La *rasigue

Après avoir vu la bouzigue puis l’artigue, je m’intéresse aujourd’hui à un autre mot relatif au défrichement, la *rasigue. Ne cherchez pas ce mot dans les dictionnaires : si je l’ai fait précéder  d’un astérisque, c’est qu’en réalité il n’existe pas ; ce sont les traces laissées en toponymie et anthroponymie par ses dérivés qui témoignent de son existence aux temps anciens.

Le latin radix a donné l’ancien français rais, raiz, rix et l’occitan raiç, puis a été remplacé par le bas-latin *radicina qui est à l’origine, après la perte du d intervocalique , de notre « racine». Cette forme est représentée en onomastique par des noms de familles comme Racine, Laracine et Rassinier désignant des marchands et/ou producteurs de légumes à racine (carottes, radis, navets, raves …) et par des toponymes comme Racines (une commune de l’Aube) et La Racineuse (une commune de Saône-et-Loire) qui n’entrent pas dans le thème du billet .

Cependant, le latin radix, outre qu’il a laissé son nom au « radis », est à l’origine d’une forme de l’ancienne langue radic et de sa variante féminin radiga, issues du bas latin *radicare, d’où l’ancien occitan radigar, « retirer les racines, arracher les racines ». Quand le d intervocalique de radic est passé à z, a été formé le verbe rasigar de même sens (d’où la *rasigue du titre pour rimer avec artigue et bouzigue). Ce verbe est toujours présent en gascon au sens d’« arracher » et le languedocien rasigada a le sens fondamental de « place nette » dans la locution fotre una bèla rasigada : en mettre un bon coup, en parlant d’un travail à faire ; ou bien, en mangeant, avoir raison d’un plat fort copieux. « Arracher (les racines) », « faire place nette » : c’est ainsi qu’on peut voir dans ce rasigada, collectif en –ada de rasic, lorsqu’il s’agit de toponymie, le sens de défrichement.

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Le radical radic, qui est comme on l’a vu le plus ancien, a été également le moins productif. On lui doit des noms comme le Radiguet (Romagny-Fontenay, Manche) ou Les Radiguets (Guitry, Eure) qui peuvent être des noms de famille, de même sens que celui vu plus haut, d’où des toponymes comme la Radiguerie (Mortrée, Orne) ou la Radiguelière (Saint-Maur-des-Bois, Manche).

Les formes issues de radic avec d passé à z sont plus nombreuses, avec une vingtaine de noms écrits avec un –z– et autant avec un –s-.  On trouve ainsi, avec le -z-, des noms comme Razigade (Gourbit, Ariège ; Castanet-le-Haut et Riols, Hérault ; Murasson, Aveyron), La Razigade (Paulinet, Lacaune et Lacaze, Tarn ; Rabat-les-Trois-Seigneurs, Ariège), le Razigal (Lavernhe et Séverac-d’Aveyron, Aveyron), Razigat (Brassac, Ariège) et les diminutifs Raziguet (Fourtou, Aude), Razigou (Lavelanet, Ariège) et Razigous (Esplas-de-Sérou, id.). C’est avec un –s– qu’on trouve le nom de la commune de Rasiguères (P.-O.) et des noms semblables aux précédents comme Rasigade (Lacaze, Tarn ; Calzan, Ariège …), La Rasigade (Le Soulié et Cabrerolles, Hér. …), Le Rasigals (Le Recou, Loz. …) et les diminutifs Le Rasiguet (Verdun-en-Lauragais, Aude), Rasigous (Noailhac, Tarn …) et Rasigot (Roquefort-les-Cascades, Ariège).

CPA-Rasiguères

Lorsque le terme rasigada a subi la réduction phonétique de –azig en –ayg puis –eyg sont apparus d’autres noms comme Reygade (une commune de Corrèze et des lieux-dits à Siran, Cantal  ; Saint-Bressou, Lot., …) ou Rageade (une commune du Cantal, vicaria Radicatensis et Ragades au Xè siècle, et un lieu-dit de Sembas, L.-et-G.). Il conviendra de faire la distinction d’avec Régades, nom d’une commune de H.-G. et de quelques lieux-dits, qui est issu de l’ancien provençal regada, de rega, « raie, sillon », d’où « terre labourée ».

