Le garric et la garrigue

kermès La racine pré-indo-européenne bien connue *kar/gar, attachée à l’idée de rocher, aux endroits pierreux, se retrouve dans le nom du garric, nom du chêne kermès, parfois du chêne blanc et bien souvent nom générique du chêne. Elle se retrouve dans le nom de la garrigue, formation végétale secondaire des pays méditerranéens, sur sols calcaires, où dominent chênes verts ou yeuses (Quercus ilex), chênes blancs (Quercus pubescens) et chêne kermès (Quercus coccifera), ces derniers de petite taille et piquants.

On retrouve le nom du garric surtout du Quercy aux Pyrénées centrales en passant par la plaine languedocienne. La garrigue est, elle, plus précisément présente en contrebas des Cévennes, de l’Ardèche à l’Hérault, où ce mariage entre la roche et l’arbre, entre le végétal et le minéral, s’explique par la nature essentiellement pierreuse de ces contrées où l’eau rare et la chaleur laissent le calcaire régner en maître, ne laissant qu’une maigre végétation pousser dans la rocaille, donnant lieu à un préceltique garrica.

Selon ce que nous en savons (L.-F. Flutre, Recherches sur les éléments prégaulois dans la toponymie de la Lozère, éditions Les Belles Lettres, 1957 ; Toponymie du canton de Rabastens, E. Nègre, Toulouse, 1981), c’est le nom de l’arbre garric en ancien provençal (1177) qui a précédé celui de la formation végétale garrigues en vieux français (1544). Mais on peut aussi, avec J. Astor (DNFNLMF*), penser l’inverse, et voir dans garrica prégaulois un dérivé évoquant un type de végétation, et conclure que garric a désigné l’arbre caractéristique de cette végétation, le chêne kermès.

Ces deux noms ont fourni des toponymes sous différentes formes.

Garric

Une seule commune porte le nom de l’arbre : il s’agit de Le Garric dans le Tarn.

De nombreux micro-toponymes portent le même nom, avec ou sans article, au singulier ou au pluriel et d’autres sont déterminés comme le Garric Blanc (à Saint-Pierre-de-Trivisy, Tarn), le Garric Haut (à Péchaudier, Tarn), les Quatre Garrics (à Quins, Aveyron), etc.  Garric peut aussi servir de déterminant comme au Puech Garric (colline à Uchaud, Gard), au Puy Garric (à Calvinet, Cantal), à la Font Garric (à Sénaillac-Lauzès, Lot), etc. Notons la redondance dans le nom du lieu-dit Chêne dit le Garric à Dun (Lot).

Garrigue

Plusieurs communes portent un nom rappelant cette végétation comme Garrigues (Hérault, Tarn) et Garrigues-Sainte-Eulalie (Gard). L’agglutination de l’article a abouti aux noms de Lagarrigue (Lot-et-Garonne, Tarn).

 

On compte plusieurs dizaines de micro-toponymes en (La ou Les) Garrigue (s) ainsi que des Garrigue Haute (à Laprade, Boutenac, Ginestas dans l’Aude, etc.), des Garrigue Méjane (à Saint-Germain-des-Prés, Tarn, etc.), Garrigue Rousse (à Magrin, Tarn, etc.), une Nègre Garrigue (à Lagineste, Lot) et bien d’autres.

Le diminutif se retrouve au pluriel comme au singulier, comme à la Garriguette (à Rasteau, Vauc. etc.) ou aux Garriguettes (à Lombers, Tarn), ainsi qu’avec un autre suffixe aux Garrigoles (à Puéchabron, Hér. etc.), à Garrigou (à Cessenon-sur-Orb, Hér. etc) ainsi qu’aux Garrigot (à Brassac, Ariège, etc.), Garrigots (à Coursan, Aude, etc.), Garrigote (à Vedène, Vauc., etc.) …

garrigue

On rencontre plus rarement le dérivé occitan garrigal, « taillis de chêne », comme pour Garrigal (à Aubin, Aude) ou Le Garrigal (à Sainte-Camelle, id.). Un autre dérivé garrolha qui, par extension, désigne rejets de chênes et divers arbrisseaux poussant sur les garrigues, est à l’origine, avec le suffixe augmentatif –às, de noms comme Garrouillas (à Roujan, Hér. etc) ou Les Garouillasses (à la Caunette, id.).

