La première marche du podium

1200px-P1090451_Paris_V_arenes_de_Lutèce_rwk

Creusées dans le sol, les arènes étaient entourées d’un mur de pierre épais qui permettait d’offrir des sièges au spectateur, le podium.

Le mot latin podium désignait à l’origine le mur très épais formant plate-forme autour des arènes sur lequel on pouvait  installer plusieurs rangées de sièges. Par la suite ce mot a désigné toutes sortes de hauteur et s’est appliqué, en toponymie, à une colline au sommet plutôt arrondi voire plat  qui la différenciait du mons.

En Gaule, toutefois, ce mot n’a pas débordé, sauf exceptionnellement ( en Bretagne par exemple) au nord d’une ligne Nantes – Nevers – Nice.

Après la perte habituelle du -d- intervocalique ( comme Rhodanus a donné Rhône, cauda a donné queue, etc.) ce mot, devenu  quelque chose comme *po-ium, a connu des évolutions très variées selon les prononciations locales pour aboutir à des mots fort différents dont certains très éloignés du podium initial.

puycrouel_cenauvergne_pm_6_bd

Une colline au sommet plat : le Puy de Crouël ( Puy-de-Dôme )

La forme la plus répandue est sans conteste puy  ( l’accent sur le -i-  a fait disparaitre la finale -um et la transformation du -o-  en -u- a fait le reste) que l’on trouve à de très nombreux exemplaires, le plus connu étant sans doute Le Puy-en-Velay ( Haute-Loire), Le Puy dans le Doubs étant une des exceptions à ma frontière virtuelle. Le mot « puy »  a fini par être intégré au vocabulaire français comme terme de géographie, par exemple au Puy de Dôme, allant jusqu’à perdre sa majuscule pour devenir nom commun.

D’autres évolutions dialectales ont conduit à des noms aussi divers que  pech, puech, poey, pouey, pouy, etc. Et par simplification extrême on est parvenu à des formes aussi simples que pi ou .

Cette dernière forme que l’on trouve notamment en Haute-Garonne ( Péchabou, Péguilhan, etc.) s’est propagée jusqu’en Sarthe ( Notre-Dame-du-Pé) et en Bretagne où des lieux-dits portent ce nom, parfois transformé en pié voire pied.

D’autres évolutions ont conduit à des toponymes où l’on a du mal à reconnaître le podium. C’est le cas par exemple de Le Poil ( Poio en 1056, Alpes-de-Haute-Provence, qui dev(r)ait se prononcer poïl ou poïeul), de Le Pout ( Gironde) ou encore de La Pouge (Creuse).

Tous les podia n’étaient pas si hauts et certains méritaient même un diminutif:

  • avec -ittum on obtient des noms comme Puget ( Vaucluse), Puget-Théniers* (Alpes-Maritimes) ou Le Pouget (Hérault). Une particularité régionale a fait évoluer ce nom vers Poët que l’on retrouve à quatre reprises dans la Drôme ( Le Poët-Célard, Le P.-Laval, Le P.-en-Percip et Le P.-Sigillat) et une fois dans les Hautes-Alpes ( Le Poët).
  • Avec -eolum on a Poujols et Le Pujol-sur-Orb ( Hérault), Poyols (Drôme), Puyoo ( Pyrénées-Atlantiques) et d’autres exemples.

Ce mot se retrouve aussi  naturellement en Corse sous la forme Poggio, comme à Poggio-Marinaccio, P.-d’Oletta, P.-di-Venaco et quelques autres.

Nous constatons ainsi, s’il en était besoin, grâce à la toponymie qui a figé les mots à une certaine époque, que l’on ne parlait pas tout à fait la même langue selon la région où l’on habitait. Allez dire à un Haut-Alpin du Poët, à un Sarthois de Notre-Dame-du-Pé et à un Corse de Poggio-di-Venaco qu’ils partagent le même podium … nul doute que chacun voudra en occuper la plus haute marche! Comment disait-il, tonton Georges, déjà ?

Comme nous l’avons vu, les toponymes formés sur podium sont très nombreux et, comme les gens ont pris cette fâcheuse habitude de voyager, d’aller voir du pays,  il a bien fallu , pour éviter la confusion ( « Mais oui, Messire du Puy, je serai  au Puy tandis que mon bien aimé époux sera au Puy et plaise à Dieu que chacun y retrouve ses petits Puy! »),  les différencier les uns des autres. On a fait jouer ce rôle à des déterminants qui seront l’objet du prochain billet.