On peut ajouter à ces noms de lieux des dérivés en –assa collectif comme Raygasse (Florentin-la-Capelle, Av. ; Thédirac, Lot), La Raygasse ( Vezels-Roussy, Cant.) et La Reygasse (Beauregard-et-Bassac, Dord. …). Il conviendra là aussi de faire la distinction d’avec les lieux-dits nommés (la) Régasse dont le nom est un collectif en –asse de rega, « raie, sillon ».

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Le même latin radix est à l’origine, avec le suffixe ex, du verbe bas latin exradicare, altération d’eradicare «  extraire la racine, déraciner » , d’où provient le verbe de l’ancien français esrachier et, par substitution de suffixe (a– indiquant l’action de tirer à soi), du verbe « arracher » avec le sens particulier  de « défricher » (pour les curieux, je précise que, tandis que le mot « éradication » est attesté dès 1370,  le verbe « éradiquer » est de formation récente, datée du milieu du XXè siècle par Le Robert]. C’est à partir de ce verbe qu’ont été formés des toponymes du type (L‘ ou Les) Arrachée(s) (Moncé-en-Belain, Sarthe etc.) et (L‘ ou Les) Arrachis (une soixantaine dans le Centre de la France, dont au moins quatorze rien que dans l’Indre, avec le sens de « lieu où ont été arrachés des arbres ou de la vigne »). On peut sans doute rajouter le nom d’Arâches-la-Frasse (H.-Sav.), dont il avait été question dans ce billet et son diminutif Arachon, un lieu-dit à Bonne dans le même département.

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La devinette

Il vous faudra trouver un lieu-dit de France métropolitaine dont le nom est lié au mot du jour.

La commune où se situe ce lieu-dit est née autour d’une chapelle grâce aux privilèges qui furent accordés à ceux qui venaient y défricher et travailler la terre et à la sécurité qui leur était garantie. Son nom, qui témoigne de ce qui précède, est accompagné de celui de la rivière qui la baigne, plutôt malpropre si on en croit son nom.

Le chef-lieu de canton est issu de la réunion de deux villages mentionnés dans son nom. Le premier porte le nom du martyr auquel fut dédiée l’abbaye autour duquel il se développa et le second porte un nom qui indique qu’on y faisait du fromage.

■ un indice pour la commune :

indice a 3 28 04 2024

■ un indice pour le chef-lieu du canton :

indice b 28 04 2024

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr

4 commentaires sur “La *rasigue

  1. Bonjour m Leveto

    m’étant rendu hier à la Féclaz ( Les Déserts ) , puis au belvédère du Revard , voici

    quelques toponymes qui m’ont surpris .

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    73 à La Féclaz , la teppe de LARCOUTIER ( teppe est déjà connu ) .

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    73 à La Féclaz , le chemin des TRIVES.

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    73 à trévignin, le NANDRION

     ( nant ? et xxx ? : rond ? )

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    73 à la thuile , la route de MORION .

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    73 à trévignin, lieu-dit VERLIOZ

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    73 à trévignin, VéNIPER .

    Hors Bauges

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    07 à saint-clément, VAHILLE

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    18 à châteaumeillant , rivière la SINAISE ( sinèze )

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    43 les estables , le Mont d’ALAMBRE

    43 les estables , LES INFRUITS

    —————

    54 à montauville, jezainville et maidières , la

    forêt de PUVENELLE.

    ———–

    39 à valzin-la-petite-montagne , la cascade de la

    QUINQUENOUILLE

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    39 et enfin , à dramelay

     le cirque de VOGNA-NéGLIA

     avec la pierre ENON .

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    Merci m Leveto , bonne recherche.

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  2. ► echogradient73

    ■ 73 à La Féclaz , la teppe de LARCOUTIER ( teppe est déjà connu ) .

