Nîmes et la romanité

Le temps printanier fort agréable, magnifié par une fort bienvenue mise au repos du mistral, était une véritable invitation à la balade : un petit tour dans la garrigue gardoise en début de matinée pour commencer puis une halte à Nîmes pour y découvrir le tout neuf musée de la Romanité, face aux arènes.

Le musée est à tous points de vue remarquable. Sa situation en plein centre ville face aux Arènes, à deux pas de la Maison Carrée ; son architecture moderne de bois, acier et verre ( Elizabeth de Portzamparc ) ; son agencement, son éclairage, ses animations virtuelles, ses animations didactiques ; la diversité impressionnante et le nombre considérable des pièces exposées … tout est fait pour satisfaire la curiosité du visiteur et lui procurer du plaisir. Nous y avons passé plus de trois heures sans avoir pu tout voir : plusieurs autres visites seront nécessaires… d’autant plus que le restaurant au deuxième étage avec vue panoramique sur les arènes vaut lui aussi le détour !

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Les arènes de Nîmes vues du musée de la Romanité

Une autre photo, prise du toit-terrasse, avec la tour Magne en point de mire :

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( De G. à D. : le clocher de l’église Saint-Paul, la Tour Magne, le dôme du lycée Alphonse-Daudet et les arènes )

Et maintenant un peu de toponymie, parce que c’est vous.

Le quatrième Gobelet de Vicarello, daté de 17 a. J.-C., nous donne la première attestation du nom de Nîmes sous la forme Nemauso. Ce nom sera repris une dizaine d’années plus tard par Strabon qui écrit Nεμαυσος ( Nemausos ). Ce nom rappelle évidemment celui de Nemours ( Seine-et-Marne ), attesté Nemausus en 840 dans un acte de Charles le Chauve.

Dans les deux cas, la ville antique est centrée sur une source sacrée. Dans les deux cas, on y trouve le radical gaulois *nem-, « sanctuaire », muni du suffixe gaulois –auso.

Pour Nemours, l’évolution du nom s’est faite avec l’accentuation latine sur la pénultième. Nemausus est passé à Nemors par rhotacisme ( le même qui a fait de velosus, « velu », notre « velours » ) dès le XIIè siècle et la graphie Nemours apparaît au début du XVIè siècle.

Pour Nîmes, l’évolution s’est faite avec l’accent gaulois sur l’antépénultième. Nemausus est passé à Nemosu puis, en occitan, à Nemse ( 1168 ) et Nems au début du XIIIè siècle. La forme française Nimes, attestée en 1357, est issue des formes latines tardives Nimis de la fin du XIè siècle. La graphie Nismes de 1370 est un croisement entre les formes provençale et française Nemse et Nimes, avec métathèse  du -ms- en -sm-. C’est cette forme Nisme qui a entraîné régulièrement la graphie actuelle Nîmes, officielle depuis 1801.

Reste à comprendre le sens précis du gaulois * nem-. Trois hypothèses  peuvent être évoquées, toutes faisant appel à une racine indo-européenne ( J. Pokorny, Dictionnaire des étymologies indo-européennes, Bern-München, 1959-69, 2 vol. ) :

  • nemetum signifierait « lieu sacré, sanctuaire », son sens initial étant plus probablement « bois sacré », les celtes vouant un culte aux arbres en général et à l’aulne en particulier. Il serait issu de l’indo-européen * nemos, « bois sacré ». (Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, p. 233 – 234, Paris, 2003 ).
  • *nemo signifierait  « ciel ». Il se rattacherait à l’indo-européen *nem, « courber » — cf. la voûte céleste — qui aurait donné *nemeto (id., p. 234 – 235 ).
  • *nemo serait issu de l’indo-européen * nebh, « humide, eau », cf. les nombreux appellatifs signifiant nuage en grec, latin ( nebula ), germanique, celtique …  ( P-H. Billy, Dictionnaire des noms de lieux de France, p. 401, Paris, 2011 ).

