Le « mago» bien caché de Longjumeau

Le mot gaulois magos a d’abord désigné un simple champ, puis un champ de foire, un marché et enfin le village ou la ville qui se développèrent autour de ce marché.

C’est un mot que l’on ne trouve qu’en composition, où il occupe la seconde place, et il faut bien le chercher car il s’est presque totalement effacé avec le temps. Les Gaulois mettaient en effet l’accent tonique sur la dernière voyelle -o- du premier élément : les finales en -ômagos se sont donc  transformées en -ômos pour finalement être réduites au simple son -on, -an ou -en (c’est ce qu’on appelle faire une économie de marché). La distinction n’est donc pas aisée entre une finale issue d’-o-magos et celle issue d’un simple suffixe comme –onem, par exemple : seules les formes anciennes permettent alors de lever le doute.

Accompagnant un nom de personne gaulois, magos a fourni plusieurs toponymes : Carantos ( « celui qui est aimé, chéri ») a donné Carantomagos devenu Charenton (Cher) et Charentan ( Manche ) mais pas Charenton-le-Pont ( Val-de-M.) dont aucune des formes anciennes ne fait état d’un magos : il s’agit donc plutôt d’un  Carantone, forme simplement suffixée de Carantos. Blatos ( de blato, « farine », sobriquet d’un meunier ?) a donné Blatomagos devenu Blatomo à l’époque mérovingienne et Blond (H.-Vienne) aujourd’hui. Briennos ( cf. brennus, « le corbeau ») a  donné Briennon (Loire) et Brienon-sur-Armançon (Yonne). Condos  ( « le sage » )  est à l’origine de Condomagos soit Condom ( Aveyron, Gers). Que Condom soit issu du nom d’un oxymorique « sage gaulois » me réjouit ( si quelqu’un a l’adresse de Wolinski …).  Broccus ( « le blaireau » ) est à l’origine de Brocomagos ( IIè siècle) devenu Bruocmagad en 770, Bruomat en 973 et Brumat en 1199 : c’est aujourd’hui Brumath dans le Bas-Rhin. Rares sont les toponymes formés avec le gaulois magos  accompagné d’ un anthroponyme latin : on peut citer Clion (Indre ) qui vient de Claudiomagos formé sur Claudius et Senlis qui s’est d’abord appelée Ratomagos  ( IIè siècle, du gaulois rat-, « forteresse» ))  puis Augustomagus au IVè siècle, du nom de l’empereur, avant de prendre le nom du peuple Silvanectes dont elle était la capitale.

On trouve aussi magos avec des noms communs. C’est ainsi qu’argento, « argent » ( le métal ou la couleur) a donné Argenton-sur Creuse (Creuse) et Argentan ( Orne). Rix ou rig, le « roi » local, celui qui percevait sans doute les droits de marché, a donné plusieurs Rigomagos devenus Rians (Cher), Riom ( P.-de-D., Cantal) et Ruoms (Ardèche). Associé à cassanos, «le chêne » Cassanomagos a évolué en Chassenon ( Charente), tandis qu’eburos, « l’if », a fourni Eburomagos, devenu après quelques simplifications, dont je vous passe le détail, Bram ( Aude). Plus étonnant, on trouve magos associé  à catu, « combat » ( cf. le breton kad, de même sens), dans Catumagos dont on ne sait pas très bien de quoi il s’agit : le Marché du combat ? la Place d’armes ? le Champ de bataille ? C’est en tout cas l’origine des noms de Cahan ( Orne), Cahon ( Somme) et surtout de Caen (Calv.). Les noms de Pont-de-Ruan (I.-et-L.), Rom (Deux-Sèvres), Rouen (Seine-Mar.) et Ruan (L.-et-C., Loiret) sont d’anciens Ratomagos ou Rotomagos dont le premier élément reste difficile à interpréter. Outre l’hypothèse d’un nom de personne, rato peut signifier « forteresse » et  roto peut signifier « roue » ou « course » : un marché fortifié,  un champ de courses ?