    Même en tenant compte de l’écriture L’Arcourtier rencontrée plusieurs fois, ce nom reste un mystère total.

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    ■ 73 à La Féclaz , le chemin des TRIVES.

    L’occitan tribe, trive, variante de trève (du latin ter, « trois », et via, « voie ») désignait le lieu où aboutissaient trois voies, soit un carrefour.

    On peut aussi penser à une mauvaise coupure de l’ancien français estrive, « querelle, combat, lutte, bataille », pour désigner peut-être un terrain qui fut l´objet d´une contestation musclée.

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    ■ 73 à trévignin, le NANDRION

     ( nant ? et xxx ? : rond ? )

    En effet : ce hameau était appelé Nantriond en 1896, de nant, « ruisseau ou torrent dans une vallée creuse », issu du gaulois *nanto- (lui-même de la racine indo-européenne *nem-, « courber ») et du patois riond, cf. le vieux français réond, du latin vulgaire retundus, lui-même du latin rotundus, « rond, arrondi ».

    Les qualificatifs rond, riond, rion etc ne désignaient pas forcément des objets de forme parfaitement circulaire, mais plutôt d´une forme irrégulière.

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    ■ 73 à la thuile , la route de MORION .

    Il s’agit d’une montagne ronde, comme le Morion en Vallée d’Aoste, qui est noté Mont Rion sur la carte nationale.

    Pour rion, cf. le précédent.

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    ■ 73 à trévignin, lieu-dit VERLIOZ

    Probablement issu de berlioz par passage du b à v. Berlioz est issu du latin berula, gaulois berula, celtique *berura, d’où berle,« cresson des fontaines », accompagné du suffixe collectif –oz pour désigner une cressonnière. Berlioz comme Verlioz peuvent aussi être des patronymes, ce qui semble le cas ici (selon le chanoine Gros, Dictionnaire étymologique des noms de lieux de la Savoie).

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    ■ 73 à trévignin, VÉNIPER .

    Le nom est écrit Vénipert sur la carte d’état-major (fin XIXè siècle).

    Il s’agit d’un patronyme. Un certain Nicolas Veniperd est par exemple attesté à Aix-les-Bains au XIIIè siècle et un certain Vénippé était maire de Monthion (Savoie) en 1927. (Chanoine Gros, op.cit.)

    Hors Bauges

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    ■ 07 à saint-clément, VAHILLE

    Le hameau Vahilles (avec un -s) est attesté Vailles en 1612 et sur la carte de Cassini (feuillet 89, Le Puy, 1781). Il s’agissait vraisemblablement là aussi d’un patronyme, du latin vaieria, vaeria , « voirie », nom donné à un agent voyer. Le -h- est sans doute mis pour rendre la prononciation languedocienne vaïlle .

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    ■ 18 à châteaumeillant , rivière la SINAISE ( sinèze )

    Attestée Cinesiaen 1343, Cinize en 1410, Synaise en 1453 et enfin La Sinaiseen 1521.

    Sans doute du latin sinuosus, «  courbe, sinueux ».

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    ■ 43 les estables , le Mont d’ALAMBRE

    Ce nom avait fait l’objet d’un court paragraphe dans un billet du 25 juin 2023 consacré à quelques monts https://vousvoyezletopo.home.blog/2023/06/25/de-quelques-monts-ii/

    J’y écrivais :

    Mont d’Alambre : Alambretum au XIè siècle puis Mons Alambra en 1203, nom dans lequel on reconnait, faute de mieux, la racine pré-indo-européenne *al, rattachée à *cal, « pierre » et désignant plus particulièrement un « relief rocheux ».

    ■ 43 les estables , LES INFRUITS

    Les Effruits sur la carte de Cassini (feuillet 89, Le Puy, 1781)

    De l’ancien occitan enfruch, « usufruit », qui est aussi à l’origine du nom du lieu-dit Les Infruts de La Couvertoirade (Av.) qui était villa dels Effruchs en 1374 et Les Usufruitz en 1464 et du nom du lieu-dit Les Enfrux de Saint-Chély-d’Aubrac (id.). [correction effectuée après le commentaire de Jacques C. que je remercie pour sa vigilance]

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    ■ 54 à montauville, jezainville et maidières , la forêt de PUVENELLE.