En Rouergue et alentour apparait une variante garissa avec ses dérivés garrissada/garrissal, au sens de « garrigue, terre inculte », à l’origine de noms comme La Garrissade (à Golinhac, Av., etc) ou Le Garrissal (à Assier, Lot, etc.).

Le dérivé aquitain garrosse, désignant une friche ou un pacage offrant çà et là quelques chênes rabougris (Origines et significations de quelques noms fréquents de la région des Corbières, André Bédos, 1906, rééd. Lacour, 2005) se retrouve dans le nom de Garrosse (aujourd’hui dans Morcenx-la-Nouvelle, Landes) et dans celui de plusieurs lieux-dits comme La Garrosse (à Brassac, T.-et-G.) ou encore dans celui du ruisseau de la Garrosse (à Serres-sur-Arget, Ariège). Le nom de Garos (P.-Atl.) ainsi que celui de plusieurs micro-toponymes où garos est écrit avec un seul r sont issus plus vraisemblablement de la seule racine *kar munie du suffixe aquitain –os désignant un lieu pierreux, principalement dans les montagnes Pyrénées.

Jarrie et Jarrige

Principalement en région franco-provençale mais aussi dans le Massif Central et en Charentes, la palatalisation du g en j devant a a abouti aux formes jarri et jarrija.

On retrouve la première dans les noms de Jarrie (Isère) et de La Jarrie et de La-Jarrie-Audouin (Ch.-Mar.) ainsi que dans celui de nombreux micro-toponymes comme Pouzioux-la-Jarrie (à Vouneuil-sous-Biard, Vienne) et bien d’autres avec divers déterminants.

La seconde n’est représentée que dans des micro-toponymes comme La Jarrige (à Arches, Cantal ; à Saint-Vaury, Creuse ; à La Tour-d’Auvergne, P.-de-D., etc.), Les Jarriges (à Lourdoueix-saint-Michel, H.-Vienne, etc.) et bien d’autres dont le diminutif La Jarriguette (à Saint-Julien-de-Peyrolas, Gard).

À noter l’hydronyme la Jarrige, nom du cours supérieur de la Burande dans le Puy-de-Dôme.

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La devinette

Une fois de plus, faute de mieux, il vous faudra trouver un lieu-dit de France métropolitaine dont le nom est lié à un des mots étudiés dans le billet du jour.

Ce lieu-dit était une commune à part entière jusqu’à son annexion il y a près de deux siècles par sa voisine. On appela alors la nouvelle commune par les deux noms réunis par la conjonction « et », mais, par facilité et bien qu’aucun décret n’ait officialisé la chose, on abandonna le nom de la commune annexée qui n’apparait donc plus aujourd’hui que dans celui d’un lieu-dit.

Ce micro-toponyme est composé de deux mots accolés sans trait d’union dont l’un désigne un bâtiment d’habitation et l’autre est donc lié à un des mots du jour.

Le nom de la commune est issu de celui d’un homme latin accompagné d’un suffixe lui aussi latin qui a évolué localement d’une façon unique.

Cette commune est en réalité un petit village sur lequel il n’y a pas grand chose à dire et me voilà donc bien démuni pour des indices …

Peut-être ce portrait ?

indice a 01 08 2021

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr

13 commentaires sur “Le garric et la garrigue

  1. GARE AU GARRIGOU §

    On croirait l’indice barbu et chapeaumelonné tout droit sorti d’un dessin de Tardi (il me semble avoir reconnu Adèle Blanc-Sec à l’arrière-plan).

    Aragon en a fait un personnage des Cloches de Bâle.

    Il est vrai que les dérivés de « garric » faisaient depuis longtemps bon ménage avec les cloches :

    « Dom… scum !… dit Balaguère.

