De l'église

Voici le deuxième volet de la série consacrée aux lieux de culte chrétien.

Le grec ἐκκλησία ( ekklêsia ) qui désignait l’assemblée des citoyens a été repris en latin —  ecclesia —  pour désigner l’assemblée des fidèles chrétiens, l’Église, puis, par métonymie, pour désigner le bâtiment dans lequel ils se réunissaient, l’église.

L'église de Saint-Martin-de-Moissac considérée comme la plus vieille de France
L’église de Saint-Martin-de-Moissac considérée comme la plus vieille de France

« Église » apparaît tel quel dans plusieurs toponymes soit en premier élément d’un nom composé à L’Église-aux-Bois (Corr.) et Les Églises-d’Argenteuil (Char.-Mar.) soit en deuxième élément comme à Sainte-Mère-Église (Manche) ou à Colombey-les-Deux-Églises (H.-Marne).

Un peu d’humour

Se nommaient Églé l’une et l’autre
Et le colonel bon apôtre
À chacune donne un baiser.
Moralité : Colon bise les deux Églé.
( Luc Étienne )

« Église » a pu être déterminé par l’adjectif « neuve » : Égliseneuve-d’Entraigues, É.-des Liards, É.-près-Billom  ( P.-de-D), etc. Le plus souvent, l’adjectif est placé avant comme à Blanche-Église (Mos.), Neuvéglise (Cantal) ou Neuf-Église (P.-de-D.), Vieille-Église (P.-de-C.) ou encore Manéglise ( Seine-Mar., Magneglisa au XIIIè siècle, avec l’ancien français magne issu du latin magnus, « grand »).

Méréglise ( Eure-et-L., Mater ecclesia en 1250 ) est sans doute une « église qui en a fondé d’autres » ou, plus probablement, une « église qui avait des annexes ». On connaît aussi cette ville sous le nom que lui a donné Proust dans La Recherche : Méséglise. Fin connaisseur en toponymie ( cf. Balbec ), Proust a choisi un nom parfaitement vraisemblable avec le premier élément més, « maison », du latin ma(n)sionem. Méséglise, c’est la maison consacrée, devenue église.

Avec un nom de personne germanique on trouve Nompatélize (Vosges, Norpardi ecclesiae en 1140, de Norpert ) et Contréglise ( H.-Saône,  Conteriglisia en 1196, de Cundherus ).

Les diminutifs, issus du latin ecclesiola, ont été utilisés comme à Églisolles (P.-de-C.) ou Égriselles (Yonne). Ces diminutifs comptant une syllabe de plus, on entreprit de les raccourcir par la tête comme à Glisolles (Eure), Griselles (C.d’Or, Loiret), Lagleygeolle (Corrèze, avec agglutination de l’article, ce qui en fait un diminutif assez long …) ou Laguiole ( Aveyron). Le -g- a disparu à son tour dans le nom de Lalizolle (Allier).

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Laguiole

Les chrétiens grecs se sont rendus très tôt sur les bords du Rhin et du Danube où ils ont entrepris d’évangéliser les Germains. Ils leur apprirent le mot κυριακόν, ( kuriakon), « maison du Seigneur ». Prononcé kiricha  par les autochtones, il se répandit dans tout l’espace germanique sous les formes  kirche, kirk, church, etc.  C’est ainsi qu’on le retrouve en Alsace-Lorraine  sous la forme -kirch ou -kirchen précédée d’un adjectif comme à Altkirch  ( H.-Rhin, avec alt, « vieux »), d’un nom de rivière comme à Illkirch (B.-Rhin) ou d’un nom commun comme à Wolfskirchen ( B.-Rhin, « église des loups » ou peut-être « église de Wolfo », un Germain).

Un peu d’humour

Deux légendes locales essaient d’expliquer le nom de cette dernière ville : selon la première, une louve aurait mis bas dans la petite chapelle élevée à l’emplacement de l’actuel édifice ; selon la seconde, il aurait fallu chasser une louve qui avait choisi les fourrés où on projetait de construire l’église comme tanière pour y abriter sa portée. Notez que dans les deux cas on, dans son infinie sagesse,  a choisi la louve, comme à Rome, plutôt que le loup. De là à dire qu’il s’agissait d’un lupanar

Chez les Normands, kirkja, « église », a donné  Cricqueville (Calv.), Querqueville (Manche), Carquebut (Manche), Criquebeuf (Eure), Cricqueboeuf (Calv.) et Criquetot (S.-Mar), cf. ce billet. En Flandre, le mot a évolué à -kerque que l’on retrouve dans Coudekerque (Nord, avec le flamand koud, « froid»), Zutkerque (P.de-C., avec zuydt, « sud ») et, bien sûr, Dunkerque ( Nord, avec le flamand dunen  d’où nous vient la « dune »,  le flamand étant lui-même un emprunt  au gaulois dunos, « hauteur »).

Enfin, « église » a disparu du nom de La Canourgue (Lozère) qui était une ecclesia canonica (1060 ), une « église collégiale ».

Que les Bretons me pardonnent de ne pas avoir parlé d’eux  puisqu’ils ont eu la primeur du sujet avec ce billet-ci. ( pour lan, il faudra attendre le billet consacré aux monastères).

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