 * Mention spéciale à Puget-Théniers dont le nom, Pogit au XIè siècle ( de pogittum, « petit puget thenierspodium », donc) a été complété en Pogeto Tenearum en 1346. Tenearum fait référence non seulement  à la rivière Tinée mais aussi au cours moyen du Var qui portait à l’époque lui aussi ce même  nom: il y avait donc bien deux Tinées, d’où le pluriel à Tenearum et son maintien dans l’ancien  nom local lo puget de tenias  et dans son nom actuel Théniers. On remarquera au passage l’ajout d’un -h-  que je n’ai pas pu dater mais que l’on peut qualifier, au moins et pour rester aimable, de pseudo-savant.

8 commentaires sur “La première marche du podium

  1. Linca :
    Le Peuil, sur la commune de Voreppe en Isère était en effet appelé Podio nigro au XIIIè siècle, soit le « puy noir ». Le nom n’ a pas été francisé en « puy » et a perdu son déterminant.

    J’aime

  2. Je suis étonné de votre phrase « Le mot « puy » a fini par être intégré au vocabulaire français comme terme de géographie, par exemple au Puy de Dôme« , qui suggère que le terme auvergnat « Puy » pour désigner les volcans serait postérieur à la banalisation du terme en français, et que le Puy de Dôme aurait été nommé ainsi récemment et en utilisant un terme géographique déjà ancré.

    Il me semblait pourtant que le Puy de Dôme, le Puy de Côme, le Puy Pariou, le Puy des Goules, le Puy de Sancy, le Puy Mary et autres (il doit bien y en avoir une vingtaine) étaient nommés ainsi dans le parler local (j’ai trouvé ainsi les formes occitanes puei et puech)… et qu’ils ont plutôt largement contribué, au contraire, à ancrer ce terme dans le langage géographique.

    Me trompé-je ?

    —————————

    En parlant du Sancy (non, pas le diamant, le volcan), j’ai entendu récemment à la radio quelqu’un expliquer le nom de la vallée de Chaudefour par le fait qu’il y jaillit des sources « chaudes comme un four » ou parce que la vallée a la forme d’un four.

    Confirmez-vous ces possibles étymologies ? À vue de nez, il me semble surprenant que ce nom soit d’une origine aussi transparente, et que le segment four se réfère directement à un four : j’aurais pensé qu’il s’agissait d’une corruption d’un mot ayant éventuellement un tout autre sens (de la même manière que les puys ne se réfèrent pas à des puits mais à des podiums).

    J’aime

  3. Vous avez raison, Jacques C ma formulation est un peu bancale.

    Pour la vallée de Chaudefour, je n’ai pas pu trouver grand-chose, en tout cas rien de définitif

    Déjà en 1862, Louis Nadeau ( Voyage en Auvergne ) écrivait : « elle porte bien son nom: il y fait chaud comme dans un four ».
    Le Guide Vert raconte que les paysans y fanaient les jours de forte chaleur quand il faisait chaud comme dans un four
    Yves Paccalet ( 100 promenades sauvages) dit que son nom ne viendrait pas des fours que des générations de charbonniers utilisaient pour leur travail, mais qu’il désignerait « le lieu des sources », sans malheureusement citer les siennes.
    L’affaire se complique quand on tombe sur les Mémoires d’un chasseur de papillons de Dany Lartigue ( 2002) où on lit : « la vallée de Chaudefour est une auge en forme de cirque au microclimat froid , très rigoureux. » Il précise plus loin « l’eau y ruisselle de partout ».

    J’en suis réduit aux hypothèses:
    Cette eau et ces sources me semblent être la piste la plus sérieuse. Chaudefour pourrait être une de ces calida fons , « source chaude » , que nos ancêtres ne manquaient pas de remarquer. Le latin fons a par la suite perdu son sens de « source » et, mal comprise, la finale a pu être changée en « four »
    Il me semble que furnus , masculin, aurait donné un *chaufour .

    J’aime

  4. @ leveto : Merci de vos recherches et réflexions. Je penche également pour une référence à sa (ses deux ?, mémoire défaillante) source chaude.

    Si vous avez l’occasion un jour de visiter le massif du Sancy, je vous recommande une balade dans cette vallée de Chaudefour, magnifique vallée glaciaire riche d’une flore et d’une faune foisonnantes. Certes froide en hiver, mais chaude en été, comme de nombreux lieux du Massif Central.

    J’aime

  5. puy et puech ont une origine commune ?

    dans mon village Puissalicon (hérault) le nom à deux théories,
    « puech salicon » ou « podium de salicone » : la hauteur habitée par Salicon et

    un dérivé de « puech salicon’ qui voudrait dire colline salé, il y aurrait dans le temps eux un puit d’eau salé, il faut dire que le village est construit sur les dernières collines formés quant la mer se retira il y a très longtemps

    J’aime

  6. ►Puissalicon : puy et puech sont effectivement tous deux issus du même mot podium
    Puissalicon était nommé Podium de Salicano en 1114, du nom d’homme germanique Salicho.

    J’aime

Laisser un commentaire