L’aulne ( troisième partie )

Comme promis, j’aborde aujourd’hui la présence de l’aulne dans les toponymes en langue régionale, après avoir vu l’alnus latin et le vernos gaulois.

Alsacien

En alsacien, l’aulne se dit erle, un mot qui est à rattacher à la racine indo-européenne al/el d’où vient aussi l’alnus latin. Le hameau d’Élaire, regroupé dans la commune de Chalandry-Élaire ( Ardennes ) était noté Erlers en 1312, des germaniques erl, « aulne », et lar, ler, « clairière ». Elbach ( H.-Rhin ), que l’on trouve écrit Elnbach en 1271 et Ellenbach l’année suivante, pourrait être issu de erl, « aulne », et bach, « ruisseau », comme des lieux-dits Erlenbach à Jungholtz, à Lautenbach  (H.-Rhin ) ou le ruisseau du même nom à Albé ( Bas-Rhin). Sur le même modèle, on trouve des lieux-dits Erlenacker ( à Ostheim, H.-Rhin, avec acker, « champ »), Erlenweiher et Erlenboesch ( à Drusenheim, Bas-Rhin, avec weiher, « étang » et busch, « buisson» ), Erlenboden ( à Neuwiller, H.-Rhin, avec boden , « fond » ), Erlenwald ( à Altkirch, H.-Rhin avec  wald, « forêt » ), etc.

Notons que le nom-même de l’Alsace trouve son origine dans l’ancien nom de l’Ill qui la traverse de bout en bout et dont le cours supérieur était appelé Alsa au Xè siècle, du gaulois aliso,  « eau, cours d’eau, lieu humide » mais aussi « aulne » et « alisier » — dont il sera encore question dans le paragraphe suivant.

Basque

Le basque utilise altz pour désigner l’aulne, un mot à rapprocher de l’espagnol aliso. On retrouve là aussi cette base al-, à laquelle certains donnent le sens général d’ « eau, lieu humide », qui serait à l’origine de nombreux noms de cours d’eau ( comme l’Alz en Bavière ou Alsa, ancien nom de l’Ill qui donne son nom à l’Alsace),  mais aussi de l’alnus latin et de l’erl germanique et du gaulois aliso, « alisier ». La discussion entre spécialistes sur une origine commune ou pas de tous ces noms n’est pas close … Quoi qu’il en soit, du basque altz dérivent les noms d’Alçay-Alçabéhéty-Sunharette ( Pyr.-Atl. avec beheti, « en bas » et zunhar, « orme », avec suffixe collectif romanisé – ette ), d’Alciette ( anciennement alçu-eta, « aulnaie », dans Ahaxe-Alciette-Bascassan, Pyr.-Atl.), Halsou ( Halsu au XIIè siècle, Pyr.-Atl.), ainsi qu’Aussurucq ( Auçuruc en 1189, avec vocalisation gasconne de la consonne l tandis que le basque dit Altzürükü, et suffixe locatif uru, Pyr.-Atl.).

aussurucq
( Ahusquy : de ahuntz, « la chèvre » )

Le hameau d’Alsueta ( à Hasparren, Pyr.-Atl.) est, comme Alciette vue plus haut, une ancienne aulnaie. Le ruisseau appelé Alçaléguy ( à Alçay ) et l’Alcé ( à Saint-Martin-d’Arberoue, Pyr-Atl.) doivent avec certitude leur nom au altz basque. De nombreux autres hydronymes comme Alzou, Alzonne, Auzone, Ousseau ( Alsau en 1134 ) etc. pourraient aussi être des « rivières des aulnes ou des lieux humides »  mais la distinction d’avec le thème hydronymique celtique aliso n’est pas aisée ( cf. les noms d’Aussonce dans les Ardennes, d’Auxon dans l’Aube, d’Aussonne en Haute-Garonne, etc. qui sont sans doute à l’origine des hydronymes ).