Dans le cas qui nous intéresse, c’est sans doute le troisième étymon qu’il faut évoquer : il a été utilisé pour désigner la source sacrée, anciennement le Vistre dite aujourd’hui La Fontaine, vouée au dieu topique Nemausus  et aux « mères » Matres Nemausicae, comme en attestent plusieurs inscriptions trouvées sur place ( et visibles au musée ! ).

Le nom du Vistre, noté Vister en 941, est peut-être issu d’une variante vis- de vas- attesté au sens de source à Vaison-la-Romaine ( Vasio au IIè siècle) ou ves- attesté entre autres dans le nom de la Vésubie, affluent du Var, ou de la Vézère ( Visera en 889 ), affluent de la Dordogne.

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Le gaulois nemetum, au sens de sanctuaire, a produit d’autres toponymes comme, par exemple, le premier nom de Clermont-( Ferrand ) attesté au  Ier siècle av. J.-C., Augustonemetum, le « sanctuaire d’Auguste ». Un prochain billet  sera consacré à ce nemetum, ne vous précipitez pas !

Et je ne serais pas complet si je ne citais pas les Némètes, établis outre-Rhin à Noviomagus Nemetum ( le «  nouveau marché du sanctuaire » ), aujourd’hui Spire.

Vous attendiez une devinette … mais je suis en panne sèche (avec toutes ces sources, c’était bien la peine! ), l’écriture tardive de ce billet ayant pompé ( ahah ) toute mon énergie post-prandiale.

Il vous faudra attendre mardi, vous m’en voyez fort marri.

10 commentaires sur “Nîmes et la romanité

  1. NÎMES
    Selon Xavier DELAMARRE (« Noms de lieux celtiques de l’Europe ancienne »), « les ethniques et dérivés gallo-grecs Ναμαυσατις et Ναυμαυσικαβο montrent que la forme originelle était *Namauson ».
    Selon Jean Sylvestre MORABITO (« Atlas de la Ligurie primitive, Essai de reconstitution d’une toponymie originelle protoceltique »), « la plus ancienne forme connue est NAMAUSATE, composé du substrat nab/nam (courber, voûte céleste, monde d’en haut,ciel, céleste, divin, sacré) + al (eau) + ate (enclos, enceinte) > * namalisate (l’enclos de la source divine ou sacrée).

    NEMI
    Tous les lecteurs du « Rameau d’or » de Frazer ont a l’esprit la curieuse façon dont le roi-prêtre chargé du sanctuaire de Diane dans le bois sacré de Nemi (rex nemorensis) était nommé.

    ————————————————————————
    À brosseur
    Cette Queen Anne’s War fut pleine de micmacs !

    TRA

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  2. Second rectificatif.

    Dans l’étymologie proposée par Morabito, j’ai mal recopié et il faut lire :
    nab/nam (courber, voûte céleste, monde d’en haut,ciel, céleste, divin, sacré) + al (source) + is (eau) + ate (enclos, enceinte) > * namalisate (l’enclos de la source divine ou sacrée)

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  3. TRA

    Le premier nom attesté de Nîmes est bien Namasat sur une monnaie gauloise et on trouve ensuite Namausautis à l’époque mérovingienne. ( cf. mon prochain billet pour les détails ).
    Ce ne sont pourtant pas ces noms qui sont à l’origine de celui de Nîmes, mais bien l’appellation Nemausus donnée par Strabon, ainsi le veut l’évolution phonétique… Namasat aurait donné Names ou Nâmes. Ceci explique que je ne citais pas ces formes dans mon billet.

    En ce qui concerne Nemi, il faut plutôt y voir le latin nemus , d’abord simplement « forêt » puis « bois consacré à une divinité » chez Virgile, plutôt que le gaulois nemetum . Nemi était en effet simplement appelé Nemus au Moyen Âge (on trouve par exemple massa Nemus ou castrum Nemoris).

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  4. L’étymologie de Namausate proposée par S. Morabito me semble suspecte. Chercher une signification syllabique à des noms me semble en effet une démarche hasardeuse là où un étymon ( nam /nem- ) accompagné du suffixe gaulois -auso bien attesté par ailleurs et d’un deuxième suffixe -ate lui aussi bien connu suffisent amplement.
    À couper les mots en syllabes, on peut leur fait dire ce qu’on veut, non *? Bon , S. Morabito a écrit un Essai de reconstitution d’une toponymie originelle protoceltique . Un essai. Dont acte.

