La plupart de mes lecteurs sont parvenus à résoudre ma dernière devinette. Bravo à tous !
Il fallait trouver Rânes, un village du bocage normand, dans l’Orne.
Le château de Rânes
Les formes anciennes du nom attestées sont rares : Sancta Maria de Raana en 1086 et Rana (en 1335). On trouvera ensuite le plus souvent la forme Rasnes dont le -s- médian sera remplacé dès le début du XIXè s. par l’accent circonflexe pour faire Rânes.
Sans étymologie assurée, les habitants du lieu ou des savants du coin ( sans doute les moines de Sainte-Marie… ) en forgèrent une de toutes pièces : ils rapprochèrent le nom de leur village du latin răna, æ, « grenouille », et le tour était joué !
C’était oublier que les Romains formaient leurs toponymes animaliers en s’aidant le plus souvent du suffixe –aria, « aire, territoire » : ainsi vacca, « la vache », a donné des vaccaria devenus Vachères, Vacherie, Vacquerie, etc. ou cŏlŭbra, « la couleuvre », a donné colubraria devenu Collobrières ( Var). Un endroit où abondent les grenouilles aurait logiquement dû s’appeler ranaria … On trouve d’ailleurs une Ranerie à Goupillières (du latin vulpicum, « renard » et –aria , Calvados) et Les Ranières à Chassy ( Cacius et -acum, Cher). ( Nous verrons dès demain dans un nouveau billet d’autres toponymes liés aux grenouilles ).
Qu’à cela ne tienne! On y fit sien cette étymologie populaire et, quand fut le temps de choisir les armes du village, on fit un blason « Écartelé de gueules et d’argent, aux trois grenouilles contournées au naturel brochant sur l’écartelé, celle de la pointe plus grosse » :
« Celle de la pointe plus grosse » ( je n’ai pas pris mon pied à coulisse pour vérifier le rapport exact, me contentant d’un « deux fois plus grosse » estimé au pifomètre et vu qu’elle occupe deux quarts de l’écu contre un seul pour les deux autres grenouilles) puisqu’il fut adjoint à ce blason la devise in bovem rana mutatur, quamvis semper nomine rana (« elle a beau vouloir se changer en bœuf, elle sera toujours grenouille ») inspirée par la fable d’Ésope :
La commune actuelle a simplifié ses armoiries en ôtant une des petites grenouilles mais a toutefois conservé la devise :
Les habitants ont été appelés « Grenouilles » par leurs voisins qui, ne manquant pas d’imagination, les ont aussi blasonnés comme « les Cranes de Ranes » ( Canel A., Blason populaire de la Normandie, éd. A.Lebrument & Le Gost-Clérisse, 1859, 2 vol. ).
La mairie parle aujourd’hui de Grenouillards …
Les indices se comprennent aisément :
- Ésope pour la fable ;
- Love is all, extrait de The Butterfly Ball and the Grasshopper’s Feast, pour la grenouille.
Le dessin du blason, cliquable, est issu du site l’Armorial des villes et villages de France, avec l’aimable autorisation de son auteur, Daniel Juric .