Après avoir passé en revue quelques puys et quelques cols pyrénéens, le courage m’a pris de m’attaquer à quelques monts connus de tous, mais dont l’origine du nom ne l’est pas forcément.
Je m’attache ici exclusivement aux oronymes formés avec le terme « mont » accompagné d’un déterminant (je parlerai par exemple du Mont Blanc mais pas des Grandes Jorasses) : ils sont suffisamment nombreux pour occuper au moins deux billets. Les montagnes feront sans doute l’objet d’un autre billet.
Hésitant à les aborder par la face nord ou sud, j’ai préféré choisir la face alphabétique que je maîtrise bien mieux que l’alpinisme.
Le Mont Aigoual
À la limite du Gard et de la Lozère, il culmine à L’Hort-Dieu (commune de Bassurels) à 1565 m. Les attestations les plus anciennes connues du nom sont stratam Aigoaldi en 1228 et marcha Algoaldi en 1238, qui évolueront en mons Aigoaldi en 1249 puis Mont-Aigoual en 1644. On déduit de la forme de 1238 que la montagne a appartenu à un territoire (marcha) dont l’administration avait été confiée à un dignitaire porteur du nom germanique Agoaldus. Marcha, issu du germanique marka, « frontière, limite » a désigné dès le VIè un « territoire délimité » puis au VIIIè siècle une « zone frontière », confiée à un marquis. L’attraction paronymique avec l’ancien occitan aiga, « eau », a été à l’origine de nombreuses fausses étymologies.
Le Mont Beuvray
Entre Saône-et-Loire et Nièvre, il est le point culminant de la partie méridionale du Morvan, à 821 m. L’étymologie de ce nom est encore aujourd’hui controversée. Il faut d’abord se rappeler que, situé à un endroit stratégique – à la jonction des bassins de la Saône et de la Loire avec celui de la Seine – cet oppidum était déjà occupé avant l’arrivée des Celtes ; ce sont malgré tout eux, à l’époque que nous appelons gauloise, qui lui donneront l’importance que remarquera César. Il en donnera, au milieu du Ier siècle av. J.-C., la première attestation du nom sous la forme Bibracte. On a longtemps donné comme étymologie de ce nom le gaulois beber, « castor », accompagné d’un suffixe collectif -acti. Mais, dès 1906, Joseph Vendryes (1875-1960, linguiste et celtiste), préférait y voir un équivalent du grec Φρακτόϛ , « fortifié », précédé d’une syllabe de redoublement. Il est pourtant difficile d’imaginer une double fortification autour de la forteresse que les Éduens avaient bâtie là. Les fouilles archéologiques ont d’ailleurs montré que si deux remparts avaient bien été édifiés, le deuxième ne l’avait été qu’après la réduction du territoire de la ville. Alors ? Eh bien!, revenons à César qui, outre le Bibracte des Aedui, cite aussi le Bibrax des Remi. Nous avons là deux noms quasi identiques, composés de deux éléments. Le premier pourrait être issu de l’indo-européen *bheid, « fendre » qui, allongé d’un suffixe -no est à l’origine du celtique bino-, « forteresse », comme à Virobinum devenu Vervins dans l’Aisne (pour le rapport entre fendre et forteresse – on fend la route aux ennemis – la même idée se retrouve entre castrum – castro, āvi, ātum, ārum, « châtrer » – et château-fort). Le deuxième élément est bien le Φρακτόϛ au sens précis de « clos par une barrière, protégé » identifié par Vendryes. Le Mont Beuvray devrait donc son nom à une forteresse protégée par un rempart. (DENLF*).
Le Mont Blanc
Une charte de 1099 mentionne une rupe que vocatur Alba qui sera appelée en 1319 rupe que vocatur Says Blanc : le « rocher blanc ». Rien ne permet de savoir si ce nom désignait le Mont Blanc ou simplement une petite hauteur appelée aujourd’hui encore Roche Blanche. Dans sa chanson de geste, Huon d’Auvergne appelle le plus haut sommet des Alpes lo gran Montebliant, le « grand mont blanc ». À partir du XVIè siècle le mont sera aussi appelé Montmalet, « mont mauvais », tandis que les monts qui l’entourent seront dits Mont Maudits. Ce n’est qu’au XIXè siècle que l’appellation Mont Blanc désignera définitivement le point culminant.
Le Mont-Cenis
Il s’agit d’un massif des Alpes du Nord faisant frontière entre la France et l’Italie. Son nom, attesté in Cinisio en 739, lui viendrait de sa couleur gris cendré, du latin cinis, « cendre ». Une légende locale fait appel à un gigantesque incendie de forêt qui aurait recouvert de cendres le massif (un article du quotidien italien La Stampa du 18 avril 2001, signé Gianni Bisio, relate la découverte d’un sentier de cendres lors de travaux ; on peut penser que l’incendie fut volontaire, pour défrichement). A. Dauzat, G. Deslandes et Ch. Rostaing (Dictionnaire étymologique des noms de montagnes et de rivières, éd. Klincksieck, 1978) ont proposé un radical oronymique pré-celtique *ken/kin, comme pour le sommet de la Chine près de Barles (A.-de-H.-P.) et le col de la Cine près de Javie (id.) et J. Astor (DNFLMF*) se rallie à cette hypothèse.
Le Mont Clapier
Il s’agit d’un sommet (3045 m) du massif du Mercantour, sur la commune du Belvédère (A.-M.), point de jonction entre les provinces ecclésiastiques d’Embrun, Turin et Milan. Le nom le plus ancien connu, du milieu du XVIIIè siècle, concerne non pas le sommet lui-même mais le petit massif dont il fait partie : les Clapières, en 1758. L’occitan clapiera signifie « tas de pierres ». Le Mont Clapier est une formation plus tardive, sur le masculin clapier, « lieu encombré de pierres ». Ces deux substantifs sont des formations médiévales sur le préroman *klappa, « pierre plate ».
*Les abréviations en gras suivies d’un astérisque renvoient à la bibliographie du blog, accessible par le lien en haut de la colonne de droite.
La suite dans un prochain billet
La devinette
Il vous faudra trouver le nom d’un sommet quasi synonyme d’un des cinq étudiés dans le billet. Ce nom, si on oublie l’article initial, est constitué de quatre mots : un nom, une préposition, un article et un autre nom.
Ce sommet se situe dans une commune dont le nom rappelle ses pentes escarpées et plus précisément dans le périmètre d’un lieu, où l’on glisse autant qu’on y mouline, dont le nom le situe sur le « sommet plat d’une montagne ».
Le canton porte un nom faisant référence aux cours d’eau qui y coulent, tandis que son chef-lieu a été cité naguère dans ce blog en tant que capitale d’un pays qui faisait l’objet d’une devinette.
Un indice (pour la commune) :
Réponse attendue chez leveto@sfr.fr – mais vous avez tout votre temps : il n’y aura sans doute pas d’autres indices et la réponse n’interviendra qu’à mon retour !