Lors de la rédaction des six billets consacrés aux monastères (pour mémoire : chap. I, chap. II, chap. III, chap. IV,, chap. V et chap. VI), j’avais pris quelques notes à propos de toponymes étrangers. Elles me servent aujourd’hui à la rédaction de ce billet certes non exhaustif mais qui concerne quelques noms plus ou moins remarquables — omettant volontairement tous les noms sans mystère proches des toponymes français.
■ Munich (allemand München) : capitale du land de Bavière, elle fut fondée en 1158 par le duc de Bavière Henri le Lion. Complètement brûlée en 1327, elle fut rebâtie par le duc Louis Ier considéré comme le second fondateur. Le nom de la ville remonte avant même la première fondation, alors qu’il n’y avait là qu’une petite localité en terre monastique autour d’un couvent de moines situé à Tergensee. Dès 1102, les Annales du couvent attestent le nom Munichen et l’acte de fondation de 1158 mentionne la villa Munichen. Très tôt, le terme monachus, « moine », emprunté par le latin chrétien au grec monakhos, est passé dans les langues germaniques : munih en vieux haut allemand (VIIIè – Xè siècle), munich en moyen haut allemand (XIè– XIVè siècle) et finalement Mönch en allemand moderne. C’est au second niveau de cette évolution que s’est figé le toponyme : de là Munich en français et en anglais, mais le datif pluriel München en Allemand.
■ Münster : ville allemande de Rhénanie-Westphalie, célèbre par le traité de Münster qui mit fin à la guerre de Trente Ans en 1648. Siège épiscopal par décision de Charlemagne en 803, son nom apparait au XIè siècle après qu’un monastère y fut construit. Le moyen haut allemand münster procède du vieux haut allemand munistri, lui-même issu du latin monasterium. Une trentaine de localités portent, en pays germanique, le même nom, d’où la précision souvent employée en allemand de Münster in Westfalen pour désigner Münster en Westphalie.
■ Monchen-Gladbach : ville allemande de Rhénanie-Westphalie. Le premier nom est attesté sous les formes Gladabach et Gladebach au XIè, c’est-à-dire « le ruisseau (bach) joli (glad = moderne glatt) ». Pour éviter la confusion avec Bergisch-Gladbach, on a introduit secondairement l’indication Mönchen, anciennement München, « moines », rappelant l’abbaye bénédictine fondée vers 800.
Brasserie de cour à Munich
■ Monastir (arabe al-Munastir ) : ville et port de Tunisie, sur une presqu’île rocheuse au sud du golfe de Hammamet. Dans l’Antiquité romaine, elle était appelée Ruspina (chez Pline l’Ancien). Ce nom est d’origine phénicienne ou punique : on y reconnait un premier terme rus, « cap » (cf. hébreu rōs et arabe ras) tandis que pina n’est pas expliqué. Ce nom est probablement resté en usage jusqu’à la fin de l’Empire romain. On pense généralement que le nom Monastir provient du latin monasterium et on place à l’origine de la ville un monastère chrétien, logiquement antérieur à l’islamisation. En fait, la forme arabe monastir ne vient pas du latin, mais du grec byzantin, où monastērion se prononçait monastiri (cf. le nom que portait la ville de Bitola en Macédoine dans le paragraphe suivant). En Tunisie, la construction d’un monastiri byzantin doit se situer au VIè siècle : on sait qu’en 533-534 Bélisaire, général de Justinien, reconquit toute l’Afrique romaine contre les Vandales, et que cette reconquête fut consolidée dans la suite par Jean Troglita, le Lyautey byzantin.
■ Bitola : ville de Macédoine du Nord. C’est l’antique Herakleia Lynkestis mentionnée par Strabon et Polybe, qui est devenue Monastirion à l’époque byzantine à cause des nombreux monastères qui la caractérisaient. Quand elle fut prise par les Bulgares au IXè siècle, elle fut nommée par eux Bitolia, c’est-à-dire « monastère ». Redevenue grecque, elle fut incorporée à la Turquie d’Europe au XIVè siècle sous le nom turc emprunté Monastir. Quand les Serbes la reprirent en 1942, ils l’appelèrent, en serbo-croate, Bitolj, « monastère ». Elle porte aujourd’hui, en slave macédonien, le nom de Bitola, de même sens.
■ Bihār : état fédéré de l’Inde, au sud du Népal, qui correspond à peu près à l’antique royaume du Magadha qui, au VIè siècle avant notre ère, fut le premier centre de rayonnement du bouddhisme. Le nom lui vient de celui de son ancienne capitale. Celle-ci s’appelait, en sanscrit, Vihāra, « monastère », parce que son centre était constitué par un important monastère bouddhique construit là, vers le VIIè siècle, par le roi Gopāla, fondateur de la dynastie Pāla du Bengale. La ville, qui porte un autre nom (Udantapura) dans la tradition sanscrite, a décliné à partir du XVIè siècle quant Patna est devenue la capitale politique. Le nom de Bihar ne désigne plus aujourd’hui que la région.
■ Borobudur : célèbre site archéologique du ventre de Java (Indonésie) qui porte le nom du gigantesque monument bouddhique construit là, au sommet d’une colline au IXè siècle de notre ère. En effet, en indonésien, boro est l’emprunt du sanscrit et moyen indien vihāra/bihāra, « monastère » (cf. le paragraphe précédent), et budur signifie « colline, montagne ».
■ Kildare : ville d’Irlande, au sud-ouest de Dublin. Ce nom est l’adaptation en anglais de l’irlandais Cill Dara qui signifie « le couvent (cill) du chêne (dara) ». Selon la légende, cet arbre marquait l’endroit choisi par sainte Brigide ou Brigitte pour bâtir son monastère. Le terme cill est l’emprunt en irlandais du latin cella qui, dans la chrétienté médiévale, servit à désigner d’abord la cellule du moine solitaire, l’ermitage, puis le couvent et qui s’est figé dans une série de noms de lieux comme, en France, Celle, Celles, La Celle-Saint-Cloud, Celles-sur-Belle, etc. (cf. chap. V) Il en est de même en Irlande où, à côté de Kildare, on trouve une série de Kilbride (sainte Brigide), de Kilmurey (sainte Marie), Killarney (prunelles), etc. NB : la page wiki, aussi bien en français qu’en anglais, traduit kildare par « église du chêne » ce qui n’est pas tout à fait exact.
La devinette
Il vous faudra trouver une localité (située hors de France, faut-il le préciser ?) qui doit son nom actuel à un édifice reconstruit au XVIè siècle qui accueillait les voyageurs et notamment les moines mendiants. Ce nom associe un terme désignant le type de bâtiment avec un terme désignant l’unique matériau utilisé pour sa construction.
Des fouilles récentes, permises grâce à un évènement dramatique, ont montré que l’édifice originel datait du VIIè siècle.
Avant le XVIè siècle, cette localité portait un nom la qualifiant de « belle » ou « lumineuse ».
Des indices ? Je pourrais vous faire écouter des chansons, vous faire lire des titres d’ouvrages ou de films, tant cette localité a inspiré d’artistes pour diverses raisons … mais je ne le ferai pas, ce serait vous mettre trop facilement sur la route !
Ou alors, ça :
Réponse attendue chez leveto@sfr.fr