    … Stutuo !… répond Garrigou ; et tout le temps la damnée petite sonnette est là qui tinte à leurs oreilles, comme ces grelots qu’on met aux chevaux de poste pour les faire galoper à la grande vitesse. »

    https://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_de_mon_moulin/Les_trois_messes_basses

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  2. TRA

    Votre commentaire avait été mis « en attente de modération » pour ses trop nombreux liens (le robot considère qu’il s’agit potentiellement de pubs).
    Pas plus de trois liens par commentaire !
    ______________________________

    Les dérivés formés sur garric sont très nombreux en occitan avec des sens variés selon l’endroit. Cf. le TDF à garrouio et ailleurs.

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  3. En fait, ce qui m’intrigue là-dedans, c »est le rapport entre les deux « garouilles » : homonymie ou polysémie ? (Et, si oui, comment et pourquoi ?

    Certains de ces « garouilles » sont-ils d’ancien champs de maïs : l’introduction de cette culture nouvelle a dû, en son temps, frapper les esprits.

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  4. TRA

    J’avais bien compris votre interrogation sur l’origine de ce « garrouille » donné pour « maïs » et j’ai fait une recherche rapide.

    Si j’en crois ce vieux dictionnaire*, le maïs a été appelé « blé de Turquie » et c’est l’arabe karrowa , désignant une « mesure de capacité pour les grains », qui serait à l’origine de ce « garrouille ». À prendre avec circonspection en l’absence d’une confirmation par d’autres sources.

    *Les majuscules sont les initiales des auteurs cités en référence.

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  5. @ leveto

    Je vous remercie de bien avoir voulu consacrer du temps et de l’énergie au problème qui me préoccupait.

    Je suis dubitatif quant à une origine remontant à l’arabe « karruwa » : le royaume de Boadbil, a Grenade, est le dernier royaume musulman d’Espagne et il tombe en 1492, année où Colomb découvre les Indes occidentales … et la maïs. Il serait étonnant qu’un mot arabe ait été choisi pour une plante qui ne connaître vraiment son expansion qu’un siècle plus tard.

    Le maïs a souvent emprunté son nom à d’autres plantes : « grand millet », « blé d’Espagne » (« de Turquie », « d’Inde »).
    Le « garouil », terme qui désigne le maïs fourrager, doit peut-être son nom au vieux mot (issu du gaulois) « jarousse », qui désigne, lui aussi, une plante fourragère. :

    https://www.cnrtl.fr/definition/jarosse

    Comme son nom dans dans le Sud-Ouest l’indique, le « d’Espagne » vient dans cette région de la péninsule ibérique, en remontant le cours de la Garonne.
    Il a donc dû traverser la Pays basque.
    Pégorier nous indique que « garroya » y désignait une fougeraie. Un carré de maïs (avec des variétés disparues ?) peut-il évoquer, dans un potager (avant le 19ème siècle, ce n’était pas une plante de plein champ, mais une plante de jardin – entre autres, pour des raisons fiscales) peut-il faire penser à un carré de fougères ?

    Le terme « garouil(le) » semblant être spécifiquement saintongeais (parler d’oïl), comment expliquer – s’il s’agit de maïs fourrager – sa présence en Gironde, pays gascon ?
    Il faut noter que les lieux où on les trouve ne sont pays loin du Pays Gabay (Saint-Sulpice de-Faleyrans) ou de la Petite Gavacherie, pour le Bazadais (on trouve un lieu-dit « Gavache » à Lignan-de-Bazas).

    [Un de ces jours, peut-être, un billet sur le maïs ?]

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  6. Je ne sais quel crédit accorder à ça :

    « GAROUIL MAÏS Joli nom pour cette céréale , originaire d’Amérique , qui fut importée en Espagne il y a cinq cents ans par les caravelles de … fut cultivée d’abord en Bigorre et ce « blé de Bigorre » serait devenu bigarrouil puis garouil . D’autres évoquent la garrigue où poussait le chêne vert nommé aussi garouille . »

    Le blé de Bigorre ou bigarouil , devenu garouil .
    Trésors du parler des pays de l’ouest – Poitou, Charentes, Vendée, par Edgar Chaigne · 1997

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  7. Je viens de trouver un site épatant.