    Attesté Les fourestreis de Pevenelles en 1265 et Peuvenelleen 1559.

    Dans leur ouvrage Noms de lieux du département de Meurthe-et-Moselle (éd. Des Régionalismes, 2021), Claude Michel et Michèle Benoit écrivent que « la forêt de Natrou, à Liverdun, et celle de Puvenelle (Pevenelles en 1265), à Jezainville et Montauville, portent un nom qui résiste à l’analyse ». Alors, vous pensez, moi …

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    ■ 39 à valzin-la-petite-montagne , la cascade de la QUINQUENOUILLE

    Selon plusieurs sites à vocation plus touristique que scientifique, cette cascade devrait son nom à une stalagmite en forme de quenouille que l’on peut voir à sa base. Mais cela n’explique pas la première syllabe du nom …

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    ■ 39 et enfin , à dramelay

    ♦ le cirque de VOGNA-NÉGLIA

    Vogna est déjà attesté sous ce nom dès 1309 mais sera mal orthographié Vognat sur la carte de Cassini (feuillet 116, Lons-le-Saunier, 1760), du nom d’homme latin Voconius, au féminin Voconia, sous-entendu villa ou terra.

    Source : Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques (1978 ) https://www.google.fr/books/edition/Bulletin_philologique_et_historique_jusq/olKkT9X06t8C?hl=fr&gbpv=1&bsq=vogna+voconius&dq=vogna+voconius&printsec=frontcover

    Néglia : le nom est écrit Négliat sur la carte de Cassini (feuillet 116, Lons-le-Saunier, 1760) mais on trouve semble-t-il la forme Nella au XVIIè siècle (https://www.google.fr/books/edition/M%C3%A9moires_de_la_Soci%C3%A9t%C3%A9_d_%C3%A9mulation_d/2lhTpWQc3b0C?hl=fr&gbpv=1&dq=%22n%C3%A9glia%22+jura&pg=PA575&printsec=frontcover). Si cette dernière appellation est exacte et si on la compare au nom précédent, on pourrait être ici en présence d’un nom d’homme latin comme Neleius, là aussi au féminin. On peut aussi penser à un dérivé du latin nigellus, « noirâtre ».

    ♦ avec la pierre ENON .

    Ce nom pourrait venir d’un celtique henon, « ancien, vieux » (cf. les bretons hen, « vieux » et hénan, « aîné», à rapprocher du grec ἔνος  ). La tradition locale parle d’une pierre des Anciens, des Sages …

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  3. Petit erratum :

    Le lieu-dit « Les Enfrux » est situé à Saint-Chély-d’Aubrac, et non pas à Saint-Chély-d’Apcher. Et, même si la graphie « Enfrus » est utilsée sur GoogleMaps, c’est le X qui est d’usage à la fin du mot. Je peux être assez catégorique sur ce point, ayant précisément actuellement à quelques mètres de moi l’un des habitants de ce hameau, y vivant depuis 50 ans et l’ayant toujours connu sous la graphie Les Enfrux.

    Il confirme toutefois qu’il a vu passer la forme (fantaisiste selon lui) « Enfruts », qui est finalement cohérente avec l’origine « Usufruits »… mais pas totalement si je comprends bien puisque le nom vient de l’occitan où ce T n’a jamais existé (!). Je note que le lieu était écrit « Les Enfreux » sur la carte de Cassini. Avec à l’époque un E supplémentaire… mais bien un X final !

    Je ne crois pas qu’il existe de lieu-dit « Les Enfrus » à Saint-Chély-d’Apcher — et les seules occurrences de ce prétendu lieu-dit proviennent toutes initialement d’un site de randonnées qui se gourre monstrueusement puisqu’il indique « Saint-Chély-d’Apcher » dans son intitulé de parcours alors que… la carte envoie bel et bien à Saint-Chély-d’Aubrac !

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