Le Château de Nogent-le-Rotrou, par François Edmée Ricois, 1795-1881
Le Château de Nogent-le-Rotrou, par François Edmée Ricois, 1795-1881

Une dernière catégorie concerne les cas où magos est précédé d’un adjectif comme seno, « vieux », qui a fourni Senomagos devenu Senan (Yonne). La série la plus longue est celle dérivée de Noviomagos, « le Nouveau marché » — à comparer aux Neuville ou Villeneuve plus tardifs — , qui a fourni  Nouvion ( Somme, Aisne ), Novion (Ard.), Noyen (Sarthe, S.-et-M.), Noyon (Oise), Nyons (Drôme), Néoux (Creuse), Nijon (H.-M.), Nojeon (Eure), Nogent-le-Rotrou (E.-et-L ) et Nogent-sur-Vernisson (Loiret). Les autres Nogent sont issus du gaulois novientum, de novio, « nouveau » et suffixe -entum, désignant une nouvelle agglomération. Reste Gien ( Loiret) qui serait issu d’un Giemagos dont la signification nous échappe

Et j’en termine avec Longjumeau qui est un excellent exemple des caprices de la transmission des noms. Longjumeau est un ancien Noviomagos. Le passage du -vio- en -jo- est habituel  et se retrouve par exemple dans Divione ( nom d’homme Divius et suffixe –onem)  devenu Dijon. Par le jeu des accents toniques gaulois Noviómagos s’est donc d’abord transformé en Noviômo puis en Nogeom, Nogeon. À ce stade, la dernière finale peut alors s’ouvrir pour donner Nogen(t). Mais, dans le cas qui nous intéresse, Nogeom s’est vu suffixé par le diminutif -ello pour devenir Nogemello, sans doute pour le différencier d’une ville plus importante dont on a perdu la trace. Nous sommes-là au début du Moyen Âge où existe déjà le mot gemello, issu du latin gemellus, « jumeau ». C’est pourquoi on a cru pouvoir interpréter le nom du village, en le modifiant un peu en Nongemello, comme « village sans jumeau, sans pareil ». Plus tard, gemello devint « jumeau » et le village s’appela Nonjumeau mais, dès le début du XIIIè siècle, on trouve par attraction paronymique la forme  Longjumel et enfin Longjumeau qui sera adoptée définitivement.

culdeco

Et, naturellement, puisqu’il est question de marché et que tout finit, toujours, en chanson vous attendiez l’Hécatombe de tonton Georges. La vidéo, visible sur you tube n’est pas « intégrable » . Me voilà fort marri.

Alors, restons dans le Midi, mais un peu plus à l’est …

4 commentaires sur “Le « mago» bien caché de Longjumeau

  1. Vous nous avez déjà habitués à des billets très intéressants comme celui de « mago », certes, un faux ami pour un Espagnol, surtout s’il est caché. Et c’est vrai qu’il y a des caprices quant à l’évolution des noms. Parfois il doit être très difficile pour les spécialistes de savoir quelle est l’origine de certains mots et ce billet est un bon exemple.
    Un d’eux qui m’a frappé est « Augustomagus » parce que, si je ne me trompe pas, ce nom d’empereur qui est dans autres villes* était rapporté à Auguste, en général à cause d’être le fondateur. Au IVème siècle ce mot n’était qu’un des titres des empereurs, mais aussi usité que indéfini ou peu concret. C’est clair qu’il ne s’agit pas non plus de Claude I ni II ; comme l’on peut déduire de votre texte, l’anthroponyme latin sera plutôt relié avec un autre homme moins césarien, disons un « pontifex minimum ».

    * Nos villes Mérida (Emérita Augusta) et Zaragoza (Caesar Augusta) sont des bons exemples, la première ayant perdu la mention impériale tandis que la deuxième l’a assimilée.

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  2. ► Jesús

    En ce qui concerne l’ancien nom Augustomagos de Senlis, l’histoire est un peu plus compliquée.
    Augustomagos est le nom de Senlis au Ier siècle en hommage à l’empereur , vite supplanté par Rotomagos ( Ptolémée au IIè siècle).
    Ce n’est que plus tard, vers 400, que le nom du peuple gaulois s’imposera pour nommer la ville : Augustomagus Silvanectum ( « le marché d’Auguste des Silvanectes») deviendra simplement Silvanectas.

    Cf. ce billet.

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  3. Maintenant mon doute est dissipé. Alors il s’agissait du premier empereur, celui qui est l’éponyme de villes le plus usité à ma connaissance. Seulement dans ma région il y avait deux villes : « Augustobriga » et notre capitale déjà citée qui était aussi la capitale romaine de la moitié d’Hispania.

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  4. Jesús
    le tout prochain billet ( ce soir ou mardi ?) est consacré à Auguste et aux autres empereurs — en France.

    Il sera suivi, sans doute la semaine prochaine, par un billet sur les toponymes étrangers.

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