup de mal avec la musique contemporaine et cet exemple n’est pas près de me faire changer d’avis.
    Vite, vite, relisons les Calligrammes dans le silence de notre chambre!

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  15. Ben…caramba, lucullus, c’est pas un cadeau à faire aux amis ; » l’exploration du principe d’« axe timbral », où « une texture bruitée et grenue serait assimilable à la dissonance, alors qu’une texture lisse et limpide correspondrait à la consonance », bueno, falta la malsonance.
    Je ne supporte pas le bruit que l’on qualifie volontiers de musique contemporaine, je ne vous en veux pas, notez, et je vous régale ceci :

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  16. Arcadius,

    Bon, d’accord, il n’y a pas photo mais il faut tout connaître, caramba (aussi) !

    En tout cas, merci pour Chopin.

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  17. >iado encore un moulin carré ; j’ai du mal, mais je m’y fais : certains moulins ont le corps carré, pas un soubassement rond, non.

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  18. Dans son dernier livre, Gérard Genette évoque « l’Ecoute s’il pleut », p 108 au mot écoute avec moult références : Aragon, jean Bellemin-Noël , J.Derrida et conclut
    « Dieu sait pourtant qu’il en restait beaucoup à dire  »
    en abrégé: à vos recherches !

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  19. Habitant St Rémy l’ Honoré depuis plusieurs années ,je passe chaque jour devant les ruines du moulin de Bicherel qui,jadis attira grand nombre de personnalités fort connues étant une auberge de grande renommée dans un site calme et champêtre.
    Un incendie ravagea une grande partie des bâtiments;aucune reconstruction,il fut donc longtemps squatté et vandalisé, tagué et totalement abandonné.
    Il semble en 2012 que les abords soient dégagés et que des travaux soient peut-être entrepris; je le souhaite de tout coeur car voir ainsi tombée en ruine une telle propriété avec un beau terrain me désespérait

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  20. Bjr,

    Après l’apétit avide d’investissement financier en vu d’installer des constructions, le moulin de Bicherel a effectivement été racheté par un propriétaire semi-sédentarisé pour subir de grosses transformations. Il en va pour l’ancienne ferme en face.

    Il est dommage que ce site perde « une marque patrimoniale », c’est la vie. Pour cela il aurait fallu plusieurs centaines de milliers d’€ pour l’acheter et autant pour les travaux. Ainsi va la vie.

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  21. Bjr, Effectivement, après la destruction par le feu d’une partie des bâtiments, le taggage, l’entrepreneur à ouvert l’un des bâtiment, remblayer la piscine et le terrain alentour , enlever le grill exterieur, abattu de nombreux arbres ….
    je vais aller voir les permis de construire pour voir les destinations possible, surtout qu’il existe de nombreuses rumeurs sur ce site.

    cdlt

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  22. je suis proprietaire du petit moulin .guette s,il pleut.le nom du ruisseau( guette s,il pleut a guitres 33) à disparu .un technochrate la rebaptisé le grand jard, qui est le nom d,un ruisseau à 2klms.ils me répondes qu,il n,y a rien a faire

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