Au cours de mes recherches à propos des tavernes, buvettes et autres relais routiers, j’ai découvert le nom d’un pays languedocien qui m’était inconnu jusqu’ici, même si je connais très bien le pays lui-même. J’ai hésité à en faire l’objet de la devinette de mon précédent billet mais cela m’a finalement semblé trop compliqué. Alors, voilà (je n’ai pas voulu surcharger mon billet de liens inutiles, débrouillez vous !) :
Le Sustansonès
Ce pays historique, du haut Moyen Âge, était situé autour de son chef-lieu Sustantion, localité disparue, dont seule la mémoire persiste dans les quelques ruines mises au jour dans le quartier aujourd’hui nommé Substantion de Castelnau-le-Lez (Hérault).

Son nom est attesté pago Substantionense en 848 évolué en Sustansonez en 1129 : il s’agit d’une formation sur le nom de la ville Sustantio muni du suffixe d’appartenance latin -ense. Il s’agissait d’un oppidum occupé dès les IXè – VIIIè siècles av. J.-C. jusqu’au IXè siècle, surplombant la voie Domitienne qui va d’Arles à l’Espagne.

La via domitia à Castelnau-le-Lez
Son nom apparaît sous des formes variables : Sextantione (17 av. J.-C.), Sesta(n)tiensis, Sextatione (IIIè s.), Sostantione (333), Substancionencis (801). La première forme, Sextantio, semble être une réfection latine d’un modèle antérieur, sans doute le gaulois *sextametos, « septième », et le suffixe –ione. Ce chiffre pourrait faire référence aux nombre de mille romains séparant le lieu d’une station située plus à l’Est sur la voie romaine et dont le nom actuel Mudaison garde le souvenir (cf. le précédent billet). La forme Sostantione de 333 (dans l’itinéraire de l’Anonyme de Bordeaux) semble être une réinterprétation ou une réfection du nom : la première syllabe Sos- peut être comprise comme une variante du latin Sus-, lui-même issu de Subs-. D’où l’étymologie complexe donnée par E. Nègre (TGF*) qui fait venir le nom du latin sustent(a)tio(n), « alimentation, nourriture », pour désigner une auberge (et la voilà, cette auberge !) à côté de la mutatio, le relais de poste, avec attraction de sextans, « sixième d’un as ». L’occitan Soustansou a été francisé en Substantion, par attraction du français « substance ». On trouve le nom du pays écrit Sustansonès avec un seul -n- (DNLF*) comme sur la carte ci-dessus mais aussi, fautivement à mon avis, Sustansonnès (DPPF*).
Les autres pays du Sud Languedoc
■ Razès : ancienne cité gallo-romaine formée autour de Rennes-le-Château, Limoux, Quillan, etc. Le nom du pays est attesté pagus Redensis en 788, formé sur l’ancien nom de la ville Redas, aujourd’hui Rennes-le-Château (Reds en 768 et castellum Redae en 1002), muni du suffixe d’appartenance –ense. Certains auteurs (DPPF*) voient une parenté possible avec le nom de la tribu des Redones à l’origine de Rennes en Bretagne, arguant qu’il pourrait s’agir d’une tribu scindée en deux groupes, l’un en Bretagne, l’autre en Languedoc. E. Nègre (TGF*) imagine un ethnique formé sur le pluriel du gaulois reda « voiture à quatre roues ». Il est sans doute préférable d’y voir, avec P.-H. Billy (DNLF*) la racine indo-européenne *ret , « tronc, poteau, assemblage de poutres », qui peut convenir pour désigner aussi bien une habitation que, par métaphore, un site en hauteur. Le site, habité depuis l’Antiquité, est en effet situé sur un promontoire rocheux