Breton

Le breton a fait du gaulois vernos le mot gwern, d’où les noms de GuerWern en 836 ), Guern ( Guern en 1125 ) et Le Guerno ( Guernou en 1160, avec le suffixe -o à sens collectif ) tous trois dans le Morbihan et de Guerlesquin ( Finistère, avec un nom de personne). Vern-sur-Seiche (I.-et-V.), déjà vu à propos du vernos, est le témoin de l’origine celte de cette racine en Bretagne. En breton, le mot gwern signifie aussi « marais » ce qui fait que les très nombreux micro-toponymes simples ou composés qui en sont issus ( environ 700 ! ), commençant ou finissant par guern, comme Guermeur ( grand aulne ), Kervern ( village des aulnes ou des marais ), Penvern ou Penguern ( le bout du marais ), Tréguern ( paroisse, village du marais ou de l’aulne), Lesguern ( le bord du marais ), sont difficiles à préciser.

Corse

La même racine indo-européenne al(is)- , qui a donné le basque altz et l’espagnol aliso , est à l’origine du  corse alzu ( variante arzu ) pour désigner l’aulne, d’où alzetu pour l’aulnaie. Ici aussi, la frontière est floue avec alisu qui peut aussi bien désigner un lieu humide, voire un cours d’eau, que l’aulne lui-même. Les micro-toponymes sont peu nombreux mais on peut citer le plateau d’Alzu ( à Corte ), le cap d’Alzu ( à Levie ), L’Alzu di Gallina ( à Porto-Vecchio ), l’anse d’Alizu ( à Morsiglia), Arzula ( Ajaccio ), etc. et une quantité encore plus importante d’Alzetu ( à Sari-d’Orcino, Olmeto, San Pietro, etc.). Les hydronymes sont tout aussi fréquents avec des Fontaines d’Alzu ( Manso, Tavera, etc.), d’Alzeta ( Vezzani, La Porta) ou encore d’Alzetana ( Croce ), etc.

Les dialectes alpins

alnus viridis Propre à l’étage sub-alpin des Alpes en France, croissant sur les sols siliceux et humides, envahissant les surfaces à l’ubac et les prairies humides délaissées par les troupeaux, l’aulne vert ou aulne de montagne occupe une place à part dans cette énumération. Plusieurs noms vernaculaires lui ont été attribués dans les dialectes alpins :

  • arcosse ( argosse, arkoussa) :  ce mot savoyard désignant l’aulne  pourrait provenir d’une racine préromane *arg, « piquant, épine », que l’on retrouve dans le nom de l’argousier ou dans le basque arkatz, « buisson ». Les toponymes de type Arcosse(s), Argosse(s), Arcossier, Arcossière, Arcosset, Arcoussay, etc. se retrouvent principalement dans l’aire savoyarde, débordant légèrement sur l’Isère.
  • vérosse ( vérousse ) : d’un pré-latin veros apparenté étymologiquement au vernos gaulois, cet appellatif de l’aulne vert est employé dans le domaine savoyard, dans l’arc franco-provençal et dans le Queyras sous des formes très variées comme vorê, varoche, varosse, verosse,  que l’on retrouve dans de très nombreux toponymes comme Vérosse, Véroce, Varoce, Vorachère, Vérossier, Verossaz, Veret, Veray et bien d’autres— mais ceux situés en plaine sont plus probablement issus du gaulois verno. L’ancien Saint-Nicolas-de-Véroce ( aujourd’hui dans Saint-Gervais-les-Bains, en Haute-Savoie ) était noté Cura de Verossia en 1344, où on reconnait le pré-latin veros.
  • drose ( drause ) : d’une racine pré-latine *drausa, cet autre nom de l’aulne vert est employé en Savoie et dans les Hautes-Alpes et se retrouve dans des toponymes comme Drose, Droze, Droset, Drauzines, etc. Le nom peut avoir primitivement désigné, comme le vernos gaulois et l’alnus latin, un lieu humide avant de s’appliquer, par métonymie, à l’aulne lui-même.

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La devinette

Il vous faudra trouver un village de France métropolitaine dont le nom est formé de  ceux, reliés par un trait d’union, de deux communes qui ont jadis fusionné. Ces deux noms sont presque pléonastiques puisque le premier, issu d’une racine germanique, désigne des broussailles près d’un cours d’eau, tandis que le second désigne un lieu où poussent des aulnes.

Un seul indice :

indice c 12 04 20

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