    Un certain TRS y écrit ceci :

    « Bravo Leveto !… vous êtes rarement décevant.

    D’autres attestations ?
    Concernant les vallées bigourdanes, vers 1670 :

    « Il y croît du seigle, de l’avoine, du blé sarrazin, du gros et du petit millet, et de la mouzéne, qui est une espèce de grain que nous ne connaissons pas dans les grasses provinces de la France »

    Extirpé ailleurs :

    Millet à grappe Panicum miliaceum. panic (-), panis Bretagne, Limousin, panet Genevois, millet des oiseaux, mouzène Bigorre, pourpairole s.f. Angoulême (sorgho), mil à balais, millet d’Inde… etc. »

    https://vousvoyezletopo.home.blog/2021/01/17/le-millet/

    Hélas ! ce contributeur inconnu ne donne ni références ni lien (sans doute a-t-il eu peur que l’on ne prît cela pour de la publicité …).

    Mais je suis prêt à parier que cette « mouzène Bigorre a quelque rapport avec notre propos !

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  8. Complètement oublié cet échange. Bravo de l’avoir exhumé!

    … janvier de cette année. Ce n’est pourtant pas si vieux !

    PS je suis d’accord : ce site est épatant.

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  9. Le seul endroit sur la ouèbe où j’ai trouvé trace de la mouzène est un forum agricole (le rhum agricole, c’est plus sympa ! ) :

    http://forum.terre-net.fr/topic-246903?view=print

    Il renvoie au Du Cange, ​où l’on trouve ceci (dont il donne la traduction) :

    « MOSENA, Species bladi, Moussene apud inferiores præsertim Occitanos, Vasconibus Mouzene. Sententia arbitralis ann. 1292. inter abbatem et consules de Gimonte :
    Alia vero blada quæ ligari non possunt in eorum paleis ut est milium, fabæ et Mosena, et alia similia, partiantur.

    Mosena, espèce de blé, moussene chez les plus récents, surtout les Occitans, pour les Gascons mouzene. Sentence arbitrale de l’année 1292 entre l’abbé et les consuls de Gimont :

    mais les autres blés qui ne peuvent pas être liés dans leurs pailles, comme l’est le millet, les fèves et la Mouzène, et d’autres semblables, doivent être partagés. »

    Le terme, attesté en 1292, désignait donc originellement une autre plante. Mais le maïs (au nom proche de « mouzène ») a pu emprunter, sans vergogne, son nom, comme il l’a fait pour le millet et le blé.

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  10. « Complètement oublié cet échange. Bravo de l’avoir exhumé! »

    MiniPhasme étant rare ici, il faut bien faire son boulot à sa place !

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  11. RÉCAPITULATIF

    « La mouzène, terme emprunté au vocabulaire de l’agriculture, est une variété de millet qu’on cultivait autrefois en Bigorre, région du sud-ouest de la France, dans les Hautes-Pyrénées. »

    https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/patrimoine/toponymie/fiche.aspx?idFiche=5247

    ————————
    Les données du problème sont donc claires :

    – la mouzène est du millet et il a existé une variété nommée « mouzène Bigorrre » ;

    – il est arrivé que le maïs soit assimilé au millet (« gros millet »), et aussi au blé (« blé d’Espagne, d’Inde ou de Turquie) .
    – la mouzène Bigorre a donné son nom à la nouvelle céréale américainr ;

    – soit resté mouzène Bigorre / bigarouil, soit devenu « blé bigarouil », le maîs (fourrager) est devenu « garouil » dans les dialectes poitevin, saintongeais, et circonvoisins.

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    REDEAMUS CAESARI ;;;

    C’est TRS, dans ses commentaires précités, qui a trouvé la piste québécoise.

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  12. Quant aux toponymes de Gironde, il y a de bonnes chances – s’ils ne viennent pas du chêne – qu’ile aient été importés par les gavaches qui y ont immigré.

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