    * Ça me rappelle un certain Dudu dont le pseudo rappellera peut -être quelque chose aux anciens de ce blog et de LSP.

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  5. Morabito, qui n’est pas linguiste de formation, me semble être un compilateur et un amateur passionné, doté d’une obsession : voir du ligure partout. Mais il s’appuie sur le travail de spécialistes et son travail ne me semble pas du tout fantaisiste.

    Sur la méthode qui consiste à découper les mots (en isolant des syllabes, voire des sons isolés, résultats dus à l’évolution phonétiques de formes plus complexes), je ne vois pas où est le problème : c’est ce que nous faisons en analysant la forme amabam de la première personne du singulier de l’imparfait de l’indicatif du verbe amare (« aimer ») en latin en la scindant en am (racine) +a (voyelle thématique) + b (reste d’un ancien verbe ‘être », qui se retrouve dans l’anglais « to be » et dans l’allemand « ich bin », et servait à un stade très archaïque à former un futur périphrastique, comme c’est le cas avec le verbe aller en en français dans « je vais faire ») + a (marque de l’imparfait) + m (marque de la première personne du singulier), qui, dans les langues indo-européennes , peut se retrouver sous une forme pleinement lexicale (et non comme simple morphème grammatical), comme le latin « me », « mihi », ou le français « moi » et l’allemand « mir ».

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  6. Non, TRA, ce n’est pas ce que nous faisons tous! En tout cas, ce n’est pas ce que je fais. Je ne suis ni linguiste , ni spécialiste en onomastique, ni rien de tout cela, ni même un amateur « éclairé ».
    En revanche, mon bon sens me dit qu’à trop découper les mots (jusqu’au lettre par lettre … ) on finit toujours par trouver une signification particulière à une syllabe si on choisit bien de quels mots on l’extrait, mais elle prendra une toute autre signification dans d’autres mots. Il me semble plus raisonnable de chercher dans un mot une ou deux racines et des pré- ou suffixes. Le reste me dépasse, voilà pourquoi je ne vais pas plus loin…

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  7. « on finit toujours par trouver une signification particulière à une syllabe si on choisit bien de quels mots on l’extrait »

    Il va de soi qu’il ne s’agit pas de travailler sur des mots (ou d’anciens mots) isolés ou soigneusement triés, mais de mettre en relation (en utilisant la méthode comparative) le plus grand nombre de mots, de faits linguistiques et de lois phonétiques de langues apparentées.

    C’est ainsi que, même sans avoir d’attestations écrites, on pourrait, en comparant les formes latines et les formes homologues des langues-filles, que sont les langues romanes, postuler un futur périphrastique de basse-latinité « amare habeo » > « amarayyo » (en pan-roman, avec soudure et évolution phonétique régulière) > « aimerai » (en français) : on peut donc dire que la syllabe -rai a une valeur particulière, mais cela n’est nullement arbitraire.

    De même, si l’on ne disposait que de la forme orale, on pourrait dire des toponymes « Eaux-Vives’ (quartier de Genève) et « Aygues-Mortes », dont la première partie n’est que d’une syllabe (du moins pour un locuteur de la moitié nord de la France), que celle-ci dérive, dans les deux cas, du même étymon latin « aqua », qui a évolué différemment dans deux zones géographiques distinctes, et donc raisonnablement supposer que le sens en est « eau ».

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  8. Votre dernier exemple, TRA , est tout à fait conforme à ce que je dis: deux mots formés de deux racines assemblées ( eau + vive, aigue+morte ) qui permettent d’en expliquer le sens et de trouver une similitude entre eau et aigue.
    Descendre à un niveau inférieur ( syllabique voire alphabétique ) me paraît très spéculatif et, en tout cas, hors de ma portée*.

    * j’ai déjà assez de mal à me dépatouiller des pré-indo-européen, indo-européen, pré-latin et pré-celtique, celte, ligure, ibère et autres joyeusetés !

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