♦ Pays de Sault : autour de Belcaire, Bessède-de-Sault, Espezel, etc. baigné par l’Hers et le Rebenty. Attesté Saltuensis pagus vers 400, in locum Saltum en 844, terra de Saltu en 1272 puis baylie de Saut en 1368. Le nom de Sault vient du latin saltus, « bois, forêt du domaine public », d’où « région boisée ».
■ Carcassès : attesté Carcasensem pagum en 827, nom formé sur celui de Carcassonne, Carcasso à l’époque mérovingienne, et suffixe d’appartenance –ense. Le nom de la ville est issu de l’indo-européen *kar-k,« dur », et suffixe –asso, accompagné au VIè siècle du suffixe –ona. L’hypothèse d’un gaulois *carac , racine de caracalla, « vêtement gaulois sans manches de couleur rouge » (TGF*) est à rejeter.
♦ Les Corbières : le nom de ce pays a été vu à plusieurs reprises , notamment ici.
■ Narbonnais : le pays, attesté territorium Narbonense en 821, tire son nom de la cité principale de l’ancienne province romaine Narbonnaise. Les auteurs grecs Polybe et Athénée, au IIè siècle av. J.-C., attestent tous deux Ναρβών pour désigner un fleuve, en l’occurrence l’Aude. Polybe appelle aussi la ville de ce nom. En réalité, il transfère sans le savoir le nom de la ville, Narbo, au fleuve *Ner qui en est l’éponyme. Plus tard, Suétone au début du IIè siècle, appellera Atax un des quartiers de Narbonne que baigne l’Aude, Atax. L’ancien nom du fleuve *Ner est issu d’un indo-européen *ner, « pénétrer, plonger », qui, accompagné de *upo, « sous », et du suffixe locatif –one a servi à désigner la ville.
♦ Le Minervois : le nom de ce pays est attesté suburbio Minerbense en 836, formé sur le nom du village Minerba, accompagné du suffixe d’appartenance –ense. Le lieu, kastro Minerba en 873, tient son nom de la déesse romaine Minerva.
■ Bédérrès ou Biterrois : pays historique du haut Moyen Âge, formé de l’ancien diocèse de Béziers, dont le nom est attesté in Beterrensi territorio après 673. Ce nom est formé sur l’ancien nom de la ville Bitteris muni du suffixe d’appartenance –ense, d’où la forme occitane Bederrez attestée en 1118. La ville est attestée Baeterras dès 17 av. J.-C. On peut faire le rapprochement avec l’ancien nom du Guadalquivir espagnol, Baetis, et le nom antique de la ville catalane Mataró, Baetulo : le radical est bien attesté en zone ibérique et le suffixe –err est lui aussi attesté par ailleurs. Le radical est un prolongement en -to d’une racine ibérique *bai, apparentée à l’indo-européen * ghai, « clair, lumineux ». La forme latine, à l’ablatif pluriel Beterris attesté au IIIè siècle dans l’itinéraire d’Antonin, a donné l’occitan Beders en 1118 et sa variante Bezers en 1213, d’où la forme française Béziers attestée en 1370 donnant Le Biterrois pour nommer le pays.

