La loi discrimine elles

On était en 2081 et tous les hommes étaient enfin égaux. Non seulement devant Dieu et devant la loi, mais égaux dans tous les domaines. Nul ne pouvait se targuer d’être plus malin qu’un autre ; nul ne pouvait se targuer d’être plus beau qu’un autre, ni d’être plus fort ou plus rapide. Cet état de fait était dû aux amendements 211, 212 et 213 de la Constitution et à l’inlassable vigilance des agents du directeur général aux Handicaps des États-Unis.

Ainsi commence une nouvelle de science-fiction * parue en pleine guerre froide dont on voit bien l’anticommunisme (primaire ?), sentiment alors largement partagé aux États-Unis.

bcc96-harrisonLe moyen d’obtenir cette égalité ? Affubler les individus les plus beaux, les plus forts, les plus intelligents de handicaps tels qu’ils en soient ramenés au niveau le plus bas des qualités communes. Ces handicaps prennent la forme de masques grotesques, de poids attachés aux épaules ou aux membres, d’écouteurs diffusant des sons empêchant la concentration, etc. : dans ce système social, nul n’a le droit de se sentir inférieur aux autres.

C’est le nivellement par le bas et l’interdiction de tout ce qui pourrait être assimilé à un avantage par rapport à la norme commune : l’absence totale de toute différence avantageuse — même si elle est naturelle — bref, de toute discrimination.

J’ai pensé à cette nouvelle en lisant ceci :

« La Cour de justice de l’Union européenne a condamné mercredi 2 mars la discrimination tarifaire basée sur le sexe en assurance. Conséquence : la probable augmentation des tarifs des assurances autos pour les femmes en France.» (Le Monde, 2 mars 2011).

Pourtant réputées — à juste titre, les statistiques le prouvent — moins coûteuses pour les assureurs, les conductrices n’auront pas le droit d’en tirer avantage.

Si j’étais assez vieux, je me ferais du souci pour ma Carte Vermeil (c’est vrai, ça! Déjà qu’ils sont à la retraite payés à ne rien faire, ils devraient en plus payer moins cher ?).

Si j’étais étudiant, je me ferais du souci pour ma carte d’étudiant ( en quoi le fait d’étudier aux frais de la princesse devrait-il donner droit à un tarif réduit pour visiter un musée ?)

Si j’étais président de la République, je me ferais du souci pour ma carte d’immunité …(Ah, non! Là, c’est pas pareil, c’est dans la Constitution.)

Mais si je m’appelais Abderrahmane Benmoussa** et même ( et surtout) si je n’avais pas de carte, je continuerais à me faire du souci.

* Parue aux États-Unis en 1961 sous le titre Harrison Bergeron, elle a été traduite en français en 1972 et renommée Pauvre Surhomme. Elle est l’œuvre de feu Kurt Vonnegut Jr., l’auteur d’Abattoir 5, antimilitariste notoire, violent opposant à George Bush et à la guerre en Irak, entre autres.

** Qu’il me pardonne. J’ai pioché son nom au hasard dans l’annuaire.Toute ressemblance, etc.

6 commentaires sur “La loi discrimine elles

  1. A ma connaissance, bien pauvre je l’admets, vous êtes le seul à vous insurger ; cette décision des Européens est stupide, je n’en croyais pas mes yeux ! On va un jour interdire aux femmes une longévité supérieure à la nôtre, exécutons-les au nom de l’égalité.
    N.B. : bonne pioche.

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  2. Il est vraisemblable que ce n’est pas par pour lutter contre une prétendue discrimination que cette pratique tarifaire a été condamnée mais parce que les assureurs ont observé là une possibilité de profit supplémentaire, facile à justifier. Ils ont en douce suggéré l’abolition de cette discrimination (tarifaire). Si ne n’était pas le cas, les tarifs de tous devraient alors prochainement baisser pour que tous profitent de cette amélioration de la rentabilité. Mon œil…

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  3. Oui, vous avez raison , Arcadius : je n’ai pas lu beaucoup de réactions négatives à l’énoncé de cette décision européenne, pourtant prise à quelques jours de la journée de la femme .
    La Tunisie, la Libye et maintenant le Japon y sont sans doute pour quelque chose.
    Mais cela me fait irrésistiblement penser aux prestidigitateurs dont on regarde la main droite s’agiter quand c’est la main gauche qui manipule.

    En y réfléchissant un peu plus, je me dis que la surprime payée par les jeunes conducteurs, au prétexte que leur inexpérience les rend plus dangereux, devrait elle aussi être supprimée… Mais comme dans le cas des femmes il s’agit d’un cadeau fait aux assureurs ( pensez: ils vont devoir augmenter leurs cotisations … à leur corps défendant, bien sûr), je vois mal pourquoi on leur en retirerait le bénéfice en les obligeant à diminuer celles des novices.

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  4. J’ai un doute : Je me souviens (vaguement) d’une nouvelle de ce genre (handicap forcé) où les protagonistes, des présentateurs de télévision, se débarrassent de leurs handicaps et se mettent à danser (ce qui leur vaut de graves ennuis). Est-ce la même ? Ma mémoire est défaillante.

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  5. Mais si je m’appelais Abderrahmane Benmoussa** et même ( et surtout) si je n’avais pas de carte, je continuerais à me faire du souci.– Billet de leveto.
    – Mon nom véritable sonne pire que celui-ci. Pourtant, en France, j’avais ma carte. Rien à faire, j’avais du souci. Heureusement que je parlais mieux votre langue que les…indigènes(souriez, voyons !), ça compensait….
    – Je ne comprendrai jamais cette « passion » pour l’égalité, sauf celle devant la loi.
    – Mais la loi, elle-même…..ne s’applique pas à tous, de la même façon.
    – Bon, je deviens sénile….

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