Voici une carte des Alpes-Maritimes où apparaissent de manière artisanale les quatre pays — sans que je n’en garantisse l’exactitude des frontières — qui font l’objet du présent billet, les Nicès, Vencès, Fréjurès et Glandevès :

Première constatation, qui ne vous aura pas échappé : ces quatre noms se terminent par la même syllabe -ès issue du suffixe latin -ensem utilisé pour former des noms de civitas.
- Nicès : le pays niçois était nommé fratribus Niciensi en 1119. On y reconnait bien sûr le nom de la ville Nikaia, « la Victorieuse », un nom de déesse, accompagné du suffixe -ensem. L’évolution du nom de la ville est la suivante : Nicaea oppidum au Ier siècle, Nikaia au IIè siècle, Nicia plagia au IVè siècle, Niza au XIIIè siècle puis Nisse au siècle suivant et enfin Niça en 1436. La francisation a donné l’actuel Nice.
- Fréjurès : ce pays, civitas Forojuliensum au IVè siècle, doit bien sûr son nom, accompagné du suffixe déjà cité, à celui de la ville de Fréjus. Nous trouvons pour cette dernière Forum Juli au Ier siècle av. J.-C. puis Forum Julium au IIè siècle après le même : il s’agit donc d’un forum dédié à Jules César. C’est en 1035 qu’apparaît le nom Frejurio et en 1476 qu’on trouve Frejus. On imagine alors une évolution entre Forum Juli devenu *Feurjus puis une métathèse ( « déplacement ou interversion d’une partie d’un mot qui altère l’ensemble. P.ex. le latin scintilla est devenu stincilla pour donner le français étincelle » ) qui donne Fréjus.
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Vence et son habitat circulaire autour de l’église Vencès : le nom de ce pays est issu de celui de Vence dont l’étymologie est pour le moins controversée. La première attestation Ouintion date du IIè siècle, suivie de civitas Vintiensium vers 400 ( avec ce fameux suffixe -ensem), de Ventio en 585, etc. Il pourrait s’agir d’un anthroponyme gaulois Venutius (hypothèse soutenue dans la Toponymie générale de la France, Ernest Nègre, éd. Droz, 3 volumes, 1990), mais l’absence du suffixe habituel -acum ou –anum fait obstacle ou d’un thème pré-celtique vin-t-, « hauteur », le même qui aurait donné son nom au Mont Ventoux ou à la Sainte-Victoire près d’Aix nommée Venturi à l’époque romaine ( hypothèse soutenue dans le Dictionnaire des noms de lieux de France, A. Dauzat et Ch. Rostaing, Larousse, 1963). Une autre hypothèse fait appel à une dédicace découverte à Vence où on lit Vintio Marti : il s’agirait alors du nom d’une divinité ligure assimilée ou associée au dieu romain Mars. Les choses se compliquent quand on connaît la colline de Vens ( ou Vence ) à Seyssel en Haute-Savoie où l’on a trouvé la dédicace Deo Vintio Polluci, associant alors Ventius à Pollux. Notons pour finir qu’il existe en France plusieurs rivières qui portent le nom de Vence ( Isère, Ardennes, etc.). Sachant que les Gaulois faisaient des rivières une divinité, il est difficile de trancher entre un hydronyme ou un nom de déesse sans doute issu de l’ indo-européen *suento, « vif, robuste, sain » ( hypothèse soutenue dans le Dictionnaire des noms de lieux de la France, par Pierre-Henri Billy, éd. Errance, 2011.)
- Glandevès : ce pays qui s’étend sur les Alpes-Maritimes et les Alpes-de-Haute-Provence doit son nom à un tout petit hameau de la commune d’Entrevaux nommé Glandèves qui était le siège d’un important évêché entre 541 et 1789. On trouve Glannativa au IVè siècle, du gaulois glann, « vallée » suffixé -ate-iva qui désigne la vallée du Var. Le nom du pays, ecclesia Glannatensis en 541 a été formé, comme les précédents, avec le suffixe -ensem.

En 1860, en échange de son soutien à la Maison de Savoie dans sa marche vers l’unité italienne, le Second Empire de Napoléon III reçoit le Comté de Nice. Ce dernier étant jugé trop petit, on détacha du département voisin, le Var, l’arrondissement de Grasse pour créer le nouveau département des Alpes-Maritimes. La conséquence, que tout le monde connaît, est que le département du Var porte désormais le nom d’un fleuve qui coule chez son voisin …