La dernière fois que j’y suis passé, le café des Arts et Métiers, qui était encore là à l’époque où Béziers était
la capitale mondiale du rugby, était devenu une banque …
♦ Pays d’Orb : l’Orb est un fleuve côtier dont le nom est attesté Ορβις chez Strabon en 7 av. J.-C., d’où Orbis chez Pomponius Mela au milieu du Ier siècle. La plupart des toponymistes s’accordent pour y voir un thème hydronymique *or-ob, inconnu par ailleurs, pour justifier l’évolution en Ορoβις chez Ptolémée au IIè siècle. P.-H. Billy (DENLF*) propose l’indo-européen *sermo, « rivière » qui aurait subi l’amuïssement du s initial et le passage du m à b, tous deux connus en gaulois, pour donner *erbo évolué en Orb.
■ Lodévois : pays autour de Lodève, ancienne capitale de la civitas des Lutevani (Pline, Ier siècle). Le toponyme est attesté Loteva au IVè siècle, issu d’un radical gaulois lut, « boue » (le même que pour Lutèce) muni du suffixe gaulois –eva.
■ Hierle : pays historique du haut Moyen Âge formé sur le diocèse primitif d’Alès puis réduit durant le bas Moyen Âge à l’archiprêtré du Vigan. Ce pays a d’abord été appelé archipresbyteratus Aridiensis, sur le nom que portait la ville d’Alès avant le XIIè siècle, puis a été appelé Hierle à partir du XIVè siècle, après démembrement de l’ancien diocèse d’Alès. Hierle est un nom issu du latin insula, « île » passé à yla puis irla . Ce nom est celui du hameau de La Hierle, sur la commune des Plantiers, attesté mansus de Arisdio vulgariter Yrle en 1371, situé à la limite des archiprêtrés d’Alès et d’Hierle. Le hameau n’étant ni sur ni près d’une île, il ne peut s’agir que d’une appellation métaphorique, comme pour beaucoup d’autres quartiers de villes occitanes.
♦ Le Viganais : une inscription non datée, découverte à Nîmes, porte les noms Minervae, Nemauso, Urniae, Avicanto. Elle invoque donc les divinités aquatiques que sont Nemausus (à Nîmes), Urnia (l’Ourne, affluent du Gardon d’Anduze) et Avicantus. Ce dernier a été identifié avec Le Vigan, village situé sur l’Arre. Le théonyme Avicantus est un toponyme gaulois composé de *ab, « eau », et de *canto, « cercle en fer, bord, coin » (d’où le latin cantus, « bandage de jante » et canthus, » cercle »), allusion probable à la courbe de l’Arre, à l’extérieur de laquelle le village est bâti. Le nom antique Avicantus a été remplacé voire réinterprété, au haut Moyen Âge, par l’adjectif latin vicanus, « relatif au vicus », fréquemment employé à l’époque. La présence de l’article peut servir d’argument à une réinterprétation de Avicantus par ad Vicanum.
■ Némosez (ou Némosais ou Nemsès) : il s’agit d’un ancien diocèse des Gaules, dans la Première Narbonnaise, la Civitas Nemausensium. Le nom du pays est formé, avec le suffixe d’appartenance –ense, sur celui de sa capitale, Nîmes. Cette dernière est attestée Nemauso en 17 av. J.-C. où on reconnait un indo-européen *nem, au sens de « sanctuaire », comme je l’expliquais plus précisément dans ce billet.
♦ Les Costières (du Gard ) : ce plateau entre Nîmes et Camargue porte un nom sans surprise. La plus ancienne mention que nous ayons concerne un hameau de Vauvert, La Costière des Marais en 1624. L’occitan coustiero a ici le sens de coteau, et on trouve plusieurs lieux-dits nommés (La ou Les) Costière(s) sur différentes communes. Cet ensemble de lieux-dits a conduit à donner à la région le nom de Costière. Les petites entités qui la composent, autour de petits centres urbains, ont poussé des géographes du milieu du XXè siècle à nommer l’ensemble au pluriel Les Costières.
■ Uzège : pays historique du haut Moyen Âge, formé de l’ancien diocèse d’Uzès. Le nom du pays est attesté territorium Uceticum en 812, formé sur le nom ancien de la ville Ucetia muni du suffixe –icu. La forme occitane qui en est issue est Usetge au milieu du XIIIè siècle, la française étant pays d’Uzege en 1440. Le nom de la ville apparait sur une inscription latine du IIè siècle trouvée à Nîmes : Ucetia, formé sur une racine pré-celtique *uc, « hauteur », et suffixe –etia.

La devinette
Eh bien, voilà, j’ose un gros « merdalors ! » puisque je voulais vous proposer cette devinette soigneusement conservée dans un coin et que je m’aperçois au moment de la publier que c’est trop bête ! Tant pis, je n’ai rien d’autre sous la main, alors on verra bien :
Il vous faudra trouver le nom d’une commune de France métropolitaine (oui, komdab).
Plusieurs étymologies ont été proposées pour expliquer son nom dont les inévitables « pré-indo-européen » ou « nom de personne roman » (suivez mon regard) auxquelles on préfère désormais un dérivé d’un mot latin désignant un endroit tranquille, une aire de repos.
Allez, un indice :

Je ne peux pas plus en dire, sous peine de trop en dire, donc … rendez-vous mardi soir ?
Et je présente mes excuses à ceux qui trouveraient ça trop facile.
Réponse attendue chez leveto@sfr.fr